EnJĂ©sus seul Oh, quel amour ! JEM1004. Stuart Townend et Keith Getty. 1. En JĂ©sus seul est mon espoir, Lui, ma lumiĂšre, ma force, mon chant, Pierre angulaire, solide rempart, MĂȘme quand l'orage devient violent. Oh, quel amour ! Oh quelle paix ! Les luttes cessent, la peur se tait. Mon rĂ©confort, mon plus grand bien, Dans l'amour du Christ
Nul ne sait jamais si et quand il est trop tard. »1XIIIe arrondissement de la capitale. Une petite rue pavĂ©e ; un bĂątiment de quatre Ă©tages. Nous le retrouvons dans son bureau â lâintĂ©gralitĂ© de son Ćuvre, traduite dans vingt-huit langues et diffusĂ©e dans quarante-deux pays, tient dans une bibliothĂšque. Edgar Morin, 94 ans, philosophe et sociologue, Ă©charpe gris bleu flottant sur un gilet clair, demande Ă son assistante de quoi prendre des notes. Nous posons un dictaphone entre revue â sa ligne, ses contours et ses desseins â doit, en partie, Ă lâune de ses propositions politiques et philosophiques rassembler ce quâil y a de plus fĂ©cond au sein des mouvements dâĂ©mancipation, câest-Ă -dire fĂ©dĂ©rer trois courants que le temps a trop souvent opposĂ© les traditions anarchistes, socialistes et communistes. Il Ă©crivit ainsi, dans Mon chemin, paru en 2008, quâil faisait siennes ces trois grandes aspirations rĂ©volutionnaires du XIXe siĂšcle » â cette fusion permettant de lutter contre les barbaries, dont non seulement lâexploitation, mais aussi lâhumiliation de lâhomme et de la femme par lâhomme [1] ». Le courant anarchiste ou libertaire Ćuvre Ă lâaffranchissement de la personne, dans ses moindres plis, et veille scrupuleusement Ă ce que son autonomie ne soit pas mise Ă mal par quelque super-structure autoritaire ; le courant socialiste â rappelons que lâon doit au philosophe et ouvrier typographe Pierre Leroux dâavoir, sinon inventĂ©, mis en marche le terme socialisme », quâil opposait Ă lâindividualisme et promouvait Ă la seule condition quâil ne fĂ»t pas absolu », câest-Ă -dire un socialisme du juste Ă©quilibre entre, selon ses mots, LibertĂ©, FraternitĂ©, ĂgalitĂ©, UnitĂ© [2] » â travaille Ă la disparition des inĂ©galitĂ©s sociales et Ă©conomiques et Ă la possibilitĂ© dâune digne vie pour tous ; le courant communiste â rappelons que le concept est antĂ©rieur Ă Marx et quâil fut popularisĂ©, en 1840, par un banquet communiste » qui se tint Ă Belleville â entend rĂ©organiser la sociĂ©tĂ© de fond en comble [3] » et se dĂ©ployer Ă Ă©chelle internationale afin de mettre un terme dĂ©finitif Ă lâempire de lâargent. Cela dit Ă trĂšs grands traits â nul nâignorant les infinies querelles et les courants innombrables, de rĂ©formes en rĂ©volutions successives. 3Edgar Morin fut communiste. Membre du Parti, mĂȘme. De 1941 Ă son exclusion dix annĂ©es plus tard. Câest cette expĂ©rience quâil conta dans Autocritique. Le communisme, rapporta-t-il dans lâune de ses prĂ©faces, rĂ©digĂ©e en 2012, fut une Ă©popĂ©e fabuleuse, magnifique, immonde, atroce et dĂ©risoire [4] ». Morin crut en la mission historique » du ProlĂ©tariat et au caractĂšre incontournable du Parti pour transformer lâespoir des masses en rĂ©alitĂ© effective ; il se persuada que la morale nâĂ©tait au fond quâaffaire dâefficacitĂ© â En dehors du communisme â de lâavenir de lâhumanitĂ© â je ne croyais en rien [5]. » LâHistoire avait un sens, un but ; restait Ă suivre les pointillĂ©s du ProgrĂšs. Le futur Ă©tait une mystique et le Parti une famille des plus possessives. La passion, et son lot dâaveuglements, nâeut pourtant quâun temps ; lâancien rĂ©sistant Morin â câest en rĂ©alitĂ© son nom de clandestinitĂ©, puisquâil naquit Nahoum â fut lieutenant des Forces françaises combattantes fut progressivement mis Ă la marge de lâorganisation avant dâĂȘtre Ă©purĂ© », comme tant dâautres avant et aprĂšs lui. La peine puis les yeux dessillĂ©s Morin se rendit compte quâil avait perdu la foi en lâĂ©vangile selon saint Marx [6] ». Le marxisme, songea-t-il bientĂŽt, fort de ses ingĂ©nieux schĂ©mas et de sa toute-puissance thĂ©orique, avait perdu contact avec le sol et lâhomme rĂ©el. Cela signa-t-il pour autant la fin de tout espoir dâĂ©mancipation ? AssurĂ©ment, non. 4Celui que le journaliste Edwy Plenel prĂ©sente comme un compagnon de route indocile de la gauche [7] » sâĂ©china dĂšs lors Ă complexifier un terme, simple, qui portera lâensemble de son Ćuvre la pensĂ©e et lâanalyse produites par lâHomo sapiens afin de dire et dâapprĂ©hender le monde. De relier sans chercher Ă cerner, Ă Ă©touffer dans un systĂšme clos, une totalitĂ©. Il croisa lâhĂ©ritage socialiste, lâĂ©taya, le nourrit â des sources antiques HĂ©raclite Ă lâhumanisme Montaigne, dâun certain bouddhisme compassion au noyau dur de la parole christique rĂ©demption, pardon, de la psychanalyse Otto Rank, Jung, Freud aux tenants des sciences dures » Bergson, Bachelard, Von Neumann, Piaget, Niels Bohr, de la poĂ©sie Caillois, Breton, Bataille Ă lâĂ©cologie Illich [8]. Au cĆur de sa dĂ©marche, de sa mĂ©thode le va-et-vient, lâapparent paradoxe. IntĂ©grer tout en dĂ©passant. Ce quâil appelle, aprĂšs Bakhtine, la dialogique faire se frotter, ensemble, lâeau et le feu du rĂ©el pour prendre la mesure des tensions sans toutefois en rester lĂ . Une idĂ©e, en somme, tend vers une certaine vĂ©ritĂ© lorsquâelle embrasse tout et son contraire. Lorsquâelle dĂ©cĂšle dans le noir la part de blanc et dans ce dernier son pan de noir. Lorsquâelle rassemble A et Z pour prendre la mesure des vingt-quatre strates qui les sĂ©parent. Leçon salutaire â quâil applique, et câest notamment cela qui nous intĂ©ressait dans le cadre de la prĂ©sente rencontre, Ă la perspective politique. Morin souhaite Ă la fois rĂ©volutionner et conserver, bouleverser et maintenir â nâhĂ©sitant pas, par provocation, Ă se dĂ©finir comme un droitier gauchiste ». Dâaucuns le lui reprochent dâailleurs esbroufe, tic aisĂ©, tour de passe-passe pour jouer au plus malin ou noyer le poisson de la domination [9] » ; le sage » est parfois raillĂ©, daubĂ© pour ses belles paroles » qui nâengageraient Ă rien et ne dĂ©stabiliseraient personne. 5Tournant le dos Ă lâhyperspĂ©cialisation comme aux modes de la pensĂ©e dans lâun des volumes de son Journal, il sâen prit, en passant, aux plus aveugles penseurs politiques de lâĂ©poque [10] », câest-Ă -dire, selon lui, Sartre et Althusser, le penseur, bien quâhonorĂ© Ă de nombreuses reprises aux quatre coins du monde et saluĂ© par des figures officielles » plus ou moins estimables en 2008, Sarkozy avait publiquement fait sien lâun de ses concepts majeurs â la politique de civilisation », jure avancer en indĂ©pendant et, mĂȘme, en marginal. Ă voir lâĂąpre polĂ©mique que lâun de ses textes [11], ayant trait Ă la question israĂ©lo-palestinienne, suscita aux dĂ©buts des annĂ©es 2000 quatre ans de procĂ©dure et lâavocat et militant UMP Gilles-William Goldnadel sâĂ©poumonant contre la dangerositĂ© de ses Ă©crits [12] » et le dialogue quâil accepta de mener, en 2014 [13], avec un homme jugĂ© infrĂ©quentable et toxique par la presque totalitĂ© de lâaire mĂ©diatique, intellectuelle et politique hexagonale â nous parlons de Tariq Ramadan â, il se pourrait que le directeur Ă©mĂ©rite du CNRS soit moins consensuel que lâimage quâil renvoie ou quâon lui prĂȘte. Moins consensuel et plus concret, aussi, Ă lire La Voie ligne Ă ligne usages de lâeau, rĂ©formes du systĂšme carcĂ©ral, budgets de la santĂ©, lutte contre les maladies nosocomiales, assurances complĂ©mentaires, piĂ©tonnisation des centres-villes, dĂ©frichage des arbres, gaspillages alimentaires, labels biologiques, taux de dĂ©pressifs⊠Les propositions sont nombreuses et entendent ravitailler dĂšs Ă prĂ©sent, Ă Ă©chelle nationale et internationale, la rĂ©forme radicale ou mĂ©tamorphose » quâil appelle de ses vĆux. 6* 7 Pourquoi ce titre, Ballast, au fait ? », nous demande celui qui avoue aimer danser, jouer, jouir [14] », tandis que nous nous apprĂȘtons Ă quitter son bureau. Parce quâil est question de voie, ici aussi, faite de pierres composites, disparates et volontiers dĂ©saccordĂ©es, mais sâĂ©vertuant Ă maintenir un mĂȘme avez Ă©crit, dans votre ouvrage consacrĂ© Ă Karl Marx, que la politique Ă©tait le grand art ». Pourquoi cette dĂ©finition ? 9Je me rappelle de cette phrase de Saint-Just Tous les arts ont produit des merveilles lâart de gouverner nâa produit que des monstres. » Il est Ă©vident que la politique est une histoire qui nĂ©cessite un choix, une Ă©laboration, et le propre dâun art est de rĂ©ussir Ă faire une Ćuvre rĂ©ussie, Ă dĂ©faut dâĂȘtre nĂ©cessairement accomplie. Et câest difficile. Lâart ne parvient pas toujours Ă rĂ©aliser des chefs-dâĆuvre ; il se fait avec beaucoup dâintuition, dâintelligence et de ce je-ne-sais-quoi » quâon nomme sans doute lâinspiration. La politique â câest-Ă -dire le destin des ĂȘtres humains en sociĂ©tĂ© â dĂ©passe, du fait de son ampleur, les autres arts que sont la littĂ©rature ou la peinture. Cela ne signifie pas quâelle leur soit supĂ©rieure, mais elle touche Ă nos vies et nos existences de maniĂšre plus directe. En cela, oui, câest un grand art. 10Vous avez fait savoir dans un livre dâentretien que vous aviez abandonnĂ© le terme rĂ©volution » au profit de mĂ©tamorphose ». Comment cette mutation, câest-Ă -dire ce second mot, arrive-t-elle dans votre vie ? 11Il me serait difficile de vous donner des repĂšres chronologiques extrĂȘmement prĂ©cis, mais je peux vous dire que câest lâĂ©chec du communisme stalinien, via la rĂ©volution dâOctobre, qui me poussa Ă cette rĂ©flexion. Ce communisme nâa pas abouti, en plus dâavoir favorisĂ© ce quâil avait voulu dĂ©truire. LâURSS conduisit Ă un capitalisme plus puissant encore que celui que lâon avait voulu supprimer sous le rĂšgne du tsar, Ă une religion plus forte encore que celle que lâon croyait avoir Ă©radiquĂ©e. LâĂ©chec Ă©tait total. Il en fut de mĂȘme pour le maoĂŻsme la Chine est Ă prĂ©sent un Ătat capitaliste, elle est dirigĂ©e par un parti unique et vidĂ©e de toute sa substance communiste. Sans mĂȘme parler de la CorĂ©e du Nord et du communisme hĂ©rĂ©ditaire quâils ont créé â une conception des plus bouffonnes au regard de celle que dĂ©veloppĂšrent les premiers socialistes et communistes. Câest sans doute aux alentours des annĂ©es 1980 que jâai abandonnĂ© ce mot. Non pas, dâailleurs, dans le cadre national â renverser une dictature â ni dans un cadre lĂ©gal â la rĂ©volution citoyenne » en Ăquateur ; jâai abandonnĂ© lâidĂ©e de RĂ©volution avec un R » majuscule. 12La RĂ©volution mythifiĂ©e, fondĂ©e sur la rupture absolue, la fĂ©conditĂ© supposĂ©e de la violence et la nĂ©cessitĂ© prĂ©tendue dâune dictature ». La RĂ©volution de LĂ©nine. La violence a dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en un systĂšme concentrationnaire et lâidĂ©e quâil fallait faire table rase du passĂ©, comme le chante LâInternationale, sâest avĂ©rĂ©e des plus limitĂ©es on a besoin de toute la culture du passĂ© pour pouvoir changer le monde. Montaigne, Montesquieu, Rousseau et Marx nous sont utiles, autant que la tradition humaniste Ă condition, comme jâai toujours tenu Ă le faire, de distinguer lâhumanisme de la dĂ©ification de lâHomme et celui de la reconnaissance dâAutrui dans sa pleine qualitĂ© humaine. 13Pourquoi mĂ©tamorphose » ? Jâai toujours Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par le fait que lâhumanitĂ© soit passĂ©e, en cinq endroits du globe, de petites sociĂ©tĂ©s de chasseurs-ramasseurs de quelques centaines de membres Ă des sociĂ©tĂ©s historiques dotĂ©es de villes, dâagriculture, dâĂtats et de religions â de lâAntiquitĂ© Ă nos jours. 14Il y a eu mĂ©tamorphose, par des moyens plus ou moins inconnus peut-ĂȘtre la domination de nomades sur les sĂ©dentaires et, lorsque je considĂšre lâEurope des temps mĂ©diĂ©vaux Ă la modernitĂ©, je vois aussi des processus de mĂ©tamorphose ce mot nâest pas rĂ©servĂ© aux libellules et aux papillons ! Il vaut pour la vie. Nous-mĂȘmes, dans le ventre de nos mĂšres, nous nous mĂ©tamorphosons. Ă lâheure quâil est, nos perspectives immĂ©diates sont trĂšs nĂ©gatives, mais jâespĂšre quâune pluralitĂ© de processus crĂ©ateurs pourra confluer et crĂ©er un courant â une voie, une voie autre que celle de la mondialisation dans laquelle nous sommes emportĂ©s. 15LâidĂ©e de mĂ©tamorphose est intĂ©ressante car personne ne peut prĂ©voir la sociĂ©tĂ© qui adviendra elle sera sans doute une sociĂ©tĂ©-monde sans pourtant ĂȘtre un Ătat-nation agrandi ; elle aura probablement des aspects fĂ©dĂ©raux et confĂ©dĂ©raux. Nous avons besoin de cette mĂ©tamorphose car lâhumanitĂ© prĂ©sente nous conduit vers des catastrophes multiples. 16 Conservateur rĂ©volutionnaire », câest ainsi que vous vous ĂȘtes dĂ©crit, un jour. Droitier gauchiste », Ă©galement. Par-delĂ la boutade, que signifient vraiment ces apparents oxymores ? 17Dans les partis communistes et bolcheviks, il Ă©tait traditionnel de dĂ©signer les droitiers » ceux qui manquaient de radicalitĂ© dans les changements structurels et tenaient Ă sauvegarder certaines libertĂ©s » et les gauchistes » ceux qui optaient pour la transformation radicale et immĂ©diate. Staline a dĂ©truit et les uns et les autres. Et nous avons eu les mĂȘmes phĂ©nomĂšnes sous la RĂ©volution française le second ComitĂ© de salut public, impulsĂ© par Robespierre et Saint-Just, a dâabord Ă©crasĂ© les droitiers les Girondins puis les gauchistes les EnragĂ©s et les HĂ©bertistes. Je me reconnais â qui plus est au regard des expĂ©riences passĂ©es â comme soucieux du maintien des libertĂ©s fondamentales dâexpression, de mouvement, etc. ; et je mâĂ©tais exprimĂ© au moment de la rĂ©volution des Ćillets, au Portugal, contre la suppression dâun journal considĂ©rĂ© comme droitier » par la frange communiste dominante. Ă Paris, certains disaient, y compris parmi mes amis, que lâimportant Ă©tait de nourrir les gens plutĂŽt que de leur donner la libertĂ©. Contre ce grand argument, jâĂ©crivais que lorsque lâon supprime la libertĂ©, on ne donne pas du pain pour autant â je refusais dĂ©sormais ce genre dâoppositions. 18En ce sens, je suis droitier ». Et gauchiste », car je reste persuadĂ© quâil faut tout changer, radicalement, mais que ce changement ne peut pas avoir lieu dâun coup. Ponctionner les grandes fortunes, voilĂ qui est Ă©vident ; mais comment le faire dans le cadre de la mondialisation ? Les gens fichent le camp ! Ils placent leurs fonds dans des paradis fiscaux et nous ne pouvons rien contre ce pouvoir hĂ©gĂ©monique de la finance. On pourrait supprimer lesdits paradis, mais on voit bien le retard que les Ătats ont en la matiĂšre⊠Que faire ? Il faut faire refluer progressivement cette hĂ©gĂ©monie â et cela sâavĂšre particuliĂšrement important dans le domaine de lâalimentation et de lâagriculture. 19La grande exploitation, lâĂ©levage industrialisĂ© et la monoculture dĂ©truisent les sols et produisent des insanitĂ©s multiples standardisation, perte de goĂ»t. Imaginons un grand mouvement de consommateurs â puisque nous le sommes tous devenus â qui boycotterait les produits malsains et ferait rĂ©gresser les grandes surfaces, aidant ainsi lâagriculture fermiĂšre et biologique. Câest par des voies multiples quâon peut commencer Ă amĂ©liorer la sociĂ©tĂ© ; je parle dâoasis des oasis de solidaritĂ©s, dâĂ©cologie et de fraternitĂ© des fermes, des coopĂ©ratives, etc.. Il faut Ă©largir et propager ces oasis, y vivre, et faire quâelles deviennent une base de dĂ©part pour un plus grand changement. Nous devons rĂ©orienter la pensĂ©e politique ne plus avoir un programme, ne pas avoir un modĂšle de sociĂ©tĂ© ; avant une crĂ©ation, on ne sait pas ce qui va se passer. Je conserve la radicalitĂ© gauchiste et la libertĂ© droitiĂšre â refusant les alternatives de la pensĂ©e binaire. 20Ă lire toute votre Ćuvre politique depuis Autocritique, disons, on a lâimpression que vous creusez un sillon enterrer ce vieux dĂ©bat, cette traditionnelle opposition entre rĂ©forme et rĂ©volution⊠21Effectivement. Si vous prenez lâhistoire du rĂ©formisme comme du rĂ©volutionnarisme, on peut affirmer que les deux ont Ă©chouĂ©. Le rĂ©formisme social-dĂ©mocrate, qui a pourtant accompagnĂ© un certain nombre de protections sociales Ă commencer par lâĂtat-Providence », pris dans la prĂ©sente conjoncture, effrite les anciennes rĂ©formes et ne propose plus rien la pensĂ©e rĂ©formiste est vide. Tout comme lâest la pensĂ©e rĂ©volutionnaire. Il faut une pensĂ©e qui se ressource Ă la fois dans les aspirations libertaires, socialistes et communistes, mais aussi Ă©cologistes â il faut prendre en compte tout ce que Marx nâa pas vu, ou pas pu voir. 22Vous Ă©voquez la patrie comme angle mort de la pensĂ©e de Marx. 23Câest une de ses carences. Voyant lâimportance dĂ©cisive des classes et assurant, comme on le sait, que les prolĂ©taires nâont pas de patrie », il a sous-estimĂ© la rĂ©alitĂ© de la nation. Comme vĂ©cue par les citoyens. Il y a mĂȘme, chez Marx, une faiblesse dans sa pensĂ©e de lâĂtat celui-ci nâĂ©tait Ă ses yeux que lâinstrument de la classe dominante, ce qui lâa conduit Ă sous-estimer son pouvoir propre. On lâa vu en 1914. Nous avions deux Ă©normes partis socialistes internationalistes â allemand et français â et il nâa fallu que quelques heures pour que lâinternationalisme se dissolve au profit du patriotisme et du nationalisme. Staline a dâailleurs fortifiĂ© ce systĂšme en recourant Ă la notion de patrie soviĂ©tique ». Câest un trou noir quâil faut combler dans la pensĂ©e de Marx. 24Votre idĂ©e de rassembler les trois courants anarchistes, socialistes et communistes est lâun des Ă©lĂ©ments fondateurs de notre revue. ArrĂȘtons-nous sur lâanarchisme. Comment a-t-il inspirĂ© et nourri votre rĂ©flexion â alors que vous venez du communisme ? 25Dans ma formation adolescente, je cherchais et jâerrais entre les idĂ©ologies. Mon premier acte politique fut de me rendre auprĂšs dâun organisme libertaire qui se nommait SolidaritĂ© internationale antifasciste », en aide aux anarchistes espagnols. JâĂ©tais trĂšs sensible Ă cette grande aspiration mais tout ceci a, ensuite, Ă©tĂ© recouvert par mon adhĂ©sion au Parti. Jâai nĂ©anmoins toujours gardĂ© un lien avec cette tradition comme communiste, sous lâOccupation, jâĂ©tais trĂšs proche dâune femme anarchiste merveilleuse, May Picqueray. En tant que lecteur de Marx et de LĂ©nine, jâestimais que la dictature du prolĂ©tariat allait aboutir Ă la libertĂ©, câest-Ă -dire Ă lâĂtat sans classes il y a dâailleurs une source libertaire dans le marxisme et mĂȘme dans le LĂ©nine dâavant la rĂ©volution dâOctobre. Puis, une fois hors du Parti, jâai vu la fĂ©conditĂ© du libertarisme â notamment sur le terrain de lâĂ©panouissement de lâindividu. Si vous lâajoutez Ă la fĂ©conditĂ© socialiste amĂ©liorer la sociĂ©tĂ© et communiste fraterniser, vous retrouvez une pensĂ©e qui existait, ainsi mĂȘlĂ©e, au XIXe siĂšcle â je ne les rassemble pas artificiellement ! Mais lâHistoire a sĂ©parĂ© et opposĂ© ces courants. Câest donc pour moi tout Ă fait naturel. Sans parler des relations personnelles et formidables lâaventure espagnole et ses rĂ©alisations doivent ĂȘtre connues et absolument une diffĂ©rence entre les termes anarchiste » et libertaire » ? 27Ă mes yeux, câest la mĂȘme chose. 28Dans Mon Chemin, vous avancez que lâon ne peut rĂ©duire lâhomme Ă des dĂ©terminations sociales et Ă©conomiques. Pouvez-vous dĂ©velopper cette idĂ©e ? 29DostoĂŻevski a montrĂ© quâil existait dans lâhomme des dimensions qui dĂ©passent le social et lâĂ©conomique. Dans Crime et ChĂątiment, la petite prostituĂ©e, Sonia, qui permet la rĂ©demption de Raskolnikov, a un million dâannĂ©es-lumiĂšre dâavance sur Karl Marx car elle sait que lâamour et la compassion sont des Ă©lĂ©ments de salut et de sauvegarde. Des Ćuvres comme RĂ©surrection de TolstoĂŻ mâont beaucoup marquĂ©. Lorsque jâai envisagĂ© le problĂšme de la science sociologique ou historique, jâai vu que tous les dĂ©terminismes clos qui enferment les gens dans leurs catĂ©gories et leurs habitus avaient une valeur statistique, mais quâils ne valaient pas pour tout il y a beaucoup dâexceptions. Nous ne sommes pas entiĂšrement dĂ©terminĂ©s par notre classe, notre statut et notre origine ; la sociĂ©tĂ© nâest pas mĂ©canique. 30 Faire copuler Marx et Shakespeare », câĂ©tait lâune de vos idĂ©es. Quel enfant verrait-on ? 31Jâen suis peut-ĂȘtre un bĂ©bĂ©. rires Il y a une conception tragique de lâexistence chez Shakespeare qui nâexiste pas dans la vision finalement optimiste de Marx. Quand Marx parle du caractĂšre dialectiquement progressiste du capitalisme, il omet une part de la tragĂ©die de cette avancĂ©e » ce que le capitalisme fait vivre au travailleur en lâexploitant, en dĂ©portant les paysans vers les usines. Le tragique nâest pas un pessimisme â je reconnais la tragĂ©die de la vie en mĂȘme temps que ses beautĂ©s. Ce quâil y a de remarquable dans le théùtre de Shakespeare est lâabsence de Salut final et de Dieu rien de mieux » ne va ressortir de tant de massacres. 32Vous aimez Ă rappeler, tout au long de vos Ă©crits, que les ennemis possĂšdent une part de vĂ©ritĂ© devenue folle ». Câest un propos plutĂŽt audacieux⊠33Comment, Ă partir dâune communautĂ© dâesprits humains, sĂ©crĂšte-t-on des dieux ? Tout commence par les esprits supĂ©rieurs, quel que soit leur nom. Comment ces dieux prennent-ils une force, une puissance, une autonomie et une existence incroyables au point de les adorer, de les prier du matin au soir et de mourir pour eux ? Ceci Ă©tant dâautant plus valable pour les religions monothĂ©istes. Et ce qui vaut pour les dieux vaut pour les idĂ©es on a pu vivre, souffrir, tuer et mourir pour le communisme. Le point-clĂ© est de savoir comment avoir un commerce avec nos idĂ©es ? Comment ne pas nous laisser Ă©craser par elles ? Un propos de Marcel Proust mâavait frappĂ© il affirmait que lâantisĂ©mitisme Ă©tait une idĂ©e devenue folle. Je me suis demandĂ© ce qui ne lâĂ©tait donc pas, fou. Câest le fait quâil y a un destin propre aux Juifs un destin liĂ© Ă la persĂ©cution historique, aux mĂ©tiers dans lesquels on les cantonnait â un antisĂ©mitisme qui a succĂ©dĂ© Ă lâantijudaĂŻsme chrĂ©tien. Tout en Ă©tant humains je suis moi-mĂȘme juif dâorigine, comme vous le savez, les Juifs ont une diffĂ©rence liĂ©e Ă lâHistoire nier cette diffĂ©rence, câest nier le fait quâil puisse y avoir un problĂšme â mĂȘme sâil nâest pas, comme je le crois, fondamental. Le problĂšme nâest pas cette diffĂ©rence, mais le fait de la transformer en infĂ©rioritĂ© et lĂ , lâidĂ©e devient folie. 34Mais quand vous Ă©crivez, dans un article, que mĂȘme le lepĂ©nisme contient une part de vĂ©ritĂ© devenue folle, Ă quoi pensez-vous ? 35La rĂ©alitĂ© de la nation, comme nous en parlions tout Ă lâheure. Mais câest une rĂ©alitĂ© que lâon peut dĂ©passer â par lâEurope et, en cas dâintĂ©rĂȘts communs Ă tous, par des instances mondiales supranationales. La nĂ©gation de cette rĂ©alitĂ© nâa pas de sens mais elle devient folie lorsquâelle se traduit par la peur de lâAutre. On nâa pas assez compris, et enseignĂ©, que la France est multiculturelle dĂšs son origine ; elle a, au cours des siĂšcles et de maniĂšres diverses, intĂ©grĂ© des peuples qui avaient leurs propres langues â les Basques, les Bretons, les Alsaciens, les Auvergnats, les Flamands. Cette France est multiculturelle tout en ayant son unitĂ©, consolidĂ©e par la RĂ©volution française. Les ouvriers du dĂ©but du XXe siĂšcle les Espagnols et les Italiens nâont fait que prolonger ce processus. Et les MaghrĂ©bins et les Asiatiques le prolongent ensuite. La France est, par sa nature mĂȘme, une et multiculturelle. On aurait pu, en lâenseignant, faire reculer lâidĂ©e dâun vrai » peuple authentique ». Dans le nord de la France, le peuple est composĂ© de gens dâorigine polonaise. Avant que François Hollande ne soit Ă©lu, jâavais dialoguĂ© avec lui et lui avais proposĂ© dâinscrire cette formule, une et multiculturelle, dans la Constitution il nâa pas compris, il a cru que cela favoriserait le communautarisme â il est dans la pensĂ©e binaire. 36En 1993, dans Terre-Patrie, vous Ă©voquiez dĂ©jĂ le rĂ©-enracinement ethnique et religieux ». Câest une des problĂ©matiques majeures de notre temps, semble-t-il. Comment en sortir par le haut ? 37La mondialisation techno-Ă©conomique a provoquĂ© la crainte de la destruction des cultures propres aux ethnies et aux nations. DâoĂč, parfois, des processus de refermeture â le premier cas fut lâIran. LâOccident a rĂ©pandu aux quatre coins du monde sa foi dans le ProgrĂšs lâavenir serait meilleur. Cette foi sâest dĂ©sintĂ©grĂ©e un peu partout, y compris chez nous. Quand il nây a plus dâavenir et que le prĂ©sent est malheureux, on se rĂ©fugie vers le passĂ©. La mondialisation ne sâest pas accompagnĂ©e de la prise de conscience que lâhumanitĂ© avait une communautĂ© de destin cette communautĂ© est créée par la mondialisation tout en Ă©tant menacĂ©e par la mondialisation, qui dĂ©veloppe des armes nuclĂ©aires et dĂ©grade la biosphĂšre. 38Mon message, celui de la Terre-Patrie, nâa pas du tout Ă©tĂ© entendu sâil y a destin commun, il y a patrie commune â qui englobe les autres patries â et prise de conscience de notre rĂ©alitĂ© biologique sur Terre. VoilĂ la tragĂ©die de notre Ă©poque. La plus dangereuse. 39Lorsque jâen parle, on dit Oui, oui », mais cette idĂ©e ne sâenracine pas. 40Durant une partie du XXe siĂšcle, en France, Ă©taient souvent des hommes et des femmes liĂ©s Ă lâhistoire socialiste, au sens large. On parle beaucoup dâun phĂ©nomĂšne », ces temps-ci, dâun basculement » la fin de lâhĂ©gĂ©monie intellectuelle de la gauche et lâessor dâune pensĂ©e de droite, voire trĂšs Ă droite Finkielkraut, Renaud Camus, Zemmour, etc.. Comment lâobservez-vous ? 41Quâest-ce quâun intellectuel ? Ce nâest pas seulement un philosophe ou un Ă©crivain ; câest un auteur qui prend parti sur la place publique. Zola est romancier ; il devient intellectuel avec Jâaccuse ». DĂšs lâaffaire Dreyfus, nous avions des intellectuels des deux bords â souvenons-nous des BarrĂšs et des Maurras. Il y avait un mouvement intellectuel de droite trĂšs fort, alors. Ce nâest quâaprĂšs la LibĂ©ration que lâon a assistĂ© Ă lâhĂ©gĂ©monie dont vous parlez. Il y a toujours eu deux France la France aristocratique, antisĂ©mite et monarchique a toujours existĂ©, mais elle sâest, en grande partie, dĂ©considĂ©rĂ©e sous Vichy. On assiste aujourdâhui Ă un dĂ©pĂ©rissement de lâintellectualitĂ© de gauche ; pourquoi ? 42Parce que nous faisons face Ă un systĂšme de rĂ©gression gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Et ce dĂ©pĂ©rissement sâaccompagne dâun vichysme rampant câest la deuxiĂšme France qui reprend du poil de la bĂȘte car la premiĂšre nâest plus alimentĂ©e. Il est normal, dĂšs lors, que lâhĂ©gĂ©monie bascule et que surgissent ces porte-paroles â câest un phĂ©nomĂšne regrettable, mais comprĂ©hensible. Aussi, lâhĂ©gĂ©monie de gauche Ă©tait fondĂ©e sur de grands aveuglements lâURSS ou le maoĂŻsme â mĂȘme Foucault sâest trompĂ© sur lâIran. Lâintellectuel de gauche a un lourd tribut dâerreurs, de manque dâinformations et de sĂ©rieux ; nous ne sommes pas nombreux Ă avoir fait autocritique »⊠Je me sens un peu seul. Nous sommes dans une Ă©poque oĂč rĂšgnent les experts et les spĂ©cialistes, jugĂ©s comme seuls compĂ©tents » ; une Ă©poque oĂč seuls le calcul et le chiffre sont jugĂ©s comme pertinents » il y a un besoin dâintellectuels, afin de poser des problĂšmes fondamentaux et globaux, mais il y a pĂ©nurie. On ne rĂ©agit presque plus aux situations que lâon nâaurait jamais tolĂ©rĂ©es il y a trente ans. 43Une derniĂšre question vous avez durant votre vie connu des Ă©pisodes historiques pour le moins cruels, mais demeure en vous un certain espoir. Une foi en lâHomme. Comment la comprendre ? 44Jâai gardĂ© les aspirations de mon adolescence sans en conserver les illusions. Ma mĂšre est morte lorsque jâavais 10 ans⊠Jâai gardĂ© un esprit enfantin », qui sâamuse, curieux de tout. Jâaime la vie et jâai gardĂ© cette capacitĂ© de rĂ©agir contre les horreurs. Ces Ă©vĂ©nements que jâai vĂ©cus mâont sans doute stimulĂ© Ă nouveau, remobilisé⊠Peut-ĂȘtre ai-je voulu prendre ma retraite mais je ne lâai pas pu il y a toujours quelque chose Ă faire ! rires Je me focalise sur lâidĂ©e, en ce moment, que lâon sent une aspiration, dans une partie de la population et de la jeunesse, vers ce qui nâest pas le profit et lâintĂ©rĂȘt ; on sent un dĂ©sir de fraternitĂ©, de solidaritĂ© et de convivialitĂ© â ces oasis. Et jâai envie de mây dĂ©dier. Ce nâest pas de ma faute, je ne peux pas mâen Ă©chapper. rires Notes [1] E. Morin, Mon chemin, Fayard, 2008, p. 265. [2] P. Leroux, Ćuvres 1825-1850, Lesourd, 1850, p. 376. [3] PrĂ©face Ă lâĂ©dition allemande du Manifeste du parti communiste, de Marx et Engels, en 1890. [4] E. Morin, Autocritique, Seuil, 2012, p. 14. [5] Ibid., p. 142. [6] Ibid., p. 267. [7] E. Plenel, Lâalarme dâEdgar Morin », Mediapart, 25 aoĂ»t 2013. [8] Voir E. Morin, Mes philosophes, Germina, 2011. [9] J-P. Garnier, Des chercheurs au secours de lâordre Ă©tabli », Le Monde diplomatique, octobre 2007. [10] E. Morin, Journal, 1962-1987, Seuil, 2012. [11] Voir E. Morin, Le Monde moderne et la question juive, Seuil, 2006. [12] Edgar Morin nâa pas commis de diffamation raciale », LDH, 17 juillet 2006. [13] Voir Edgar Morin et Tariq Ramadan, Au pĂ©ril des idĂ©es, Presses du ChĂątelet, 2014. [14] E. Morin, Journal, 1962-1987, op. cit.
EntrefĂȘte locale et forum des associations, la transition est assurĂ©e tout en douceur entre la fin des vacances dâĂ©tĂ© et la rentrĂ©e scolaire Ă venir Ă Caussade.
Mes jours se suivent sans qu'ils ne se ressemblent Dis moi se qui se passe, chacun fait se qu'il veut Jai vu des grands se donnaient en spectacle De maniĂšre impensable; face Ă des jeunes enfants Qu'est ce qui se passe ? Non.. tout le monde s'effacent Plus rien ne vas L'homme est au plus bas Tout se que je vois, Encore combien de temps celĂ durera ? Avons-nous trahit l'amour et la vie ? Sommes-nous entrain de payer le prix ? Celui du m'Ă©pris..de nos vrai diffĂ©rence Quand je pense Ă nous, Ă ce temps qui cour C'est l'espoir qui me fait chanter C'est l'espoir qui me fait danser C'est l''espoir qui me fait rĂȘver Sans l'espoir que serai la vie ? C'est l'espior qui me fait bouger C'est l'espoir qui nous fait crier C'est l'espoir qui nous fait rĂȘver Sans l'espoir que serai la vie ? Couplet Un jour de la pluie vas cĂ©ssĂ© de tomber Pour ne plus effacer tout ces pleures ces ges qui meurent MĂȘme le soleil vas bientĂŽt refuser de vouloir Ă©clairer Tout ces drames de l'humanitĂ© Qu'est ce qui se passe ? Non.. tout le monde s'effacent Plus rien ne vas L'homme est au plus bas Tout se que je vois, Dans combien de temps celĂ durera ? Avons-nous trahit l'amour et la vie ? Sommes-nous entrain de payer leprix ? Celui du m'Ă©pris..de nos vrai diffĂ©rence Quand je pense Ă nous, Ă ce temps qui cour Oui je crois que demain sous un ciel nouveau nous seront Et je vois dĂ©jĂ comme des frĂšres tout les hommes de la terre Chanter lim de la paix
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[Les] amours [Document Ă©lectronique] / Pierre de Ronsard ; [Ă©d. par Henri Weber et Catherine Weber] Les Amours de P. De Ronsard Vandomois 1552-1553 Voeu Divin troupeau, qui sur les rives molles Du fleuve Eurote, ou sur le mont natal, Ou sur le bord du chevalin crystal, Assis, tenez vos plus sainctes escolles Si quelque foys aux saultz de vos carolles M'avez receu par ung astre fatal, Plus dur qu'en fer, qu'en cuyvre ou qu'en metal, Dans vostre temple engravez ces paroles Ronsard, affin que le siecle a venir, De pere en filz se puisse souvenir, D'une beautĂ© qui sagement affolĂ©, De la main dextre append a nostre autel, L'humble discours de son livre immortel, Son cuoeur de l'autre, aux piedz de ceste idole. I Qui voudra voyr comme un Dieu me surmonte, Comme il m'assault, comme il se fait vainqueur, Comme il r'enflamme, et r'englace mon cuoeur, Comme il reçoit un honneur de ma honte, Qui voudra voir une jeunesse prompte A suyvre en vain l'object de son malheur, Me vienne voir il voirra ma douleur, Et la rigueur de l'Archer qui me donte. Il cognoistra combien la raison peult Contre son arc, quand une foys il veult Que nostre cuoeur son esclave demeure Et si voirra que je suis trop heureux, D'avoir au flanc l'aiguillon amoureux, Plein du venin dont il fault que je meure. II Nature ornant la dame qui devoyt De sa douceur forcer les plus rebelles, Luy fit present des beautez les plus belles, Que des mille ans en espargne elle avoyt Tout ce qu'Amour avarement couvoyt, De beau, de chaste, et d'honneur soubz ses ailles, Emmiella les graces immortelles De son bel oeil qui les dieux emouvoyt. Du ciel Ă peine elle estoyt descendue, Quand je la vi, quand mon ame Ă©sperdue En devint folle et d'un si poignant trait, Le fier destin l'engrava dans mon ame, Que vif ne mort, jamais d'une aultre dame Empraint au cuoeur je n'auray le portraict. III Dans le serain de sa jumelle flamme Je vis Amour, qui son arc desbandoit, Et sus mon cuoeur le brandon Ă©spandoit, Qui des plus froids les moĂlles enflamme. Puis çà puis lĂ pres les yeulx de ma dame Entre cent fleurs un retz d'or me tendoit, Qui tout crespu blondement descendoit A flotz ondez pour enlasser mon ame. Qu'eussay-je faict l'Archer estoit si doulx, Si doulx son feu, si doulx l'or de ses noudz, Qu'en leurs filetz encore je m'oublie Mais cest oubli ne me tourmente point, Tant doulcement le doulx Archer me poingt, Le feu me brusle, et l'or crespe me lie. IV Je ne suis point, ma guerriere Cassandre, Ne Myrmidon, ne Dolope souldart, Ne cest Archer, dont l'homicide dart Occit ton frere, et mit ta ville en cendre. En ma faveur pour esclave te rendre Un camp armĂ© d'Aulide ne depart, Et tu ne voys au pied de ton rempart Pour t'emmener mille barques descendre. Mais bien je suis ce ChorĂ©be insensĂ©, Qui pour t'amour ay le cuoeur offensĂ©, Non de la main du Gregeois PenelĂ©e Mais de cent traitz qu'un Archerot vainqueur, Par une voye en mes yeulx recelĂ©e, Sans y penser me ficha dans le cuoeur. V Pareil j'egalle au soleil que j'adore L'autre soleil. Cestuy lĂ de ses yeulx Enlustre, enflamme, enlumine les cieulx Et cestuy ci toute la terre honore. L'art, la Nature et les Astres encore Les Elements, les Graces et les Dieux Ont prodiguĂ© le parfaict de leur mieux, Dans son beau jour qui le nostre dĂ©core. Heureux, cent foys heureux, si le destin N'eust emmurĂ© d'un fort diamantin Si chaste cuoeur dessoubz si belle face Et plus heureux si je n'eusse arrachĂ© Mon cuoeur de moy, pour l'avoyr attachĂ© De cloudz de feu sur le froid de sa glace. VI Ces liens d'or, ceste bouche vermeille, Pleine de lis, de roses, et d'oeuilletz, Et ces couraulx chastement vermeilletz, Et ceste joue Ă l'Aurore pareille Ces mains, ce col, ce front, et ceste oreille, Et de ce sein les boutons verdeletz, Et de ces yeulx les astres jumeletz, Qui font trembler les ames de merveille Feirent nicher Amour dedans mon sein, Qui gros de germe avoit le ventre plein, D'oeufz non formez et de glaires nouvelles. Et luy couvant qui de mon cuoeur jouit Neuf mois entiers en un jour m'eclouit Mille amoureaux chargez de traits et d'aisles. VII Bien qu'Ă grand tort il te plaist d'allumer Dedans mon cuoeur, siege Ă ta seigneurie, Non d'une amour, ainçois d'une furie Le feu cruel pour mes os consumer, L'aspre torment ne m'est point si amer, Qu'il ne me plaise, et si n'ay pas envie De me douloir car je n'ayme ma vie Si non d'autant qu'il te plaist de l'aimer. Mais si les cieulx m'ont fait naistre, Ma dame. Pour estre tien, ne genne plus mon ame, Mais pren en grĂ© ma ferme loyaultĂ©. Vault il pas mieulx en tirer du service, Que par l'horreur d'un cruel sacrifice, L'occire aux piedz de ta fiere beautĂ©? VIII Lors que mon oeil pour t'oeillader s'amuse, Le tien habile Ă ses traits decocher, Estrangement m'empierre en un rocher, Comme au regard d'une horrible Meduse. Moy donc rocher, si dextrement je n'use L'outil des Seurs pour ta gloire esbaucher, Qu'un seul Tuscan est digne de toucher, Non le changĂ©, mais le changeur accuse. Las, qu'ay je dit? Dans un roc emmurĂ©, En te blamant je ne suis asseurĂ©, Tant j'ay grand peur des flammes de ton ire, Et que mon chef par le feu de tes yeux Soit diffamĂ©, comme les monts d'Epire Sont diffamez par les flammes des cieulx. IX Le plus toffu d'un solitaire boys, Le plus aigu d'une roche sauvage, Le plus desert d'un separĂ© rivage, Et la frayeur des antres les plus coys Soulagent tant les soupirs de ma voix, Qu'au seul escart de leur secret ombrage, Je sens garir une amoureuse rage, Qui me raffolle au plus verd de mes moys. LĂ , renversĂ© dessus leur face dure, Hors de mon sein je tire une peinture, De touts mes maulx le seul allegement, Dont les beaultez par Denisot encloses, Me font sentir mille metamorphoses Tout en un coup, d'un regard seulement. X Je pais mon cuoeur d'une telle ambrosie, Que je ne suis Ă bon droit envieux De ceste lĂ qui le pere des dieux Chez l'Ocean friande resasie. Celle qui tient ma libertĂ© saisie, Voire mon cuoeur dans le jour de ses yeux, Nourrist ma faim d'un fruict si precieux, Qu'autre appareil ne paist ma fantaisie. De l'avaller je ne me puis lasser, Tant le plaisir d'un variant penser Mon appetit nuict et jour faict renaistre. Et si le fiel n'amoderoit un peu Le doux du miel duquel je suis repeu, Entre les dieux, dieu je ne voudroys estre. XI Amour, amour, donne moy paix ou trefve, Ou bien retire, et d'un garrot plus fort Tranche ma vie, et m'avance la mort, Me bienheurant d'une langueur plus brĂ©ve. Soit que le jour ou se couche, ou se leve, Je sens tousjours un penser qui me mord, Et contumax au cours de son effort, De pis en pis mes angoisses r'engreve. Que dois je faire? Amour me faict errer, Si haultement que je n'ose esperer De mon salut que la desesperance. Puis qu'Amour donc ne me veult secourir Pour me deffendre il me plaist de mourir, Et par la mort trouver ma delivrance? XII J'espere et crains, je me tais et supplie, Or je suis glace et ores un feu chault, J'admire tout, et de rien ne me chault, Je me delace, et puis je me relie. Rien ne me plaist si non ce qui m'ennuye, Je suis vaillant, et le cuoeur me default, J'ay l'espoir bas, j'ay le courage hault, Je doubte Amour, et si je le deffie. Plus je me picque, et plus je suis restif, J'ayme estre libre, et veulx estre captif, Cent foys je meur, cent foys je prens naissance. Un PromethĂ©e en passions je suis, Et pour aymer perdant toute puissance, Ne pouvant rien je fay ce que je puis. XIII Pour estre en vain tes beaulx soleilz aymant, Non pour ravir leur divine estincelle, Contre le roc de ta rigueur cruelle Amour m'atache Ă mille cloux d'aymant. En lieu d'un Aigle, un soing horriblement Claquant du bec, et siflant de son aille, Ronge goulu ma poictrine immortelle, Par un desir qui naist journellement. Mais de cent maulx, et de cent que j'endure, FichĂ©, clouĂ©, dessus ta rigueur dure, Le plus cruel me seroit le plus doulx, Si j'esperoys, apres un long espace, Venir vers moy l'Hercule de ta grace Pour delacer le moindre de mes nouds. XIV Je vy tes yeulx desoubz telle planette, Qu'autre plaisir ne me peult contenter, Si non le jour, si non la nuict, chanter, Allege moy doulce plaisant' brunette. O libertĂ© combien je te regrette! Combien le jour que je vy t'absenter, Pour me laisser sans espoir tourmenter. En ceste genne, oĂÂč si mal on me traicte! L'an est passĂ©, le vingtuniesme jour Du mois d'Avril, que je vins au sejour, De la prison, oĂÂč les amours me pleurent Et si ne voy tant les liens sont fors Un seul moyen pour me tirer dehors, Si par la mort toutes mes mors ne meurent. XV HĂ© qu'Ă bon droit les Charites d'Homere Un faict soudain comparent au penser, Qui parmy l'air scauroit bien devancer Le Chevalier qui tua la Chimaire. Si tost que luy une nef passagere De mer en mer ne pourroit s'Ă©lancer, Ny par les champs ne le sçauroit lasser Du faux et vray la prompte messagere. Le vent BorĂ©e ignorant le repos, Conceut le mien, qui viste et qui dispos, Et dans le ciel, et par la mer encore, Et sur les champs, fait aillĂ© belliqueur, Comme un ZethĂ©s, s'envolle apres mon cueur, Qu'une Harpye humainement devore. XVI Je veulx darder par l'univers ma peine, Plus tost qu'un trait ne volle au descocher Je veulx de miel mes oreilles boucher Pour n'ouir plus la voix de ma Sereine. Je veulx muer mes deux yeulx en fontaine, Mon cuoeur en feu, ma teste en un rocher, Mes piedz en tronc, pour jamais n'aprocher De sa beaultĂ© si fierement humaine. Je veulx changer mes pensers en oyseaux, Mes doux souspirs en zephyres nouveaux, Qui par le monde evanteront ma pleinte. Et veulx encor de ma palle couleur, Dessus le Loyr enfanter une fleur, Qui de mon nom et de mon mal soit peinte. XVII Par un destin dedans mon cuoeur demeure, L'oeil, et la main, et le crin deliĂ©, Qui m'ont si fort, bruslĂ©, serrĂ©, liĂ© Qu' ars, prins, lassĂ©, par eulx fault que je meure. Le feu, la serre, et le ret Ă toute heure, Ardant, pressant, nouant mon amitiĂ©, Occise aux piedz de ma fiere moitiĂ© Font par sa mort ma vie estre meilleure. Oeil, main et crin, qui flammez et gennez, Et r'enlassez mon cuoeur que vous tenez Au labyrint de vostre crespe voye. HĂ© que ne suis je Ovide bien disant! Oeil tu seroys un bel Astre luisant, Main un beau lis, crin un beau ret de soye. XVIII Un chaste feu qui les cuoeurs illumine, Un or frisĂ© de meint crespe annelet, Un front de rose, un teint damoiselet, Un ris qui l'ame aux astres achemine Une vertu de telles beaultez digne, Un col de neige, une gorge de laict, Un cuoeur ja meur dans un sein verdelet, En dame humaine une beaultĂ© divine Un oeil puissant de faire jours les nuictz, Une main forte Ă piller les ennuiz, Qui tient ma vie en ses doitz enfermĂ©e, Avecque un chant offensĂ© doulcement Ore d'un ris, or d'un gĂ©missement De telz sorciers ma raison fut charmĂ©e. XIX Avant le temps tes temples fleuriront, De peu de jours ta fin sera bornĂ©e, Avant ton soir, se clorra ta journĂ©e, Trahis d'espoir tes pensers periront. Sans me fleschir tes escriptz flĂ©triront, En ton desastre ira ma destinĂ©e, Ta mort sera pour m'amour terminĂ©e, De tes souspirs tes nepveux se riront. Tu seras faict d'un vulgaire la fable, Tu bastiras sur l'incertain du sable, Et vainement tu peindras dans les cieulx Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle, Lors que le ciel pour sĂ©eller sa parolle D'un dextre Ă©sclair fut presage Ă mes yeulx. XX Je vouldroy bien richement jaunissant En pluye d'or goute Ă goute descendre Dans le beau sein de ma belle Cassandre, Lors qu'en ses yeulx le somme va glissant. Je vouldroy bien en toreau blandissant Me transformer pour finement la prendre, Quand elle va par l'herbe la plus tendre Seule Ă l'escart mille fleurs ravissant. Je vouldroy bien afin d' aiser ma peine Estre un Narcisse, et elle une fontaine Pour m'y plonger une nuict Ă sejour Et vouldroy bien que ceste nuict encore Durast tousjours sans que jamais l'Aurore D'un front nouveau nous r'allumast le jour. XXI Qu'Amour mon cuoeur, qu'Amour mon ame sonde, Lui qui congnoist ma seulle intention, Il trouvera que toute passion Veuve d'espoir, par mes veines abonde. Mon Dieu que j'ayme! est il possible au monde De voyr un cuoeur si plein d'affection, Pour le parfaict d'une perfection, Qui m'est dans l'ame en playe si profonde? Le cheval noir qui ma Royne conduit Par le sentier oĂÂč ma Chair la seduit, A tant errĂ© d'une vaine traverse, Que j'ay grand peur, si le blanc ne contraint Sa course vague, et ses pas ne refraint Dessoubz le joug que ma raison ne verse. XXII Cent et cent foys penser un penser mesme, A deux beaulx yeulx montrer Ă nud son cuoeur, Se desoyfver d'une amere liqueur, S'aviander d'une amertume estresme Avoyr la face amoureusement blesme, Plus souspirer, moins fleschir la rigueur, Mourir d'ennuy, receler sa langueur, Du vueil d'aultruy des loix faire Ă soy mesme Un court despit, une aimantine foy, Aymer trop mieulx son ennemi que soy, Peindre en ses yeulx mille vaines figures Vouloir parler et n'oser respirer, Esperer tout et se desesperer, Sont de ma mort les plus certains augures. XXIII Ce beau coral, ce marbre qui souspire, Et cest Ă©bĂ©nne ornement d'un sourci, Et cest albastre en vouste racourci, Et ces zaphirs, ce jaspe, et ce porphyre, Ces diaments, ces rubis qu'un zephyre Tient animez d'un souspir adouci, Et ces oeilletz, et ces roses aussi, Et ce fin or, oĂÂč l'or mesme se mire, Me sont au cuoeur en si profond esmoy, Qu'un autre object ne se prĂ©sente Ă moy, Si non le beau de leur beau que j'adore, Et le plaisir qui ne se peult passer De les songer, penser, et repenser, Songer, penser, et repenser encore. XXIV Tes yeulx divins me promettent le don Qui d'un espoir me r'enflamme et r'englace, Las, mais j'ay peur qu'ilz tiennent de la race De ton ayeul le roy Laomedon. Au flamboyer de leur double brandon De peu Ă peu l'esperance m'embrasse, Ja prevoyant par le ris de leur grace Que mon service aura quelque guerdon. Tant seulement ta bouche m'espouvante, Bouche vrayment qui prophĂ©te me chante Tout le rebours de tes yeulx amoureux. Ainsi je vis, ainsi je meurs en doubte L'un me r'appelle, et l'autre me reboute, D'un seul object heureux et malheureux. XXV Ces deux yeulx bruns, deux flambeaulx de ma vie, Dessus les miens fouldroyans leur clartĂ©, Ont esclavĂ© ma jeune libertĂ©, Pour la damner en prison asservie. De voz doulx feux ma raison fut ravie, Si qu'esblouy de vostre grand' beaultĂ©, Opiniastre Ă garder loyaultĂ© Aultres yeulx voyr depuis je n'euz envie. D'autre esperon mon Tyran ne me poingt, Aultres pensers en moy ne couvent point, Ny aultre idole en mon cuoeur je n'adore. Ma main ne sçait cultiver aultre nom, Et mon papier n'est esmaillĂ©, si non De voz beaultez que ma plume colore. XXVI Plus tost le bal de tant d'astres divers Sera lassĂ©, plus tost la terre et l'onde, Et du grand Tout l'ame en tout vagabonde Animera les abysmes ouverts Plus tost les cieulx des mers seront couverts, Plus tost sans forme ira confus le monde Que je soys serf d'une maistresse blonde, Ou que j'adore une femme aux yeulx verds. Car cest oeil brun qui vint premier esteindre Le jour des miens, les sceut si bien attaindre, Qu'autre oeil jamais n'en sera le vainqueur. Et quant la mort m'aura la vie ostĂ©e, Encor lĂ bas je veulx aymer l'IdĂ©e De ces beaulx yeulx que j'ay fichez au cuoeur. XXVII Bien mille fois et mille j'ay tentĂ© De fredonner sus les nerfz de ma lyre, Et sus le blanc de cent papiers escrire, Le nom, qu'Amour dans le cuoeur m'a plantĂ©. Mais tout soubdain je suis espovantĂ©, Car sa grandeur qui l'esprit me martyre Sans la chanter arriere me retire De cent fureurs pantoyment tourmentĂ©. Je suis semblable Ă la prestresse folle, Qui bĂ©gue perd la voix et la parolle, Dessoubz le Dieu qu'elle fuit pour neant. Ainsi picquĂ© de l'Amour qui me touche Si fort au cuoeur, la voix fraude ma bouche, Et voulant dire en vain je suis bĂ©ant. XXVIII Injuste amour, fuzil de toute rage, Que peult un cuoeur soubmis Ă ton pouvoyr, Quand il te plaist par les sens esmouvoyr Nostre raison qui preside au courage? Je ne voy prĂ©, fleur, antre, ny rivage, Champ, roc, ny boys, ny flotz dedans le Loyr, Que, peinte en eulx, il ne me semble voyr Ceste beaultĂ© qui me tient en servage. Ores en forme, ou d'un foudre enflammĂ©, Ou d'une nef ou d'un Tigre affamĂ©, Amour la nuict devant mes yeulx la guide Mais quand mon bras en songe les poursuit, Le feu, la nef, et le Tigre s'enfuit, Et pour le vray je ne pren que le vuide. XXIX Si mille oeilletz, si mille liz j'embrasse, Entortillant mes bras tout alentour, Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour, La branche aymĂ©e impatient enlasse Si le souci ne jaunist plus ma face, Si le plaisir fonde en moy son sejour, Si j'ayme mieulx les ombres que le jour, Songe divin, cela vient de ta grace. Avecque toy je volleroys aux cieulx, Mais ce portraict qui nage dans mes yeulx, Fraude tousjours ma joye entrerompuĂ. Et tu me fuis au meillieu de mon bien, Comme l'esclair qui se finist en rien, Ou comme au vent s'esvanouit la nuĂ. XXX Ange divin, qui mes playes embasme, Le truchement et le herault des Dieux, De quelle porte es tu coullĂ© des cieulx Pour soulager les peines de mon ame? Toy, quand la nuict comme un fourneau m'enflamme, Ayant pitiĂ© de mon mal soulcieux, Or dans mes bras, ore dedans mes yeulx, Tu fais nouer l'idole de ma Dame. Las, oĂÂč fuis tu? Atten encor un peu, Que vainement je me soye repeu De ce beau sein, dont l'appetit me ronge, Et de ces flancz qui me font trespasser Sinon d'effect, seuffre au moins que par songe Toute une nuict je les puisse embrasser. XXXI Aillez DĂ©mons, qui tenez de la terre, Et du hault ciel justement le meillieu Postes divins, divins postes de Dieu, Qui ses segretz nous apportez grand erre. Dictes Courriers ainsi ne vous enserre Quelque sorcier dans un cerne de feu Rasant noz champz, dictes, avous point veu Ceste beaultĂ© qui tant me fait de guerre? Si l'un de vous la contemple çà bas, Libre par l'air il ne refuira pas, Tant doulcement sa doulce force abuse. Ou, comme moy, esclave le fera Ou bien en pierre ell'le transformera D'un seul regard ainsi qu'une Meduse. XXXII Quand au premier la Dame que j'adore Vint embellir le sejour de noz cieulx, Le filz de RhĂ©e appella tous les Dieux, Pour faire encor d'elle une aultre Pandore. Lors Apollin richement la decore, Or, de ses raiz luy façonnant les yeulx, Or, luy donnant son chant melodieux, Or, son oracle et ses beaulx vers encore. Mars luy donna sa fiere cruaultĂ©, Peithon sa voix, Ceres son abondance. L'Aube ses doigtz et ses crins deliez, Amour son arc, Thetis donna ses piedz, Cleion sa gloyre, et Pallas sa prudence. XXXIII D'un abusĂ© je ne seroy la fable, Fable future au peuple survivant, Si ma raison alloyt bien ensuyvant L'arrest fatal de ta voix veritable. Chaste prophete, et vrayment pitoyable, Pour m'avertir tu me prediz souvent, Que je mourray, Cassandre, en te servant Mais le malheur ne te rend point croyable. Car ton destin, qui cele mon trespas, Et qui me force Ă ne te croyre pas, D'un faulx espoir tes oracles me cache. Et si voy bien, veu l'estat oĂÂč je suis, Que tu dis vray toutesfoys je ne puis D'autour du col me desnouer l'attache. XXXIV Las, je me plain de mille et mille et mille Souspirs, qu'en vain des flancz je vois tirant, Heureusement mon plaisir martirant Au fond d'une eau qui de mes pleurs distille. Puis je me plain d'un portraict inutile, Ombre du vray que je suis adorant, Et de ces yeulx qui me vont devorant, Le cuoeur bruslĂ© d'une flamme gentille. Mais parsus tout je me plain d'un penser, Qui trop souvent dans mon cuoeur faict passer Le souvenir d'une beaultĂ© cruelle, Et d'un regret qui me pallist si blanc, Que je n'ay plus en mes veines de sang, Aux nerfz de force, en mes oz de moĂlle. XXXV Puisse avenir, qu'une fois je me vange De ce penser qui devore mon cuoeur, Et qui tousjours, comme un lion vainqueur, Soubz soy l'estrangle, et sans pitiĂ© le mange. Avec le temps, le temps mesme se change, Mais ce cruel qui suçe ma vigueur, Opiniatre au cours de sa rigueur, En aultre lieu qu'en mon cuoeur ne se range. Bien est il vray, qu'il contraint un petit Durant le jour son segret appetit, Et dans mes flancz ses griffes il n'allonge Mais quand la nuict tient le jour enfermĂ©, Il sort en queste, et Lion affamĂ©, De mille dentz toute nuict il me ronge. XXXVI Pour la douleur, qu'amour veult que je sente, Ainsi que moy, Phebus, tu lamentoys, Quand amoureux, loing du ciel tu chantoys Pres d'Ilion sus les rives de Xanthe. Pinçant en vain ta lyre blandissante, Et fleurs, et flots, mal sain, tu echantoys, Non la beaultĂ© qu'en l'ame tu sentoys Dans le plus doulx d'une playe esgrissante. LĂ de ton teint se pallissoyent les fleurs, Et l'eau croissant' du dĂ©gout de tes pleurs, Parloit tes criz, dont elle roulloyt pleine Pour mesme nom, les fleurĂ©ttes du Loyr, Pres de Vandosme, et daignent me douloyr, Et l'eau se plaindre aux souspirs de ma peine. XXXVII Les petitz corps, culbutans de travers, Parmi leur cheute en byaiz vagabonde Hurtez ensemble, ont composĂ© le monde, S'entracrochans d'acrochementz divers. L'ennuy, le soing, et les pensers ouvers, Chocquans le vain de mon amour profonde, Ont façonnĂ© d'une attache fĂ©conde, Dedans mon cuoeur l'amoureux univers. Mais s'il avient, que ces tresses orines, Ces doigtz rosins, et ces mains ivoyrines Froyssent ma vie, en quoy retournera Ce petit tout? En eau, air, terre, ou flamme? Non, mais en voix qui tousjours de ma dame Par le grand Tout les honneurs sonnera. XXXVIII Doulx fut le traict, qu'Amour hors de sa trousse, Pour me tuer me tira doulcement, Quand je fuz pris au doulx commencement D'une doulceur si doulcettement doulce. Doulx est son ris, et sa voix qui me poulse L'ame du corps, pour errer lentement, Devant son chant mariĂ© gentement Avec mes vers animez de son poulce. Telle doulceur de sa voix coulle Ă bas, Que sans l'ouir vrayment on ne scayt pas, Comme en ses retz Amour nous encordelle Sans l'ouir, di-je, Amour mesme enchanter, Doulcement rire, et doulcement chanter, Et moy mourir doulcement aupres d'elle. XXXIX Pleut il Ă Dieu n'avoir jamais tĂÂątĂ© Si follement le tetin de m'amie! Sans lui vraiment l'autre plus grande envie, Helas! ne m'eut, ne m'eut jamais tantĂ©. Comme un poisson, pour s'estre trop hĂÂątĂ©, Par un apĂÂąt, suit la fin de sa vie, Ainsi je vois oĂÂč la mort me convie, D'un beau tetin doucement apĂÂątĂ©. Qui eut pensĂ©, que le cruel destin Eut enfermĂ© sous un si beau tetin Un si grand feu, pour m'en faire la proĂÂŻe? AvisĂ©s donc, quel seroit le coucher Entre ses bras, puis qu'un simple toucher De mille mors, innocent, me foudroĂÂŻe. XL Contre mon grĂ© l'atrait de tes beaus yeus Donte mon coeur, mais quand je te veus dire Quell'est ma mort, tu ne t'en fais que rire, Et de mon mal tu as le coeur joĂÂŻeus. Puis qu'en t'aimant je ne puis avoir mieus, Soufre du moins que pour toi je soupire AssĂ©s et trop ton bel oeil me martire, Sans te moquer de mon mal soucieus. Moquer mon mal, rire de ma douleur, Par un dedain redoubler mon malheur, HaĂÂŻr qui t'aime, et vivre de ses pleintes, Rompre ta foi, manquer de ton devoir, Cela, cruelle, et n'est-ce pas avoir Tes mains de sang, et d'homicide teintes? XLI Ha, seigneur dieu, que de graces Ă©closes Dans le jardin de ce sein verdelet, Enflent le rond de deus gazons de lait, OĂÂč des Amours les flĂ©ches sont encloses! Je me transforme en cent metamorfoses, Quand je te voi, petit mont jumelet, Ains du printans un rosier nouvelet, Qui le matin bienveigne de ses roses. S'Europe avoit l'estomac aussi beau, De t'estre fait, Jupiter, un toreau, Je te pardonne. HĂ©, que ne sui-je puce! La baisotant, tous les jours je mordroi Ses beaus tetins, mais la nuit je voudroi Que rechanger en homme je me pusse. XLII Quand au matin ma Deesse s'abille D'un riche or crespe ombrageant ses talons, Et que les retz de ses beaulx cheveux blondz En cent façons ennonde et entortille Je l'accompare Ă l'escumiere fille, Qui or peignant les siens jaunement longz, Or les ridant en mille crespillons Nageoyt abord dedans une coquille. De femme humaine encore ne sont pas Son ris, son front, ses gestes, ny ses pas, Ny de ses yeulx l'une et l'autre chandelle Rocz, eaux, ny boys, ne celent point en eulx Nymphe, qui ait si follastres cheveux, Ny l'oeil si beau, ny la bouche si belle. XLIII Avec les liz, les oeilletz mesliez, N'egallent point le pourpre de sa face Ny l'or filĂ© ses cheveux ne surpasse, Ore tressez et ore deliez. De ses couraux en vouste repliez Naist le doulx ris qui mes soulciz efface Et çà et lĂ par tout oĂÂč elle passe, Un prĂ© de fleurs s'esmaille soubz ses piedz. D'ambre et de musq sa bouche est toute pleine. Que diray plus? J'ay veu dedans la plaine, Lors que plus fort le ciel vouloyt tançer, Cent fois son oeil, qui des Dieux s'est faict maistre, De Juppiter rasserener la dextre Ja ja courbĂ© pour sa fouldre eslancer. XLIV Ores l'effroy et ores l'esperance, De ça de lĂ se campent en mon cuoeur, Or l'une vainq, ores l'autre est vainqueur, Pareilz en force et en perseverance. Ores doubteux, ores plain d'asseurance, Entre l'espoyr et le froyd de la peur, Heureusement de moy mesme trompeur, Au cuoeur captif je prometz delivrance. Verray-je point avant mourir le temps, Que je tondray la fleur de son printemps, Soubz qui ma vie Ă l'ombrage demeure? Verray-je point qu'en ses bras enlassĂ©, De trop combatre honnestement lassĂ©, Honnestement entre ses bras je meure? XLV Je voudrois estre Ixion et Tantale, Dessus la roĂÂŒe, et dans les eaus lĂ bas Et quelque fois presser entre mes bras Cette beautĂ© qui les anges Ă©gale. S'ainsin Ă©toit toute peine fatale Me seroit douce, et ne me chaudroit pas, Non d'un vautour fussai-je le repas, Non, qui le roc remonte et redevale. Lui tatonner seulement le tetin Echangeroit l'oscur de mon destin Au sort meilleur des princes de l'Asie Un demi dieu me feroit son baiser, Et flanc Ă flanc entre ses bras m'aiser, Un de ceus lĂ qui mengent l'Ambrosie. XLVI Amour me tue, et si je ne veus dire Le plaisant mal que ce m'est de mourir Tant j'ai grand peur, qu'on vueille secourir Le mal, par qui doucement je soupire. Il est bien vrai, que ma langueur desire Qu'avec le tans je me puisse guerir Mais je ne veus ma dame requerir Pour ma santĂ© tant me plaist mon martire. Tai toi langueur je sen venir le jour, Que ma maistresse, apres si long sejour, Voiant le soin qui ronge ma pensĂ©e, Toute une nuit, folatrement m'aiant Entre ses bras, prodigue, ira paiant Les intĂ©rĂ©s de ma peine avancĂ©e. XLVII Je veus mourir pour tes beautĂ©s, Maistresse, Pour ce bel oeil, qui me prit Ă son hain, Pour ce dous ris, pour ce baiser tout plein D'ambre, et de musq, baiser d'une Deesse. Je veus mourir pour cette blonde tresse, Pour l'embonpoint de ce trop chaste sein, Pour la rigueur de cette douce main, Qui tout d'un coup me guerit et me blesse. Je veus mourir pour le brun de ce teint, Pour ce maintien, qui, divin, me contreint De trop aimer mais par sus toute chose, Je veus mourir es amoureus combas, Souflant l'amour, qu'au coeur je porte enclose Toute une nuit, au millieu de tes bras. XLVIII Dame, depuis que la premiere flĂ©che De ton bel oeil m'avança la douleur, Et que sa blanche et sa noire couleur Forçant ma force, au coeur me firent brĂ©che Je sen toujours une amoureuse mĂ©che, Qui se ralume au meillieu de mon coeur, Dont le beau rai ainsi comme une fleur S'Ă©coule au chaut dessus le piĂ© me sĂ©che. Ni nuit, ne jour, je ne fai que songer, Limer mon coeur, le mordre et le ronger, Priant Amour, qu'il me tranche la vie. Mais lui, qui rit du torment qui me point, Plus je l'apelle, et plus je le convie, Plus fait le sourd, et ne me rĂ©pond point. XLIX Ni de son chef le tresor crĂ©pelu, Ni de sa joĂÂŒe une et l'autre fossette, Ni l'embonpoint de sa gorge grassette, Ni son menton rondement fosselu, Ni son bel oeil que les miens ont voulu Choisir pour prince Ă mon ame sugette, Ni son beau sein, dont l'Archerot me gette Le plus agu de son trait Ă©moulu, Ni de son ris les miliers de Charites, Ni ses beautĂ©s en mile coeurs Ă©crites, N'ont esclavĂ© ma libre affection. Seul son esprit, oĂÂč tout le ciel abonde, Et les torrens de sa douce faconde, Me font mourir pour sa perfection. L Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle! Soit que j'admire ou ses yeus, mes seigneurs, Ou de son front les dous-graves honneurs, Ou l'Orient de sa levre jumelle. Mon dieu, mon dieu, que ma dame est cruelle! Soit qu'un raport rengrege mes douleurs, Soit qu'un depit parannise mes pleurs, Soit qu'un refus mes plaĂÂŻes renouvelle. Ainsi le miel de sa douce beautĂ© Nourrit mon coeur ainsi sa cruautĂ© D'aluine amere enamere ma vie. Ainsi repeu d'un si divers repas, Ores je vi, ores je ne vi pas Egal au sort des freres d'Oebalie. LI Cent fois le jour, Ă part moi je repense, Que c'est qu'Amour, quelle humeur l'entretient, Quel est son arc, et quelle place il tient Dedans nos coeurs, et quelle est son essence. Je conoi bien des astres la puissance, Je sai, comment la mer fuit, et revient, Comme en son Tout le Monde se contient De lui sans plus me fuit la conoissance. Si sai-je bien, que c'est un puissant Dieu, Et que, mobile, ores il prend son lieu Dedans mon coeur, et ores dans mes veines Et que depuis qu'en sa douce prison Dessous mes sens fit serve ma raison Toujours, mal sain, je n'ai langui qu'en peines. LII Mile, vraiment, et mile voudroient bien, Et mile encor, ma guerriere Cassandre, Qu'en te laissant, je me voulusse rendre Franc de ton ret, pour vivre en leur lien. Las! mais mon coeur, ainçois qui n'est plus mien, Comme un vrai serf, ne sauroit plus entendre A qui l'apelle, et mieus voudroit atendre Dix mile mors qu'il fĂ»t autre que tien. Tant que la rose en l'epine naitra, Tant que sous l'eau, la baleine paitra, Tant que les cerfs aimeront les ramĂ©es, Et tant qu'Amour se nourrira de pleurs, Toujours au coeur ton nom et tes valeurs, Et tes beautĂ©s me seront imprimĂ©es. LIII Avant qu'Amour, du Chaos otieux Ouvrist le sein, qui couvoit la lumiere, Avec la terre, avec l'onde premiere, Sans art, sans forme, estoyent brouillez les cieulx. Ainsi mon tout erroit seditieux Dans le giron de ma lourde matiere, Sans art, sans forme, et sans figure entiere, Alors qu'Amour le perça de ses yeulx. Il arondit de mes affections Les petitz corps en leurs perfections, Il anima mes pensers de sa flamme. Il me donna la vie, et le pouvoyr, Et de son branle il fit d'ordre mouvoyr Les pas suyviz du globe de mon ame. LIV Par ne scay quelle estrange inimitiĂ©, J'ay veu tomber mon esperance Ă terre, Non de rocher, mais tendre comme verre, Et mes desirs rompre par la moytiĂ©. Dame oĂÂč le ciel logea mon amitiĂ©, Pour un flateur qui si laschement erre, Et pour quoy tant me brasses tu de guerre, Privant mon cuoeur de ta doulce pitiĂ©? Or s'il te plaist fay moy languir en peine, Tant que la mort me desnerve et desveine, Je seray tien et plus tost le Chaos Se troublera de sa noyse ancienne, Que par rigueur aultre amour que la tienne, Soubz aultre joug me captive le doz. LV O doulx parler, dont l'appast doulcereux Nourrit encor la faim de ma memoire, O front, d'Amour le TrophĂ©e et la gloire O riz sucrez, o baisers savoureux. O cheveulx d'or, o coustaulx plantureux De liz, d'oeilletz, de Porphyre, et d'ivoyre, O feuz jumeaulx dont le ciel me fit boyre A si longs traitz le venin amoureux. O vermeillons, o perlettes encloses, O diamantz, o liz pourprez de roses, O chant qui peulx les plus durs esmovoyr, Et dont l'accent dans les ames demeure. Et dea beaultez, reviendra jamais l'heure Qu'entre mes bras je vous puisse r'avoyr? LVI Verray-je plus le doulx jour qui m'apporte Ou trefve ou paix, ou la vie ou la mort, Pour edenter le souci, qui me mord Le cuoeur Ă nud d'une lime si forte? Verray-je plus que ma Naiade sorte Du fond de l'eau pour m'enseigner le port? Nourai-je plus ainsi qu'Ulysse abord Ayant au flanc son linge pour escorte? Verray-je plus que ces astres jumeaulx, En ma faveur encore par les eaulx, Montrent leur flamme Ă ma CarĂ©ne lasse? Verray-je point tant de vents s'accorder, Et calmement mon navire aborder, Comme il souloit au havre de sa grace. LVII Quel dieu malin, quel astre me fit estre, Et de misere et de tourment si plein? Quel destin fit, que tousjours je me plain De la rigueur d'un trop rigoreux maistre? Quelle des Seurs, Ă l'heure de mon estre Noircit le fil de mon sort inhumain? Et quel DĂ©mon d'une senestre main Berça mon corps quand le ciel me fit naistre. Heureux ceulx lĂ dont la terre a lez oz, Heureux vous rien, que la nuict du Chaos Presse au giron de sa masse brutalle! Sans sentiment vostre rien est heureux Que suis je, las! moy chetif amoureux, Pour trop sentir, qu'un Sisyphe ou Tantale? LVIII Divin Bellay, dont les nombreuses loix, Par une ardeur du peuple separĂ©e, Ont revestu l'enfant de CytherĂ©e, D'arc, de flambeau, de traitz et de carquoys Si le doulx feu dont chaste tu ardoys Enflamme encor ta poitrine sacrĂ©e, Si ton oreille encore se recrĂ©e D'ouyr les plaints des amoureuses voix Oy ton Ronsard, qui sanglotte et lamente, Palle, agitĂ© des flotz de la tourmente, Croysant en vain ses mains devers les Dieux, En fraisle nef, et sans voyle, et sans rame, Et loing du bord, oĂÂč pour astre sa Dame Le conduisoyt du Phare de ses yeulx. LIX Quand le Soleil Ă chef renversĂ© plonge Son char dorĂ© dans le sein du viellard, Et que la nuict un bandeau sommeillard Des deux coustez de l'orizon alonge Amour adonc qui sape, mine, et ronge De ma raison le chancelant rempart, Pour l'assaillir Ă l'heure Ă l'heure part, Armant son camp des ombres et du songe. Lors ma raison, et lors ce dieu cruel, Seulz per Ă per d'un choc continuel Vont redoublant mille escarmouches fortes Si bien qu'Amour n'en seroit le vainqueur, Sans mes pensers, qui luy ouvrent les portes, Par la traison que me brasse mon cuoeur. LX Comme un chevreuil, quand le printemps destruit L'oyseux crystal de la morne gelĂ©e, Pour mieulx brouster l'herbette emmielĂ©e Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit, Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit, Or sur un mont, or dans une vallĂ©e, Or pres d'une onde Ă l'escart recelĂ©e, Libre follastre oĂÂč son pied le conduit De retz ne d'arc sa libertĂ© n'a crainte, Sinon alors que sa vie est attainte, D'un trait meurtrier empourprĂ© de son sang Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage, Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc. LXI Ny voyr flamber au point du jour les roses, Ny lis plantĂ© sus le bord d'un ruisseau, Ny chant de luth, ny ramage d'oyseau, Ny dedans l'or les gemmes bien encloses Ny des zephyrs les gorgettes descloses, Ny sur la mer le ronfler d'un vaisseau, Ny bal de Nymphe au gazouilliz de l'eau, Ny de mon cuoeur mille metamorphoses Ny camp armĂ© de lances herissĂ©, Ny antre verd de mousse tapissĂ©, Ny les Sylvains qui les Dryades pressent, Et ja desja les dontent Ă leur grĂ©, Tant de plaisirs ne me donnent qu'un PrĂ©, OĂÂč sans espoyr mes esperances paissent. LXII Dedans des Prez je vis une Dryade, Qui comme fleur s'assisoyt par les fleurs, Et mignotoyt un chappeau de couleurs, EschevelĂ©e en simple verdugade. Des ce jour lĂ ma raison fut malade, Mon cuoeur pensif; mes yeulx chargez de pleurs, Moy triste et lent tel amas de douleurs En ma franchise imprima son oeillade. LĂ je senty dedans mes yeulx voller Un doulx venin, qui se vint escouler Au fond de l'ame et depuis cest oultrage, Comme un beau lis, au moys de Juin blessĂ© D'un ray trop chault, languist Ă chef baissĂ©, Je me consume au plus verd de mon age. LXIII Quand ces beaulx yeulx jugeront que je meure, Avant mes jours me fouldroyant lĂ -bas, Et que la Parque aura portĂ© mes pas A l'aultre flanc de la rive meilleure Antres et prez, et vous forestz, Ă l'heure, Je vous supply, ne me desdaignez pas, Ains donnez moy, soubz l'ombre de voz bras, Quelque repos de paisible demeure. Puisse avenir qu'un poĂte amoureux, Ayant horreur de mon sort malheureux, Dans un cyprez notte cest epigramme Cy dessoubz gist un amant vandomoys, Que la douleur tua dedans ce boys Pour aymer trop les beaux yeullx de sa dame. LXIV Qui vouldra voyr dedans une jeunesse, La beaultĂ© jointe avec la chastetĂ©, L'humble doulceur, la grave magestĂ©, Toutes vertus, et toute gentillesse Qui vouldra voyr les yeulx d'une deesse, Et de noz ans la seule nouveautĂ©, De ceste Dame oeillade la beaultĂ©, Que le vulgaire appelle ma maistresse. Il apprendra comme Amour rid et mord, Comme il guarit, comme il donne la mort, Puis il dira voyant chose si belle Heureux vrayment, heureux qui peult avoyr Heureusement cest heur que de la voyr, Et plus heureux qui meurt pour l'amour d'elle. LXV Tant de couleurs le grand arc ne varie Contre le front du Soleil radieux, Lors que Junon, par un temps pluvieux, Renverse l'eau dont sa mere est nourrie Ne Juppiter armant sa main marrie En tant d'esclairs ne fait rougir les cieulx, Lors qu'il punist d'un fouldre audacieux Les montz d'Epire, ou l'orgueil de Carie Ny le Soleil ne rayonne si beau, Quand au matin il nous monstre un flambeau, Pur, net, et clayr, comme je vy ma Dame De cent couleurs son visage acoustrer, Flamber ses yeulx, et claire se monstrer, Le premier jour qu'elle ravit mon ame. LXVI Quand j'aperçoy ton beau chef jaunissant, Qui l'or filĂ© des Charites efface, Et ton bel oeil qui les astres surpasse, Et ton beau sein chastement rougissant A front baissĂ© je pleure gemissant, De quoy je suis pardon digne de grace Soubz l'humble voix de ma rime si basse, De tes beaultez les honneurs trahissant. Je cognoy bien que je devroy me taire, Ou mieux parler mais l'amoureux ulcere Qui m'ard le cuoeur, me force de chanter. Doncque mon Tout si dignement je n'use L'encre et la voix Ă tes graces vanter, Non l'ouvrier, non, mais son destin accuse. LXVII Ciel, air, et vents, plains et montz descouvers, Tertres fourchuz, et forestz verdoyantes, Rivages tortz, et sources ondoyantes, Taillis razez, et vous bocages verds, Antres moussus Ă demyfront ouvers, Prez, boutons, fleurs, et herbes rousoyantes, Coustaux vineux, et plages blondoyantes, Gastine, Loyr, et vous mes tristes vers Puis qu'au partir, rongĂ© de soing et d'ire, A ce bel oeil, l'Adieu je n'ay sceu dire, Qui pres et loing me detient en esmoy Je vous supply, Ciel, ait, ventz, montz et plaines, Tailliz, forestz, rivages et fontaines, Antres, prez, fleurs, dictes le luy pour moy. LXVIII VoĂÂŻant les yeus de toi, Maitresse elĂÂŒe, A qui j'ai dit, seule Ă mon coeur tu plais, D'un si dous fruit mon ame je repais, Que plus en mange, et plus en est goulĂÂŒe. Amour qui seul les bons espris englĂÂŒe, Et qui ne daigne ailleurs perdre ses trais, M'alege tant du moindre de tes rais, Qu'il m'a du coeur toute peine tolĂÂŒe. Non, ce n'est point une peine qu'aimer C'est un beau mal, et son feu dous-amer Plus doucement qu'amerement nous brĂ»le. O moi deus fois, voire trois bienheureus, S'Amour m'occit, et si avec Tibulle J'erre lĂ -bas sous le bois amoureus. LXIX L'oeil qui rendroit le plus barbare apris, Qui tout orgueil en humblesse destrampe, Par la vertu de ne sçay quelle trampe Qui sainctement affine les espritz, M'a tellement de ses beaultez espris, Qu'autre beaultĂ© dessus mon coeur ne rampe, Et m'est avis, sans voyr un jour la lampe De ses beaulx yeulx, que la mort me tient pris. Cela vrayment, que l'air est aux oyseaulx, Les boys aux cerfz, et aux poissons les eaux, Son bel oeil m'est. O lumiere enrichie D'un feu divin qui m'ard si vivement, Pour me donner et force et mouvement, N'este vous pas ma seulle Endelechie? LXX De quelle plante, ou de quelle racine, De quel unguent, ou de quelle liqueur, Oindroy-je bien la playe de mon cuoeur Qui d'oz en oz incurable chemine? Ny vers charmez, pierre, ny medecine, Drogue, ny just, ne romproyent ma langueur, Tant je sen moindre et moindre ma vigueur, Ja me traisner dans la Barque voysine. Las, toy qui scays des herbes le pouvoyr, Et qui la playe au cuoeur m'as faict avoyr, Guary le mal, que ta beaultĂ© me livre De tes beaulx yeulx allege mon soucy, Et par pitiĂ© retien encor ici Ce pauvre amant qu'Amour soulle de vivre. LXXI Ja desja Mars ma trompe avoit choisie, Et, dans mes vers ja françoys, devisoyt Sus ma fureur ja sa lance aiguizoit, Epoinçonnant ma brave poĂsie. Ja d'une horreur la Gaule estoit saisie, Et soubz le fer ja Sene treluisoit, Et ja Francus Ă son bord conduisoit L'ombre d'Hector, et l'honneur de l'Asie, Quand l'archerot emplumĂ© par le dos D'un trait certain me playant jusqu'Ă l'os, De sa grandeur le sainct prestre m'ordonne Armes adieu. Le Myrte Paphien Ne cede point au Laurier Delphien, Quand de sa main Amour mesme le donne. LXXII Petit nombril, que mon penser adore, Non pas mon oeil, qui n'eu onques ce bien, Nombril de qui l'honneur merite bien, Qu'une grand'ville on luy bastisse encore Signe divin, qui divinement ore Retiens encore l'Androgyne lien, Combien et toy, mon mignon, et combien Tes flancs jumeaulx follastrement j'honore! Ny ce beau chef, ny ces yeulx, ny ce front, Ny ce doulx ris; ny ceste main qui fond Mon cuoeur en source, et de pleurs me fait riche, Ne me sçauroyent de leur beau contenter, Sans esperer quelque foys de taster Ton paradis, oĂÂč mon plaisir se niche. LXXIII Que n'ay-je, Dame, et la plume et la grace Divine autant que j'ay la volontĂ©, Par mes escritz tu seroys surmontĂ©, Vieil enchanteur des vieulx rochers de Thrace Plus hault encor que Pindare, ou qu'Horace, J'appenderoys Ă ta divinitĂ© Un livre enflĂ© de telle gravitĂ©, Que Du Bellay luy quitteroyt la place. Si vive encor Laure par l'Univers Ne fuit volant dessus les Thusques vers, Que nostre siecle heureusement estime, Comme ton nom, honneur des vers françoys, Hault elevĂ© par le vent de ma voix S'en voleroyt sus l'aisle de ma rime. LXXIV Du tout changĂ© ma Circe enchanteresse Dedens ses fers m'enferre emprisonnĂ©, Non par le goust d'un vin empoisonnĂ©, Ny par le just d'une herbe pecheresse. Du fin Gregeoys l'espĂ©e vangeresse, Et le Moly par Mercure ordonnĂ©, En peu de temps du breuvage donnĂ©, Forcerent bien la force charmeresse, Si qu'Ă la fin le Dulyche troupeau Reprint l'honneur de sa premiere peau, Et sa prudence auparavant peu caute Mais pour la mienne en son lieu reloger, Ne me vaudroyt la bague de Roger, Tant ma raison s'aveugle dans ma faulte. LXXV Les Elementz, et les Astres, Ă preuve Ont façonnĂ© les raiz de mon Soleil, Et de son teint le cinabre vermeil, Qui ça ne lĂ son parangon ne treuve. Des l'onde Ibere oĂÂč nostre jour s'abreuve Jusques au lict de son premier reveil, Amour ne voyt un miracle pareil, N'en qui le Ciel tant de ses graces pleuve. Son oeil premier m'apprit que c'est d'aymer Il vint premier ma jeunesse animer A la vertu, par ses flammes dardĂ©es. Par luy mon cuoeur premierement s'aisla, Et loing du peuple Ă l'escart s'en vola Jusque au giron des plus belles IdĂ©es. LXXVI Je parangonne Ă voz yeulx ce crystal, Qui va mirer le meurtrier de mon ame Vive par l'air il esclate une flamme Vos yeulx un feu qui m'est sainct et fatal. Heureux miroer, tout ainsi que mon mal Vient de trop voyr la beaultĂ© qui m'enflamme Comme je fay, de trop mirer ma Dame Tu languiras d'un sentiment egal. Et toutesfoys, envieux, je t'admire, D'aller mirer le miroer oĂÂč se mire Tout l'univers dedans luy remirĂ©. Va donc miroer, va donq, et pren bien garde, Qu'en le mirant ainsi que moy ne t'arde Pour avoir trop ses beaulx yeulx admirĂ©. LXXVII J'ai cent fois Ă©preuvĂ© les remedes d'Ovide, Et si je les Ă©preuve encore tous les jours, Pour voir, si je pourrai de mes vieilles amours, Qui trop m'ardent le coeur, avoir l'estomac vuide Mais cet amadoĂÂŒeur, qui me tient Ă la bride, Me voĂÂŻant aprocher du lieu de mon secours, MaugrĂ© moi tout soudain fait vanoĂÂŻer mon cours, Et d'oĂÂč je vins mal sain, mal sain il me reguide. HĂ , poĂte Romain, il te fut bien aisĂ©, Quand d'une courtisane on se voit embrasĂ©, Donner quelque remede, affin qu'on s'en depestre Mais cettui lĂ qui voit les yeux de mon Soleil, Qui n'a de chastetĂ©, ni d'honneur son pareil, Plus il est son esclave, et plus il le veut estre. LXXVIII Ni les combats des amoureuses nuits Ni les plaisirs que les amours conçoivent Ni les faveurs que les amans reçoivent Ne valent pas un seul de mes ennuis. Heureus ennui, en toi seulet je puis Trouver repos des maus qui me deçoivent Et par toi seul mes passions reçoivent Le dous obli du torment oĂÂč je suis. Bienheureus soit mon torment qui n'empire, Et le dous jou, sous lequel je respire, Et bienheureus le penser soucieus, Qui me repait du dous souvenir d'elle Et plus heureus le foudre de ses yeux, Qui cuit mon coeur dans un feu qui me gelle. LXXIX A ton frere Paris tu sembles en beautĂ©, A ta soeur Polyxene en chaste conscience, A ton frere Helenin en profete science, A ton parjure aĂÂŻeul en peu de loiautĂ©. A ton pere Priam en meurs de roĂÂŻautĂ©, Au vieillart Antenor en mieleuse eloquence, A ta tante Antigone en superbe arrogance, A ton grand frere Hector en fiere cruautĂ©. Neptune n'assit onc une pierre si dure Dans tes murs, que tu es, pour qui la mort j'endure Ny des Grecs outragĂ©s, l'exercite vainqueur N'emplit tant Ilion de feus, de cris, et d'armes De soupirs, et de pleurs, que tu combles mon coeur De brasiers, et de morts, de sanglos et de larmes. LXXX Si je trĂ©passe entre tes bras, Madame, Il me suffit, car je ne veus avoir Plus grand honneur, sinon que de me voir En te baisant, dans ton sein rendre l'ame. Celui que Mars horriblement enflamme Aille Ă la guerre, et manque de pouvoir, Et jeune d'ans, s'Ă©bate Ă recevoir En sa poitrine une Espaignole lame; Mais moi, plus froid, je ne requier, sinon Apres cent ans, sans gloire, et sans renom, Mourir oisif en ton giron, Cassandre Car je me trompe, ou c'est plus de bonheur, Mourir ainsi, que d'avoir tout l'honneur, Pour vivre peu, d'un guerrier Alexandre. LXXXI Pour voyr ensemble et les champs et le bord, OĂÂč ma guerriere avec mon cuoeur demeure, Alme Soleil, demain avant ton heure, Monte Ă cheval, et galope bien fort Ainçoys les champs, oĂÂč l'amyable effort De ses beaulx yeulx, ordonne que je meure, Si doulcement, qu'il n'est vie meilleure Que les souspirs d'une si doulce mort. A costĂ© droit, sus le bord d'un rivage, Reluit Ă part l'angelique visage, Que trop avare ardentement je veulx LĂ ne se voyot, roc, source, ny verdure, Qui dans son teint or ne me r'affigure L'une ses yeulx, or l'autre ses cheveux. LXXXII Pardonne moy, Platon, si je ne cuide Que soubz la vouste et grande arche des dieux, Soit hors du monde, ou au centre des lieux, En terre, en l'eau, il n'y ayt quelque vuide. Si l'air est plein en sa courbure humide, Qui reçoyt donq tant de pleurs de mes yeulx, Tant de souspirs, que je sanglote aux cieulx, Lors qu'Ă mon dueil Amour lasche la bride? Il est du vague, ou certes s'il n'en est, D'un air pressĂ© le comblement ne naist Plus tost le ciel, qui bening se dispose A recevoir l'effect de mes douleurs, De toutes partz se comble de mes pleurs, Et de mes vers qu'en mourant je compose. LXXXIII L'onde et le feu, ce sont de la machine Les deux seigneurs que je sen pleinement, Seigneurs divins; et qui divinement Ce faix divin ont chargĂ© sus l'eschine. Toute matiere, essence, et origine Doibt son principe Ă ces deux seulement, Touts deux en moy vivent esgallement, En eulx je vi, rien qu'eulx je n'imagine. Aussi de moy il ne sort rien que d'eulx, Et tour Ă tour en moy naissent touts deux Car quand mes yeulx de trop pleurer j'appaise, RasserĂ©nant les flotz de mes douleurs, Lors de mon cuoeur s'exhale une fournaise, Puis tout soubdain recommancent mes pleurs. LXXXIV Si l'escrivian de la mutine armĂ©e, Eut veu tes yeulx, qui serf me tiennent pris, Les faictz de Mars il n'eut jamais empris, Et le Duc Grec fut mort sans renommĂ©e. Et si Paris, qui vit en la valĂ©e La grand'beaultĂ© dont son cuoeur fut espris, Eut veu la tienne, il t'eut donnĂ© le pris, Et sans honneur Venus s'en fut allĂ©e. Mais s'il advient ou par le vueil des Cieulx, Ou par le traict qui sort de tes beaulx yeulx, Qu'en publiant ma prise, et ta conqueste, Oultre la Tane on m'entende crier, Iö, iö, quel myrte, ou quel laurier Sera bastant pour enlasser ma teste? LXXXV Pour celebrer des astres devestuz L'heur escoulĂ© dans celle qui me lime, Et pour louer son esprit, qui n'estime Que le divin des divines vertuz Et ses regardz, ains traitz d'amour pointuz, Que son bel oeil au fond du cuoeur m'imprime, Il me fauldroyt non l'ardeur de ma rime, Mais la fureur du Masconnoys Pontus. Il me fauldroyt ceste chanson divine Qui transforma sus la rive Angevine L'olive palle en un teint plus naĂÂŻf, Et me fauldroyt un Desautelz encore, Et cestuy lĂ qui sa Meline adore En vers dorez le biendisant Bayf. LXXXVI Estre indigent, et donner tout le sien, Se feindre un ris, avoir le cuoeur en pleinte, Hayr le vray, aymer la chose feinte, Posseder tout et ne jouir de rien Estre delivre, et traisner son lien, Estre vaillant, et couharder de crainte, Vouloir mourir, et vivre par contraincte, De cent travaulx ne recevoir un bien Avoir tousjours, pour un servil hommage, La honte au front, en la main le dommage A ses pensers d'un courage haultain Ourdir sans cesse une nouvelle trame, Sont les effetz qui logent dans mon ame L'espoir doubteux, et le tourment certain. LXXXVII Oeil, qui portrait dedans les miens reposes, Comme un Soleil, le dieu de ma clartĂ© Ris, qui forçant ma doulce libertĂ© Me transformas en cent metamorphoses Larme, vrayment qui mes souspirs arroses, Quand tu languis de me veoir mal traictĂ© Main, qui mon cuoeur captives arrestĂ© Parmy ton lis, ton ivoyre et tes roses, Je suis tant vostre, et tant l'affection M'a peint au vif vostre perfection, Que ny le temps, ny la mort tant soit forte, Ne fera point qu'au centre de mon sein, Tousjours gravĂ©z en l'ame je ne porte Un oeil, un ris, une larme, une main. LXXXVIII Si seulement l'image de la chose Fait Ă noz yeulx la chose concevoir, Et si mon oeil n'a puissance de veoir, Si quelqu'idole au devant ne s'oppose Que ne m'a faict celuy, qui tout compose, Les yeulx plus grandz, affin de mieux pouvoir En leur grandeur la grandeur recevoir Du simulachre, oĂÂč ma vie est enclose? Certes le ciel trop ingrat de son bien, Qui seul la fit, et qui seul veit combien De sa beaultĂ© divine estoit l'idĂ©e, Comme jaloux du tresor de son mieux, Silla le Monde, et m'aveugla les yeulx, Pour de luy seul seule estre regardĂ©e. LXXXIX Soubz le cristal d'une argenteuse rive, Au moys d'Avril, une perle je vy, Dont la clartĂ© m'a tellement ravy Qu'en mes discours aultre penser n'arrive. Sa rondeur fut d'une blancheur naĂÂŻve, Et ses rayons treluysoyent Ă l'envy Son lustre encor ne m'a point assouvy, Ny ne fera, non, non, tant que je vive. Cent et cent foys pour la pescher Ă bas, Tout recoursĂ©, je devalle le bras, Et ja desja content je la tenoye, Sans un archer, qui du bout de son arc A front panchĂ© me plongeant soubz le lac, Frauda mes doigtz d'une si doulce proye. XC Soit que son or se crespe lentement Ou soit qu'il vague en deux glissantes ondes, Qui çà qui lĂ par le sein vagabondes, Et sur le col, nagent follastrement Ou soit qu'un noud diaprĂ© tortement De maintz rubiz, et maintes perles rondes, Serre les flotz de ses deux tresses blondes, Je me contente en mon contentement. Quel plaisir est ce, ainçoys quelle merveille Quand ses cheveux troussez dessus l'oreille D'une Venus imitent la façon? Quand d'un bonet son chef elle adonize, Et qu'on ne sçait tant bien elle desguise Son chef doubteux s'elle est fille ou garçon? XCI De ses cheveulx la rousoyante Aurore Eparsement les Indes remplissoyt, Et ja le ciel Ă longz traitz rougissoyt De meint esmail qui le matin decore, Quand elle veit la Nymphe que j'adore Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissoit, Le crespe honneur du sien esblouissoit, Voire elle mesme et tout le ciel encore. Lors ses cheveux vergongneuse arracha, Si qu'en pleurant sa face elle cacha, Tant la beaultĂ© des beaultez luy ennuye Et ses souspirs parmy l'air se suyvantz, Troys jours entiers enfanterent des ventz, Sa honte un feu, et ses yeulx une pluye. XCII AvĂ©ques moi pleurer vous devriĂ©s bien, Tertres bessons, pour la facheuse absence De cette lĂ , qui fut par sa presence VĂÂŽtre Soleil, ainçois qui fut le mien. Las! de quels maus, Amour, et de combien Une beautĂ© ma peine recompense! Quand plein de honte Ă toute heure je pense Qu'en un moment j'ai perdu tout mon bien. Or, Ă dieu donc beautĂ© qui me dĂ©daigne Quelque rocher, quelque bois, ou montaigne Vous pourra bien Ă©loigner de mes yeus Mais non du coeur, que pront il ne vous suive, Et que dans vous, plus que dans moi, ne vive, Comme en la part qu'il aime beaucoup mieus. XCIII Tout me dĂ©plait, mais rien ne m'est si gref, Que ne voir point les beaus yeus de ma Dame, Qui des plaisirs les plus dous de mon ame AvĂ©ques eus ont emportĂ© la clef. Un torrent d'eau s'Ă©coule de mon chef Et tout confus de soupirs je me pĂÂąme, Perdant le feu, dont la drillante flame Seule guidoit de mes pensers la nef. Depuis le jour, que je senti sa braise, Autre beautĂ© je n'ai veu, qui me plaise, Ni ne verrai. Mais bien puissai-je voir Qu'avant mourir seulement cette Fere D'un seul tour d'oeil promette un peu d'espoir Au coup d'Amour, dont je me desespere. XCIV Quand je vous voi, ou quand je pense en vous, Je ne sçai quoi dans le coeur me fretille, Qui me pointelle, et tout d'un coup me pille L'esprit emblĂ© d'un ravissement dous. Je tremble tout de nerfs et de genous Comme la cire au feu, je me distile, Sous mes souspirs et ma force inutile Me laisse froid, sans haleine et sans pous. Je semble au mort, qu'on devale en la fosse, Ou Ă celui qui d'une fievre grosse Perd le cerveau, dont les esprits muĂ©s RĂ©vent cela, qui plus leur est contraire. Ainsi, mourant, je ne sçauroi tant faire, Que je ne pense en vous, qui me tuĂ©s. XCV Morne de cors, et plus morne d'espris Je me trainoi' dans une masse morte, Et sans sçavoir combien la Muse aporte D'honneur aus siens, je l'avois Ă mĂ©pris Mais aussi tĂÂŽt, que de vous je m'Ă©pris, Tout aussi tĂÂŽt vĂÂŽtre oeil me fut escorte A la vertu, voire de telle sorte Que d'ignorant je devin bien apris. Donques mon Tout, si je fai quelque chose, Si dignement de vos yeus je compose, Vous me causĂ©s vous mesmes ces effets. Je pren de vous mes graces plus parfaites, Car je suis manque, et dedans moi vous faites, Si je fai bien, tout le bien que je fais. XCVI Las! sans la voir, Ă toute heure je voi Cette beautĂ© dedans mon coeur presente Ni mont, ni bois, ni fleuve ne m'exente Que par pensĂ©e elle ne parle Ă moi. Dame, qui sais ma constance et ma foi, Voi, s'il te plait, que le tans qui s'absente Depuis set ans en rien ne desaugmente Le plaisant mal que j'endure pour toi. De l'endurer lassĂ© je ne suis pas, Ni ne seroi', tombassai-je lĂ bas, Pour mile fois en mile cors renaitre Mais de mon coeur, sans plus, je suis lassĂ©, Qui me dĂ©plait, et qui plus ne peut estre Mien, comme il fut, puis que tu l'as chassĂ©. XCVII Dans un sablon la semence j'Ă©pan, Je sonde en vain les abymes d'un goufre Sans qu'on m'invite Ă toute heure je m'oufre, Et sans loĂÂŻer mon ĂÂąge je dĂ©pan. A son portrait pour un veu je m'apan Devant son feu mon coeur se change en soufre, Et pour ses yeus cruellement je soufre Dis mile maus, et d'un ne me repan. Qui sçauroit bien, quelle trampe a ma vie, D'estre amoureus n'auroit jamais envie. Je tremble j'ars, je me pai d'un amer, Qui plus qu'aluine est rempli d'amertume Je vi d'ennui, de deuil je me consume En tel estat je suis pour trop aimer. XCVIII Devant les yeus, nuit et jour, me revient L'idole saint de l'angelique face, Soit que j'Ă©crive, ou soit que j'entrelasse Mes vers au luth, toujours il m'en souvient. VoiĂ©s pour dieu, comme un bel oeil me tient En sa prison, et point ne me delasse; Et comme il prend mon coeur dedans sa nasse, Qui de pensĂ©e, Ă mon dam, l'entretient. O le grand mal, quand une affection Peint nĂÂŽtre esprit de quelque impression! J'enten alors que l'Amour ne dĂ©daigne Suttilement l'engraver de son trait Toujours au coeur nous revient ce portrait, Et maugrĂ© nous toujours nous acompaigne. XCIX Chanson D'un gosier machelaurier J'oi crier Dans Lycofron ma Cassandre, Qui profetise aus TroĂÂŻens Les moĂÂŻens Qui les tapiront en cendre. Mais ces pauvres obstinĂ©s, DestinĂ©s Pour ne croire Ă ma Sibylle, Virent, bien que tard, apres, Les feus Grecs ForcenĂ©s parmi leur ville. AĂÂŻans la mort dans le sein, De leur main. Plomboient leur poitrine nue Et tordant leurs cheveux gris, De lons cris Pleuroient, qu'ils ne l'avoient creĂÂŒe. Mais leurs cris n'eurent pouvoir D'Ă©mouvoir Les Grecs si chargĂ©s de proĂÂŻe, Qu'ils ne laisserent sinon, Que le nom De ce qui fut jadis TroĂÂŻe. Ainsi pour ne croire pas, Quand tu m'as PrĂ©dit ma peine future, Et que je n'aurois en don Pour guerdon De t'aimer, que la mort dure, Un grand brasier sans repos, Et mes os Et mes nerfs, et mon coeur brĂ»le Et pour t'amour j'ai receu Plus de feu, Que ne fit TroĂÂŻe incredule. C Apres ton cours je ne haste mes pas Pour te souiller d'une amour deshonneste Demeure donq le Locroys m'amonneste Aux bords Gyrez de ne te forcer pas. Neptune oyant ses blasphemes d'abas, Accabla lĂ son impudique teste D'un grand rocher au fort de la tempeste. Le ciel conduit le meschant au trespas. Il te voulut, le meschant, violer, Lors que la peur te faisoit acoller Les piedz vangeurs de sa Grecque Minerve Moy je ne veulx qu'Ă ta grandeur offrir Ce chaste cuoeur, s'il te plaist de souffrir Qu'en l'immolant de victime il te serve. CI PicquĂ© du nom qui me glace en ardeur, Me souvenant de ma doulce Charite, Ici je plante une plante d'eslite, Qui l'esmeraude efface de verdeur. Tout ornement de royalle grandeur, BeaultĂ©, sçavoir, honneur, grace, et merite, Sont pour racine Ă ceste Marguerite Qui ciel et terre emparfume d'odeur. Divine fleur, oĂÂč ma vie demeure, La manne tombe Ă toute heure Ă toute heure Dessus ton front sans cesse nouvelĂ©t Jamais de toy la pucelle n'aproche, La mousche Ă miel, ne la faucille croche Ny les ergotz d'un follastre aignelĂ©t. CII Depuis le jour, que le trait otieux Grava ton nom au roc de ma memoire, Et que l'ardeur qui flamboit en ta gloire Me fit sentir le fouldre de tes yeulx Mon cuoeur attaint d'un esclair rigoreux Pour eviter le feu de ta victoire, S'alla cacher dans tes ondes d'ivoire, Et soubz l'abri de tes flancz amoureux. LĂ point ou peu soucieux de ma playe De ça de lĂ par tes flotz il s'esgaye, Puis il se seiche aux raix de ton flambeau Et s'emmurant dedans leur forteresse, Seul, palle et froid, sans retourner, me laisse, Comme un esprit qui fuit de son tombeau. CIII Le mal est grand, le remede est si bref A ma douleur qui jamais ne s'alente, Que bas ne hault, des le bout de la plante, Je n'ay santĂ©, jusqu'au sommĂ©t du chef. L'oeil qui tenoit de mes pensers la clef, En lieu de m'estre une estoile drillante, Parmy les flotz d'une mer violente, Contre un orgueil a faict rompre ma nĂ©f. Un soing meurtrier soit que je veille ou songe, Tigre affamĂ©, le cuoeur me mange et ronge, Suçant tousjours le plus doulx de mon sang, Et le penser qui me presse et represse, Et qui jamais en repos ne me laisse, Comme un mastin, me mord tousjours au flanc. CIV Amour, si plus ma fiebvre se renforce, Si plus ton arc tire pour me blesser, Avant mes jours, j'ay grand'peur de laisser Le verd fardeau de cette jeune escorse. Ja de mon cuoeur je sen moindre la force Se transmuer pour sa mort avancer Devant le feu de mon ardent penser, Non en boys verd, mais en pouldre d'amorce. Bien fut pour moy le jour malencontreux, Quand je humay le bruvage amoureux, Qu'Ă si longz traictz me versoit une oeillade O fortunĂ©! si pour me secourir, Des le jour mesme Amour m'eust faict mourir, Sans me tenir si longuement malade. CV Si doulcement le souvenir me tente De la mieleuse et fieleuse saison, OĂÂč je perdi la loy de ma raison, Qu'autre douleur ma peine ne contente. Je ne veulx point en la playe de tente Qu'Amour me fit, pour avoir guarison, Et ne veulx point, qu'on m'ouvre la prison, Pour affranchir autre part mon attente. Plus que venin je fuy la libertĂ©, Tant j'ay grand peur de me voyr escartĂ© Du doulx lien qui doulcement offense Et m'est honneur de me voyr martirer, Soubz un espoyr quelquefoys de tirer Un seul baiser pour tout recompense. CVI Amour archer d'une tirade ront Cent traitz sur moy, et si ne me conforte D'un seul espoir, celle pour qui je porte Le cuoeur aux yeulx, les pensers sus le front. D'un Soleil part la glace qui me fond, Et m'esbays que ma froydeur n'est morte Au feu d'un oeil, qui d'une flamme accorte Brulle mon cuoeur d'un ulcere profond. En tel estat je voy languir ma vie, Qu'aux plus chetifz ma langueur porte envie, Tant le mal croist et le cuoeur me deffault Mais la douleur qui plus comble mon ame D'un vain espoyr, c'est qu'Amour et Madame Scavent mon mal, et si ne leur en chault. CVII Je vy ma Nymphe entre cent damoyselles, Comme un Croyssant par les menuz flambeaulx, Et de ses yeulx plus que les astres beaulx Faire obscurcir la beaultĂ© des plus belles. Dedans son sein les graces immortelles, La Gaillardize, et les freres jumeaux, Alloyent vollant comme petitz oyseaux Par my le verd des branches plus nouvelles. Le ciel ravy, que son chant esmouvoyt, Roses, et liz, et girlandes pleuvoyt Tout au rond d'elle au meillieu de la place Si qu'en despit de l'hyver froydureux, Par la vertu de ses yeulx amoureux, Un beau printemps s'esclouit de sa face. CVIII Plus mile fois que nul or terrien, J'aime ce front oĂÂč mon Tyran se joĂÂŒe Et le vermeil de cette belle joĂÂŒe, Qui fait honteux le pourpre Tyrien. Toutes beautĂ©s Ă mes yeus ne sont rien, Au pris du sein qui lentement secoĂÂŒe Son gorgerin, sous qui per Ă per noĂÂŒe Le branle Ă©gal d'un flot Cytherien. Ne plus, ne moins, que Juppiter est aise, Quand de son luth quelque Muse l'apaise, Ainsi je suis de ses chansons Ă©pris, Lors qu'Ă son luth ses doits elle embesongne, Et qu'elle dit le branle de Bourgongne, Qu'elle disoit, le jour que je fus pris. CIX Celle qui est de mes yeus adorĂ©e, Qui me fait vivre entre mile trespas, Chassant un cerf, suivoit hier mes pas, Com'ceus d'Adon Cyprine la dorĂ©e Quand une ronce en vain enamourĂ©e, Ainsi que moi, du vermeil de ses bras, En les baisant, lui fit couler Ă bas Une liqueur de pourpre colorĂ©e. La terre adonc, qui, soigneuse, receut Ce sang divin, tout sus l'heure conceut Pareille au sang une rouge fleurette Et tout ainsi que d'Helene naquit La fleur, qui d'elle un beau surnom aquit, Du nom Cassandre elle eut nom Cassandrette. CX Sur mes vint ans, pur d'offence, et de vice, GuidĂ©, mal caut, d'un trop aveugle oiseau, Aiant encor le menton damoiseau, Sain et gaillard je vins Ă ton service Ores forcĂ© de ta longue malice, Je m'en retourne avec une autre peau, En chef grison, en perte de mon beau Et pour t'aimer il faut que je perisse. Helas! que di-je? oĂÂč veus-je retourner? En autre part je ne puis sejourner, Ni vivre ailleurs, ni d'autre amour me paĂtre. Demeuron donc dans le camp fortement Et puis qu'au moins veinqueur je ne puis estre, Que l'arme au poin je meure honnestement. CXI Franc de travail une heure je n'ay peu Vivre, depuis que les yeulx de ma Dame Mielleusement verserent dans mon ame Le doulx venin, dont mon cuoeur fut repeu Ma chere neige, et mon cher et doulx feu, Voyez comment je m'englace et m'enflamme Comme la cire aux rayons d'une flamme, Je me consume, et vous en chault bien peu. Bien est il vray, que ma vie est heureuse De s'escouler doulcement langoureuse, Desoubz votre oeil, qui jour et nuict me poingt. Mais si fault il que vostre bontĂ© pense, Que l'amitiĂ© d'amitiĂ© se compense Et qu'un Amour sans frere ne croyst point. CXII D'amour ministre, et de perseverance, Qui jusqu'au fond l'ame peulx esmouvoyr, Et qui les yeulx d'un aveugle sçavoyr, Et qui les cuoeurs voyles d'une ignorance, Vaten ailleurs chercher ta demeurance. Vaten ailleurs quelqu'autre decevoyr, Je ne veulx plus chez moy te recevoyr, Malencontreuse et meschante esperance. Quand Juppiter, ce lasche criminel, Teingnit ses mains dans le sang paternel, Desrobant l'or de la terre oĂÂč nous sommes, Il te laissa, Harpye, et salle oyseau, Cropir au fond du Pandorin vaisseau, Pour enfieller le plus doulx miel des hommes. CXIII Franc de raison, esclave de fureur, Je voys chassant une FĂ©re sauvage, Or sur un mont, or le long d'un rivage, Or dans le boys de jeunesse et d'erreur. J'ay pour ma lesse un cordeau de malheur, J'ay pour limier un trop ardent courage, J'ay pour mes chiens, et le soing, et la rage, La cruaultĂ©, la peine et la douleur. Mais eulx voyant que plus elle est chassĂ©e, Loing loing devant plus s'enfuit eslancĂ©e, Tournant sur moy la dent de leur effort, Comme mastins affamez de repaistre, A longz morceaux se paissent de leur maistre, Et sans mercy me traisnent Ă la mort. CXIV Le Ciel ne veut, Dame, que je joĂÂŒisse De ce dous bien que dessert mon devoir Aussi ne veus-je, et ne me plaĂt d'avoir Sinon du mal en vous faisant service. Puis qu'il vous plaĂt, que pour vous je languisse, Je suis heureus, et ne puis recevoir Plus grand honneur, qu'en mourant, de me voir Faire Ă vos yeus de mon coeur sacrifice. Donc si ma main, maugrĂ© moi, quelque fois De l'amour chaste outrepasse les lois Dans vĂÂŽtre sein cherchant ce qui m'embraise, PunissĂ©s la du foudre de vos yeus, Et la brulĂ©s car j'aime beaucoup mieus Vivre sans main, que ma main vous dĂ©plaise. CXV Bien que six ans soyent ja coulez derriere, Depuis le jour, que l'homicide trait Au fond du cuoeur m'engrava le portrait D'une humblefiere, et fierehumble guerriere, Si suis-je heureux d'avoyr veu la lumiere En ces ans tardz pour avoyr veu le trait De son beau front, qui les graces attrait Par une grace aux Graces coustumiere. Le seul Avril de son jeune printemps, Endore, emperle, enfrange nostre temps, Qui n'a sceu voyr la beaultĂ© de la belle, Ny la vertu, qui foysonne en ses yeulx Seul je l'ay veue, aussi je meur pour elle, Et plus grand heur ne m'ont donnĂ© les cieulx. CXVI Si ce grand Dieu le pere de la lyre, Qui va bornant aux Indes son reveil, Ains qui d'un oeil, mal apris au sommeil, De ça de lĂ , toutes choses remire, Lamente encor, pour le bien oĂÂč j'aspire, Ne suis je heureux, puisque le trait pareil, Qui d'oultre en oultre entame le Soleil, Mon cuoeur entame Ă semblable martire? Dea, que mon mal contente mon plaisir, D'avoyr osĂ© pour compaignon choysir Un si grand Dieu ainsi par la campagne, Le boeuf courbĂ© desoubz le joug pesant, Traisne le faix plus leger et plaisant, Quand son travail d'un aultre s'acompagne. CXVII Ce petit chien, qui ma maistresse suit, Et qui jappant ne recognoyst personne, Et cest oyseau, qui me plaintes resonne, Au moys d'Avril, souspirant toute nuit Et ceste pierre, oĂÂč quand le chault s'enfuit Seule aparsoy pensive s'arraisonne, Et ce jardin, oĂÂč son poulce moyssonne! Touts les tresors que Zephyre produit Et ceste dance, oĂÂč la flesche cruelle M'outreperça, et la saison nouvelle Qui tous les ans rafraischit mes douleurs, Et son oeillade, et sa parolle saincte, Et dans le cuoeur sa grace que j'ay peinte, Baignent mon sein de deux ruisseaux de pleurs. CXVIII Entre tes bras, impatient Roger, PipĂ© du fard de magicque cautelle, Pour refroydir ta chaleur immortelle, Au soyr bien tard Alcine vint loger. Opiniatre Ă ton feu soulager, Ore planant, ore nouant sus elle, Dedans le guĂ© d'une beaultĂ© si belle, Toute une nuit tu apris Ă nager. En peu de temps, le gracieux Zephyre, Heureusement empoupant ton navire, Te fit surgir dans le port amoureux Mais quand ma nef de s'aborder est preste Tousjours plus loing quelque horrible tempeste La single en mer, tant je suis malheureux. CXIX Je te hay, peuple, et m'en sert de tesmoing, Le Loyr, Gastine, et les rives de Braye, Et la Neuffaune, et l'humide saulaye, Qui de Sabut borne l'extreme coin. Quand je me perdz entre deux montz bien loing, M'arraisonnant seul Ă l'heure j'essaye De soulager la douleur de ma playe, Qu'Amour encherne au plus vif de mon soing. LĂ pas Ă pas, Dame, je rememore Ton front, ta bouche, et les graces encore De tes beaulx yeulx trop fidelles archers Puis figurant ta belle idoleifeinte Dedans quelque eau, je sanglote une pleinte, Qui fait gemir le plus dur des rochers. CXX Non la chaleur de la terre, qui fume BĂ©ant de soif au creux de son profond, Non l'Avantchien, qui tarit jusqu'au fond Les tiedes eaux, qu'ardent de soif il hume Non ce flambeau qui tout ce monde allume D'un bluĂtter qui lentement se fond, Bref ny l'estĂ©, ny ses flammes ne font Ce chault brazier qui m'embraize et consume. Vos chastes feux, espriz de vos beaulx yeux, Vos doulx esclairs qui rechauffent les dieux, Seulz de mon feu eternizent la flamme Et soit Phebus attelĂ© pour marcher Devers le Cancre, ou bien devers l'Archer, Vostre oeil me fait un estĂ© dans mon ame. CXXI Ny ce coral, qui double se compasse, Sur meinte perle entĂ©e doublement, Ny ceste bouche oĂÂč vit fertillement Un mont d'odeurs qui le Liban surpasse, Ny ce bel or qui frisĂ© s'entrelasse En mille noudz mignardez gayement, Ny ces oeilletz esgalez unyment Au blanc des liz encharnez dans sa face, Ny de ce front le beau ciel esclarci, Ny le double arc de ce double sourci, N'ont Ă la mort ma vie abandonnĂ©e Seulz voz beaulx yeulx *oĂÂč le certain archer, Pour me tuer, d'aguet se vint cacher* Devant le soir finissent ma journĂ©e. CXXII De toy, Paschal, il me plaist que j'escrive, Qui de bien loing le peuple abandonnant, Vas du Arpin les tresors moyssonnant, Le long des bordz oĂÂč ta Garonne arrive. Hault d'une langue eternellement vive, Son cher Paschal Tolouse aille sonnant, Paschal Paschal Garonne resonnant, Rien que Paschal ne responde sa rive. Si ton Durban, l'honneur de nostre temps, Lit quelque foys ces vers par passetemps, Di luy, Paschal ainsi l'aspre secousse Qui m'a fait cheoir, ne te puisse esmouvoir Ce pauvre Amant estoit digne d'avoir Une maistresse ou moins belle, ou plus doulce. CXXIII Dy l'un des deux, sans tant me desguiser Le peu d'amour que ton semblant me porte Je ne scauroy, veu ma peine si forte, Tant lamener ne tant petrarquiser. Si tu le veulx, que sert de refuser Ce doulx present dont l'espoir me conforte? Si non, pourquoy, d'une esperance morte Pais tu ma vie affin de l'abuser? L'un de tes yeulx dans les enfers me ruĂ, L'aultre Ă l'envy tour Ă tour s'esvertue De me rejoindre en paradis encor Ainsi tes yeulx pour causer mon renaistre, Et puis ma mort, sans cesse me font estre Ore un Pollux, et ores un Castor. CXXIV L'an mil cinq cent contant quarante et six, Dans ses cheveux une beaultĂ© cruĂlle, Ne sçay quel plus, las, ou cruelle ou belle Lia mon cuoeur de ses graces Ă©pris. Lors je pensoy, comme sot mal appris, NĂ© pour souffrir une peine immortelle, Que les crespons de leur blonde cautelle Deux ou troys jours sans plus me tiendroyent pris L'an est passĂ©, et l'autre commence ores OĂÂč je me voy plus que devant encores Pris dans leurs retz et quand parfoys la mort. Veult delacer le lien de ma peine, Amour tousjours pour l'ennouer plus fort, Oingt ma douleur d'une esperance vaine CXXV A toy chaque an j'ordonne un sacrifice Fidelle coing, oĂÂč tremblant et poureux, Je descouvry le travail langoureux, Que j'enduroy, Dame, en vostre service. Un coing vrayment, plus seur ne plus propice A deceler un tourment amoureux, N'est point dans Cypre, ou dans les plus heureux Vergers de Gnide, Amathonte, ou d'Eryce. EussĂ©-je l'or d'un peuple ambicieux, Tu toucherois, nouveau temple, les cieux, ElabourĂ© d'une merveille grande Et lĂ dressant Ă ma Nymphe un autel, Sur les pilliers de son nom immortel, J'appenderoy mon ame pour offrande. CXXVI Le pensement, qui me fait devenir Haultain et brave, est si doulx que mon ame Desja desja impuissante, se pasme, Yvre du bien qui me doibt avenir. Sans mourir donq, pourray-je soustenir Le doulx combat, que me garde Madame, Puis qu'un penser si brusquement l'entame, Du seul plaisir d'un si doulx souvenir? Helas, Venus, que l'escume fĂ©conde, Non loing de Cypre, enfanta dessus l'onde, Si de fortune en ce combat je meurs, Reçoy ma vie, o deesse, et la guide Parmy l'odeur de tes plus belles fleurs, Dans les vergers du paradis de Gnide. CXXVII Quand en songeant ma follastre j'acolle, Laissant mes flancz sus les siens s'allonger, Et que d'un bransle habillement leger, En sa moytiĂ© ma moytiĂ© je recolle Amour adonq si follement m'affolle, Qu'un tel abus je ne vouldroy changer, Non au butin d'un rivage estranger, Non au sablon qui jaunoye en Pactole. Mon dieu, quel heur, et quel contentement, M'a fait sentir ce faux recollement, Changeant ma vie en cent metamorphoses Combien de fois doulcement irritĂ©, Suis-je ore mort, ore resuscitĂ©, Parmy l'odeur de mile et mile roses? CXXVIII O de Nepenthe, et de lyesse pleine, Chambrette heureuse, oĂÂč deux heureux flambeaux, Les plus ardentz du ciel, et les plus beaulx, Me font escorte apres si longue peine. Or je pardonne Ă la mer inhumaine, Aux flotz, aux ventz, la traison de mes maulx, Puis que par tant et par tant de travaulx, Une main doulce Ă si doulx port me meine. Adieu tourmente, Ă dieu naufrage, Ă dieu, Vous flotz cruelz, ayeux du petit Dieu, Qui dans mon sang a sa flesche souillĂ©e Ores encrĂ© dedans le sein du port, Par voeu promis, j'appen dessus le bord Aux dieux marins ma despouille mouillĂ©e CXXIX Je parangonne Ă ta jeune beaultĂ©, Qui tousjours dure en son printemps nouvelle, Ce moys d'Avril, qui ses fleurs renouvelle, En sa plus gaye et verte nouveaultĂ©. Loing devant toy fuyra la cruaultĂ©, Devant luy fuit la saison plus cruelle. Il est tout beau, ta face est toute belle, Ferme est son cours, ferme est ta loyaultĂ©. Il peint les champs de dix mille couleurs, Tu peins mes vers d'un long esmail de fleurs. D'un doulx zephyre il fait onder les plaines, Et toy mon cuoeur d'un souspir larmoyant. D'un beau crystal son front est rousoyant, Tu fais sortir de mes yeulx deux fontaines. CXXX Ce ne sont qu'haims, qu'amorces et qu'appastz, De son bel oeil qui m'alesche en sa nasse, Soyt qu'elle rie, ou soyt qu'elle compasse Au son du Luth le nombre de ses pas. Une mynuit tant de flambeaux n'a pas, Ny tant de sable en Euripe ne passe, Que de beaultez embellissent sa grace, Pour qui j'endure un millier de trespaz. Mais le tourment, qui moyssonne ma vie, Est si plaisant que je n'ay point envie De m'eslongner de sa doulce langueur Ains face Amour, que mort encores j'aye L'aigre doulceur de l'amoureuse playe, Que deux beaulx yeulx m'encharnent dans le cuoeur. CXXXI Oeil, qui mes pleurs de tes rayons essuye', Sourci, mais ciel des autres le greigneur, Front estoylĂ©, TrophĂ©e Ă mon Seigneur, Qui dans ton jour ses despouilles Ă©tuye Gorge de marbre, oĂÂč la beaultĂ© s'appuye, Col Albastrin emperlĂ© de bonheur, Tetin d'ivoyre oĂÂč se niche l'honneur, Sein dont l'espoyr mes travaulx desennuye Vous avez tant appastĂ© mon desir, Que pour souler la faim de son plaisir, Et nuict et jour il fault qu'il vous revoye. Comme un oyseau, quine peult sejourner, Sans revoler, tourner, et retourner, Aux bordz congneuz pour y trouver sa proye. CXXXII Haulse ton aisle, et d'un voler plus ample, Forçant des ventz l'audace et le pouvoir, Fay, Denisot, tes plumes esmouvoir, Jusques au ciel oĂÂč les dieux ont leur temple. LĂ , d'oeil d'Argus, leurs deitez contemple, Contemple aussi leur grace, et leur sçavoir, Et pour ma Dame au parfait concevoir, Sur les plus beaulx fantastique un exemple. Moissonne apres le teint de mille fleurs, Et les detrampe en l'argent de mes pleurs, Que tiedement hors de mon chef je ruĂ Puis attachant ton esprit et tes yeulx Dans le patron desrobĂ© sur les dieux, Pein, Denisot, la beaultĂ© qui me tuĂ. CXXXIII Ville de Bloys, le sejour de Madame, Le nid des Roys et de ma voulontĂ©, OĂÂč je suis pris, oĂÂč je suis surmontĂ©, Par un oeil brun qui m'oultreperce l'ame Sus le plus hault de sa divine flamme, Pres de l'honneur, en grave magestĂ©, Reveremment se sied la chastetĂ©, Qui tout bon cuoeur de ses vertuz enflamme. Se loge Amour dans tes murs pour jamais, Et son carquoys, et son arc desormais Pendent en toy, comme autel de sa gloire Puisse il tousjours soubz ses plumes couver Ton chef royal, et nud tousjours laver Le sien crespu dans l'argent de ton Loyre. CXXXIV Heureuse fut l'estoille fortunĂ©e, Qui d'un bon oeil ma maistresse apperceut Heureux le bers, et la main qui la sceut Emmailloter alors qu'elle fut nĂ©e. Heureuse fut la mammelle emmannĂ©e, De qui le laict premier elle receut, Et bienheureux le ventre, qui conceut Si grand beaultĂ© de si grandz dons ornĂ©e. Heureux les champs qui eurent cest honneur De la voir naistre, et de qui le bon heur L'Inde et l'Egypte heureusement excelle. Heureux le filz dont grosse elle sera, Mais plus heureux celuy qui la fera Et femme et mere, en lieu d'une pucelle. CXXXV L'astre ascendant, soubz qui je pris naissance, De son regard ne maistrisoyt les cieux; Quand je nasquis il coula dans tes yeulx, Futurs tyrans de mon obeissance. Mon tout, mon bien, mon heur, ma cognoissance, Vint de ses raiz car pour nous lier mieulx, Tant nous unit son feu presagieux, Que de nous deux il ne fit qu'une essence, En toy je suis, et tu es dedans moy, En moy tu vis, et je vis dedans toy Ainsi noz toutz ne font qu'un petit monde. Sans vivre en toy je tomberoy lĂ bas La Salemandre, en ce point, ne vit pas Perdant sa flamme, et le Daulphin son onde. CXXXVI De ton poil d'or en tressĂ©s blondissant, Amour ourdit de son arc la ficelle, Il me tira de ta vive estincelle, Le doulx fier traict, qui me tient languissant. Du premier coup j'eusse estĂ© perissant, Sans l'autre coup d'une flesche nouvelle, Qui mon ulcere en santĂ© renouvelle, Et par son coup le coup va guarissant. Ainsi jadis sur la pouldre Troyenne Du souldard Grec la hache pelienne, Du Mysien mit la douleur Ă fin Ainsi le trait que ton bel oeil me ruĂ, D'un mesme coup me garit et me tuĂ. HĂ©, quelle Parque a filĂ© mon destin! CXXXVII Ce ris plus doulx que l'oeuvre d'une abeille, Ces doubles liz doublement argentez, Ces diamantz Ă double ranc plantez Dans le coral de sa bouche vermeille, Ce doulx parler qui les mourantz esveille, Ce chant qui tient mes soucis enchantez, Et ces deux cieulx sur deux astres antez, De ma Deesse annoncent la merveille. Du beau jardin de son printemps riant, Naist un parfum, qui mesme l'orient Embasmeroit de ses doulces aleines. Et de lĂ sort le charme d'une voix, Qui touts raviz fait sauteler les boys, Planer les montz, et montaigner les plaines. CXXXVIII Dieux, si lĂ hault s'enthrosne la pitiĂ©, En ma faveur ores, ores, qu'on jette Du feu vangeur la meurtriere sagette, Pour d'un mauvais punir la mauvaistiĂ©, Qui seul m'espie, et seul mon amitiĂ© Va detraquant, lors que la nuict segrette, Et mon ardeur honteusement discrette, Guident mes pas oĂÂč m'attent ma MoytiĂ©. Accablez, Dieux, d'une juste tempeste L'oeil espion de sa parjure teste, Dont le regard toutes les nuictz me suit Ou luy donnez l'aveugle destinĂ©e Qui aveugla le malheureux PhinĂ©e, Pour ne veoir rien qu'une eternelle nuict. CXXXIX J'iray tousjours et resvant et songeant En la doulce heure, oĂÂč je vy l'angelette, Qui d'esperance et de crainte m'alaitte, Et dans ses yeulx mes destins va logeant. Quel or ondĂ© en tresses s'allongeant Frapoit ce jour sa gorge nouvelette, Et sus son col, ainsi qu'une ondelette Flotte aux zephyrs, au vent alloit nageant? Ce n'estoit point une mortelle femme, Que je vis lors, ny de mortelle dame Elle n'avoit ny le front ny les yeulx Donques, mon cuoeur, ce ne fut chose estrange Si je fu pris c'estoyt vrayment un Ange Qui pour nous prendre estoit vollĂ© des cieulx. CXL EspovantĂ© je cherche une fontaine Pour expier un horrible songer, Qui toute nuict ne m'a faict que ronger L'ame effroyĂ©e au travail de ma peine. Il me sembloyt que ma doulce inhumaine Crioit, Amy sauve moy du danger, Auquel par force un larron estranger Par les forestz prisonniere m'emmeine. Lors en sursault, oĂÂč me guidoit la voix, Le fer au poing je brossay dans le boys, Mais en courant apres la desrobĂ©e, Du larron mesme assallir me suis veu, Qui me perçant le cuoeur de mon espĂ©e M'a fait tomber dans un torrent de feu. CXLI Chanson Las, je n'eusse jamais pensĂ© Veu les ennuiz de ma langueur, Que tu m'eusses recompensĂ© D'une si cruelle rigueur Mais puis qu'Amour me chasse Ă tort, Ma seule alegence est la mort. Si fortunĂ© j'eusse apperçu Quand je te vy premierement, Le mal que j'ai depuis receu Pour te servir loyalement Mon cuoeur qui franc avoyt vescu, N'eust pas estĂ© pris ne vaincu. Mais la doulceur de tes beaulx yeulx, Cent fois asseura mon debvoir, De me donner encore mieulx Que les miens n'esperoient avoyr La vaine attente d'un tel bien A transformĂ© mon aise en rien. Si tost que je vy ta beaultĂ©, Je me sentis naistre un desir D'assubjetir ma loyaultĂ© Soubz l'empire de ton plaisir, Et des ce jour l'amoureux trait Au cuoeur m'engrava ton pourtrait. Ce fut, Dame, ton bel acueil, Qui pour me rendre serviteur, M'ouvrit par la clef de ton oeil Le paradis de ta grandeur, Que ta saincte perfection Peignit dans mon affection. Et lors pour hostage de moy Desja profondement blessĂ©, Mon cuoeur plain de loyale foy En garde Ă tes yeulx je laissĂ© Et fus bien aise de l'offrir, Pour le veoyr doulcement soufrir. Bien qu'il endure jours et nuictz Mainte amoureuse aversitĂ©, Le plus cruel de ses ennuiz Luy semble une felicitĂ© Et ne sçauroit jamais vouloyr Qu'autre amour le face douloyr. Un grand rocher qui a le dos Et les piedz toujours oultragez Ore des vens, ore des flos En leurs tempestes enragez, N'est point si ferme que mon cuoeur Contre le choc de ta rigueur. Car luy de plus en plus aymant Ta grace, et ton honnestetĂ©, Semble au pourtrait d'un diamant, Qui pour garder sa fermetĂ©, Se rompt plus tost soubz le marteau, Que se voyr tailler de nouveau. Aussi ne l'or qui peult tenter, Ny autre grace, ny maintien, Ne scauroient dans mon cuoeur enter Un autre portrait que le tien, Et plus tost il mourroit d'ennuy Que d'en soufrir une autre en luy. Il ne fault point pour empescher Qu'une autre dame en ayt sa part, L'environner d'un grand rocher, Ou d'une fosse, ou d'un rempart, Amour te l'a si bien conquis Que plus il ne peult estre aquis. Chanson, les estoilles seront La nuict sans les cieulx allumer, Et plus tost les ventz cesseront De tempester dessus la mer, Que l'orgueil de sa cruaultĂ© Puisse esbranler ma loyaultĂ©. CXLII Un voyle obscur par l'orizon espars Troubloyt le ciel d'une humeur survenue, Et l'air crevĂ© d'une graisle menue Frappoyt Ă bonds les champz de toutes partz Desja Vulcan les bras de ses souldardz Hastoyt despit Ă leur forge cognue, Et Juppiter dans le creux d'une nue Armoyt sa main de l'esclair de ses dardz Quand ma Nymphette en simple verdugade Cueillant des fleurs, des raiz de son oeillade Essuya l'air grelleux et pluvieux, Des ventz sortiz remprisonna les tropes, Et ralenta les marteaux des Cyclopes, Et de Jupin rasserena les yeulx. CXLIII En aultre part les deux flambeaux de celle Qui m'esclairoyt sont allez faire jour, Voyre un midi, qui d'un stable sejour, Sans annuiter dans les cuoeurs estincelle. Et que ne sont et d'une et d'une aultre aille Mes deux coustez emplumez alentour? Hault par le ciel soubz l'escorte d'Amour Je volleroy comme un Cygne, aupres d'elle. De ses deux raiz ayant percĂ© le flanc, J'empourpreroy mes plumes dans mon sang Pour tesmoigner la peine que j'endure Et suis certain que ma triste langueur Emouveroyt non seulement son cuoeur De mes soupirs, mais une roche dure. CXLIV Si tu ne veulx les astres despiter En ton malheur, ne metz point en arriere L'humble souspir de mon humble priere La priere est fille de Juppiter. Quiconque veult la priere eviter Jamais n'acheve une jeunesse entiere, Et voyt tousjours de son audace fiere Jusqu'aux enfers l'orgueil precipiter. Pour ce, orgueilleuse, eschape cest orage Mollis un peu le roc de ton courage Aux longz souspirs de ma triste langueur Tousjours le ciel, tousjours l'eau n'est venteuse, Tousjours ne doyt ta beaultĂ© despiteuse Contre ma playe endurcit sa rigueur. CXLV Entre mes bras qu'ores ores n'arrive Celle qui tient ma playe en sa verdeur, Et ma pensĂ©e en gelante tiedeur, Sur le tapis de ceste herbeuse rive? Et que n'est elle une Nymphe native De quelque boys? par l'ombreuse froydeur Nouveau Sylvain j'allenteroys l'ardeur Du feu qui m'ard d'une flamme trop vive. Et pourquoy, Cieulx, l'arrest de vos destins Ne m'a fait naistre un de ces Paladins Qui seulz portoyent en crope les pucelles? Et qui tastant, baizant, et devisant, Loing de l'envie, et loing du mesdisant, Dieux, par les boys vivoyent avecques elles? CXLVI Que tout par tout dorenavant se mue Soyt desormais Amour soulĂ© de pleurs Des chesnes durs puissent naistre les fleurs, Au choc des ventz l'eau ne soyt plus esmue, Du cuoeur des rocz le miel degoute et sue, Soyent du printemps semblables les couleurs, L'estĂ© soyt froid, l'hyver plein de chaleurs, De foy la terre en toutz endroytz soyt nue Tout soyt changĂ©, puisque le noud si fort Qui m'estraignoyt, et que la seule mort Devoyt couper, ma Dame veult deffaire. Pourquoy d'Amour mesprises tu la loy? Pourquoy fais tu ce qui ne se peult faire? Pourquoy romps tu si faulsement ta foy? CXLVII Lune Ă l'oeil brun, la dame aux noyrs chevaulx Qui çà qui lĂ , qui hault qui bas te tournent, Et de retours, qui jamais ne sejournent, Traisnent ton char eternel en travaux A tes desseings les miens ne sont esgaux, Car les amours qui ton cuoeur epoinçonnent, Et ceulx aussi qui mon cuoeur aiguillonnent, Divers souhaitz desirent Ă leurs maulx. Toy mignotant ton dormeur de Latmie, Tu vouldroys bien qu'une course endormie Emblast le train de ton char qui s'enfuit Mais moy qu'Amour toute la nuit devore, Las, des le soyr je souhaite l'Aurore, Pour voyr le jour, que me celoyt ta nuit. CXLVIII Une diverse amoureuse langueur, Sans se meurir dans mon ame verdoye, Dedans mes yeulx une fontaine ondoye, Un Montgibel s'enflamme dans mon cuoeur. L'un de son feu, l'autre de sa liqueur, Ore me gele, et ore me fouldroye, Et l'un et l'autre Ă son tour me guerroye, Sans que l'un soyt dessus l'autre vainqueur. Fais Amour fay, qu'un des deux ayt la place, Ou le seul feu, ou bien la seule glace, Et par l'un d'eux metz fin Ă ce debat J'ay seigneur j'ay, j'ay de mourir envie, Mais deux venins n'etouffent point la vie Tandis que l'un Ă l'autre se combat. CXLIX Puis que cet oeil qui fidelement baille Ses loix aux miens, sur les miens plus ne luict, L'obscur m'est jour, le jour m'est une nuict, Tant son absence asprement me travaille. Le lit me semble un dur camp de bataille, Rien ne me plaist, toute chose me nuit, Et ce penser, qui me suit et resuit, Presse mon cuoeur plus fort qu'une tenaille. Ja prez du Loyr entre cent mille fleurs SoullĂ© d'ennuiz, de regretz et de pleurs, J'eusse mis fin Ă mon angoysse forte, Sans quelque dieu, qui mon oeil va tournant Vers le paĂÂŻs oĂÂč tu es sejournant, Dont le bel air sans plus me reconforte. CL Comme le chault ou dedans Erymanthe, Ou sus Rhodope ou sus un autre mont, En beau crystal le blanc des neiges fond Par sa tiedeur lentement vehemente Ainsi tes yeulx *eclair qui me tourmente* Qui cire et neige Ă leur regard me font, Touchans les miens ja distillez les ont En un ruisseau, qui de mes pleurs s'augmente. Herbes ne fleurs ne sejournent aupres, Ains des Soucis, des Ifz, et des Cypres, Ny d'un verd gay sa rive n'est point pleine. Les autres eaux par les prez vont roulant, Mais ceste ci par mon sein va coulant, Qui nuict et jour bruit et rebruit ma peine. CLI De soingz mordentz et de soucis divers, Soyt sans repos ta paupiere eveillĂ©e, Ta levre soyt d'un noyr venin mouillĂ©e, Tes cheveulx soyent de viperes couvers. Du sang infait de ces groz lezards vers Soyt ta poictrine et ta gorge souillĂ©e, Et d'une oeillade obliquement rouillĂ©e Tant que vouldras guigne moy de travers. Tousjours au ciel je leveray la teste, Et d'un escrit qui bruit comme tempeste Je foudroyray de tes Monstres l'effort Autant de foys que tu seras leur guide Pour m'assaillir dans le seur de mon fort; Autant de foys me sentiras Alcide. CLII De ceste doulce et fielleuse pasture, Dont le surnom s'appelle trop aymer, Qui m'est et sucre, et riagas amer, Sans me souler je pren ma nourriture. Car ce bel oeil, qui force ma nature, D'un si long jeun m'a tant faict epasmer, Que je ne puis ma faim desaffamer, Qu'au seul regard d'une vaine peinture. Plus je la voy, moins souler je m'en puis, Un vray Narcisse en misere je suis HĂ© qu'Amour est une cruelle chose! Je cognoy bien qu'il me fera mourir, Et si ne puis ma douleur secourir, Tant j'ay sa peste en mes veines enclose. CLIII Que laschement vous me trompez, mes yeulx, Enamourez d'une figure vaine O nouveaultĂ© d'une cruelle peine, O fier destin, ĂÂŽ malice des cieulx. Fault il que moy de moymesme envieux, Pour aymer trop les eaux d'une fontaine, Je brusle apres une image incertaine, Qui pour ma mort m'accompaigne en toutz lieux? Et quoy fault il que le vain de ma face, De membre Ă membre amenuiser me face, Comme une cire aux raiz de la chaleur? Ainsi pleuroyt l'amoureux Cephiside, Quand il sentit dessus le bord humide, De son beau sang naistre une belle fleur. CLIV En ma douleur, las chetif, je me plais, Soyt quand la nuict les feux du ciel augmente, Ou quand l'Aurore enjonche d'Amaranthe Le jour meslĂ© d'un long fleurage espais. D'un joyeux dueil sans faim je me repais En quelque part oĂÂč seulet je m'absente, Devant mes yeulx je voy tousjours presente, Celle qui cause et ma guerre, et ma paix. Pour l'aymer trop egalement j'endure Ore un plaisir, ore une peine dure, Qui d'ordre egal viennent mon cuoeur saisir Et d'un tel miel mon absynthe est si pleine, Qu'autant me plaist le plaisir que la peine, La peine autant comme fait le plaisir. CLV Or que Juppin epoint de sa semence, Hume Ă longz traitz les feux accoustumez, Et que du chault de ses rains allumez, L'humide sein de Junon ensemence Or que la mer, or que la vehemence Des ventz fait place aux grandz vaisseaux armez, Et que l'oyseau parmy les boys ramez Du Thracien les tançons recommence Or que les prez, et ore que les fleurs, De mille et mille et de mille couleurs, Peignent le sein de la terre si gaye, Seul, et pensif, aux rochers plus segretz, D'un cuoeur muĂ©t je conte mes regretz, Et par les boys je voys celant ma playe. CLVI Ayant par mort mon cuoeur desaliĂ© De son subject, et l'estincele esteinte J'alloy chantant, et la chorde desceinte, Qui si long temps m'avoyt ars, et liĂ© Puis je disoy, Et quelle aultre moytiĂ©, Apres la mort de ma moytiĂ© si saincte, D'un nouveau feu, et d'une neuve estrainte, Ardra, noura ma seconde amitiĂ©? Quand je senti le plus froid de mon ame Se rembraser d'une nouvelle flamme, EncordelĂ©e es retz Idaliens Amour reveult pour eschauffer ma glace, Qu'aultre oeil me brusle, et qu'aultre main m'enlasse, O flamme heureuse, o plus qu'heureux liens. CLVII PuissĂ©-je avoir ceste FĂ©re aussi vive Entre mes bras, qu'elle est vive en mon cuoeur Un seul moment gariroit ma langueur, Et ma douleur feroit aller Ă rive. Plus elle court, et plus elle est fuytive, Par le sentier d'audace, et de rigueur, Plus je me lasse, et recreu de vigueur, Je marche apres d'une jambe tardive. Au moins escoute et rallente tes paz Comme veneur je ne te poursuy pas, Ou comme archer qui blesse Ă l'impourveue Mais comme amy piteusement touchĂ© Du fer cruel, qu'Amour m'a decochĂ©, Faisant un trait des beaulx raiz de ta veue. CLVIII Contre le ciel mon cuoeur estoit rebelle, Quand le destin, que forçer je ne puis Me traisna voyr la Dame Ă qui je suis, Ains que vestir ceste escorce nouvelle. Un chaud adonq de moelle en moĂlle, De nerfz en nerfz, de conduitz en conduitz, Vint Ă mon cuoeur, dont j'ay vescu depuis, Or en plaisir, or en peine cruelle. Si qu'en voyant ses beaultez, et combien Elle est divine, il me resouvint bien L'avoir jadis en paradis laissĂ©e; Car des le jour que j'en refu blessĂ©, Soit pres ou loing, je n'ay jamais cessĂ© De l'adorer de fait, ou de pensĂ©e. CLIX Voyci le bois, que ma sainte Angelette Sus le printemps anime de son chant. Voyci les fleurs que son pied va marchant, Lors que pensive elle s'esbat seullette. Iö voici la prĂ©e verdelette, Qui prend vigueur de sa main la touchant, Quand pas Ă pas pillarde va cherchant Le bel esmail de l'herbe nouvelette. Ici chanter, lĂ pleurer je la vy, Ici soubrire, et lĂ je fus ravy De ses beaulx yeulx par lesquelz je desvie Ici s'asseoir, lĂ je la vi dancer Sus le mestier d'un si vague penser Amour ourdit les trames de ma vie. CLX Saincte Gastine, heureuse secretaire De mes ennuis, qui respons en ton bois, Ores en haulte, ores en basse voix, Aux longz souspirs que mon cuoeur ne peult taire Loyr, qui refrains la course voulontaire Du plus courant de tes flotz vandomoys, Quand acuser ceste beaultĂ© tu m'ois, De qui tousjours je m'affame et m'altere Si dextrement l'augure j'ay receu, Et si mon oeil ne fut hyer deceu Des doulx regardz de ma doulce Thalie, Dorenavant poete me ferez, Et par la France appellez vous serez, L'un mon laurier, l'aultre ma Castalie. CLXI En ce pandant que tu frappes au but De la vertu, qui n'a point sa seconde, Et qu'Ă longz traitz tu t'enyvres de l'onde Que l'Ascrean entre les Muses but, Ici, Bayf, oĂÂč le mont de Sabut Charge de vins son espaulle fĂ©conde, Pensif je voy la fuite vagabonde Du Loyr qui traisne Ă la mer son tribut. Ores un antre, or un desert sauvage, Ore me plaist le segret d'un rivage, Pour essayer de tromper mon ennuy Mais quelque horreur de forest qui me tienne, Faire ne puis qu'Amour tousjours ne vienne, Parlant Ă moy, et moy tousjours Ă luy. CLXII Quel bien auray-je apres avoir estĂ© Si longuement privĂ© des yeulx de celle, Qui le Soleil de leur vive estincelle Rendroyent honteux au plus beau jour d'EstĂ©? Et quel plaisir, voyant le ciel voustĂ© De ce beau front, qui les beaultez recelle, Et ce col blanc, qui de blancheur excelle Un mont de laict sus le jonc caillotĂ©? Comme du Grec la troppe errante et sotte, AfriandĂ©e aux doulceurs de la Lote, Sans plus partir vouloyent lĂ sĂ©journer Ainsi j'ay peur, que ma trop friande ame, R'affriandĂ©e aux doulceurs de Madame Ne veille plus dedans moy retourner. CLXIII Puis que je n'ay pour faire ma retraitte. Du Labyrinth qui me va seduysant, Comme ThesĂ©e, un filet conduysant Mes paz doubteux dans les erreurs de Crete EussĂ©-je au moins une poinctrine faicte, Ou de crystal, ou de verre luysant, Lors tu serois dedans mon cuoeur lisant, De quelle foy mon amour est parfaite. Si tu sçavois de quelle affection Je suis captif de ta perfection, La mort seroit un confort Ă ma plainte Et lors peult-estre esprise de pitiĂ©, Tu pousserois sur ma despouille esteinte, Quelque souspir de tardive amitiĂ©. CLXIV HĂ , Belacueil, que ta doulce parolle Vint traistrement ma jeunesse offenser Quand au premier tu l'amenas dancer, Dans le verger, l'amoureuse carolle. Amour adonq me mit Ă son escolle, Ayant pour maistre un peu sage penser, Qui des le jour me mena commencer Le chapelet de la danse plus folle. Depuis cinq ans dedans ce beau verger, Je voys balant avecque faulx danger, Soubz la chanson d'Allegez moy Madame Le tabourin se nommoit fol plaisir, La fluste erreur, le rebec vain desir, Et les cinq pas la perte de mon ame. CLXV En escrimant un DĂ©mon m'eslança Le mousse fil d'une arme rabatue, Qui de sa pointe aux aultres non pointue, Jusques Ă l'os le coulde m'offença. Ja tout le bras Ă seigner commença, Quand par pitiĂ© la beaultĂ© qui me tue, De l'estancher soigneuse s'evertuĂ, Et de ses doigtz ma playe elle pança. Las, di-je lors, si tu as quelque envie De soulager les playes de ma vie, Et luy donner sa premiere vigueur, Non ceste ci, mais de ta pitiĂ© sonde L'aspre tourment d'une aultre plus profonde, Que vergongneux je cele dans mon cuoeur. CLXVI Tousjours des bois la syme n'est chargĂ©e, Soubz les toysons d'un hyver Ă©ternel, Tousjours des Dieux le fouldre criminel Ne darde en bas sa menace enragĂ©e. Tousjours les ventz, tousjours la mer d'EgĂ©e Ne gronde pas d'un orage cruel Mais de la dent d'un soing continuel, Tousjours tousjours ma vie est oultragĂ©e. Plus je me force Ă le vouloir tuer, Plus il renaist pour mieux s'esvertuer De fĂ©conder une guerre en moymesme. O fort Thebain, si ta serve vertu Avoit encor ce monstre combatu, Ce seroit bien de tes faitz le treiziesme. CLXVII Je veus brusler pour m'en voler aux cieux, Tout l'imparfait de ceste escorce humaine, M'eternisant, comme le filz d'AlcmĂ©ne, Qui tout en feu s'assit entre les Dieux. Ja mon esprit chatouillĂ© de son mieux, Dedans ma chair, rebelle se promeine, Et ja le bois de sa victime ameine Pour s'enflammer aux rayons de tes yeulx. O sainct brazier, ĂÂŽ feu chastement beau, Las, brusle moy d'un si chaste flambeau Qu'abandonnant ma despouille cognue, NĂ©t, libre, et nud, je vole d'un plein sault, Oultre le ciel, pour adorer lĂ hault L'aultre beaultĂ© dont la tienne est venue. CLXVIII Ce fol penser pour s'en voler plus hault, Apres le bien que haultain je desire, S'est emplumĂ© d'ailles joinctes de cire, Propres Ă fondre aux raiz du premier chault. Luy fait oyseau, dispost de sault en sault, Poursuit en vain l'object de son martire, Et toy, qui peux, et luy doys contredire, Tu le vois bien, Raison, et ne t'en chault. Soubz la clartĂ© d'une estoile si belle, Cesse, penser, de hazarder ton aisle, Ains que te voir en bruslant deplumer Car pour estaindre une ardeur si cuizante, L'eau de mes yeulx ne seroit suffisante, Ny suffisants toutz les flotz de la mer. CLXIX Or que le ciel, or que la terre est pleine De glaz, de graille esparse en tous endrois, Et que l'horreur des plus frigoreux mois Fait herisser les cheveux de la plaine, Or que le vent, qui mutin se promeine, Rompt les rochers, et desplante les bois, Et que la mer redoublant ses abois, Contre les bordz sa plus grand rage ameine, Amour me brusle, et l'hyver froidureux, Qui gele tout, de mon feu chaleureux Ne gele point l'ardeur, qui tousjours dure Voyez, Amantz, comme je suis traittĂ©, Je meurs de froid au plus chault de l'EstĂ©, Et de chaleur au cuoeur de la froidure. CLXX Je ne suis point, Muses, acoustumĂ© De voir la nuict vostre dance sacrĂ©e Je n'ay point beu dedans l'onde d'AscrĂ©e, Fille du pied du cheval emplumĂ©. De tes beaulx raiz chastement allumĂ© Je fu poĂte et si ma voix recrĂ©e, Et si ma lyre, ou si ma rime agrĂ©e, Ton oeil en soit, non Parnase, estimĂ©. Certes le ciel te debvoit Ă la France, Quand le Thuscan, et Sorgue, et sa Florence, Et son Laurier engrava dans les cieux Ore trop tard beaultĂ© plus que divine, Tu vois nostre ĂÂąge, helas, qui n'est pas digne Tant seulement de parler de tes yeulx. CLXXI Ny les desdaingz d'une Nymphe si belle, Ny le plaisir de me fondre en langueur, Ny la fiertĂ© de sa doulce rigueur, Ny contre amour sa chastetĂ© rebelle, Ny le penser de trop penser en elle, Ny de mes yeulx la fatale liqueur, Ny mes souspirs messagers de mon cuoeur, Ny de ma flamme une ardeur eternelle, Ny le desir qui me lime et me mord, Ny voir escrite en ma face la mort, Ny les erreurs d'une longue complainte, Ne briseront mon cuoeur de diamant, Que sa beaultĂ© n'y soit tousjours emprainte, Belle fin fait qui meurt en bien aymant. CLXXII Dedans le lit oĂÂč mal sain je repose, Presque en langueur Madame trespassa Au moys de Juin, quand la fiebvre effaça Son teint d'oeilletz, et ses lĂ©vres de rose Une vapeur avec sa fiebvre esclose, Entre les draps son venin delaissa, Qui par destin, diverse me blessa D'une autre fiebvre en mes veines enclose. L'un apres l'autre elle avoyt froyd et chault, Le froyd, le chault jamais ne me default, Et quand l'un croyst l'autre ne diminue L'aspre tourment tousjours ne la tentoyt, De deux jours l'un sa fiebvre s'allentoyt, Las, mais la mienne est tousjours continue. CLXXIII O traitz fichez dans le but de mon ame, O folle emprise, ĂÂŽ pensers repensez, O vainement mes jeunes ans passez, O miel, ĂÂŽ fiel, dont me repaist Madame, O chault, ĂÂŽ froyd, quilm' englace et m'enflamme, O promptz desirs d'esperance cassez, O doulce erreur, ĂÂŽ paz en vain trassez, O montz, ĂÂŽ rocz, que ma douleur entame, O terre, ĂÂŽ mer, chaos, destins et cieulx, O nuit; ĂÂŽ jour, ĂÂŽ Manes stygieux, O fiere ardeur, ĂÂŽ passion trop forte O vous DĂ©mons, et vous divins Espritz, Si quelque amour quelque foys vous a pris, Voyez pour dieu quelle peine je porte. CLXXIV Las, force m'est qu'en brullant je me taise, Car d'autant plus qu'esteindre je me veux, Plus le desir me r'allume les feux, Qui languissoyent desoubz la morte braize Si suis-je heureux et cela me rapaize De plus soufrir que soufrir je ne peulx, Et d'endurer le mal dont je me deulx, Je me deulx, non, mais dont je suis bien aise. Par ce doulx mal j'adoray la beaultĂ©, Qui me liant d'une humble cruaultĂ© Me desnoua les liens d'ignorance. Par luy me vint ce vertueux penser, Qui jusqu'au ciel fit mon cuoeur eslancer, AillĂ© de foy, d'amour et d'esperance. CLXXV Amour et Mars sont presque d'une sorte, L'un en plein jour, l'autre combat de nuict, L'un aux rivaux, l'autre aux gensdarmes nuit, L'un rompt un huis, l'autre rompt une porte. L'un finement trompe une ville forte, L'autre coyment une garde seduict L'un un butin, l'autre le gaing poursuit, L'un deshonneur, l'autre dommage apporte. L'un couche Ă terre, et l'autre gist souvent Devant un huis Ă la froydeur du vent L'un boyt meinte eau, l'autre boyt meinte larme. Mars va tout seul, les Amours vont touts seulz Qui vouldra donc ne languir paresseux, Soyt l'un ou l'autre, amoureux ou gendarme. CLXXVI Jamais au cuoeur ne sera que je n'aye, Soyt que je tombe en l'obly du cercueil, Le souvenir du favorable acueil, Qui regarit et rengregea ma playe. Tant ceste lĂ , pour qui cent mortz j'essaye, Me saluant d'un petit riz de l'oeil, Si doulcement satisfait Ă mon dueil, Qu'un seul regard les interestz m'en paye. Si donc le bien d'un esperĂ© bon jour, Plein de caresse, apres un long sejour, En cent nectars peult enyvrer mon ame, Quel paradis m'apporteront les nuictz, OĂÂč se perdra le rien de mes ennuiz, Evanouy dans le sein de Madame? CLXXVII Au cuoeur d'un val, oĂÂč deux ombrages sont, Dans un destour, de loing j'avisay celle, Dont la beaultĂ© dedans mon cuoeur se cele, Et les douleurs m'apparoyssent au front. Des boys toffuz voyant le lieu profond, J'armay mon cuoeur d'asseurance nouvelle, Pour luy chanter les maulx que j'ay pour elle, Et les tourmentz que ses beaulx yeulx me font. En cent façons, desja, desja ma langue Avantpensoyt les motz de sa harangue, Ja soulageant de mes peines le faix, Quand un Centaure envieux sur ma vie L'ayant en crope au galop l'a ravie, Me laissant seul, et mes criz imparfaitz. CLXXVIII Veufve maison des beaulx yeulx de Madame, Qui pres et loing me paissent de douleur, Je t'acompare Ă quelque prĂ© sans fleur, A quelque corps orfelin de son ame. L'honneur du ciel n'est-ce pas ceste flamme Qui donne aux dieux et lumiere et chaleur? Ton ornement n'est ce pas la valeur De son bel oeil, qui tout le monde enflamme? Soyent tes buffetz chargez de masse d'or, Et soyent tes flancz empeinturez encor De mainte histoyre en filz d'or enlassĂ©e Cela, Maison, ne me peult resjouir, Sans voyr en toy ceste Dame, et l'ouyr, Que j'oy tousjours, et voy dans ma pensĂ©e. CLXXIX Puis qu'aujourdhuy pour me donner confort, De ses cheveulx ma Maistresse me donne, D'avoyr receu, mon cuoeur, je te pardonne, Mes ennemis au dedans de mon fort. Non pas cheveux, mais un lien bien fort, Qu'Amour me lasse, et que le ciel m'ordonne, OĂÂč franchement captif je m'abandonne, Serf volontaire, en volontaire effort. D'un si beau crin le dieu que DĂ©le honore, Son col de laict blondement ne decore, Ny les flambeaux du chef Egyptien, Quand de leurs feux les astres se couronnent, MaugrĂ© la nuict ne treluysent si bien, Que ces cheveux qui mes bras environnent. CLXXX Je m'assuroy qu'au changement des cieulx Cest an nouveau romproyt ma destinĂ©e, Et que sa trace, en serpent retournĂ©e, Adoulciroyt mon travail soucieux Mais plus qu'il volte en un rond pluvieux Ses frontz lavez d'une humide journĂ©e, Cela me dit qu'au cours de ceste annĂ©e Je pleuveray ma vie par les yeulx. Las, toy qui es de moy la quinte essence, De qui l'humeur sur la mienne a puissance, Ou de tes yeulx serene mes douleurs, Ou bien les miens alambique en fontaine, Pour estoufer le plus vif de ma peine, Dans le ruisseau, qui naistra de mes pleurs. CLXXXI Seconde Aglaure, advienne que l'Envie Rouille ton cuoeur traistrement indiscret, D'avoyr osĂ© publier le secret, Qui bienheuroyt le bonheur de ma vie. Fiere Ă ton col Tisiphone se lie, Qui d'un remors, d'un soing et d'un regret, Et d'un fouet, d'un serpent, et d'un trait, Sans se lasser punisse ta folie. En ma faveur ce vers injurieux Suyve l'horreur du despit furieux, Dont Archiloc aiguiza son ĂÂŻambe Et mon courroux t'ourdisse le licol Du fil meurtrier, que le meschant Lycambe, Pour se saulver estraignit Ă son col. CLXXXII En nul endroyt, comme a chantĂ© Virgile, La foy n'est seure, et me l'a fait scavoyr Ton jeune cuoeur, mais vieil pour decevoyr, Rompant la sienne infamement fragile. Tu es vrayment et sotte, et mal habile, D'assubjettir les cuoeurs Ă ton pouvoyr, Jouet Ă vent, flot prompt Ă s'esmouvoyr, BeaultĂ© trop belle en ame trop mobile. Helas, Amour, si tu as quelque foys HaussĂ© ton vol soubz le vent de ma voix, Jamais mon cuoeur de son coeur ne racointes. Puisse le ciel sur sa langue envoyer Le plus aigu de sa fouldre Ă troys pointes Pour le payment de son juste loyer. CLXXXIII Son chef est d'or, son front est un tableau OĂÂč je voy peint le gaing de mon dommage, Belle est sa main, qui me fait devant l'age, Changer de teint, de cheveulx, et de peau. Belle est sa bouche, et son soleil jumeau, De neige et feu s'embellit son visage, Pour qui Juppin reprendroyt le plumage, Ore d'un Cygne, or le poyl d'un toreau. Doulx est son ris, qui la Meduse mesme Endurciroyt en quelque roche blesme, Vangeant d'un coup cent mille cruaultez. Mais tout ainsi que le Soleil efface Les moindres feux ainsi ma foy surpasse Le plus parfaict de toutes ses beaultez. CLXXXIV Tousjours l'erreur, qui seduit les Menades, Ne deçoyt pas leurs espritz estonnez, Tousjours au son des cornetz entonnez, Les mons Troyens ne foulent de gambades. Tousjours le Dieu des vineuses Thyades, N'affolle pas leurs cuoeurs epoinçonnez, Et quelque foys leurs cerveaux forcenez Cessent leur rage et ne sont plus malades. Le Corybente a quelquefoys repos, Et le Curete aux piedz armez dispos, Ne sent tousjours le Tan de sa deesse Mais la fureur de celle qui me joint, En patience une heure ne me laisse Et de ses yeulx tousjours le cuoeur me point. CLXXXV Bien que les champz, les fleuves et les lieux, Les montz, les boys, que j'ay laissez derriere, Me tiennent loing de ma doulce guerriere, Astre fatal d'oĂÂč s'ecoule mon mieux Quelque Demon par le congĂ© des cieulx, Qui presidoyent Ă mon ardeur premiere, Conduit tousjours d'une aisle coustumiere Sa belle image au sejour de mes yeulx. Toutes les nuictz, impatient de haste, Entre mes bras je rembrasse et retaste Son ondoyant en cent formes trompeur Mais quand il voyt que content je sommeille, Mocquant mes braz il s'enfuit, et m'esveille, Me laissant plein de vergogne et de peur. CLXXXVI Il faisoyt chault, et le somme coulant Se distilloyt dans mon ame songearde, Quand l'incertain d'une idole gaillarde, Fut doulcement mon dormir affolant. Panchant soubz moy son bel ivoyre blanc, Et mitirant sa langue fretillarde, Me baisotoyt d'une lĂ©vre mignarde, Bouche sur bouche et le flanc sus le flanc. Que de coral, que de liz, que de roses, Ce me sembloyt, Ă pleines mains descloses, Tastay-je lors entre deux manimentz? Mon dieu mon dieu, de quelle doulce aleine, De quelle odeur estoyt sa bouche pleine, De quelz rubiz, et de quelz diamantz! CLXXXVII Ces flotz jumeaulx de laict bien espoissi, Vont et revont par leur blanche valĂ©e, Comme Ă son bord la marine salĂ©e, Qui lente va, lente revient aussi. Une distance entre eulx se fait, ainsi Qu'entre deux montz une sente esgalĂ©e, En toutz endroitz de neige, devalĂ©e, Soubz un hyver doulcement adoulci. LĂ deux rubiz hault eslevez rougissent, Dont les rayons cest ivoyre finissent De toutes partz unyment arondis LĂ tout honneur, lĂ toute grace abonde Et la beaultĂ©, si quelqu'une est au monde, Vole au sejour de ce beau paradis. CLXXXVIII Quelle langueur ce beau front deshonore? Quel voile obscur embrunit ce flambeau? Quelle palleur despourpre ce sein beau, Qui per Ă per combat avec l'Aurore? Dieu medecin, si en toy vit encore L'antique feu du Thessale arbrisseau, Las, pren pitiĂ© de ce teint damoyseau, Et son lis palle en oeilletz recolore. Et toy Barbu, fidelle gardien Du temple assis au champ Rhagusien, Deflamme aussi le tison de ma vie S'il vit, je vy, s'il meurt je ne suis riens Car tant son ame Ă la mienne est unie, Que ses destins seront suyvis des miens. CLXXXIX D'un OcĂan qui nostre jour limite Jusques Ă l'autre, on ne voit point de fleur, Qui de beaultĂ©, de grace et de valeur, Puisse combatre au teint de Marguerite. Si riche gemme en Orient eslite Comme est son lustre affinĂ© de bon heur, N'emperla point de la Conche l'honneur OĂÂč s'apparut Venus encore petite. Le pourpre esclos du sang Adonien, Le triste ai ai du Telamonien, Ni des Indoys la gemmeuse largesse, Ny toutz les biens d'un rivage estranger, A leurs tresors ne sauroient eschanger Le moindre honneur de sa double richesse. CXC Au plus profond de ma poytrine morte, Sans me tuer une main je reçoy, Qui me pillant entraine avecque soy Mon cuoeur captif, que maistresse elle emporte. Coustume inique, et de mauvaise sorte, Malencontreuse et miserable loy, Tant Ă grand tort, tant tu es contre moy, Loy sans raison, miserablement forte. Fault il que veuf, seul entre mille ennuiz, Mon lict desert je couve tant de nuictz HĂ , que je porte et de haine, et d'envie A ce Vulcan ingrat, et sans pitiĂ©, Qui s'opposant aux raiz de ma moytiĂ©, Fait eclipser le Soleil de ma vie. CXCI Ren moy mon cuoeur, ren moy mon cuoeur, pillarde, Que tu retiens dans ton sein arrestĂ© Ren moy, ren moy ma doulce libertĂ© Qu'Ă tes beaulx yeux mal caut je mis en garde. Ren moy ma vie, ou bien la mort retarde, Qui me devance au cours de ta beaultĂ©, Par ne scay quelle honneste cruaultĂ©, Et de plus pres mes angoisses regarde. Si d'un trespas tu payes ma langueur, L'ĂÂąge Ă venir maugrayant ta rigueur, Dira sus toy De ceste fiere amie Puissent les oz reposer durement, Qui de ses yeulx occit meurtrierement Un qui l'avoyt plus chere que sa vie. CXCII Quand le grand oeil dans les Jumeaux arrive, Un jour plus doulx serĂ©ne l'Univers, D'espicz crestez ondoyent les champz verdz, Et de couleurs se peinture la rive. Mais quand sa fuite obliquement tardive, Par le sentier qui roulle de travers, Atteint l'Archer, un changement divers De jour, d'espicz, et de couleurs les prive. Ainsi quand l'oeil de ma deesse luit, Dedans mon cuoeur, dans mon cuoeur se produit Un beau printemps qui me donne asseurance Mais aussi tost que son rayon s'enfuit, De mon printempz il avorte le fruit, Et Ă myherbe il tond mon esperance. CXCIII Fauche, garçon, d'une main pilleresse, Le bel esmail de la verte saison, Puis Ă plein poing enjonche la maison Du beau tapis de leur meslange espaisse. Despen du croc ma lyre chanteresse Je veus charmer, si je puis la poison, Dont un bel oeil, sorcela ma raison Par la vertu d'une oeillade maistresse. Donne moy l'encre, et le papier aussi En cent papiers tesmoingz de mon souci, Je veux tracer la peine que j'endure En cent papiers plus durs que diamant, A celle fin que la race future Juge du mal que je soufre en aymant. CXCIV Les vers d'Homere entreleuz d'avanture, Soit par destin, par rencontre, ou par sort, En ma faveur chantent tous d'un accord La garison du tourment que j'endure. Ces vieux Barbuz, qui la chose future, Des traitz des mains, du visage, et du port, Vont predisant, annoncent reconfort Aux passions de ma peine si dure. Mesmes la nuict, le somme qui vous mĂ©t Doulce en mon lict, augure, me promet Que je verray voz fiertez adoucies Et que vous seule, oracle de l'amour, VĂ©rifirez dans mes braz quelque jour, L'arrest fatal de tant de propheties. CXCV Un sot Vulcan ma Cyprine faschoit, Mais elle apart qui son courroux ne cele L'un de ses yeulx arma d'une estincelle, De l'autre un lac sur sa face espanchoit. Tandis Amour qui petit se cachoit Folastrement dans le sein de la belle, En l'oeil humide alloit baignant son aisle, Puis en l'ardent ses plumes il sechoit. Ainsi voit on quelquefois en un temps, Rire et pleurer le soleil du printemps, Quand une nuĂ Ă demy le traverse. L'un dans les miens darda tant de liqueur, Et l'autre apres tant de flammes au cuoeur, Que pleurs et feux depuis l'heure je verse. CXCVI Mon dieu, quel dueil, et quelles larmes sainctes, Et quelz souspirs Madame alloit formant, Et quelz sanglotz, alors que le tourment D'un teint de mort ses graces avoit peintes. Croysant ses mains Ă l'estomac estraintes Fichoit au ciel son regard lentement, Et triste apart pleuroit si tristement, Que les rochers se brisoyent de ses plaintes. Les cieux fermez aux criz de sa douleur, Changeans de front, de grace et de couleur, Par sympathie en devindrent malades Tous renfrognez les astres secouoyent Leurs raiz du chef, telles pitiez nouoyent Dans le cristal de ses moytes oeillades. CXCVII Le feu jumeau de Madame brusloit Par le rayon de sa flamme divine, L'amas pleureux d'une obscure bruine Qui de leur jour la lumiĂšre celoit. Un bel argent chauldement s'escouloit Dessus sa joue, en la gorge ivoyrine, Au paradis de sa chaste poitrine, OĂÂč l'Archerot ses flesches esmouloit. De neige tiede estoit sa face pleine, D'or ses cheveux, ses deux sourciz d'ebĂ©ne, Ses yeulx m'estoyent un bel astre fatal Roses et liz, oĂÂč la douleur contrainte Formoit l'accent de sa juste complainte, Feu ses souspirs, ses larmes un crystal. CXCVIII Celuy qui fit le monde façonnĂ© Sur le compas de son parfait exemple, Le couronnant des voustes de son temple, M'a par destin ton esclave ordonnĂ©. Comme l'esprit, qui sainctement est nĂ© Pour voyr son dieu, quand sa face il contemple, De touts ses maulx un salaire plus ample Que de le voyr, ne luy est point donnĂ© Ainsi je pers ma peine coustumiere, Quand Ă longz traitz j'oeillade la lumiere De ton bel oeil, chefdoeuvre nompareil. Voyla pour quoy, quelque part qu'il sejourne, Tousjours vers luy maulgrĂ© moy je me tourne, Comme un Souci aux rayons du soleil. CXCIX Que Gastine ait tout le chef jaunissant De maint citron et mainte belle orenge, Que toute odeur de toute terre estrange, Aille par tout noz plaines remplissant. Le Loyr soit laict, son rempart verdissant En un tapis d'esmeraudes se change, Et le sablon, qui dans Braye se range, D'arenes d'or soit par tout blondissant. Pleuve le ciel des parfumz et des roses, Soyent des grands ventz les aleines encloses, La mer soit calme, et l'air plein de bon heur Voici le jour, que l'enfant de mon maistre, Naissant au monde, au monde a fait renaistre La foy premiere, et le premier honneur. CC Jeune Herculin, qui des le ventre sainct Fus destinĂ© pour le commun service, Et qui naissant rompis la teste au vice De ton beau nom dedans les astres peint Quand l'age d'homme aura ton cuoeur atteint, S'il reste encor quelque trac de malice, Le monde adonc ployĂ© soubz ta police Le pourra voyr totalement estaint. En ce pendant crois enfant, et prospere, Et sage apren les haultz faitz de ton pere, Et ses vertuz, et les honneurs des Roys. Puis aultre Hector tu courras Ă la guerre, Aultre Jason tu t'en iras conquerre, Non la toison, mais les champz Navarroys. CCI Comme on souloit si plus on ne me blasme D'estre tousjours lentement otieux, Je t'en ren grace, heureux trait de ces yeulx, Qui m'ont parfait l'imparfait de mon ame. Ore l'esclair de leur divine flamme, Dressant en l'air mon vol audacieux Pour voir le Tout, m'esleve jusqu'aux cieux, Dont ici bas la partie m'enflamme. Par le moins beau, qui mon penser aisla, Au sein du beau mon penser s'en vola, EpoinçonnĂ© d'une manie extreme LĂ , du vray beau j'adore le parfait, LĂ , d'otieux actif je me suis fait, LĂ je cogneu ma maistresse et moy-mesme. CCII Brave Aquilon, horreur de la Scythie, Le chassenue, et l'ebranlerocher, L'irritemer, et qui fais approcher Aux enfers l'une, aux cieux l'autre partie S'il te souvient de la belle Orithye, Toy de l'hiver le plus fidele archer, Fais Ă mon Loyr ses mines relascher, Tant que Madame Ă rive soit sortie. Ainsi ton front ne soit jamais moyteux; Et ton gosier horriblement venteux, Mugle tousjours dans les cavernes basses, Ainsi les braz des chesnes les plus vieux, Ainsi la terre, et la mer, et les cieux, Tremblent d'effroy quelque part oĂÂč tu passes. CCIII Soeur de Paris, la fille au roy d'Asie, A qui Phebus en doubte fit avoyr Peu cautement l'aiguillon du scavoyr, Dont sans proffit ton ame fut saisie, Tu variras vers moy de fantaisie, Puis qu'il te plaist bien que tard de vouloyr Changer ton Loyre au sejour de mon Loyr, Voyre y fonder ta demeure choysie. En ma faveur le ciel te guide ici, Pour te montrer de plus pres le souci Qui peint au vif de ses couleurs ma face. Vien Nymphe vien, les rochers et les boys Qui de pitiĂ© s'enflamment soubz ma voix, De leurs souspirs eschauferont ta glace. CCIV L'or crespelu, que d'autant plus j'honore, Que mes douleurs s'augmentent de son beau, Laschant un jour le noud de son bandeau, S'esparpilloyt sur le sein que j'adore Mon cuoeur, helas, qu'en vain je r'appelle ore, Vola dedans, ainsi qu'un jeune oyseau, Qui s'enfueillant dedans un arbrisseau, De branche en branche Ă son plaisir s'essore Lors que voyci dix beaux doigtz ivoyrins, Qui ramassantz ses blondz filetz orins Pris en leurs retz esclave le lierent. J'eusse criĂ©, mais la peur que j'avoys; Gela mes sens, mes poumons, et ma voix, Et ce pendant le cuoeur ils me pillerent. CCV L'homme est vraiment ou de plomb ou de bois S'il ne tressaut de creinte et de merveille Quand face Ă face il voit ma nompareille, Ou quand il oit les acors de sa vois. Ou quand, pensive, aus jours des plus beaus mois La voit Ă part comme un qui se conseille Tracer les prĂ©s, et d'une main vermeille Trier de ranc les fleurettes de chois Ou quand l'EstĂ©, lors que le chaut s'avale, Au soir, Ă l'huis, il la voit, qu'elle Ă©gale La soie Ă l'or d'un pouce ingenieus Puis de ses dois, qui les roses effacent, Toucher son luc, et d'un tour de ses yeus Piller les coeurs de mile hommes qui passent. CCVI Avec les fleurs et les boutons Ă©clos Le beau printans fait printaner ma peine, Dans chaque nerf, et dedans chaque veine Soufflant un feu qui m'ard jusques Ă l'os. Le marinier ne conte tant de flos, Quand plus BorĂ©e horrible son haleine, Ni de sablons l'Afrique n'est si pleine, Que de tourmens dans mon coeur sont enclos. J'ai tant de mal, qu'il me prendroit envie Cent fois le jour de me trancher la vie, Minant le fort oĂÂč loge ma langueur, Si ce n'estoit que je tremble de creinte Qu'apres la mort ne fust la plaĂÂŻe Ă©teinte Du coup mortel qui m'est si dous au coeur. CCVII Si blond, si beau, comme est une toyson Qui mon dueil tue, et mon plaisir renforce, Ne fut onq l'or, que les toreaux par force, Au champ de Mars donnerent Ă Jason. De ceulx, qui Tyr ont esleu pour maison, Si fine soye en leur main ne fut torse. Ny mousse encor ne revestit escorse, Si tendre qu'elle en la prime saison. Poyl folleton, oĂÂč nichent mes liesses, Puis que pour moy tes compagnons tu laisses Je sen ramper l'esperance en mon cuoeur Courage Amour, desja la ville est prise, Lors qu'en deux partz, mutine, se devise, Et qu'une part se vient rendre au vainqueur. CCVIII D'une vapeur enclose soubz la terre, Ne s'est pas fait cest esprit ventueux. Ny par les champs le Loyr impetueux De neige cheute Ă toute bride n'erre. Le prince Eole en ces moys ne deterre L'esclave orgueil des vents tumultueux, Ny l'Ocean des flotz tempestueux De sa grand clef les sources ne desserre. Seulz mes souspirs ont ce vent enfantĂ©, Et de mes pleurs le Loyr s'est augmentĂ©, Pour le depart d'une beaultĂ© si fiere Et m'esbays, de tant continuer Souspirs et pleurs, que je n'ay veu muer Mon cuoeur en vent, et mes yeulx en riviere. CCIX Je suis, je suis plus aise que les Dieus Quand maugrĂ© toi tu me baises, MaĂtresse De ton baiser la douceur larronnesse Tout Ă©perdu m'envole jusque aus cieus. Quant est de moi, j'estime beaucoup mieus Ton seul baiser, que si quelque DĂ©esse, En cent façons doucement tenteresse, M'acoloit nu d'un bras delicieus. Il est bien vrai, que tu as de coutume D'entremeller tes baisers d'amertume, Les donnant cours, mais quoy? je ne pourrois Vivre autrement, car mon ame, qui touche Tant de beautĂ©s, s'enfuiroit par ma bouche, Et de trop d'aise en ton sein je mourrois. CCX Telle qu'elle est, dedans ma souvenance Je la sen peinte, et sa bouche, et ses yeus, Son dous regard, son parler gratieus, Son dous meintien, sa douce contenance. Un seul Janet, honneur de nostre France, De ses craĂÂŻons ne la portrairoit mieus, Que d'un Archer le trait ingenieus M'a peint au coeur sa vive remembrance. Dans le coeur donque au fond d'un diamant J'ai son portrait, que je suis plus aimant Que mon coeur mesme. O sainte portraiture, De ce Janet l'artifice mourra FrapĂ© du tans, mais le tien demourra Pour estre vif apres ma sepulture. CCXI Amourette Petite Nymphe folastre, Nymphette que j'idolatre, Ma mignonne dont les yeulx Logent mon pis et mon mieux; Ma doucette, ma sucrĂ©e, Ma Grace, ma CytherĂ©e, Tu me doibs pour m'apaiser Mille fois le jour baiser. Avance mon cartier belle, Ma tourtre, ma colombelle, Avance moy le cartier De mon payment tout entier. Demeure, oĂÂč fuis tu Maistresse? Le desir qui trop me presse, Ne sçauroit arrester tant S'il n'a son payment contant. Revien revien mignonnette, Mon doulx miel, ma violete, Mon oeil, mon cuoeur, mes amours, Ma cruĂlle, qui tousjours Treuves quelque mignardise, Qui d'une doulce faintise Peu Ă peu mes forces fond, Comme on voyt dessus un mont S'escouler la neige blanche Ou comme la rose franche Pert le pourpre de son teint Du vent de la Bise atteint. OĂÂč fuis-tu mon ĂÂąmelete? Mon diamant, ma perlete? Las, revien, mon sucre doulx, Sur mon sein, sur mes genoux, Et de cent baisers apaise De mon cuoeur la chaulde braise. Donne m'en bec contre bec, Or un moyte, ores un sec, Ore un babillard, et ores Un qui soit plus long encores Que ceulx des pigeons mignards, Couple Ă couple fretillards, HĂ lĂ ! ma doulce guerriere, Tire un peu ta bouche arriere, Le dernier baiser donnĂ© A tellement estonnĂ© De mille doulceurs ma vie, Qu'il me l'a presque ravie, Et m'a fait veoir Ă demi Le Nautonnier ennemi Et les pleines oĂÂč Catulle, Et les rives oĂÂč Tibulle Paz Ă paz leur promenant', Vont encores maintenant De leurs bouchettes blesmies Rebaisotans leurs amies. CCXII Des Grecs marris l'industrieuse Helene, Et des TroĂÂŻens ouvrageoit les combas Dessus ta gaze en ce point tu t'ebas, Traçant le mal duquel ma vie est pleine. Mais tout ainsi, maitresse, que ta leine D'un filet noir figure mon trespas, Tout au rebours, pourquoi ne peins-tu, las! De quelque verd un espoir Ă ma peine? Las! je ne voi sur ta gaze rangĂ© Sinon du noir, sinon de l'orangĂ©, Tristes tĂ©moins de ma longue soufrance. O fier destin, son oeil ne me defait Tant seulement, mais tout ce qu'elle fait Ne me promet qu'une desesperance. CCXIII Mon Dieu, que j'aime Ă baiser les beaus yeus De ma maitresse, et Ă tordre en ma bouche De ses cheveus l'or fin qui s'Ă©carmouche Si gaĂÂŻement dessus deus petis cieus. C'est, Amour, c'est ce qui lui sied le mieus Que ce bel oeil, qui jusqu'au coeur me touche, Et ce beau poil, qui d'un Scythe farouche Prendroit le coeur en ses nous gracieus, Ce beau poil d'or, et ce beau chef encore De leurs beautĂ©s font vergoigner l'Aurore, Quand plus crineuse elle embellit le ciel. Et dans cet oeil je ne sai quoi demeure, Qui me peut faire Ă toute heure, Ă toute heure, Le sucre fiel, et riagas le miel. CCXIV L'arc contre qui des plus braves gendarmes Ne vaut l'armet, le plastron, ni l'escu, D'un si dous trait mon courage a veincu, Que sus le champ je lui rendi les armes. Comme apostat je n'ai point fait d'alarmes, Depuis que serf sous Amour j'ai vescu, Ni n'eusse peu, car, pris, je n'ai onq eu Pour tout secours, que l'aide de mes larmes. Il est bien vrai qu'il me fache beaucoup D'estre defait, mesme du premier coup, Sans resister plus long tans Ă la guerre Mais ma defaite est digne de grand pris, Puis que le Roi, ains le dieu, qui m'a pris, Combat le Ciel, les Enfers, et la terre. CCXV Cet oeil besson dont, goulu, je me pais, Qui fait rocher celui qui s'en aprouche, Ore d'un ris, or d'un regard farouche Nourrit mon coeur en querelle et en pais. Pour vous, bel oeil, en soufrant, je me tais, Mais aussi tĂÂŽt que la douleur me touche, Toi, belle sainte, et angelique bouche, De tes douceurs revivre tu me fais. Bouche, pourquoi me viens-tu secourir, Quand ce bel oeil me force de mourir? Pourquoi veus-tu que vif je redevienne? Las! bouche, las! je revis en langueur, Pour plus de soin, Ă fin que le soin vienne Plus longuement se paĂtre de mon coeur. CCXVI Depuis le jour que mal sain je soupire, L'an dedans soi s'est roĂÂŒĂ© par set fois. Sous astre tel je pris l'hain toutefois Plus qu'au premier ma fievre me martire Quand je soulois en ma jeunesse lire Du Florentin les lamentables vois, Comme incredule alors je ne pouvois, En le moquant, me contenir de rire. Je ne pensoi, tant novice j'Ă©toi, Qu'home eut senti ce que je ne sentoi, Et par mon fait les autres je jugeoie. Mais l'Archerot qui de moi se facha, Pour me punir, un tel soin me cacha Dedans le coeur, qu'onque puis je n'eus joĂÂŻe. CCXVII Mets en obli, Dieu des herbes puissant, Le mauvais tour que non loin d'Hellesponte Te fit m'amie, et vien d'une main pronte Garir son teint palement jaunissant. Tourne en santĂ© son beau cors perissant, Ce te sera, Phebus, une grand'honte, Sans ton secours, si la ledeur surmonte L'oeil qui te tint si long tans languissant. En ma faveur si tu as pitiĂ© d'elle, Je chanterai comme l'errante Dele S'enracina sous ta vois, et comment Python sentit ta premiere conqueste, Et comme Dafne aus tresses de ta teste Donna jadis le premier ornement. CCXVIII Bien que ton trait, Amour soit rigoureus, Et toi rempli de fraude, et de malice, AssĂ©s, Amour, en te faisant service, Plus qu'on ne croit, j'ai vescu bienheureus. Car cette-lĂ , qui me fait langoureus, Non, mais qui veut, qu'en vain je ne languisse, Hier au soir me dit, que je tondisse De son poil d'or un lien amoureus. J'eu tant d'honneur, que de son ciseau mesme Je le tranchai. VoiĂ©s l'amour extrĂÂȘme, VoiĂ©s, Amans, la grandeur de mon bien. Jamais ne soit qu'en mes vers je n'honore Ce dous ciseau, et ce beau poil encore, Qui mon coeur presse en un si beau lien. CCXIX Si hors du cep oĂÂč je suis arrestĂ©, Cep oĂÂč l'Amour de ses flesches m'encloue, J'eschape franc, et du ret qui m'ennoue Si quelquefoys je me voy desretĂ© Au coeur d'un prĂ© loing de gents escartĂ©, Que fourchument l'eau du Loyr entrenoue, De gazons verdz un temple je te vouĂ, Heureuse, saincte et alme LibertĂ© LĂ , j'appendray le soing, et les ennuiz, Les faulx plaisirs, les mensonges des nuictz, Le vain espoyr, les souspirs, et l'envie LĂ touts les ans je te pairay mes voeux, Et soubz tes pieds j'immoleray cent boeufz, Pour le bienfaict d'avoyr saulvĂ© ma vie. CCXX Veu la douleur qui doulcement me lime, Et qui me suit compaigne, paz Ă paz, Je congnoy bien qu'encor je ne suis pas, Pour trop aymer, Ă la fin de ma ryme. Dame, l'ardeur qui de chanter m'anime, Et qui me rend en ce labeur moins las, C'est que je voy qu'aggreable tu l'as, Et que je tien de tes pensers la cyme. Je suis vrayment heureux et plusque heureux, De vivre aymĂ© et de vivre amoureux De la beaultĂ© d'une Dame si belle Qui lit mes vers, qui en fait jugement, Et qui me donne Ă toute heure argument De souspirer heureusement pour elle. CCXXI J'alloy roullant ces larmes de mes yeulx, Or plein de doubte, ores plein d'esperance Lors que Henry loing des bornes de France, Vangeoyt l'honneur de ses premiers ayeulx, Lors qu'il trenchoyt d'un bras victorieux Au bord du Rhin l'Espaignolle vaillance, Ja se trassant de l'aigu de sa lance, Un beau sentier pour s'en aller aux cieulx. Vous saint troupeau, qui dessus Pinde errez, Et qui de grace ouvrez, et desserrez Voz doctes eaux Ă ceulx qui les vont boyre Si quelque foys vous m'avez abreuvĂ©, Soyt pour jamais ce souspir engravĂ©, Dans l'immortel du temple de Memoyre. Appendice, PiĂšces retranchĂ©es en 1553 PiĂšces retranchĂ©es en 1553 I D'un foyble vol, je volle apres l'espoyr, Qui mieux vollant volle oultre la carriere, Puis, quand il voyt que je volle derriere, De mon voller renforce le pouvoyr. Voyant le sien qui volle pour m'avoyr, Me revoltant je franchi la barriere, Et d'un bas vol je m'escarte en arriere, Pour ne le prendre, et pour pris ne me voyr. Je suis semblable au malade qui songe, Le quel en vain ses doigtz mocquez allonge, Pour tastonner l'idole qui n'est pas L'un fuit, l'un suit d'une vaine poursuite, Ainsi suyvant l'espoyr qui est en fuite, Et qui ne suit, je perdz en vain mes pas. II Moins que devant m'agitoit le vouloyr, Qui me piquoyt d'une ardeur fanatique, Quand pour garir ma verve poĂtique, Laissant Paris j'aborde sus le Loyr LĂ je vivoy pour plus ne me chaloyr Ny de la Muse, ou Romaine, ou Attique Alors qu'Amour de son trait fantastique Causa le mal qui tant me fait douloyr. Dedans des prez, et dans un boys champestre, Parmy les fleurs oĂÂč seur je pensoys estre Le doulx Tyran me martela de coupz Et me fit voyr, que jamais on n'estrange. Loing de son chef, quelque paĂÂŻs qu'on change L'arrest du ciel qui preside sur nous. Le Cinqieme des Odes 1553 I ElĂ©gie Ă M. A. De Muret Non Muret, non, ce n'est pas dujourdui Que l'Archerot, qui cause nĂÂŽtre ennui, Cause l'erreur qui retronpe les hommes Non Muret, non, les premiers nous ne sommes, A qui son arc, d'un petit trait veincueur, Si grande plaie a dardĂ© sous le coeur. Tous animaus, tous ceus-lĂ des canpagnes, Tous ceus des bois, et tous ceus des montagnes Sentent sa force, et son feu dousamer Sentent sous l'eau les monstres de la mer Et qu'est-il rien que ce garson ne brule? Ce porteciel, ce tugeant Hercule Le sentit bien, je di ce fort Thebain Qui le Sangler Ă©trangla de sa main Qui tua Nesse, et qui de sa massĂÂŒe Mors abatit les enfans de la nĂÂŒe, Qui de son arc toute Lerne Ă©tonna, Qui des enfers le chien enprisonna, Qui sur le bord de l'eau ThermodontĂ©e Prit le baudrier de la vierge dontĂ©e, Qui tua l'Ourque, et qui par plusieurs-fois Se remoqua des feintes d'Achelois, Qui fit mourir la pucelle de Phorce, Qui le Lion dĂ©machoira par force, Qui dans ses bras AnthĂ©e acravanta, Et qui deus mons pour ses merques planta. Bref ce Heros qui demonstra la terre, Ce coeur sans peur, ce foudre de la guerre, Sentit amour, et sa gelante ardeur Le matta plus que son Roi commandeur. Non par epris, comme on nous voit Ă©prendre Toi de ta Janne, ou moi de ma Cassandre, Mais de tel Tan amour l'aiguillonnoit, Que tout son coeur, sans raison, bouillonnoit Au soufre ardent, qui lui cuisoit les venes Du feu d'amour elles furent si plenes, Si plains ses ĂÂŽs, ses moeles et ses ners, Que dans Hercul, qui donta l'univers, Ne reste rien sinon une amour fole Que lui versoient les deus beaus yeux d'Iole. Toujours d'Iole il aimoit les beaus yeus, FĂ»t que le char qui donne jour aus cieus SortĂt de l'eau, ou fĂ»t que devalĂ©e TournĂÂąt sa roĂÂŒe en la pleine salĂ©e, De tous humains acoisant les travaus, Mais non d'Hercul les miserables maus. Tanseulement il n'avoit de sa dame Les yeux colĂ©s au plus profond de l'ame, Mais son parler, sa grace et sa douceur Toujours colĂ©s s'atachoient Ă son coeur. D'autre que d'elle en son coeur il ne pense, Toujours absente il la voit en presence. Et de fortune, Alcid, si tu la vois Dans ton gousier begue reste ta vois, GlacĂ© de peur voiant la face aimĂ©e Ore une fievre ardemment alumĂ©e Ronge ton ĂÂąme, et ores un glaçon Te fait tranbler d'amoureuse frisson. Bas Ă tes piĂ©s ta meurdriere massĂÂŒe GĂt sans honneur, et bas la peau velĂÂŒe, Qui sur ton dĂÂŽs roide se herissoit, Quand ta grand main les monstres punissoit. Plus ton sourci contre eus ne se renfrongne Comme il souloit. O honteuse vergongne, O deshonneur. Hercule estant dontĂ© AprĂ©s avoir le monde surmontĂ© Non d'EurysthĂ©e, ou de Junon cruĂlle, Mais de la main d'une simple pucelle. VoiĂ©s pour Dieu quelle force a l'Amour! Quand une fois elle a gaingnĂ© la tour De la raison, el' ne laisse partie Qui ne soit toute en fureur convertie. Ce n'est pas tout, seulement pour aimer. Il n'oublia la façon de s'armer, Ou d'anpougner sa masse hazardeuse, Ou d'achever quelque enprise douteuse Mais lent et vain, abatardant son coeur, Et son esprit qui l'avoit fait veincueur De tout le monde, o plus lache difame, Il s'abilla des habis d'une femme, Et d'un Heros devenu damoiseau Guidoit l'aiguille, ou tournoit le fuzeau Et vers le soir, comme une chambriere Rendoit sa tache Ă douce joliere, Qui le tenoit en ses laz plus serrĂ© Qu'un prisonnier dans un cep enferrĂ©. Vraiment Junon, tu es assĂ©s vengĂ©e De voir ainsi sa vie estre changĂ©e, De voir ainsi devenu filandier Ce grand Alcid de tant de rois meurdrier, Sans ajouter Ă ton ire indontĂ©e Les mandemens de son frere EurysthĂ©e. Que veus-tu plus? Iole le contraint D'estre une femme, il la doute, il la craint Il craint ses mains, plus qu'un valet esclave Ne craint les cous de quelques maistre brave Et ce pendant qu'il ne fait que penser A s'atifer, Ă s'oindre, Ă s'agencer, A dorloter sa barbe bien rougnĂ©e, A mignoter sa teste bien paignĂ©e; Impuniment les monstres ont loisir D'asujetir la terre Ă leur plaisir, Sans plus cuider qu'Hercule soit au monde Aussi n'est-il, car la poison profonde Qui dans son coeur s'aloit trop dĂ©rivant L'avoit tuĂ© dedans un cors vivant. Nous donq, Muret, Ă qui la mĂ©me rage Peu cautement afole le courage, S'il est possible Ă©viton le lien Que nous ordĂt l'anfant Cytherien Et rabaisson le vouloir qui domine, Desous le joug de la raison divine, Raison qui deĂ»t au vrai bien nous guider, Et de nos sens maistresse presider. Mais si l'amour las! las! trop miserable A desja fait nĂÂŽtre plaie incurable Tant que le mal peu sujĂ©t au conseil De la raison dedaigne l'apareil, Veincus par lui, faison place Ă l'envie, Et sus Alcid deguison nĂÂŽtre vie Encependant que les riddes ne font CrĂ©per encor le cham de nĂÂŽtre front Et que la neige avant l'age venĂÂŒe Ne fait encor nĂÂŽtre teste chenĂÂŒe, Qu'un jour ne coule entre nous pour neant Sans suivre amour, car il n'est mal seant Pour quelquefois au sinple populaire Des grans seigneurs imiter l'exemplaire. II Sonnet Ă Cassandre PrenĂ©s mon coeur, dame, prenĂ©s mon coeur, PrenĂ©s mon coeur, je vous l'offre, madame, Car il est vĂÂŽtre, et ne peut d'autre fame, Tant vĂÂŽtre il est, devenir serviteur. Donque si vĂÂŽtre, il meurt vĂÂŽtre en langueur, VĂÂŽtre Ă jamais, vĂÂŽtre en sera le blĂÂąme, Et si lĂ bas voirĂ©s punir vĂÂŽtre ĂÂąme, Pour ce malfait, d'une juste rigueur. Quand vous seriĂ©s quelque fille d'un Scythe, Encore l'amour qui les Tygres incite Vous forceroit de mon mal secourir Mais vous trop plus, qu'une Tygresse, fiere, De mon coeur vĂÂŽtre helas estes meurtriere, Et ne vivĂ©s que de le voir mourir. Le bocage de P. de Ronsard Vandomoys 1554 Amour, quiconque... Sonets I Amour, quiconque ait dit que le ciel fut ton pere, Et que Venus la douce en ses flancs te porta, Il mentit lachement une ourse en avorta S'une ourse d'un tel fils se veut dire la mere. Des chams Massyliens la plus cruelle fere Entre ses lionneaus sus un roc t'alaitta, Et, t'ouvrant ses tetins, par son lait te jetta Tout Ă l'entour du coeur sa rage la plus fiere. Rien ne te plaist, cruel, que sanglos et que pleurs, Que dechirer nos coeurs d'Ă©pineuses douleurs, Que tirer tout d'un coup mile mors de ta trousse. Un si mechant que toi du ciel n'est point venu. Si Venus t'eust conceu, tu eusses retenu Quelque peu de douceur d'une mere si douce. II BeautĂ© dont la douceur pourroit vaincre les Rois, Mon coeur que vous tenĂ©s dans vos yeus en servage, Helas, pour Dieu rendĂ©s le! ou me baillĂ©s en gage Le vĂÂŽtre, car sans coeur vivre je ne pourrois. Quand mort en vous servant, sans mon coeur je serois, Plus que vous ne pensĂ©s, ce vous seroit dommage De perdre un tel ami, Ă moi grand avantage, Grand honneur et plaisir quand pour vous je mourrois. Ainsi nous ne pouvons encourir de ma mort Vous, madame, qu'un blĂÂąme, et moi qu'un reconfort, Pourveu que mon trepas vous plaise en quelque chose Et veus que sur ma lame Amour aille ecrivant Celui qui gĂt ici sans coeur estoit vivant, Et trespassa sans coeur, et sans coeur il repose. III Amour, qui si long tans en peine m'as tenu, S'il te plaist d'amolir la fiertĂ© de la belle Qui se montre en ma plaie Ă grand tort si cruelle; Tant que par ton moyen mon travail soit connu, Sur un Terme dorĂ© je te peindrai tout nu, En l'air un piĂ© levĂ©, Ă chaque flanc une aelle, L'arc courbĂ© dans la main, le carquois sous l'esselle, Le cors gras et douillet, le poil crespe et menu. Tu sais, Amour, combien mon coeur soufre de peine Mais las! plus humble il est, plus d'audace elle est pleine Et mesprise tes dards, comme si tout son coeur Etoit environnĂ© de quelque roche dure Que d'un trait elle sente Ă tout le moins, Seigneur, Qu'un mortel ne doit point aus Dieus faire d'injure. IV Je puisse donc mourir si encores j'arreste Une heure en cette vile, oĂÂč par le vueil des Dieus Sur mon vint et un an le feu de deus beaus yeus Souvenir trop amer me fouldroia la teste. Le Grec qui a senti la meurdriere tempeste Des rochers CafarĂ©s, n'aborde plus tels lieus, Et s'il les voit de loin, ils lui sont odieus, Et pour les eviter tient sa navire preste. A Dieu donc, vile, Ă Dieu, puis qu'en toi je ne fais Que toujours ressemer le mal dont je me pais Et toujours refraichir mon ancienne plaie Je ne suis plus si sot de souhetter la mort, C'est trop soufert de peine; il est tans que j'essaie Apres mile perils, de rencontrer le port. V Ah, que malheureus est cestui lĂ qui s'empestre Dans les liens d'amour, sa peine est plus cruelle Que si tournoit lĂ bas la rou continuelle, Ou s'il bailloit son coeur aux aigles Ă repaistre. MaugrĂ© lui dans son ĂÂąme Ă toute heure il sent naĂtre Un joĂÂŻeus deplaisir qui douteus l'Ă©pointelle, Quoi l'Ă©pointelle! ainçois le genne et le martelle, Sa raison est veinquĂ et l'apetit est maistre. Il ressemble Ă l'oiseau, qui tant plus se remĂÂŒe Captif dans les gluaus, et tant plus se r'englĂÂŒe, Se debatant en vain d'echaper l'oiseleur Ainsi tant plus l'amant les rets d'amour secoĂÂŒe, Plus Ă l'entour du col son destin les renoĂÂŒe, Pour jamais n'Ă©chaper d'un si plaisant malheur. VI Bien que ton oeil me face une dure escarmouche, Moi restant le veincu, et lui toujours veinqueur, Bien que depuis set ans sa cruelle rigueur Me tienne prisonnier de ta beautĂ© farouche, Si est ce que jamais veu la foi qui me touche Je ne veus echaper de si douce langueur, Ne vivre sans avoir ton image en mon coeur, Tes mains dedans ma plaie, et ton nom en ma bouche. Si tu me veus tuer, tu'moi, je le veus bien, Ma mort te sera perte, Ă moi un tresgrand bien, Et l'oeuvre qu'Ă ton lĂÂŽs je veus mettre en lumiere Finera par ma mort, finissant mon emoi Ainsi, mort je serai libre de peine, et toi Cruelle, de ton nom tu seras la meurtriere. VII Que ne sui-je insensible? ou que n'est mon visage De rides labourĂ©? ou que pui-je espendre Sans trepasser le sang qui, chaut, subtil et tendre, Bouillonnant dans mon coeur me trouble le courage? Ou bien, en mon erreur que ne sui-je plus sage? Ou, pourquoi la raison qui me devroit reprendre Ne commande Ă ma chair, sans paresseuse atendre Qu'un tel commandement me soit enjoint par l'age? Mais que pourroi-je faire, et puis que ma maistresse, Mes sens, mes ans, amour et ma raison traitresse Ont jurĂ© contre moi, las! quand mon chef seroit De vieillesse aussi blanc que la vieille CumĂ©e, Si est ce qu'en mon coeur le tans n'efaceroit La douleur qui jamais ne sera consumĂ©e. VIII MorfĂ©e, s'il te plaist de me representer Cette nuit ma Cassandre aussi belle et gentille Que je la vi le soir quand sa vive scintile Par ne sçai quel regard vint mes yeus enchanter Et s'il te plaist encor tant soit peu d'alenter Miserable souhet! de sa feinte inutile Le feu qu'amour me vient de son aile sutile Tout alentour du coeur, sans repos, eventer Sur le haut de mon lit en voeu je t'apendrai, Devot, un saint tableau, sur lequel je peindrai L'heur que j'aurai reçeu de ta forme douteuse, Et comme Jupiter Ă Troye fut deceu Du Somme et de Junon, apres avoir receu De la simple Venus la ceinture amoureuse. IX Ecumiere Venus, roine en Cypre puissante, Mere des dous amours, Ă qui toujours se joint Le plaisir, et le jeu, qui tout animal point A toujours reparer sa race perissante, Sans toi, Nimfe aime-ris, la vie est languissante, Sans toi rien n'est de beau, de vaillant ni de coint, Sans toi la voluptĂ© joĂÂŻeuse ne vient point, Et des Graces sans toi la grace est desplaisante. Ores qu'en ce printans on ne sçauroit rien voir, Qui fichĂ© dans le coeur ne sente ton pouvoir, Sans plus une pucelle en sera elle exente? Si tu ne veus du tout la traiter de rigueur Au moins que sa froideur en ce mois d'Avril sente Quelque peu du brasier qui m'enflame le coeur. X Cache pour cette nuit ta corne, bonne Lune, Ainsi Endemion soit toujours ton ami Et sans se reveiller en ton sein endormi Ainsi nul Enchanteur, jamais ne t'importune. Le jour m'est odieus, la nuit m'est oportune, Je crains de jour l'aguet d'un voisin ennemi, De nuit plus courageus je traverse parmi Le camp des espions, defendu de la brune. Tu sçais, Lune, que peut l'amoureuse poison, Le Dieu Pan, pour le pris d'une blanche toison Peut bien flĂ©chir ton coeur, et vous Astres insignes FavorisĂ©s au feu qui me tient alumĂ© Car, s'il vous en souvient, la pluspart de vous, Signes, Ne se voit luire au ciel que pour avoir aimĂ©. XI Le Jeu, la Grace, et les freres jumeaus Suivent madame, et quelque part qu'elle erre, Dessous ses piĂ©s fait emailler la terre, Et des Hyvers fait des printans nouveaus. En sa faveur jargonnent les oiseaus, Ses vens Eole en sa caverne enserre, Le dous Zephire un dous souspir desserre, Et tous muets s'acoisent les ruceaus. Les Elemans se remirent en elle, Nature rit de voir chose si belle Mais las! je crains que quelcun de ses Dieus Ne passionne apres son beau visage, Et qu'en pillant le tresor de nĂÂŽtre age, Ne la ravisse, et ne l'emporte aux cieus. XII Cesse tes pleurs, mon livre, il n'est pas ordonnĂ© Du destin; que moi vif tu reçoives ta gloire Avant que passĂ© j'aye outre la rive noire, L'honneur que l'on te doit ne te sera donnĂ©. Apres mile ans je voi que quelcun Ă©tonnĂ© En mes vers de bien loin viendra de mon Loir boire, Et voiant mon paĂÂŻs Ă peine voudra croire Que d'un si petit champ tel poĂte soit nĂ©. Pren, mon livre, pren coeur, la vertu precieuse "De l'homme quand il vit est toujours odieuse Mais apres qu'il est mort chacun le pense un Dieu. La rancueur nuit toujours Ă ceus qui sont en vie, Sur les vertus d'un mort elle n'a plus de lieu, Et la postĂ©ritĂ© rend l'honneur sans envie. XIII Elegie Ă Cassandre Mon oeil, mon coeur, ma Cassandre, ma vie, HĂ©! qu'Ă bon droit tu dois porter d'envie A ce grand Roi, qui ne veut plus soufrir Qu'Ă mes chansons ton nom se vienne ofrir. C'est lui qui veut qu'en trompette j'Ă©change Mon Luc, afin d'entonner sa louange, Non de lui seul, mais de tous ses aĂÂŻeus Qui sont issus de la race des Dieus. Je le ferai puis qu'il me le commande, Car d'un tel Roi la puissance est si grande, Que tant s'en faut qu'on la puisse eviter, Qu'un camp armĂ© n'y pourroit resister. Mais que me sert d'avoir tant leu Catulle Ovide, et Galle, et Properse et Tibulle, Avoir tant veu Petrarche et tant notĂ©, Si par un Roi le pouvoir m'est ostĂ© De les ensuivre, et si faut que ma lyre PendĂÂŒe au croc ne m'ose plus rien dire. Donques en vain je me paissois d'espoir De faire un jour Ă la Thuscane voir Que nĂÂŽtre France, autant qu'elle, est heureuse A souspirer une pleinte amoureuse Et pour montrer qu'on la peut surpasser, J'avois desja commancĂ© de trasser Mainte Elegie Ă la façon antique, Mainte belle Ode, et mainte Bucolique. Car, Ă vrai dire, encore mon esprit N'est satisfait de ceus qui ont ecrit En notre langue, et leur amour merite Ou du tout rien, ou faveur bien petite. Non que je soi vanteur si glorieus D'oser passer les vers laborieus De tant d'amans qui se pleignent en France Mais pour le moins j'avois bien esperance Que si mes vers ne marchoient les premiers Qu'ils ne seroient sans honneur les derniers. Car Eraton, qui les amours decoeuvre, D'assĂ©s bon oeil m'atiroit Ă son oeuvre. L'un trop enflĂ© les chante grossement, L'un enervĂ© les traine bassement, L'un nous despaint une amie paillarde, L'un plus aus vers qu'aus sentences regarde Et ne peut onc, tant se sceut desguiser, Aprendre l'art de bien Petrarquiser. Que pleures tu, Cassandre, ma douce ĂÂąme? Encor Amour ne veut couper la trame, Qu'en ta faveur je pandis au mestier, Sans achever l'ouvrage tout entier. Mon Roi n'a pas d'une Tygre sauvage SucĂ© le lait, et son jeune courage, Ou je me trompe, a senti quelques fois Le trait d'Amour qui surmonte les Rois. S'il l'a senti, ma coulpe est effacĂ©e, Et sa grandeur ne sera courroucĂ©e Qu'Ă mon retour des horribles combas Hors de son croc mon Luc j'aveigne Ă bas, Le pincetant, et qu'en lieu des alarmes Je chante Amour, tes beautĂ©s, et mes larmes, "Car l'arc tendu trop violentement, Ou s'alentit, ou se romp vistement. Ainsi Achille apres avoir par terre Tant fait mourir de soudars en la guerre Son Luc dorĂ© prenoit entre ses mains Teintes encor de meurdres inhumains, Et vis Ă vis du fils de Menetie Chantoit l'amour de Briseis s'amie, Puis tout soudain les armes reprenoit, Et plus vaillant au combat retournoit. Ainsi, apres que l'aĂÂŻeul de mon maistre Hors de combas retirera sa dextre, Se desarmant dedans sa tante Ă part, De sur le Luc Ă l'heure ton Ronsard Te chantera, car il ne se peut faire Qu'autre beautĂ© lui puisse jamais plaire, Ou soit qu'il vive, ou soit qu'outre le port, Leger fardeau. Charon le passe mort. Les meslanges de P. de Ronsard 1555 Du jour que... I Ode Ă Cassandre Du jour que je fus amoureus, Nul past tant soit-il savoureus Ne vin tant soit-il delectable Au coeur ne m'est point agreable, Car depuis l'heure je ne sceu Rien boire ou manger qui m'ait pleu Une tristesse en l'ĂÂąme close Me nourist, et non autre chose. Tous les plesirs que j'estimois Alors que libre je n'aimois, Maintenant je les desestime, Plus ne m'est plaisante l'escrime, La paume, la chasse et le bal, Mais come un sauvage animal Je me pers dans un bois sauvage, Loing de gens, pour celer ma rage. L'amour fut bien forte poison Qui m'ensorcela ma raison Et qui me deroba l'audace Que je portoi dessus la face, Me faisant aller pas Ă pas, Triste et pensif, le front Ă bas, En home qui craint, et qui n'ose Se fier plus en nule chose. Le mal que l'on faint d'Ixion N'aproche de ma passion. Et mieus j'aymeroi de Tantale Endurer la peine infernale Un an, qu'estre un jour amoureus, Pour languir autant malheureus, Que j'ay fait, depuis que Cassandre Tient mon coeur, et ne le veut rendre. II Elegie Ă Jan Brinon Aus faits d'amour Diotime certaine, Dit Ă bon droit qu'Amour est capitaine De noz Daimons, et qu'il a le pouvoir De les contraindre, ou de les emouvoir, Come celui qui Couronnal preside A leurs cantons, et par bandes les guide Et que lui seul peut l'homme acouardi En un moment rendre caut et hardi, Quand il luy plaist l'echaufer de sa flame, Et d'un beau soing lui Ă©poinçonner l'ame. Auparavant que je fusse amoureus, J'estoi, Brinon, et honteus et poureus Si j'entendoi quelque chose en la rue Grouler de nuit, j'avoi l'ame Ă©perdue, De ça de lĂ tout le cors me trembloit, Au tour du coeur une peur s'assembloit Gelant mes os, et mes saillantes venes En lieu de sang de froideur estoient plenes, Et d'une horreur tous mes cheveus dressĂ©s Sous le chapeau se tenoient herissĂ©s. Si j'avisois une torche flambante, En m'encapant j'avoi l'ĂÂąme tremblante, Ou m'en fuioi de peur qu'on ne me vist Ou que rougir de honte on ne me fist. Mais par sur tout je perdoi le courage Quand je passoi de nuit, par un bocage Ou prĂ©s d'un antre, et me sembloit avis Que par derriere un esprit m'avoit pris. Ores sans peur j'eleve au ciel la teste, Je ne crain plus ni gresle ni tempeste, Ni les voleurs par lesquels sont pillĂ©s Les vestemens des amans depouillĂ©s. Ni les Daimons des antres soliteres, Ni les espris des ombreus cemeteres, Car le Daimon qui leur peut commander Me tient escorte, et me fait hazarder De mettre Ă fin tout ce que je propose, Ou si je crain, je ne crain autre chose Que le babil, l'envie et le courrous D'une voisine, ou d'un mari jalous, Ou qu'un plus riche en ma place ne vienne, Et que ma dame entre ses bras le tienne Toute une nuit, et que sot ce pendant A l'huis fermĂ© je ne bĂ©e, attendant Que l'on m'appelle, ou qu'une chambriere Vienne Ă©conduire humblement ma priere Par une excuse, et me laissant davant La porte close, Ă la pluye et au vent, Triste et pensif je ne me couche Ă terre, Tremblant de froid au bruit de ma guiterre. Donque, Brinon, si tu te plais d'avoir L'estomac plein de force et de pouvoir, Sois amoureux, et tu auras l'audace Plus forte au coeur, que si une cuirasse Vestoit ton corps, ou si un camp armĂ©. Pour ton secours t'enserroit enfermĂ©. III Elegie Ă Janet peintre du Roi Pein moi, Janet, pein moi je te supplie Dans ce tableau les beautĂ©s de m'amie De la façon que je te les dirai. Comme importun je ne te supplirai D'un art menteur quelque faveur lui faire, Il sufist bien si tu la sçais portraire Ainsi qu'elle est, sans vouloir deguiser Son naturel pour la favoriser, Car la faveur n'est bonne que pour celles Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles. Fai luy premier les cheveus ondelĂ©s, NouĂ©s, retors, recrepĂ©s, annelĂ©s. Qui de couleur le cedre representent, Ou les demesle, et que libres ils sentent Dans le tableau, si par art tu le peus, La mesme odeur de ses propres cheveus. D'un crespe noir sa teste soit voilĂ©e, Puis d'une toile en cent plis canelĂ©e, Telle qu'on dit que Cleopatre avoit Quand par la mer Anthoine elle suivoit, Et qu'elle assise au plus haut de sa poupe. Au bruit du Cistre encourageoit sa troupe. Fai lui le front en bosse revoutĂ©, Sur lequel soient d'un et d'autre costĂ©, Peins gravement sur trois sieges d'ivoire, La majestĂ©, la vergongne, et la gloire. Que son beau front ne soit entrefendu, De nul sillon en profond estendu, Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine Quand tant soit peu le vent ne la mutine, Et que gisante en son lit elle dort Calmant ses flots sillĂ©s d'un somme mort. Tout au meillieu par la greve descende Un beau rubi, de qui l'esclat s'epande Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit Briller les rais de la lune qui lui Dessus la nege au fond d'un val coulĂ©e, De trace d'home encore non foulĂ©e. Apres fai lui son beau sourci voutis D'ebene noir, et que son pli tortis Semble un croissant qui montre par la nue Au premier mois sa vouture cornue Ou si jamais tu as veu l'arc d'Amour, Pren le portrait dessus le demi tour De sa courbure Ă demi cercle close, Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose Mais las! mon Dieu, mon Dieu je ne sai pas Par quel moĂÂŻen, ni comment, tu peindras Voire eusse tu l'artifice d'Apelle De ses beaus yeux la grace naturelle, Qui font vergongne aus estoilles des cieus Que l'un soit dous, l'autre soit furieus, Que l'un de Mars, l'autre de Venus tienne, Que du benin tout esperance vienne, Et du cruel vienne tout desespoir Ou que l'un soit pitoiable Ă le voir, Come celuy d'Ariadne delessĂ©e Aus bors de Die, alors que l'incensĂ©e, Voyant la mer, de pleurs se consommoit, Et son ThesĂ©e en vain elle nommoit. L'autre soit gay, come il est bien croiable Que l'eut jadis Penelope louable Quand elle vit son mari retournĂ©, Aiant vint ans loing d'elle sejournĂ©. Apres fai lui sa rondelette oreille, Petite, unie, entre blanche et vermeille, Qui sous le voile aparoisse Ă l'egal Que fait un lis enclos dans un cristal, Ou tout ainsi qu'aparoist une rose Tout fraichement dedans un verre enclose. Mais pour neant tu aurois fait si beau Tout l'ornement de ton riche tableau, Si tu n'avois de la lineature De son beau nez bien portrait la peinture Pein le moi donc gresle, long aquilin, Poly, traitis, oĂÂč l'envieus malin, Quand il voudroit, n'i sçauroit que reprendre, Tant proprement tu le feras descendre Parmi la face, ainsi comme descend Dans une pleine un petit mont qui pend. Apres au vif pein moi sa belle joĂÂŒe Du mesme taint d'une rose qui noĂÂŒe De sur du laict, ou du taint blanchissant Du lis qui baise un oeillet rougissant. Dans le meillieu portrais une fossette, Fossette, non, mais d'Amour la cachette, D'oĂÂč ce garson de sa petite main Lache cent traitz, et jamais un en vain Que par les yeux droit au coeur il ne touche. Helas, Janet, pour bien peindre sa bouche A peine Homere en ses vers te diroit Quel vermeillon egualer la pouroit, Car pour la peindre ainsi qu'elle merite, Peindre il faudroit celle d'une Charite. Pein la moy donc qu'elle semble parler, Ores sourire, ores embasmer l'air De ne sçay quelle ambrosienne haleine. Mais par sur tout fai qu'elle semble pleine De la douceur de persuasion. Tout Ă l'entour atache un milion De ris, d'atrais, de jeux, de courtoisies, Et que deux rangs de perlettes choisies D'un ordre egal en la place des dens Bien poliment soient arengĂ©s dedans. Pein tout autour une levre bessonne, Qui d'elle mesme, en s'elevant, semonne D'estre baisĂ©e, aiant le taint pareil Ou de la rose, ou du coural vermeil, Elle flambante au printems sur l'espine, Luy rougissant au fond de la marine. Pein son menton au meillieu fosselu Et que le bout en rondeur pommelu Soit tout ainsi que l'on voit aparoistre Le bout d'un coin qui ja commence Ă croistre. Plus blanc que laict caillĂ© de sur le jonc Pein lui le col, mais pein-le un petit long, En forme d'Istme, et sa gorge douillette Comme le col soit un petit longuette. Apres fai lui par un juste compas, Et de Junon les coudes et les bras, Et les beaux dois de Minerve, et encore La main pareille Ă celle de l'Aurore. Je ne sçay plus, mon Janet, oĂÂč j'en suis, Je suis confus, et muet je ne puis, Comme j'ay fait, te declarer le reste De ses beautĂ©s, qui ne m'est manifeste Las! car jamais tant de faveur je n'u Que d'avoir veu ses beaus tetins Ă nu Mais si l'on peut juger par conjecture, PersuadĂ© de raisons, je m'asseure Que la beautĂ© qui ne s'aparoist doit Du tout respondre Ă celle que l'on voit. Donque pein la, et qu'elle me soit faite Parfaitte autant comme l'autre est parfaitte. Ainsi qu'en bosse eleve moi son sein, Net, blanc, poly, large; profond et plein. Dedans lequel mile rameuses venes. De rouge sans tresaillent toutes plenes. Puis quant au vif tu auras decouvers Desous la peau les muscles et les ners, Enfle au dessus deux pommes nouvelettes Comme l'on voit deux pommes verdelettes D'un orenger, qui encores du tout Ne font qu'Ă l'heure Ă se rougir au bout. Tout au plus haut des Ă©paules marbrines, Pein le sejour des Charites divines Et que l'Amour sans cesse voletant Toujours les couve, et les aille Ă©ventant, Pensant voler avec le Jeu son frere De branche en branche es vergers de Cythere. Un peu plus bas, en miroir arondi, Tout poupellĂ©, gracelet, rebondi, Come celui de Venus, pein son ventre Pein son nombril ainsi qu'un petit centre, Le fond duquel paroisse plus vermeil Qu'un bel oeilet entr'ouvert au soleil. Qu'atens tu plus? Portrai moi l'autre chose Qui est si belle, et que dire je n'ose, Et dont l'espoir impatient me point Mais je te pry ne me l'ombrage point, Si ce n'estoit d'un voile fait de soie, Clair et subtil, affin qu'on l'entrevoie, Ses cuisses soient come faites au tour En grelissant, rondes tout Ă l'entour, Ainsi qu'un terme arondi d'artifice Qui soutient ferme un royal edifice. Come deus monts enleve ses genous, Douillets, charnus, ronds, delicas, et mous, Dessous lesquels fay lui la greve plene, Telle que l'ont les vierges de Lacene, Alant lutter au rivage connu Du fleuve Eurote, ayans le cors tout nu, Ou bien chassans Ă meutes decouplĂ©es Quelque grand cerf es forets AmiclĂ©es. Puis pour la fin portrai lui de Thetis Les piĂ©s estrois, et les tallons petis. Ha, que fais-tu? tu gaste ton ouvrage, Tu faus, Janet, Ă peindre son visage, Le paignant mal tu pers de ton renom Vien, sui mes pas au logis de Brinon, LĂ tu verras, dans un coin de sa salle Une peinture aus dĂ©esses egale, Qu'il fist tracer par la main des amours Pour sa Sidere, afin que tous les jours En la voiant eust souvenance d'elle Je veus du tout que m'amie soit telle Ne lui pein donc, Janet, ne pis ne mieux, Le front, le nez, la bouche, ni les yeux. Ha, je la voy! elle est presque portraite, Encor un trait, encor un, elle est faite, Leve tes mains, ha mon Dieu je la voy! Bien peu s'en faut qu'elle ne parle Ă moy. IV Ode Ă sa maĂtresse Quand au temple nous serons AgenouillĂ©s, nous ferons Les devots selon la guise De ceus qui pour loĂÂŒer Dieu, Humbles se courbent au lieu Le plus secret de l'Ă©glise. Mais quand au lit nous serons EntrelassĂ©s, nous ferons Les lascifs, selon les guises Des amans, qui librement Pratiquent folatrement Dans les dras cent mignardises. Pourquoi donque, quand je veus Ou mordre tes beaus cheveus, Ou baiser ta bouche aimĂ©e, Ou tatonner ton beau sein, Contrefais-tu la nonnain Dedans un cloistre enfermĂ©e? Pour qui gardes-tu tes yeus, Et ton sein delicieus, Ta joue et ta bouche belle? En veus-tu baiser Pluton LĂ -bas, apres que Caron T'aura mise en sa nacelle? Apres ton dernier trespas, Gresle, tu n'auras lĂ bas Qu'une bouchette blesmie Et quand mort je te verrois Aus ombres je n'avourois Que jadis tu fus m'amie. Ton test n'aura plus de peau, Et ton visage si beau N'aura venes ny arteres, Tu n'auras plus que les dens, Telles qu'on les voit dedans Les testes des cimeteres. Donque, tandis que tu vis, Change, maistresse, d'avis, Et ne m'espargne ta bouche Incontinent tu mourras, Lors tu te repentiras De m'avoir estĂ© farouche. Ah je meurs, ah baise moi, Ah maistresse aproche toi, Tu fuis comme fan qui tremble, Au moins soufre que ma main S'esbate un peu dans ton sein Ou plus bas si bon te semble. V Sonnet Celui qui boit, comme a chantĂ© Nicandre, De l'Aconite, il a l'esprit troublĂ©, Tout ce qu'il voit lui semble estre doublĂ©, Et sur ses yeux la nuit se vient espandre. Celui qui boit de l'amour de Cassandre, Qui par ses yeux au coeur est ecoulĂ©, Il perd raison, il devient afolĂ©, Cent fois le jour la Parque le vient prendre. Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin Ou l'or fondu peuvent bien mettre fin Au mal cruel que l'Aconite donne La mort sans plus a pouvoir de garir Le coeur de ceux que Cassandre empoisonne, Mais bien heureux qui peut ainsi mourir. VI Sonnet J'ai pour maistresse une etrange Gorgonne, Qui va passant les anges en beautĂ©, C'est un vray Mars en dure cruautĂ©, En chastetĂ© la fille de Latonne. Quand je la voy, mile fois je m'estonne La larme Ă l'oeil, ou que ma fermetĂ©. Ne la flechit, ou que sa duretĂ© Ne me conduit d'oĂÂč plus on ne retourne. De la nature un coeur je n'ay receu, Ainçois plus tost pour se nourir en feu En lieu de luy j'ay une Salamandre, Car si j'avoi de chair un coeur humain, Long tems y a qu'il fust reduit en cendre, Veu le brasier dont toujours il ard plain. VII Sonnet Que tu es, Ciceron, un affettĂ© menteur, Qui dis, qu'il n'y a mal sinon que l'infamie Si tu portois celui que me cause m'amie, Pour le moins tu dirois que c'est quelque malheur. Je sen journelement un aigle sus mon coeur, J'entens un soing grifu, qui come une Furie Me ronge impatient, puis tu veus que je die, AbusĂ© de tes mots, que mal n'est pas douleur. Vous en disputerĂ©s, ainsi que bon vous semble, Vous philosophes GrĂ©s, et vous Romains ensemble, Mais je croy pour le seur qu'un travail langoureux Est douleur, quand Amour l'encharne dedans l'ame, Et que le deshonneur, la honte et le diffame N'est point de mal, au pris du tourment amoureux. VIII Sonnet Foudroye moy de grace ainsi que CapanĂ©e, O pere Jupiter, et de ton feu cruel Esteins moy l'autre feu qu'Amour continuel Toujours m'alume au coeur d'une flame obstinĂ©e. E ne vaut-il pas mieus qu'une seul journĂ©e Me despouille soudain de mon fardeau mortel, Que de soufrir toujours en l'ame un tourment tel Que n'en soufre aus enfers l'ame la plus damnĂ©e? Ou bien si tu ne veus, pere, me foudroyer Donne le desespoir qui me meine noyer, M'elançant du sommet d'un rocher solitaire, Puis qu'autrement par soing, par peine et par labeur, Par ennuy, par travail, je ne me puis defaire D'amour, qui maugrĂ© moi tient fort dedans mon coeur. IX Sonnet Amour, tu semble au phalange qui point, Lui de sa queĂÂŒe, et toi de ta quadrelle De tous deux est la pointure mortelle, Qui rempe au coeur, et si n'aparoist point. Sans soufrir mal tu me conduis au point De la mort dure, et si ne voy par quelle Playe je meurs, ny par quelle moĂÂŒelle Ton venin s'est autour de mon coeur joint. Ceus qui se font saigner le piĂ© dans l'eau, Meurent sans mal, pour un crime nouveau Fait Ă leur roy, par traitreuse cautelle Je meurs comme eus, voire et si je n'ay fait Encontre Amour ni traison, ni forfait, Si trop aymer un crime ne s'appelle. X Chanson Il me semble que la journĂ©e Coule plus longue qu'une annĂ©e, Quand par malheur je n'ay ce bien De voir la grand beautĂ© de celle Qui tient mon coeur, et sans laquelle VeissĂ©-je tout je ne voy rien. Quiconque fut jadis le sage Qui dit que l'amoureux courage Vit de ce qu'il ayme, il dit vrai Ailleurs vivant il ne peut estre, Ni d'autre viande se paistre, J'en suis seur, j'en ai fait l'essay. Toujours l'amant vit en l'aimĂ©e; Pour cela mon ame afamĂ©e Ne se veut souler que d'amour, De l'amour elle est si friande, Que sans plus de telle viande Se veut repaistre nuit et jour. Si quelcun dit que je m'abuse, Voye luimesme la Meduse Qui d'un rocher m'a fait le coeur, Et l'ayant veĂÂŒe, je m'asseure Qu'il sera fait sus la mesme heure Le compagnon de mon malheur. Car est-il home que n'enchante La voix d'une dame savante, Et fust-il Scythe en cruautĂ© Il n'est point de plus grand magie Que la docte voix d'une amie, Quand elle est jointe Ă la beautĂ©. Or j'aime bien, je le confesse Et plus j'iray vers la vieillesse Et plus constant j'aimeray mieux Je n'obliray, fussai-je en cendre, La douce amour de ma Cassandre, Qui loge mon coeur dans ses yeux. Adieu libertĂ© ancienne, Comme chose qui n'est plus mienne, Adieu ma chere vie, adieu, Ta fuite ne me peut dĂ©plaire, Puis que ma perte voluntaire Se retreuve en un si beau lieu. Chanson, vaten oĂÂč je t'adresse, Dans la chambre de ma maistresse Di lui, baisant sa blanche main, Que pour en santĂ© me remettre, Il ne lui faut sinon permettre Que tu te caches dans son sein. Continuation des amours de P. de Ronsard Vandomois 1555 Sonnets en vers hĂ©roĂÂŻques I Thiard, chacun disoit Ă mon commencement Que j'estoi trop obscur au simple populaire Aujourd'hui, chacun dit que je suis au contraire, Et que je me dements parlant trop bassement. Toi, qui as endurĂ© presqu'un pareil torment, Di moi, je te suppli, di moi que doi-je faire? Di moi, si tu le sçais, comme doi-je complaire A ce monstre testu, divers en jugement? Quand j'escri haultement, il ne veult pas me lire, Quand j'escri bassement, il ne fait qu'en mĂ©dire De quel estroit lien tiendrai-je, ou de quels clous, Ce monstrueux ProthĂ©, qui se change Ă tous cous? Paix, paix, je t'enten bien il le faut laisser dire, Et nous rire de lui, comme il se rit de nous. II Jodelle, l'autre jour, l'enfant de CytherĂ©e Au combat m'apela, courbant son arc Turquois, Et lors comme hardi, je vesti le harnois, Pour avoir contre luy ma peau mieus asseurĂ©e. Il me tira premier une fleche acerĂ©e Droict au coeur, puis une autre, et puis tout Ă la fois Il decocha sur moi les traicts de son carquois, Sans qu'il eust d'un seul coup ma poictrine enferrĂ©e. Mais quand il vit son arc de fleches desarmĂ©, Tout dĂ©pit s'est lui-mesme en fleche transformĂ©, Puis se rua dans moi d'une puissance extreme Quand je me vi vaincu, je me dĂ©sarmĂ© lors Car, las! que m'eust servi de m'armer par dehors, Ayant mon ennemi cachĂ© dedans moimesme. III Ce pendant que tu vois le superbe rivage De la riviere Tusque, et le mont Palatin, Et que l'air des Latins te fait parler latin, Changeant Ă l'Ă©tranger ton naturel langage, Une fille d'Anjou me detient en servage, A laquelle baisant maintenant le tetin, Et maintenant les yeux endormis au matin, Je vy comme lon dit trop plus heureus que sage. Tu diras Ă Maigni, lisant ces vers ici, Et, quoi! Ronsard est donq encores amoureus? Mon Bellay, je le suis, et le veus estre aussi, Et ne veus confesser qu'Amour soit malheureux, Ou si c'est un malheur, baste, je delibere De vivre malheureus en si belle misere. IV Peletier mon ami, le tems leger s'enfuit, Je change nuit et jour de poil et de jeunesse Mais je ne change pas l'amour d'une maistresse, Qui, dans mon cueur colĂ©e, eternelle me suit. Toi qui es des anfance en tout savoir instruit, Si de nottre amitiĂ© l'antique neud te presse Comme sage et plus vieil, donne moi quelque adresse Pour eviter ce mal qui ma raison detruit. Aide-moi, Peletier, si par philosophie Ou par le cours des cieus tu as jamais apris Un remede d'amour, di-le moi je te prie, Car, bien qu'ores au ciel ton cueur soit elevĂ©, Si as-tu quelquefois d'une dame estĂ© pris. Et pour dieu! conte-moi comme tu t'es sauvĂ©. V Aurat, apres ta mort, la terre n'est pas digne Pourrir si docte cors, comme est vraiment le tien. Les Dieux le changeront en quelque vois ou bien, Si Echon ne sufist, le changeront en cigne, Ou, en ce corps qui vit de rosĂ©e divine, Ou, en mouche qui fait le miel hymettien, Ou, en l'oiseau qui chante et le crime ancien De TerrĂ©e au printemps redit sus une Ă©pine. Ou, si tu n'es changĂ© tout entier en quelqu'un, Tu vĂ©tiras un cors qui te sera commun Avecques tous ceus-cy, participant ensemble De tous car un pour toi sufisant ne me semble Et d'homme seras fait un beau monstre nouveau De voix, cigne, cigalle, et de mouche, et d'oyseau. VI E, n'esse, mon Paquier, Ă© n'esse pas grand cas, Bien que le corps party de tant de membres j'aye, De muscles, nerfs, tendons, de pommons, et de faye, De mains, de pieds, de flancs, de jambes et de bras, Qu'Amour les laisse en paix, et ne les navre pas, Et que luy pour son but, opiniatre, essaye De faire dans mon coeur toujours toujours la playe, Sans que jamais il vise ou plus hault, ou plus bas! S'il estoit un enfant comme on dit aveuglĂ©, Son coup ne seroit point si seur ne si reiglĂ©, Vrayment il ne l'est pas, car ses traits Ă tout-heure Ne se viendroient ficher au coeur en mesme lieu. Armerai-je le mien? non, car des traits d'un Dieu Il me plaist bien mourir, puis qu'il fault que je meure. VII Marie, qui voudroit vostre beau nom tourner, Il trouveroit Aimer aimez-moi donq, Marie, Faites cela vers moi dont vostre nom vous prie, Vostre amour ne se peut en meilleur lieu donner S'il vous plaist pour jamais un plaisir demener, Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie, Penduz l'un l'autre au col, et jamais nulle envie D'aimer en autre lieu ne nous pourra mener. Si faut il bien aimer au monde quelque chose Cellui qui n'aime point, cellui-lĂ se propose Une vie d'un Scyte; et ses jours veut passer Sans gouster la douceur des douceurs la meilleure. E, qu'est-il rien de doux sans Venus? las! Ă l'heure Que je n'aimeray point puissai-je trĂ©passer! VIII Marie, vous passez en taille, et en visage, En grace, en ris, en yeus, en sein, et en teton, Votre moienne seur, d'autant que le bouton D'un rosier franc surpasse une rose sauvage. Je ne dy pas pourtant qu'un rosier de bocage Ne soit plaisant Ă l'oeil, et qu'il ne sente bon Aussi je ne dy pas que vostre seur Thoinon Ne soit belle, mais quoy? vous l'estes davantage. Je scay bien qu'apres vous elle a le premier pris De ce bourg, en beautĂ©, et qu'on seroit espris D'elle facilement, si vous estiez absente Mais quand vous aprochez, lors sa beautĂ© s'enfuit, Ou morne elle devient par la vostre presente, Comme les astres font quand la Lune reluit. IX Marie, Ă tous les coups vous me venez reprendre Que je suis trop leger, et me dites tousjours. Quand je vous veus baiser que j'aille Ă ma Cassandre, Et tousjours m'apellez inconstant en amours. Je le veus estre aussi, les hommes sont bien lours Qui n'osent en cent lieux neuve amour entreprendre. CĂ©tui-lĂ qui ne veut qu'Ă une seule entendre, N'est pas digne qu'Amour lui face de bons tours. Celui qui n'ose faire une amitiĂ© nouvelle, A faute de courage, ou faute de cervelle, Se defiant de soi, qui ne peut avoir mieus. Les hommes maladis, ou mattĂ©s de vieillesse, Doivent estre constans mais sotte est la jeunesse Qui n'est point eveillĂ©e, et qui n'aime en cent lieus. X Marie, vous avĂ©s la joue aussi vermeille Qu'une rose de Mai, vous avĂ©s les cheveus De couleur de chastaigne, entrefrisĂ©s de neus, Gentement tortillĂ©s tout-au-tour de l'oreille. Quand vous estiĂ©s petite, une mignarde abeille Dans vos levres forma son dous miel savoureus, Amour laissa ses traits dans vos yeus rigoreus, Pithon vous feit la vois Ă nulle autre pareille. Vous avĂ©s les tetins comme deus mons de lait, CaillĂ© bien blanchement sus du jonc nouvelet Qu'une jeune pucelle au mois de Juin façonne De Junon sont vos bras, des Graces vostre sein, Vous avĂ©s de l'Aurore et le front, et la main, Mais vous avĂ©s le coeur d'une fiere lionne. XI Je ne suis seulement amoureus de Marie, Janne me tient aussy dans les liens d'Amour, Ore l'une me plaist, ore l'autre Ă son tour Ainsi Tibulle aimoit Nemesis, et Delie. On me dira tantost que c'est une folie D'en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour, Voire, et qu'il faudroit bien un homme de sejour, Pour, gaillard, satisfaire Ă une seule amie. Je repons Ă cela, que je suis amoureus, Et non pas jouissant de ce bien doucereus, Que tout amant souhaite avoir Ă sa commande. Quant Ă moi, seulement je leur baise la main, Je devise, je ry, je leur taste le sein, Et rien que ces biens lĂ d'elles je ne demande. XII Amour estant marri qu'il avoit ses saigettes TirĂ© contre Marie, et ne l'avoit blessĂ©e, Par depit dans un bois sa trousse avoit laissĂ©e, Tant que plene elle fust d'un bel essaim d'avettes. Ja de leurs piquerons ces captives mouchettes Pour avoir libertĂ© la trousse avoient persĂ©e Et s'enfuyoient alors qu'Amour l'a renversĂ©e Sur la face Ă Marie, et sus ses mammelettes. Soudain, apres qu'il eut son carquois dechargĂ©, Tout riant sautela, pensant estre vangĂ© De celle, Ă qui son arc n'avoit sceu faire outrage, Mais il rioit en vain car ces filles du ciel En lieu de la piquer, baisans son beau visage, En amassoyent les fleurs, et en faisoyent du miel. XIII Je veuls, me souvenant de ma gentille amie, Boire ce soir d'autant et pource Corydon Fay remplir mes flacons, et verse Ă l'abandon Du vin, pour resjouir toute la compagnie. Soit que m'amie ait nom, ou Cassandre, ou Marie, Je m'en vois boire autant que de lettre a son nom. Et toi, si de ta belle et jeune Madelon, Belleau, l'amour te point, je te pry ne l'oublie. Qu'on m'ombrage le chef de vigne, et de l'hierre, Les bras, et tout le col, qu'on enfleure la terre De roses, et de lis, et que dessus le jonc On me caille du lait rougi de mainte fraise E n'esse pas bien fait? or sus, commençon donq, Et chasson loin de nous tout soing et tout malaise. XIV Que me servent mes vers, et les sons de ma lyre, Quand nuit et jour je change et de meurs et de peau, Pour en aimer trop une? hĂ©, que l'homme est bien veau Qui aux dames se fie, et pour elles souspire! Je pleure, je me deux, je cry, je me martire, Je fais mile sonnetz, je me romps le cerveau, Et si je suy haĂÂŻ un amoureus nouveau Gaigne tousjours ma place, et je ne l'ose dire. Ah! que ma Dame est fine el' me tient Ă mĂ©pris, Pource qu'elle voit bien que d'elle suis espris; Et que je l'aime trop avant que je l'aimasse, Elle n'aimoit que moi mais or que j'ai empris De l'aimer, el' me laisse, et s'en court Ă la chasse Pour en reprendre un autre ainsi qu'elle m'a pris. XV Ma plume sinon vous ne scait autre suget, Mon piĂ© sinon vers vous ne scait autre voiage, Ma langue sinon vous ne scait autre langaige, Et mon oeil sinon vous ne connoit autre objet. Si je souhaite rien, vous estes mon souhait, Vous estes le doux gaing de mon plaisant dommage, Vous estes le seul but ou vise mon courage, Et seulement en vous tout mon rond se parfait. Je ne suis point de ceus qui changent de fortune, Comme un tas d'amoureus, aimans aujourd'huy l'une, Et le lendemain l'autre helas! j'ayme trop mieus Cent fois que je ne dy, et plustost que de faire Chose qui peut en rien nostre amytiĂ© defaire, J'aimerois mieux mourir, tant j'aime vos beaux yeus. XVI Vous ne le voulez pas? et bien, j'en suis contant, Contre vostre rigueur Dieu me doint patience, Devant qu'il soit vingt ans j'en auray la vengence, Voiant ternir vos yeus qui me travaillent tant. On ne voit amoureus au monde si constant Qui ne perdist le coeur, perdant sa recompense Quant Ă moi, si ne fust la longue experience, Que j'ay, de soufrir mal, je mourrois Ă l'instant. Toutesfois quand je pense un peu dans mon courage Que je ne suis tout seul des femmes abusĂ©, Et que de plus rusĂ©s en ont reçeu dommage, Je pardonne Ă moimesme, et m'ay pour excusĂ© Car vous qui me trompĂ©s en estes coutumiere, Et qui pis est, sur toute en beautĂ© la premiere. XVII Le vintiĂ©me d'Avril couchĂ© sur l'herbelette, Je vy, ce me sembloit, en dormant un chevreuil, Qui çà , puis lĂ , marchoit oĂÂč le menoit son vueil, Foulant les belles fleurs de mainte gambelette. Une corne et une autre encore nouvelette Enfloit son petit front, petit, mais plein d'orgueil Comme un Soleil luisoit par les prets son bel oeil, Et un carquan pendoit sus sa gorge douillette. Si tost que je le vy, je voulu courre aprĂ©s, Et lui qui m'avisa print sa course es forĂ©s, OĂÂč, se moquant de moi, ne me voulut attendre. Mais en suivant son trac, je ne m'avisay pas D'un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas, Et voulant prendre autrui moimesme me fis prendre. XVIII Bien que vous surpassiĂ©s en grace et en richesse Celles de ce paĂÂŻs, et de toute autre part, Vous ne devĂ©s pourtant, et fussiĂ©s vous princesse, Jamais vous repentir d'avoir aimĂ© Ronsard. C'est lui, Dame, qui peut avecque son bel art Vous afranchir des ans, et vous faire Deesse PromĂ©tre il peut cela, car rien de lui ne part Qu'il ne soit immortel, et le ciel le confesse. Vous me responderĂ©s qu'il est un peu sourdaut, Et que c'est deplaisir en amour parler haut Vous dites veritĂ©, mais vous celĂ©s aprĂ©s, Que luy, pour vous ouir, s'aproche Ă vĂÂŽtre oreille, Et qu'il baise Ă tous coups vĂÂŽtre bouche vermeille Au milieu des propos, d'autant qu'il en est prĂ©s. XIX Mais respons, meschant Loir, me rens-tu ce loier, Pour avoir tant chantĂ© ta gloire et ta louange? As-tu osĂ©, barbare, au milieu de ta fange Renversant mon bateau, sous tes eaus m'envoier? Si ma plume eut daignĂ© seulement emploier Six vers, Ă celebrer quelque autre fleuve estrange, Quiconque soit celui, fusse le Nil, ou Gange, Comme toi n'eust voulu dans ses eaus me noier D'autant que je t'aimoi, je me fiois en toi, Mais tu m'as bien montrĂ© que l'eau n'a point de foi N'es-tu pas bien meschant? pour rendre plus famĂ© Ton cours, Ă tout jamais du los qui de moi part, Tu m'as voulu noier, afin d'estre nommĂ©, En lieu du Loir, le fleuve oĂÂč se noya Ronsard. XX Amour, tu me fis voir, pour trois grandes merveilles, Trois seurs, allant au soer, se pourmener sur l'eau, Qui croissoient Ă l'envy, ainsi qu'au renouveau Croissent dans un pommier trois pommettes pareilles. Toutes les trois estoient en beautĂ© nompareilles, Mais la plus jeune avoit le visage plus beau Et sembloit une fleur voisine d'un ruysseau Qui remire dans l'eau ses richesses vermeilles. Ores je souhaitois la plus vieille en mes voeus, Et ores la moienne, et ores toutes deux, Mais tousjours la petite estoit en ma pensĂ©e, Et priois le Soleil de n'enmener le jour Car ma veĂÂŒe en trois ans n'eust pas estĂ© lassĂ©e De voir ces trois Soleilz qui m'enflamoient d'amour. XXI Mon ami puisse aimer une femme de ville, Belle, courtoise, honeste, et de doux entretien Mon haineux puisse aimer au village une fille, Qui soit badine, sote, et qui ne sache rien. Tout ainsi qu'en amour le plus excellent bien Est d'aimer une femme, et savante; et gentille, Aussi le plus grand mal Ă ceuls qui aiment bien C'est d'aimer une femme indocte, et mal-habille. Une gentille Dame entendra de nature Quel plaisir c'est d'aimer, l'autre n'en aura cure, Se peignant un honneur dedans son esprit sot Vous l'aurez beau prĂ©scher, et dire qu'elle est belle, Sans s'esmouvoir de rien, vous entendra pres d'elle Parler un jour entier, et ne respondra mot. XXII Je crois que je mouroi' si ce n'estoit la Muse Qui deçà et delĂ fidelle m'acompaigne Sans se lasser, par chams, par bois, et par montaigne, Et de ses beaus presens tous mes soucis abuse Si je suis ennuyĂ© je n'ay point d'autre ruse Pour me desennuyer que Clion ma compaigne; Si tost que je l'apelle, elle ne me dedaigne, Et de me venir voir jamais el'ne s'excuse Des presens des neuf Seurs soit en toute saison Pleine toute ma chambre, et pleine ma maison, Car la rouille jamais Ă leurs beaus dons ne touche. Le tin ne fleurit pas aus abeilles si dous Comme leurs beaus presens me sont doux Ă la bouche, Desquels les bons esprits ne furent jamais saouls. XXIII Mignongne, levĂ©s-vous, vous estes paresseuse, Ja la gaye alouette au ciel a fredonnĂ©, Et ja, le rossignol frisquement jargonnĂ©, Dessus l'espine assis, sa complainte amoureuse. Debout donq, allon voir l'herbelette perleuse, Et vostre beau rosier de boutons couronnĂ©, Et voz oeillets aimĂ©s, ausquels avĂ©s donnĂ© Hyer au soir de l'eau, d'une main si songneuse. Hyer en vous couchant, vous me fistes promesse D'estre plus-tost que moi ce matin eveillĂ©e, Mais le someil vous tient encor toute sillĂ©e Ian, je vous punirai du pechĂ© de paresse, Je vois baiser cent fois vostre oeil, vostre tetin, Afin de vous aprendre Ă vous lever matin. XXIV Bayf, il semble Ă voir tes rymes langoreuses, Que tu sois seul amant, en France, langoreus, Et que tes compaignons ne sont point amoureus, Mais font languir leurs vers desous feintes pleureuses; Tu te trompes, Bayf; les peines doloreuses D'amour autant que toi nous rendent doloreus, Sans nous feindre un tourment mais tu es plus heureus Que nous, Ă raconter tes peines amoureuses. Quant Ă moi, si j'estois ta Francine chantĂ©e, Je ne serois jamais de ton vers enchantĂ©e, Qui se faignant un dueil se fait palir lui-mesme. Non, celui n'aime point, ou bien il aime peu, Qui peut donner par signe Ă cognoistre son feu, Et qui peut raconter le quart de ce qu'il aime. XXV Je ne suis variable, et si ne veus apprendre Desja grison Ă l'estre, aussi ce n'est qu'Ă©moi Je ne dy pas si Jane estoit prise de moi; Que tost je n'oubliasse et Marie et Cassandre. Je ne suis pas celui qui veus Paris reprendre D'avoir manquĂ© si tost Ă Pegasis de foy Plutost que d'accuser ce jeune enfant de Roy D'estre en amour leger, je voudrois le defendre. Il fist bien, il fist bien, de ravir cette Helene, Cette Helene qui fut de beautĂ© si tres-plene, Que du grand Jupiter on la disoit anfant L'amant est bien guidĂ© d'une heure malheureuse, Quand il trouve son mieus, si son mieus il ne prent, Sans languir tant es bras d'une vieille amoureuse. XXVI C'est grand cas que d'aimer! Si je suis une annĂ©e Avecque ma maitresse Ă deviser toujours, Et Ă lui raconter quelles sont mes amours, L'an me semble plus court qu'une seule journĂ©e. S'une autre parle Ă moi, j'en ay l'ame gennĂ©e Ou je ne luy di mot, ou mes propos sont lours, Au milieu du devis s'egarent mes discours, Et tout ainsi que moi ma langue est estonnĂ©e. Mais quand je suis aupres de celle qui me tient Le coeur dedans ses yeus, sans me forcer me vient Un propos dessus l'autre, et jamais je ne cesse De baiser, de taster, de rire, et de parler Car pour estre cent ans aupres de ma maitresse Cent ans me sont trop cours, et ne m'en puis aller. XXVII E, que me sert, Paschal, ceste belle verdure Qui rit parmi les prĂ©s, et d'ouir les oiseaus, D'ouir par le pendant des colines les eaus, Et des vents du printems le gracieus murmure, Quand celle qui me blesse, et de mon mal n'a cure Est absente de moi, et pour croistre mes maus Me cache la clartĂ© de ses astres jumeaus, De ses yeus, dont mon coeur prenoit sa nourriture? J'aimeroi beaucoup mieus qu'il fust hyver tousjours, Car l'hyver n'est si propre Ă nourir les amours Comme est le renouveau, qui d'aimer me convie, Ainçois de me hayr, puis que je n'ay pouvoir En ce beau mois d'Avril entre mes bras d'avoir Celle qui dans ses yeus tient ma mort et ma vie. Sonetz en vers de dix Ă onze syllabes XXVIII Je ne saurois aimer autre que vous, Non, Dame, non, je ne saurois le faire Autre que vous ne me sauroit complaire, Et fust Venus descendue entre nous. Vos yeus me sont si gracieus et dous, Que d'un seul clin ils me peuvent defaire, D'un autre clin tout soudain me refaire, Me faisans vivre ou mourir en deux cous. Quand je serois cinq cens mille ans en vie, Autre que vous, ma mignonne m'amie, Ne me feroit amoureus devenir. Il me faudroit refaire d'autres venes, Les miennes sont de vostre amour si plenes, Qu'un autre amour n'y sauroit plus tenir. XXIX Pour aimer trop une fiere beautĂ©, Je suis en peine, et si ne saurois dire D'oĂÂč ni comment, me survint ce martyre, Ni Ă quel jeu je perdi libertĂ©. Si sçai-je bien que je suis arrestĂ© Au lacs d'amour et si ne m'en retire, Ni ne voudrois, car plus mon mal empire Et plus je veus y estre mal traictĂ©. Je ne di pas, s'elle vouloit un jour Entre ses bras me garir de l'amour, Que son present bien Ă grĂ© je ne prinse. E, Dieu du ciel, Ă© qui ne le prendroit, Quand seulement de son baiser un Prince, Voire un grand Roy, bien heureus se tiendroit. XXX E, que je porte et de hayne et d'envie Au medecin qui vient soir et matin Sans nul propos tatonner le tetin, Le sein, le ventre et les flans de m'amie. Las! il n'est pas si songneus de sa vie Comme elle pense il est mechant et fin, Cent fois le jour ne la vient voir, qu'Ă fin De voir son sein qui d'aimer le convie. Vous qui avĂ©s de sa fievre le soin, Je vous supli de me chasser bien loin Ce medecin, amoureus de m'amie, Qui fait semblant de la venir penser Que pleust Ă Dieu, pour l'en recompenser, Qu'il eust ma peine, et qu'elle fust guarie. XXXI Dites maitresse, Ă© que vous ai-je fait? E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle? Ai-je failly de vous estre fidelle? Ai-je envers vous commis quelque forfait? Dites maitresse, Ă© que vous ai-je fait? E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle? Ai-je failli de vous estre fidelle? Ai-je envers vous commis quelque forfait? Certes nenny car plutost que de faire Chose qui deust, tant soit peu, vous dĂ©plaire, J'aimerois mieus mille mors encourir. Mais je voi bien que vous avez envie De me tuer faites-moy donq mourir, Puis qu'il vous plaĂt, car Ă vous est ma vie. XXXII Chacun qui voit ma couleur triste et noire Me dit, Ronsard, vous estes amoureus. Mais cette-lĂ qui me fait langoreus Le sçait, le voit, et si ne le veut croire. E, que me sert que mon mal soit notoire A un chacun, quand son coeur rigoreus, Par ne sçai quel desastre malheureus, Me fait la playe, et si la prend Ă gloire? C'est un grand cas, que pour cent fois jurer, Cent fois promettre, et cent fois asseurer Qu'autre jamais n'aura sus moi puissance, Qu'elle s'esbat de me voir en langueur Et plus de moi je lui donne asseurance, Moins me veut croire, et m'appelle un moqueur. XXXIII Plus que jamais je veus aimer, maitresse, VĂÂŽtre oeil divin, qui me detient ravy Mon coeur chez lui, du jour que je le vi, Tel, qu'il sembloit celui d'une dĂ©esse? C'est ce bel oeil qui me paist de liesse, Liesse, non, mais d'un mal dont je vi, Mal, mais un bien, qui m'a toujours suivy, Me nourrissant de joye et de tristesse. Desja neuf ans evanouiz se sont Que vos beaus yeus en me riant me font La playe au coeur, et si ne me soucye Quand je mourois d'un mal si gracieus Car rien ne peut venir de voz beaus yeus Qui ne me soit trop plus cher que la vie. XXXIV Quand ma maitresse au monde print naissance, Honneur, Vertu, Grace, Savoir, BeautĂ© Eurent debat avec la ChastetĂ© Qui plus auroit sus elle de puissance. L'une vouloit en avoir joĂÂŒyssance, L'autre vouloit l'avoir de son costĂ©, Et le debat immortel eust estĂ© Sans Jupiter, qui leur posa silence. Filles, dit-il, ce n'est pas la raison Que l'une seule ait si belle maison, Pour-ce je veus qu'apointement on face L'accord fut fait et plus soudainement Qu'il ne l'eut dit, toutes Ă©galement En son beau cors pour jamais prindrent place. XXXV Je vous envoye un bouquet de ma main Que j'ai ourdy de ces fleurs epanies Qui ne les eust Ă ce vespre cuillies, Flaques Ă terre elles cherroient demain. Cela vous soit un exemple certain Que voz beautĂ©s, bien qu'elles soient fleuries, En peu de tems cherront toutes flĂ©tries, Et periront, comme ces fleurs, soudain. Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame Las! le tems non, mais nous nous en allons, Et tost serons estendus sous la lame Et des amours desquelles nous parlons, Quand serons morts n'en sera plus nouvelle Pour-ce aimĂ©s moi, ce pendant qu'estes belle. XXXVI Gentil barbier, enfant de Podalyre, Je te supply, seigne bien ma maitresse, Et qu'en ce mois, en seignant, elle laisse Le sang gelĂ© dont elle me martyre. Encore un peu dans la palette tire De son sang froid, ains de sa glace Ă©pesse, A celle fin qu'en sa place renaisse Un sang plus chaut qui de m'aimer l'inspire. Ha! velelĂ , c'estoit ce sang si noir Que je n'ay peu de mon chaud Ă©mouvoir En soupirant pour elle mainte annĂ©e. Ha c'est assez, cesse gentil barbier, Ha je me pĂÂąme! et mon ame estonnĂ©e S'evanouist en voiant son meurtrier. XXXVII J'aurai tousjours en une hayne extrĂ©me Le soir, la chaire, et le lit odieus, OĂÂč je fus pris, sans y penser, des yeus Qui pour aimer me font hayr moi-mesme. J'aurai tousjours le front pensif et blĂ©me Quand je voirray ce bocage ennuieus, Et ce jardin de mon aise envieus, OĂÂč j'avisay cette beautĂ© suprĂ©me. J'aurai toujours en haine plus que mort Le mois de Mai, le lyerre, et le sort Qu'elle Ă©crivit sus une verte feille J'auray tousjours cette lettre en horreur, Dont pour adieu sa main tendre et vermeille Me feit present pour me l'empreindre au coeur. XXXVIII E, Dieu du ciel, je n'eusse pas pensĂ© Qu'un seul depart eust causĂ© tant de pene! Je n'ai sur moi nerf, ni tendon, ni vene, Faie, ni coeur qui n'en soit offensĂ©, Helas! je suis Ă -demi trespassĂ©, Ains du tout mort, las! ma douce inhumaine Avecques elle, en s'en allant, enmaine Mon coeur captif de ses beaus yeus blessĂ©. Que pleust Ă Dieu ne l'avoir jamais veue! Son oeil gentil ne m'eust la flamme esmeue, Par qui me faut un tourment recevoir, Tel, que ma main m'occiroit Ă cette heure, Sans un penser que j'ai de la revoir, Et ce penser garde que je ne meure. XXXIX Ha, petit chien, que tu serois heureus Si ton bon heur tu sçavois bien entendre, D'ainsi coucher au giron de Cassandre, Et de dormir en ses bras amoureus. Mais, las! je vy chetif et langoreus, Pour sçavoir trop mes miseres comprendre Las! pour vouloir en ma jeunesse aprendre Trop de sçavoir, je me fis malheureus. Mon Dieu, que n'ai-je au chef l'entendement Aussi plombĂ© qu'un qui journelement BĂ©che en la vigne ou fagotte au bocage! Je ne serois chetif comme je suis, Le trop d'esprit ne me seroit domage, Et ne pourrois comprendre mes ennuis. Sonetz en vers heroiques XL D'une belle Marie en une autre Marie, Belleau, je suis tombĂ©, et si dire ne puis De laquelle des deux plus l'amour je poursuis, Car j'en aime bien l'une, et l'autre est bien m'amie. On dit qu'une amitiĂ© qui se depart demie Ne dure pas long tems, et n'aporte qu'ennuis, Mais ce n'est qu'un abus car tant ferme je suis Que, pour en aimer une, une autre je n'oublie. Tousjours une amitiĂ© plus est enracinĂ©e, Plus long tems elle dure, et plus est ostinĂ©e A soufrir de l'amour l'orage vehement E, ne sçais-tu, Belleau, que deux ancres getĂ©es Dans la mer, quand plus fort les eaus sont agitĂ©es, Tiennent mieus une nef qu'une ancre seulement? XLI Quand je serois un Turc, un Arabe, ou un Scythe, Pauvre, captif, malade, et d'honneur devestu, Laid, vieillard, impotent, encor' ne devrois tu Estre, comme tu es, envers moi si dĂ©pite Je suis bien asseurĂ© que mon coeur ne merite D'aimer en si bon lieu, mais ta seule vertu Me force de ce faire, et plus je suis batu De ta fiere rigueur, plus ta beautĂ© m'incite. Si tu penses trouver un serviteur qui soit Digne de ta beautĂ©, ton penser te deçoit, Car un Dieu tant s'en faut un homme n'en est digne. Si tu veus donq aimer, il faut baisser ton coeur Ne sçais-tu que Venus bien qu'elle fust divine Jadis pour son ami choisit bien un pasteur? XLII Dame, je ne vous puis ofrir Ă mon depart Sinon mon pauvre coeur, prenĂ©s-le je vous prie Si vous ne le prenĂ©s, jamais une autre amie J'en jure par voz yeus jamais n'y aura part. Je le sen dĂ©jĂ bien, comme joyeus il part Hors de mon estomac, peu songneus de ma vie, Pour s'en aller chĂ©s vous, et rien ne le convie D'y aller ce dit-il que vĂÂŽtre dous regard. Or si vous le chassĂ©s, je ne veus plus qu'il vienne Vers moi, pour y r'avoir sa demeure ancienne, Hayssant Ă la mort ce qui vous deplaira Il m'aura beau conter sa peine et son malaise, Comme il fut paravant plus mien il ne sera, Car je ne veus rien voir chĂ©s moi, qui vous deplaise. XLIII Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaye Vas seul de branche en branche Ă ton grĂ© voletant, Degoisant Ă l'envy de moi, qui vois chantant Celle qui faut tousjours que dans la bouche j'aie, Nous soupirons tous deux, ta douce vois s'essaie De flechir celle-lĂ , qui te va tourmentant, Et moi, je suis aussi cette-lĂ regrettant, Qui m'a fait dans le coeur une si aigre plaie. Toutesfois, Rossignol, nous differons d'un point. C'est que tu es aimĂ©, et je ne le suis point, Bien que tous deux aions les musiques pareilles, Car tu flechis t'amie au dous bruit de tes sons, Mais la mienne, qui prent Ă dĂ©pit mes chansons, Pour ne les escouter se bouche les oreilles. XLIV Si vous pensĂ©s que Mai, et sa belle verdure De vĂÂŽtre fievre quarte effacent la langueur, Vous vous trompĂ©s beaucoup, il faut premier mon coeur Garir du mal qu'il sent, et si n'en avĂ©s cure. Il faut donque premier me garir la pointure Que voz yeus dans mon coeur me font par leur rigueur, Et tout soudain apres vous reprendrĂ©s vigueur, Quand vous l'aurĂ©s gary du tourment qu'il endure. Le mal que vous avĂ©s ne vient d'autre raison, Sinon de moi, qui fis aus Dieus une oraison Pour me venger de vous, de vous faire malade. E, vraiment c'est bien dit; Ă©, vous voulez garir, Et si ne voulez pas vĂÂŽtre amant secourir, Que vous gaririez bien seulement d'une oeillade. XLV J'ay cent fois desirĂ© et cent encores d'estre Un invisible esprit, afin de me cacher Au fond de vĂÂŽtre coeur, pour l'humeur rechercher Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre. Si, j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre, MaugrĂ© vous, de l'humeur qui ne fait qu'empescher Amour, et si n'auriez nerf, ne poux sous la chair Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre. Je sçaurois une Ă une et voz complexions, Toutes voz voluntĂ©s, et voz conditions, Et chasserois si bien la froideur de vos venes, Que les flammes d'Amour vous y allumeriez Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes, Je redeviendrois homme, et lors vous m'aimeriez. XLVI Pour-ce que tu sçais bien que je t'aime trop mieus, Trop mieus dix mille fois que je ne fais ma vie, Que je ne fais mon coeur, ma bouche, ni mes yeus, Plus que le nom de mort tu fuis le nom d'amie. Si je faisois semblant de n'avoir point envie D'estre ton serviteur, tu m'aimerois trop mieus, Trop mieus dix mille fois que tu ne fais ta vie, Que tu ne fais ton coeur, ta bouche, ni tes yeus. C'est d'amour la coustume, alors que plus on aime D'estre tousjours hay je le sçai par moi-mesme Qui suis hay de toi, seulement quand tu m'ois Jurer que je suis tien helas! que doi-je faire? Tout ainsi qu'on garist un mal par son contraire, Si je te haĂÂŻssois, soudain tu m'aimerois. XLVII Quand je vous dis adieu, Dame, mon seul apuy, Je laissĂ© dans voz yeus mon coeur pour sa demeure En gaige de ma foi et si ay, depuis l'heure Que je le vous laissay, tousjours vescu d'ennuy Mais pour Dieu je vous pri, me le rendre aujourd'huy Que je suis retournĂ©, de peur que je ne meure Car je mourois sans coeur, ou, que vĂÂŽtre oeil m'asseure Que vous me donnerez le vĂÂŽtre en lieu de lui. Las! donez-le moi donq, et de l'oeil faittes signe Que vĂÂŽtre coeur est mien, et que vous n'avĂ©s rien Qui ne soit fort joieus, vous laissant, de me suivre Ou bien si vous voyĂ©s que je ne sois pas digne D'avoir chĂ©s moi le vĂÂŽtre, aumoins rendĂ©s le mien, Car sans avoir un coeur je ne saurois plus vivre. XLVIII Tu as beau, Jupiter, l'air de flammes dissouldre, Et faire galloper tes haux-tonnans chevaus, Ronflans deçà delĂ dans le creux des nuaus, Et en cent mille esclats tout d'un coup les descoudre, Ce n'est pas moi qui crains tes esclairs, ni ta foudre Comme les coeurs poureus des autres animaus Il y a trop lon tems que les foudres jumeaus Des yeus de ma maitresse ont mis le mien en poudre. Je n'ai plus ni tendons, ni arteres, ni nerfs, Venes, muscles, ni poux les feux que j'ai soufferts Au coeur pour trop aimer me les ont mis en cendre. Et je ne suis plus rien ĂÂŽ estrange meschef Qu'un Terme qui ne peut voir, n'oĂÂŒyr, ni entendre, Tant la foudre d'amour est cheute sus mon chef. XLIX Donques pour trop aimer il fault que je trĂ©passe, La mort, de mon amour sera donq le loyer L'homme est bien malheureus qui se veut emploier Par travail meriter d'une ingrate la grace Mais je te pri, di moi, que veus tu que je face? Quelle preuve veus-tu afin de te ployer A pitiĂ©, las! veus-tu que je m'aille noyer, Ou que de ma main propre Ă mort je me deface? Es tu quelque Busire, ou Cacus inhumain, Pour te souler ainsi du pauvre sang humain? E, di, ne crains-tu point Nemesis la DĂ©esse, Qui redemandera mon sang versĂ© Ă tort? E, di, ne crains-tu point la troupe vengeresse Des Soeurs, qui puniront ton crime apres la mort? L Veus-tu sçavoir, BruĂ©s, en quel estat je suis? Je te le conterai d'un pauvre miserable Il n'i a nul estat, tant soit il pitoiable Que je n'aille passant d'un seul de mes ennuis. Je tien tout, je n'ay rien, je veus, et si ne puis, Je revy, je remeurs, ma plaie est incurable. Qui veut servir Amour, ce tyran execrable, Pour toute recompense il reçoit de tels fruis. Pleurs, larmes, et souspirs acompagnent ma vie, Langueur, douleur, regrets, soupçon, et jalousie, Avecques un penser qui ne me laisse avoir Un moment de repos et plus je ne sens vivre L'esperance en mon coeur, mais le seul desespoir Qui me guide Ă la mort, et je le veus bien suivre. LI Ne me di plus, Imbert, que je chante d'Amour, Ce traistre, ce mechant; comment pouroi-je faire Que mon esprit voulust loĂÂŒer son adversaire, Qui ne donne Ă sa peine un moment de sejour! Si m'avoit fait aumoins quelque petit bon tour, Je l'en remercirois, mais il ne veut se plaire Qu'Ă rengreger mon mal, et pour mieus me dĂ©faire Me met devant les yeux ma Dame nuit et jour. Bien que Tantale soit miserable lĂ -bas, Je le passe en malheur; car si ne mange pas Le fruit qui pend sur lui, toutesfois il le touche, Et le baise, et s'en joue et moi, bien que je sois Aupres de mon plaisir, seulement de la bouche Ni des mains, tant soit peu, toucher ne l'oserois. LII Quiconque voudra suivre Amour ainsi que moi, Celui se delibere en penible tristesse Mourir ainsi que moi il pleust Ă la DĂ©esse Qui tient Cypre en ses mains de faire telle loi. Apres mainte misere et maint fascheus Ă©moi Il lui faudra mourir, et sa fiere maitresse, Le voiant au tombeau, sautera de liesse Sus le corps de l'amant, mort pour garder sa foy. Allez-donq maintenant faire service aus Dames, Offrez-leur pour present et voz corps et voz ames, Vous en receverĂ©s un salaire bien dous. Je croi que Dieu les feit afin de nuire Ă l'homme "Il les feit, Pardaillan, pour nostre malheur, comme Les tygres, les lyons, les serpens, et les lous. LIII J'avois cent fois jurĂ© de jamais ne revoir O serment d'amoureus l'angelique visage Qui depuis quinze mois en penible servage Emprisonne mon coeur, et ne le puis ravoir. J'en avois fait serment mais je n'ai le pouvoir M'engarder d'y aller, car mon forcĂ© courage, Bien que soit maugrĂ© moi surmontĂ© de l'usage D'amour, tousjours m'y mene, abusĂ© d'un espoir. Le destin, Pardaillan, est une forte chose! L'homme dedans son coeur ses affaires dispose Et le ciel fait tourner ses dessains au rebours. Je sçai bien que je fais ce que je ne doy faire, Je sçay bien que je sui de trop folles amours Mais quoy, puis que le ciel delibere au contraire. LIV Ne me sui point, Belleau, allant Ă la maison De celle qui me tient en douleur nompareille E ne sçais-tu pas bien ce que dit la corneille A Mopse, qui suivoit la trace de Jason? Profete, dit l'oiseau, tu n'as point de raison De suivre cet amant qui de voir s'apareille Sa Dame en autre part va, suy le et le conseille, Mais ore de le suivre il n'est pas la saison. Pour ton profit, Belleau, je ne vueil que tu voye' Celle qui par les yeus la plaie au coeur m'envoye, De peur que tu ne prenne' un mal au mien pareil. Il suffist que sans toi je sois seul miserable Reste sain, je te pri, pour estre secourable A ma douleur extrĂ©me, et m'y donner conseil. LV Si j'avois un hayneus qui me voulust la mort Pour me venger de luy je ne voudrois lui faire Que regarder les yeus de ma douce contraire, Qui si fiers contre moi me font si dur effort. Ceste punition, tant son regard est fort, Luy seroit peine extrĂ©me, et se voudroit deffaire Ne lit, ne pain, ne vin ne luy sauroient complaire, Et sans plus au trespas seroit son reconfort. Tout cela que lon dit d'une Meduse antique Au prix d'elle n'est rien que fable poĂtique Meduse seulement tournoit l'homme en rocher, Mais cette-cy en-roche, englace, en-eaue, en-foue Ceus qui ozent sans peur de ses yeus approcher Et si en les tuant vous diriez qu'el' se joue. LVI Amour se vint cacher dans les yeus de Cassandre, Comme un tan, qui les boeufs fait mouscher par les bois, Puis il choisit un trait sur tous ceus du carquois, Qui piquant sçait le mieus dedans les coeur descendre. Il Ă©longna ses mains, et feit son arc estendre En croissant, qui se courbe aus premiers jours du mois, Puis me lascha le trait, contre qui le harnois D'Achille, ni d'Hector ne se pourroit defendre. Apres qu'il m'eut blessĂ©, en riant s'en volla, Et par l'air mon esprit avec lui s'en alla Mais toutefois au coeur me demoura la playe, Laquelle pour neant cent fois le jour j'essaye De la vouloir garir, mais tel est son efort Que je voy bien qu'il faut que maugrĂ© moi je l'aye, Et que pour la garir le remede est la mort. LVII Dame, je meurs pour vous, je meurs pour vous, ma dame, Dame, je meurs pour vous, et si ne vous en chaut Je sens pour vous au coeur un brasier si treschaut, Que pour ne le sentir je veus bien rendre l'ame. Ce vous sera pour-tant un scandaleus diffame, Si vous me meurdrissĂ©s sans vous faire un defaut E, que voulĂ©s vous dire? Esse ainsi comme il faut Par pitiĂ© refroidir de vĂÂŽtre amant la flamme? Non, vous ne me povĂ©s reprocher que je sois Un effrontĂ© menteur, car mon teint, et ma voix, Et mon chef ja grison vous servent d'asseurance, Et mes yeus trop cavĂ©s, et mon coeur plein d'esmoi E, que feroi-je plus, puis que nulle creance Il ne vous plait donner aus tesmoins de ma foy? LVIII Il ne sera jamais, soit que je vive en terre, Soit qu'aus enfers je sois, ou lĂ -haut dans les cieus, Il ne sera jamais que je n'aime trop mieus Que myrthe ou que laurier la feuille de lierre. Sus elle cette main qui tout le coeur me serre Trassa premierement de ses doigts gracieus Les lettres de l'amour que me portoient ses yeus, Et son coeur qui me fait une si douce guerre. Jamais si belle fueille Ă la rive CumĂ©e Ne fut par la Sibylle en lettres imprimĂ©e Pour bailler par Ă©crit aus hommes leur destin, Comme ma Dame a paint d'une espingle poignante Mon sort sus le lierre Ă© Dieu, qu'amour est fin! Est-il rien qu'en aimant une Dame n'invente. LIX J'aurai toujours au coeur attachĂ©s les rameaus Du lierre, oĂÂč ma Dame oza premier Ă©crire Douce ruze d'amour l'amour qu'el'n'osoit dire, L'amour d'elle et de moy, la cause de noz maus Sus toi jamais, sus toi orfrayes ny corbeaus Ne se viennent brancher, jamais ne puisse nuire Le fer Ă tes rameaus, et Ă toi soit l'empire Pour jamais, dans les bois, de tous les arbrisseaus. Non pour autre raison ce croi-je que la mienne, Bacchus orna de toi sa perruque Indienne, Que pour recompenser le bien que tu lui fis, Quand sus les bords de Die Ariadne laissĂ©e Luy feit sçavoir par toi ses amoureus ennuys, Ecrivant dessus toi s'amour et sa pensĂ©e. LX Je mourois de plaisir voyant par ces bocages Les arbres enlassĂ©s de lierres Ă©pars, Et la lambruche errante en mille et mille pars Es aubepins fleuris prĂ©s des roses sauvages. Je mourois de plaisir oyant les dous langages Des hupes, et coqus, et des ramiers rouhars Sur le haut d'un fouteau bec en bec fretillars, Et des tourtres aussi voyant les mariages. Je mourois de plaisir voyant en ces beaus mois Sortir de bon matin les chevreuilz hors des bois, Et de voir fretiller dans le ciel l'alouĂtte. Je mourois de plaisir, oĂÂč je meurs de soucy, Ne voyant point les yeus d'une que je souhette Seule, une heure en mes bras en ce bocage icy. LXI A pas mornes et lents seulet je me promene, Non-challant de moi-mesme et quelque part que j'aille Un importun penser me livre la bataille, Et ma fiere ennemie au devant me ramene Penser, un peu de treve, et permets que ma pene Se soulage un petit, et tousjours ne me baille Argument de pleurer pour une qui travaille Sans relasche mon coeur, tant elle est inhumaine. Ou si tu ne le fais, je te tromperay bien Je t'assure ma foy que tu perdras ta place Bien-tost, car je mouray pour ruĂÂŻner ton fort. Puis, quand je seray mort, plus ne sentiray rien Tu m'auras beau pincer que ta rigueur me face, Ma dame, ni amour car rien ne sent un mort. LXII Pourtant si ta maitresse est un petit putain, Tu ne dois pour cela te courrousser contre elle Voudrois-tu bien hayr ton ami plus fidelle Pour estre un peu jureur, ou trop haut Ă la main? Il ne faut prendre ainsi tous pechĂ©s Ă dedain, Quand la faute en pechant n'est pas continuelle Puis il faut endurer d'une maitresse belle Qui confesse sa faute, et s'en repent soudain. Tu me diras qu'honneste et gentille est t'amie, Et je te respondrai qu'honneste fut Cynthie, L'amie de Properce en vers ingenieus, Et si ne laissa pas de faire amour diverse. Endure donc, Ami, car tu ne vaus pas mieus Que Catulle valut, que Tibulle et Properce. LXIII Amour, voiant du ciel un pescheur sur la mer, Calla son aisle bas sur le bord du navire, Puis il dit au pescheur je te pri que je tire Ton ret, qu'au fond de l'eau le plomb fait abymer. Un daulphin, qui savoit le feu qui vient d'aimer, Voiant Amour sur l'eau, Ă Tethis le va dire Tethys, si quelque soing vous tient de vĂÂŽtre empire, SecourĂ©s-le, ou bien tost il est prest d'enflammer. Tethys laissa de peur sa caverne profonde, Haussa le chef sur l'eau, et vit Amour sur l'onde Qui peschoit Ă l'escart las, dit el', mon nepveu, OustĂ©s-vous, ne bruslĂ©s mes ondes, je vous prie N'aiĂ©s peur, dit Amour, car je n'ay plus de feu, Tout le feu que j'avois est aus yeus de Marie. LXIV Calliste mon amy, je croi que je me meurs, Je sens de trop aimer la fievre continue, Qui de chaud, qui de froid jamais ne diminue, Ainçois de pis en pis rengrege mes douleurs Plus je vueil refroidir mes bouillantes chaleurs, Plus Amour les ralume et plus je m'esvertue De rechaufer mon froid, plus la froideur me tue, Pour languir au meilleu de deux divers malheurs. Un ardent apetit de joĂÂŒir de l'aimĂ©e Tient tellement mon ame en pensers alumĂ©e, Et ces pensers douteus me font rĂ©ver si fort, Que diette, ne just, ni section de vene Ne me sauroient garir, car de la seule mort Depend, et non d'ailleurs, le secours de ma pene. LXV Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere, Et pour-ce; Corydon, ferme bien l'huis sur moi Si rien me vient troubler, je t'asseure ma foi, Tu sentiras combien pesante est ma colere. Je ne veus seulement que nĂÂŽtre chambriere Vienne faire mon lit, ou m'apreste de quoi Je menge, car je veus demeurer Ă requoi Trois jours, pour faire apres un an de bonne chere. Mais si quelcun venoit de la part de Cassandre, Ouvre lui tost la porte, et ne le fais attendre Soudain entre en ma chambre, et me vien acoustrer, Je veus tanseulement Ă lui seul me monstrer Au reste, si un Dieu vouloit pour moi descendre Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer. LXVI J'ai l'ame pour un lit de regrets si touchĂ©e, Que nul, et fusse un Roy, ne fera que j'aprouche Jamais de la maison, encor moins de la couche OĂÂč je vy ma maitresse, au mois de May couchĂ©e. Un somme languissant la tenoit mi-panchĂ©e. Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche, Et ses yeus, dans lesquels l'archer Amour se couche, Ayant tousjours la fleche en la corde encochĂ©e. Sa teste en ce beau mois, sans plus, estoit couverte D'un riche escofion ouvrĂ© de soie verte, OĂÂč les Graces venoient Ă l'envy se nicher, Et dedans ses cheveus choysissoient leur demeure. J'en ai tel souvenir que je voudrois qu'Ă l'heure Pour jamais n'y penser son oeil m'eust fait rocher. LXVII Douce, belle, gentille, et bien fleurente Rose, Que tu es Ă bon droit Ă Venus consacrĂ©e, Ta delicate odeur hommes et Dieus recrĂ©e, Et bref, Rose, tu es belle sur toute chose. La Grace pour son chef un chapellet compose De ta feuille, et tousjours sa gorge en est parĂ©e, Et mille fois le jour la gaye CytherĂ©e De ton eau, pour son fard, sa belle joue arrose. HĂ© Dieu, que je suis aise alors que je te voi Esclorre au point du jour sur l'espine Ă requoy, Dedans quelque jardin pres d'un bois solitere! De toi les Nymphes ont les coudes et le sein De toi l'Aurore emprunte et sa joue, et sa main, Et son teint celle-lĂ qui d'Amour est la mere. LXVIII R. Que dis-tu, que fais-tu, pensive tourterelle Desus cest arbre sec? T. Helas je me lamente. R. Et pourquoi, di-le moi? T. De ma compagne absente, Plus chere que ma vie. R. En quelle part est-elle? T. Un cruel oyselleur par glueuse cautelle L'a prise, et l'a tuĂ©e et nuit et jour je chante Son trespas dans ces bois, nommant la mort mĂ©chante Qu'elle ne m'a tuĂ©e aveques ma fidelle. R. Voudrois-tu bien mourir aveques ta compaigne? T. Oui, car aussi bien je languis de douleur, Et toujours le regret de sa mort m'acompaigne. R. O gentils oysellets, que vous estes heureus D'aimer si constamment, qu'heureus est vĂÂŽtre coeur, Qui, sans point varier, est tousjours amoureus! LXIX Le sang fut bien maudit de ceste horrible face Qui premier engendra les serpens venimeus Helene, tu devois quand tu marchas sus eus, Non sans plus les arner, mais en perdre la race. Nous estions l'autre jour dans une verte place, Cuillants, m'amie, et moi, les fraiziers savoureux, Un pot de cresme estoit au meillieu de nous deux, Et sur le jonc du laict treluisant comme glace. Quand un villain serpent, de venin tout couvert, Par ne sçai quel malheur sortit d'un buisson vert Contre le pied de celle Ă qui je fais service, Pour la blesser Ă mort de son venin infect; Et lors je m'Ă©criay, pensant qu'il nous eut faict Moi, un second OrphĂ©e, et elle, une Eurydice. LXX Marie, tout ainsi que vous m'avĂ©s tournĂ© Mon sens, et ma raison, par vĂÂŽtre voix subtile, Ainsi m'avĂ©s tournĂ© mon grave premier stile, Qui pour chanter si bas n'estoit point destinĂ© Aumoins si vous m'aviĂ©s, pour ma perte, donnĂ© CongĂ© de manier vĂÂŽtre cuisse gentile, Ou si Ă mes baisers vous n'estiĂ©s dificile, Je n'eusse regrettĂ© mon stile abandonnĂ©. Las, ce qui plus me deut, c'est que vous n'ĂÂȘtes pas Contente de me voir ainsi parler si bas, Qui soulois m'Ă©lever d'une muse hautaine Mais, me rendant Ă vous, vous me manquez de foy, Et si me traitĂ©s mal, et sans m'outer de peine Tousjours vous me liĂ©s, et triomphĂ©s de moi. Nouvelle continuation des Amours de P. Ronsard, Vandomois 1556 Au beuf qui... I Au beuf qui tout le jour a trainĂ© la charue On oste au soir le joug quand la nuict est venue, Et mis dedans l'estable est pensĂ© doucement, Soulageant son travail par un bon traitement. Quand le cheval guerrier, courant aux bordz de Pise Des jeux Olympiens a la gloire conquise, Et que son corps poudreux des joustes de cinq ans Il a bien nettoyĂ© dans les flotz Alpheans, Plus son ventre vieillard son maistre n'esperonne, Mais luy oste le frain, et libertĂ© luy donne. Quand un soldat a fait es guerres son effort Pour gaigner la bataille, ou pour fausser un fort, Et qu'il a tout le corps marquĂ© de belles playes, Il vit franc des combatz, au rang des mortes-payes, Et Ă quelque crochet, ou debout contre un bois Pour l'y laisser rouiller atache son harnois. Mais toy, mechant Amour, tousjours tu renouvelles Tes playes contre moy, et tes fiertez cruelles Et bien que ja trente ans poisent dessus mon chef, Pourtant tu n'as pitiĂ© de mon triste mechef Mais comme un fier tyran, inexorable et rude, Tu ne m'ostes du col le joug de servitude, Foulant du pied ma teste, et brulant sans repos D'un feu continuel mes venes et mes os. Pour n'estre desormais une nouvelle fable Au peuple, il seroit temps s'il te fust agreable De me donner congĂ©, et mettre en libertĂ© Mon col, qui si long temps au joug fut arrestĂ©, Afranchi du travail et des peines gaignĂ©es Suyvant tes estendartz par dix ou douze annĂ©es Sans recevoir un bien car jamais dessoubz toy Amant ne guerroya si malheureux que moy, Ni si desesperĂ©. Et quoy filz de Deesse! Je ne suis plus dispos, ne bouillant de jeunesse Pour faire une courvĂ©e il te fault atizer Ceux Ă qui le menton ne se fait que friser, Afin que tes beaux traits leur servent d'exercice Ceux de cet age lĂ sont bons Ă ton service, Ils sont fortz et dispos, et n'ont encore senty Le mal dont tant de foys je me suis repenty, Mais quoy? c'est un tribut qu'il fault que chacun paye Non que je sois lassĂ© d'avoir au cueur la plaie Que ton beau trait me feit, plustost mile trespas Me puissent avenir que jamais j'en sois las Car je te serviray soit en barbe meslĂ©e, Ou soit que tout mon chef blanchisse de gelĂ©e. Je ne suis ny tout seul, ny certes le premier A qui tu fais du mal ton trait est coustumier De navrer les plus grands, et ceux dont la nature Des plus nobles vertus gentillement a cure. Tous les Dieux ont aymĂ©, et les hommes aussi, Et bref il n'y a rien exempt de ton soucy. Si quelque homme mortel m'avoit fait cet outrage, J'armerois contre luy l'ire de mon courage, Et m'en voudrois venger mais puis que c'est un Dieu Je ne me puis deffendre, il luy fault donner lieu "Car on tient pour certain qu'une humaine poitrine Ne scauroit resister Ă la force divine. De cela sont tesmoings les Geans odieux Qui en vain feirent teste Ă la force des Dieux. Or' fay moy doncque, Dieu, tout ce que voudras faire, Rien qui vienne de toy ne me scauroit desplaire, Je suis ton seviteur, je ne veux d'autre Roy, Sans barbe je fuz tien, barbu je suis Ă toy Tien je seray tousjours, et deussay-je en tristesse User ma pauvre vie avecques ma maitresse. II ElĂ©gie Quand j'estois libre, ains que l'amour cruelle Ne fust Ă©prise encore en ma moĂÂŒelle Je vivois bien heureux De toutes partz cent mille jeunes filles Se travailloient par leurs flames gentilles De me rendre amoureux Mais tout ainsi qu'un beau poulain farouche, Qui n'a maschĂ© le frein dedans sa bouche Va seulet escartĂ©, N'ayant soucy, sinon d'un pied superbe A mille bons fouler les fleurs et l'herbe Vivant en libertĂ© Ores il court le long d'un beau rivage, Ores il erre au fond d'un boys sauvage, Ou sur quelque mont hault De toutes partz les poutres hanissantes Luy font l'amour, pour neant blandissantes, A luy qui ne s'en chault. Ainsi j'allois, dedaignant les pucelles, Qu'on estimoit en beaultĂ© les plus belles, Sans respondre Ă leur vueil Lors je vivois amoureux de moymesme, Content et gay, sans porter couleur blesme, Ni les larmes Ă l'oeil. J'avois escrite au plus hault de la face Avec la honte une agreable audace Pleine d'un franc desir Avec le pied marchoit ma fantasie Deça, delĂ , sans peur ne jalousie Vivant de mon plaisir. Mais aussi tost que par mauvais desastre Je vey ton sein blanchissant comme albastre, Et tes yeux, deux soleilz, Tes beaux cheveux espanchez par ondĂ©es, Et les beaux lys de tes levres bordĂ©es De cent oeilletz vermeilz Incontinent j'appris que c'est service La libertĂ© de ma vie nourrice FĂÂŒit ton oeil felon, Comme la nue, en temps serein poussĂ©e Fuit Ă grandz pas l'aleine courroucĂ©e De l'Oursal Aquilon. Et lors tu mis mes deux mains Ă la chesne, Mon col au cep, et mon coeur Ă la gesne, N'ayant de moy pitiĂ©, Non plus helas qu'un oultrageux corsere O fier destin a pitiĂ© d'un forcere A la chesne liĂ©. Tu mis apres en signe de conqueste Maistralement tes deux piedz sur ma teste, Et du front m'a ostĂ© La jeune honte, et l'audace premiere, Acouhardant mon ame prisonniere Serve Ă ta volontĂ© Vengeant d'un coup mille faultes commises, Et les beaultez qu'Ă grand tort j'avois mises Paravant Ă mespris, Qui me prioyent, en lieu que je te prie Mais d'autant plus que mercy je te crie Tu es sourde Ă mes cris, Et ne responz non plus que la fonteine Qui de Narcis mira la forme vaine, Vengeant dessus son bord Mille beaultez des Nymphes amoureuses, Que cet enfant par mines dedaigneuses Avoit mises Ă mort. III Chanson Petite pucelle Angevine, Qui m'as par un traitre souris TirĂ© le cueur de la poictrine, Puis, des l'heure que tu le pris, Contre droict et contre raison, Tu l'enfermas dans ta prison. OĂÂč de toy sa rude joliere Il reçoit un tel traictement, Qu'une tigresse la plus fiĂšre Auroit pitiĂ© de son torment, Et amoliroit sa rigueur, Aux miseres de sa langueur. Mais toy, plus fiere et plus cruelle Qu'un roc pendu dessus la mer, Tu deviens tous les jours plus belle Du dueil qui le faict consommer, Tirant ta beaultĂ© de le veoir Mourir soubz toy de desespoir. Et non sans plus, maitresse rude, Tu fais mon cueur languir Ă tort, Par une honneste ingratitude Me donnant une lente mort, Voyant pasmer en triste esmoy Dans ta prison mon cueur et moy Mais en lieu d'un sacrĂ© PoĂte, De moy, qui chantois ton honneur, Tu as nouvelle amitiĂ© faicte Avec je ne scay quel Seigneur, Qui maintenant tout seul te tient, Et plus de moy ne te souvient. Ha, fille trop sotte et trop nice, Tu ne scais encore que c'est De faire aus grandz seigneurs service, Qui en amour n'ont point d'arrest, Et qui suyvent sans loyaultez En un jour dix mile beautez. Si tost qu'ilz en ont une prise, Ils la delaissent tout expres, Afin qu'une autre soit conquise Pour la laisser encore apres, Et n'ont jamais aultre plaisir Que de changer et de choisir. Celuy qui ores est ton maistre, Et qui te tient comme veinqueur, Te laissera demain, peult estre, Et je le vouldrois de bon coeur! Si le ciel de nous a soucy Puisse arriver demain ainsi. Le ciel qui les vices contemple Punist les traitres amoureux Anaxarete en sert d'exemple, Qui devint rocher malheureux, Perdant sa vie, pour avoir OsĂ© son amy decevoir. IV Chanson Amour, dy moy de grace ainsi des bas humains, Et des dieux soit tousjours l'empire entre tes mains Qui te fournist de fleches, Veu que tousjours armĂ© en mile et mile lieux, Tu perdz tes traitz es cueurs des hommes et des dieux Empennez de flammeches? Mais je te pri' dy moy, est-ce point le dieu Mars, Quand il revient chargĂ© des armes des soudars Occis Ă la bataille? Ou bien si c'est Vulcan qui dedans ses fourneaux AprĂšs les tiens perduz t'en refaict de nouveaux, Et en don te les baille? Pauvret respond Amour, et quoy ignores-tu, O jentil serviteur! la puissante vertu Des beaux yeux de t'amye? Plus je respens mes traitz sur hommes et sur Dieux, Et plus en un moment m'en fournissent les yeux De ta belle Marie. V Chanson Mais voyez, mon cher esmoy, Voyez combien de merveilles Vous parfaites dedans moy Par voz beautez nompareilles. De telle façon voz yeux, Vostre ris et vostre grace, Vostre front, et voz cheveux Et vostre angelique face, Me brulent depuis le jour Que j'en eu la connoissance, Desirant par grande amour En avoir la jouissance. Que si ce n'estoient les pleurs Dont ma vie est arrosĂ©e, Long temps a que les chaleurs D'Amour l'eussent embrasĂ©e. Au contraire, voz beaux yeux, Vostre ris, et vostre grace, Vostre front, et voz cheveux, Et vostre angelique face Me gelent depuis le jour Que j'en eu la connoissance, Desirant par grande amour En avoir la joĂÂŒissance. Que, si ne fust les chaleurs Dont mon ĂÂąme est embrasĂ©e, Long temps a que par mes pleurs En eau se fut Ă©puisĂ©e. Voyez donc, mon cher esmoy, Voyez combien de merveilles Vous parfaites dedans moy Par voz beaultez nompareilles. VI Chanson Pourquoy tournez vous voz yeux Gratieux De moy quand voulez m'occire? Comme si n'aviez pouvoir Par me voir, D'un seul regard me destruire. Las! vous le faites afin Que ma fin Ne me semblast bien heureuse, Si j'allois en perissant JoĂÂŒissant De vostre oeillade amoureuse. Mais quoy? vous abusez fort Ceste mort, Qui vous semble tant cruelle Me semble un gaing de bon heur Pour l'honneur De vous, qui estes si belle. VII Chanson Bon jour mon cueur, bon jour ma doulce vie. Bon jour mon oeil, bon jour ma chere amye, HĂ© bon jour ma toute belle, Ma mignardise, bon jour, Mes delices, mon amour, Mon dous printemps, ma doulce fleur nouvelle Mon doulx plaisir, ma douce columbelle, Mon passereau, ma gente tourterelle, Bon jour, ma doulce rebelle. HĂ© fauldra-t-il que quelcun me reproche Que j'ay vers toy le cueur plus dur que roche De t'avoir laissĂ©, maitresse, Pour aller suivre le Roy, Mandiant je ne sçay quoy Que le vulgaire appelle une largesse? Plustost perisse honneur, court, et richesse, Que pour les biens jamais je te relaisse, Ma doulce et belle deesse. VIII Chanson Belle et jeune fleur de quinze ans Qui sens encore ton enfance, Mais bien qui celes au dedans Un cueur remply de desçevance, Cachant soubz ombre d'amitiĂ© Une jeunette mauvaitiĂ©, Ren moy si tu as quelque honte Mon cueur, que tu m'as emmenĂ©, Dont tu ne fais non plus de conte Que d'un prisonnier enchesnĂ©, Ou d'un valet, ou d'un forcere Qui est esclave d'un corsere. Une autre moins belle que toy, Mais d'une nature plus bonne, Le veult par force avoir de moy, Me priant que je le luy donne Elle l'aura puis qu'autrement Il n'a de toy bon traitement. Mais non j'ayme trop mieux qu'il meure Que de l'oster hors de tes mains, J'ayme trop mieux qu'il y demeure Soufrant mille maux inhumains, Qu'en te changeant jouyr de celle Qui doucement Ă soy l'appelle. IX Chanson Le printemps n'a point tant de fleurs, L'autonne tant de raisins meurs, L'estĂ© tant de chaleurs halĂ©es, L'yver n'a point tant de gelĂ©es Ni la mer n'a tant de poissons, Ni la Secile de moissons, Ni l'Afrique n'a tant d'arenes, Ni le mont d'Ide de fonteines, Ni la nuict tant de clairs flambeaux, Ni les forestz tant de rameaux, Que je porte au cueur, ma maitresse, Pour vous de peine et de tristesse. X Chanson Demandes tu, douce ennemye, Quelle est pour toy ma pauvre vie? Helas certainement elle est Telle qu'ordonner te la plest Pauvre, chetive, langoureuse, Dolente, triste, malheureuse, Et si Amour a quelque esmoy Plus facheux, il loge chez moy. Apres demandes tu, m'amie, Quelle compagnie a ma vie? Certes acompagnĂ©e elle est De telz compagnons qu'il te plest Ennuy, travail, peine et tristesse, Larmes, souspirs, sanglotz, detresse Et s'Amour a quelque soucy Plus facheux, il est mien aussi. Voila comment pour toy, m'amye, Je traine ma chetive vie, Heureux du mal que je reçoy Pour t'aymer cent fois plus que moy. XI Chanson Veu que tu es plus blanche que le lyz, Qui t'a rougi ta levre vermeillette D'un si beau teint? qui est ce qui t'a mis Sur ton beau sein ceste couleur rougette? Qui t'a noircy les arcz de tes sourcis? Qui t'a bruny tes beaux yeux, ma maitresse! O grand beaultĂ© remplie de soucis, O grand beaultĂ© pleine de grand liesse? O douce, belle, honeste cruautĂ©, Qui doucement me contrains de te suivre O fiere, ingrate, et facheuse beautĂ©, Avecque toy je veulx mourir et vivre. XII O toy qui n'es de rien en ton cueur amoureuse Que d'honneur et vertu qui te font estimer, Quoy? en glace et en feu voiras tu consommer Tousjours mon pauvre cueur sans luy estre piteuse? Bien que tu sois vers moy ingrate, et dedaigneuse, Fiere, dure, rebelle, et nonchallant'd'aymer, Encor je ne me puis engarder de nommer La terre oĂÂč tu naquis sur toute bien heureuse. Je ne te puis hĂ€yr, quoi que tu me sois fiere, Mais bien je hay celluy qui me mena de nuyct Prendre de tes beaux yeulx l'acointance premiere Celluy seul tout expres Ă la mort m'a conduit, Celluy seul me tua! hĂ© mon Dieu n'esse pas Tuer, que de conduire un homme Ă son trespas? XIII S'il y a quelque fille en toute une contrĂ©e Qui soit inexorable, inhumaine, et cruelle, Tousjours ell'est de moy pour dame rencontrĂ©e, Et tousjours le malheur me faict serviteur d'elle Mais si quelcune est douce, honneste, amyable et belle, La prise en est pour moy tousjours desesperĂ©e J'ay beau estre courtois, jeune, accord et fidelle, Elle sera tousjours d'un sot enamourĂ©e. Souz tel astre malin je naquis en ce monde "Voila que c'est d'aymer ceulx qui ont meritĂ© D'estre recompensez sont en douleur profonde, Et le sot voluntiers est tousjours bien traitĂ©. O traitre et lasche Amour, que tu es malheureux Malheureux est celluy qui devient amoureux. XIV HĂ© que voulez vous dire? estes vous si cruelle. De ne vouloir aymer? Voyez les passereaus Qui demenent l'amour voyez les colombeaux, Regardez le ramier, voyez la tourterelle. Voyez deçà delĂ d'une fretillante aesle Volleter par les boys les amoureux oiseaux, Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux, Et toute chose rire en la saison nouvelle Ici, la bergerette, en tournant son fuzeau Degoise ses amours, et lĂ , le pastoureau Respond Ă sa chanson icy toute chose ayme, Tout parle de l'amour, tout s'en veult enflammer Seulement vostre coeur froid d'une glace extreme Demeure opiniatre, et ne veult point aymer. XV J'ayme la fleur de Mars, j'ayme la belle Rose, L'une qui est sacrĂ©e Ă Venus la deesse, L'autre qui a le nom de ma belle maitresse, Pour qui ne nuict ne jour en paix je ne repose. J'ayme trois oiseletz, l'un qui sa plume arrose De la pluye de May, et vers le ciel se dresse L'autre qui veuf au boys lamente sa detresse L'autre qui pour son filz mile mottez compose. J'ayme un pin elevĂ© oĂÂč Venus apendit. Ma jeune libertĂ©, quand serf elle rendit Mon cueur, que doucement un bel oeil emprisonne. J'ayme un gentil laurier, de Phebus l'arbrisseau, Dont ma belle maistresse en tortant un rameau LiĂ© de ses cheveux me fist une couronne. XVI Aultre j'en jure Amour ne se scauroit vanter D'avoir part en mon cueur, vous seule en estes dame, Vous seule gouvernez les brides de mon ame, Et seulz voz yeux me font ou pleurer ou chanter Ils m'ont sceu tellement d'un regard enchanter Que je ne puis ardoir d'autre nouvelle flame Quand j'aurois devant moy toute nue une femme, Encores sa beautĂ© ne me scauroit tenter Si vous n'estes d'un lieu si noble que Cassandre Je ne scaurois qu'y faire, Amour m'a fait descendre Jusques Ă vous aymer, Amour qui n'a point d'yeus, Qui tous les jours transforme en cent sortes nouvelles, Aigle, Cigne, Toreau ce grand maistre des Dieux, Pour le rendre amoureux de noz femmes mortelles. XVII Amour comme lon dict, ne naist d'oysivetĂ©, S'il naissoit de repos il ne fust plus mon maistre Je cours, je vays, je viens, et si ne me depestre De son lien qui tient serve ma libertĂ©. Je ne suis point oisif, et ne l'ay point estĂ©, Tousjours la hacquebute, ou la paume champestre, Ou l'escrime qui rend une jeunesse adextre Me tient en doux travail tout le jour arrestĂ© Ores le chien couchant, ores la grande chasse, Ores un gros ballon bondissant en la place, Ores nager lutter, voltiger et courir M'amusent sans repos mais plus je m'exercite, Plus Amour naist dans moy, et plus je sentz nourrir Son feu, qu'un seul regard au cueur me ressuscite. XVIII Les villes et les bourgs me sont si odieux Que je meurs, si je voy quelque tracette humaine Seulet dedans les boys pensif je me promeine, Et rien ne m'est plaisant que les sauvages lieux. Il n'y a dans ces bois sangliers si furieux, Ni roc si endurcy, ny ruisseau, ny fonteine, Ni arbre tant soit sourd, qui ne sache ma peine, Et qui ne soit marry de mon mal ennuyeus. Ung penser, qui renaist d'un aultre, m'acompaigne Avec un pleur amer qui tout le sein me baigne, ReschauffĂ© de souspirs qui renfrongner me font Si bien que si quelcun me trouvoit au bocage Voyant mon poil rebours, et l'horreur de mon front, Homme ne me diroit, mais un monstre sauvage. XIX Las! pour vous trop aymer je ne vous puis aymer, Car il fault en aimant avoir discretion Helas! je ne l'ay pas car trop d'affection Me vient trop folement tout le cueur enflammer. D'un feu desesperĂ© vous faictes consommer Mon cueur, qui va brulant sans intermission, Et si bien la fureur nourrit ma passion Que la raison me fault, dont je me deusse armer. Ah! guerissez moy donc de ma fureur extreme, Afin qu'avec raison honorer je vous puisse, Ou pardonnez au moins mes faultes Ă vous mesme, Et le pechĂ© commis en tatant vostre cuisse Car je n'eusse touchĂ© en lieu si deffendu, Si pour trop vous aymer mon sens ne fust perdu. XX Ode Un enfant dedans un bocage Tendoit finement ses gluaux, A fin de prendre des oyseaux Pour les emprisonner en cage. Quand il veit par cas d'adventure, Pres un buys Amour emplumĂ©, Qui voloit par le boys ramĂ© Comme oyseau de mauvais augure. Son plumage luisoit plus beau Que n'est du paon la queue estrange, Et sa face sembloit un Ange Qu'on voit portrait en un tableau. Cet enfant qui ne scavoit pas Que c'estoit, fut si plein de joye Que pour prendre une si grand' proye Tendit sa glus et tous ses lats. Mais quand il veid qu'il ne pouvoit Pour quelques gluaus qu'il peut tendre Ce cauteleux oyseau surprendre, Qui voletant le decevoit, Lors il se print Ă mutiner. Et gettant sa glux de colere, Vint trouver une vieille mere Qui se mesloit de deviner. Il luy va le fait expliquer, Et sur le hault d'un buys lui monstre L'oyseau de mauvaise rencontre, Qui ne faisoit que s'en moquer. La vieille, en branlant ses cheveux Qui ja grisonnoient de vieillesse, Luy dit Cesse, mon enfant, cesse, Si bien tost mourir tu ne veux, De prendre ce fier animal Cet oyseau, c'est Amour qui vole, Qui tousjours les hommes affole Et jamais ne fait que du mal. O que tu seras bien heureux Si tu le fuys toute ta vie, Et si jamais tu n'as envye D'estre au rolle des amoureux. Mais j'ay grand doubte qu'Ă l'instant Que d'homme parfait auras l'age, Ce malheureux oyseau volage Qui par ces arbres te fuyt tant, Sans y penser te surprendra Comme une jeune et tendre queste, Et foullant de ses piedz ta teste, Que c'est que d'aimer t'aprendra. XXI Chanson Quand je te veux raconter mes douleurs Et de quel feu en te servant je meurs Et quel venin desseche ma moĂÂŒelle, Ma voix tremblote, et ma langue chancelle, Mon cueur tressault, et mon sang au dedans Est tout troublĂ© de gros souspirs ardens. Sur mes genoulz se sied une gelĂ©e, Jusqu'aux talons une sueur salĂ©e De tout mon corps comme un fleuve se suit, Et sur mes yeux nage une obscure nuict Tanseulement mes larmes abondantes Sont les tesmoings de mes flames ardentes, De mon amour, et de ma foy aussi, Qui sans parler te demandent mercy. XXII Chanson Il m'advint hyer de jurer Qu'on voirroit mon amour durer Apres la mort, ma chere amye, Et afin de t'asseurer mieux Je feis le serment par mes yeux, Et par mon cueur, et par ma vie. Quoy? dis-tu, cela est Ă moy. Bien! je le veulx qu'il soit Ă toy, Mais las! ma langueur miserable, Et mes pleurs sont miens pour le moins, Qui te serviront de tesmoings Que ma parole est veritable. Alors, belle, tu me baisas, Et doucement desatizas Le feu de ma gentille rage Puis tu feis signe de ton oeil, Que tu recevois bien mon dueil, Et ma langueur pour tesmoignage. XXIII Chanson Je suis tellement langoureux Qu'au vray raconter je ne puis Ni oĂÂč je suis, ne qui je suis Chetif quiconque est amoureux. J'ay pour mon hoste nuict et jour Dedans le cueur un fier esmoy, Qui va exerceant dessus moy Toutes les cruaultez d'Amour Et ne puis me desenflamer De celle qui m'occist Ă tort Car plus el'me donne la mort, Plus je suis contraint de l'aymer. XXIV Chanson Je te hay bien croy moy maitresse, Je te hay bien, je le confesse. Mais toy que je debvrois plus fort Hayr mile fois que la mort, Il faut que maugrĂ© moy je t'ayme Dix mille fois plus que moymesme Car plus ta fiere cruaultĂ© M'espovante, plus ta beaultĂ© Pour mourir et vivre avec elle A ton service me r'appelle. XXV Chanson Si le ciel est ton pays et ton pere, Si l'Ambrosie est ton vin savoureux, Si Venus est ta delicate mere, Si tu te pais de Nectar bienheureux, Que viens tu faire ĂÂŽ cruel en la terre? Pourquoy viens tu habiter dans mon sein? Pourquoy fais tu contre mes ĂÂŽs la guerre? Pourquoy boys tu mon pauvre sang humain? Pourquoy prendz tu de mon cueur nourriture? O filz d'un tygre, ĂÂŽ cruel animal HĂ© que tu es de meschante nature! Je suis Ă toy, pourquoy me fais tu mal? XXVI Si tost que tu as beu quelque peu de rosĂ©e, Soit de nuict, soit de jour, cachĂ© dans un buisson, Pendant les aesles bas, tu dis une chanson D'une notte rustique Ă ton grĂ© composĂ©e. Si tost que j'ay ma vie un petit arrousĂ©e Des larmes de mes yeux, en la mesme façon CouchĂ© dedans ce boys j'espen un triste son, Selon qu'Ă larmoyer mon ame est disposĂ©e. Si te passĂ© je bien, d'autant que tu ne pleures Sinon trois moys de l'an, et moy Ă toutes heures, NavrĂ© d'une beautĂ© qui me tient en servage. Mais helas, Rousignol, ou bien Ă mes chansons Si quelque amour te poingt accorde tes doux sons, Ou laisse moy tout seul pleurer en ce bocage. XXVII J'ay cent mile tormentz, et n'en voudrois moins d'un, Tant ils me sont plaisantz, pour vous belle maitresse Un facheux desplaisir me vaut une liesse, Et jamais mon seigneur ne me fut importun. Je suis bien asseurĂ© que si jamais aucun Fut heureux en servant une humaine dĂ©esse, De cueur et de parolle heureux je me confesse, Et ne veux point ceder en bon heur Ă quelqu'un. Tant plus je suis malade, et plus je suis dispos, J'appelle mon travail un gratieux repos Amour m'aprend par cueur ce langage, et m'assure Qu'il vault trop mieux mourir pour si belle victoire Que de gaigner ailleurs il le dit et le jure Par son arc et ses traitz, et je le veux bien croire. XXVIII Mars fut vostre parein quand naquistes, Marie, La Mer vostre mareine un Dieu cruel et fier, L'autre, element auquel on ne se doit fier, Car tost son onde est douce, et tost elle est marrie. Soubz un tiltre d'honneur ce guerrier nous convie De hanter les combatz, puis est nostre meurtrier La Mer quand ell'est douce en flatant vient prier Qu'on aille en son giron, puis nous oste la vie. Vous tenez de ce Dieu, mais trop plus de la Mer, Qui feistes vos beaux yeux serenement calmer, Vostre front, vostre bouche, et tout vostre visage, Affin de m'atirer, puis quand me veistes pris Vous feistes sur mon chef deborder un orage, Pour me noyer aux flotz de la douce Cypris. XXIX Belle, gentille, honneste, humble et douce Marie, Qui mon cueur dans voz yeux prisonnier dĂ©tenez, Et qui par montz et vaulx comme esclave menez De vostre blanche main ma prisonniere vie. HĂ© quantesfoys le jour me prend il une envie De rompre voz prisons, mais plus vous me donnez Espoir de libertĂ©, plus vous m'emprisonnez L'ame, qui languiroit sans vous estre asservie. Ha je vous ayme tant que je suis fol pour vous, J'ay perdu ma raison, et ma langue debile. Au milieu des propos vous nomme Ă tous les coups, Vous, comme son subject, sa parolle, et son stile, Et qui parlant ne fait qu'interpreter, sinon Mon esprit qui ne pense en rien qu'en vostre nom. XXX Mes souspirs, mes amys, vous m'estes agreables D'autant que vous sortez pour un lieu qui le vault Je porte dans le cueur des flames incurables, Le feu pourtant m'agrĂ©e, et du mal ne me chault Autant me plaist sentir le froid comme le chault, Plaisir et desplaisir me sont biens incroiables, Bien heureux je m'estime aymant en lieu si hault, Et si veulx estre mis au rang des miserables. Des miserables, non, mais au rang des heureux, Car un homme ne peult sans se veoir amoureux Sentir en doux torment que vallent les liesses Non, je ne voudrois pas pour l'or de l'univers N'avoir souffert les maux qu'en aymant j'ay souffertz, Pour l'attente d'un bien qui vault mille tristesses. XXXI Comment au departir l'adieu pourroy je dire, Duquel le souvenir tanseulement me pasme Adieu donc chere vie, adieu donc ma chere ame, Adieu mon cher soucy, par qui seul je souspire. Adieu le bel object de mon plaisant martire, Adieu bel oeil divin qui m'englace et m'enflame, Adieu ma doulce glace, adieu ma doulce flame, Adieu par qui je vis, et par qui je respire Adieu belle, humble, honeste, et gentille maistresse, Adieu les doulx liens oĂÂč vous m'avez tenu Maintenant en travail, maintenant en liesse Il est temps de partir, le jour en est venu Mais avant que partir je vous supplie, en lieu De moy, prendre mon cueur, tenez je le vous laisse, Voy le lĂ , baisez moy, maistresse, et puis adieu. XXXII Quand je vous voy, ma gentille maistresse, Je deviens fol, sourd, muet, et sans ame, Dedans mon sein mon pauvre cueur se pasme, Entre-surpris de joye et de tristesse. Par tout mon chef le poil rebours se dresse, De glace froide une fiebvre m'enflamme Venes et nerfz en tel estat, ma dame, Je suis pour vous, quand Ă vous je m'adresse. Mon oeil creint plus les vostres qu'un enfant Ne creint la verge, ou la fille sa mere, Et toutefois vous ne m'estes severe Sinon au point que l'honneur vous deffend Mais c'est assez, puisque de ma misere La garison d'autre part ne despend. XXXIII Si quelque amoureux passe en Anjou par Bourgueil, Voye un pin elevĂ© par desus le vilage, Et lĂ tout au plus hault de son pointu fueillage Voyra ma libertĂ©, qu'un favorable acueil A pendu pour trophĂ©e aus graces d'un bel oeil, Qui depuis quinze mois me detient en servage Mais servage si doux que la fleur de mon age Est heureuse d'avoir le bien d'un si beau dueil. Amour n'eust sceu trouver un arbre plus aymĂ© Pour pendre ma despouille, en qui fut transformĂ© Jadis le bel Atys sur la montaigne IdĂ©e Mais entre Atys et moy il y a difference, C'est qu'il fut amoureux d'une vieille ridĂ©e, Et moy d'une beautĂ© qui ne sort que d'enfance. XXXIV Chanson Ma maistresse est toute angelette, Toute belle fleur nouvellette, Toute mon gratieux acueil, Toute ma petite brunette, Toute ma doulce mignonnette, Toute mon cueur, toute mon oeil. Toute ma grace et ma Charite, Toute belle perle d'eslite, Toute doux parfun Indien, Toute douce odeur d'Assirie, Toute ma douce tromperie, Toute mon mal, toute mon bien. Toute miel, toute reguelyce, Toute ma petite malice, Toute ma joye, et ma langueur, Toute ma petite Angevine, Ma toute simple, et toute fine, Toute mon ĂÂąme, et tout mon coeur. Encore un envieux me nie Que je ne doibs aymer m'amye Mais quoy? si ce bel envieux Disoit que mes yeux je n'aymasse, Penseriez-vous que je laissasse, Pour son dire, Ă n'aymer mes yeux? XXXV Chanson Je ne veulx plus que chanter de tristesse, Car autrement chanter je ne pourrois, Veu que je suis absent de ma maistresse Si je chantois autrement, je mourrois. Pour ne mourir il fault donc que je chante En chantz piteux ma plaintive langueur, Pour le despart de ma maistresse absente, Qui de mon sein me dĂ©roba le cueur. DĂ©jĂ l'EstĂ©, et Cerez la bledtiere, Ayant son front enceint de son present, A ramenĂ© sa moisson nourriciere Depuis le temps que mort je suis absent De ses beaux yeux, dont la lumiere belle Seule pourroit garison me donner, Et si j'estois lĂ bas en la nacelle Me pourroit faire en vie retourner. Mais ma raison est si bien corrompue Par une faulce imagination Que nuict et jour je la porte en la veue, Et sans la voir j'en ay la vision. Comme celuy qui contemple les nues Pense adviser mile formes lĂ sus D'hommes, d'oyseaux, de chimeres cornues, Et ne voit rien, car ses yeux sont deceuz Et comme cil qui d'une aleine forte, En haute mer, Ă puissance de bras Tire la rame, il pense qu'ell'soit torte Rompue en l'eau, toutesfois ne l'est pas Ainsi je voy d'une veĂÂŒe trompĂ©e Celle qui m'a tout le sens depravĂ©, Qui dans mes yeux, et dans l'ĂÂąme frappĂ©e Par force m'a son portrait engravĂ©, Et soit que j'erre au plus hault des montaignes, Ou dans un boys, loing de gens et de bruit, Soit dans des prez; ou parmi les campagnes, Tousjours Ă l'oeil ce beau portrait me suit. Si j'apperçoy quelque champ qui blondoie D'espicz frisez au travers des sillons, Je pense veoir ses beaux cheveux de soye Refrisotez en mile crespillons. Si j'apperçoy quelque table carrĂ©e D'yvoire, ou jaspe applany proprement, Je pense veoir la voulte mesurĂ©e De son beau front egallĂ© plenement. Si le Croissant au premier moys j'advise, Je pense veoir son sourcy ressemblant A l'arc d'un Turc, qui la sagette a mise Dedans la coche, et menace le blanc. Quand Ă mes yeux les estoilles drillantes Viennent la nuict en temps calme s'offrir, Je pense veoir ses prunelles ardentes, Que je ne puis ny fĂÂŒyr ny souffrir. Quand j'apperçoy la rose sur l'espine, Je pense veoir de ses levres le tainct, Mais la beautĂ© de l'une au soir decline, L'autre beautĂ© jamais ne se destainct. Quand j'apperçoy des fleurs dans une prĂ©e S'Ă©panouir au lever du Soleil, Je pense veoir de sa joĂÂŒe pourprĂ©e Et de son sein le beau lustre vermeil. Si j'apperçoy quelque chesne sauvage Qui jusqu'au ciel esleve ses rameaux, Je pense veoir en luy son beau corsage, Ses pieds, sa greve, et ses coudes jumeaux. Si j'entendz bruire une fontaine clere, Je pense ouyr sa voix dessus le bord, Qui, se plaignant de ma triste misere, M'apelle Ă soy pour me donner confort. Voila comment pour estre fantastique En cent façons ses beaultez j'apperçoy, Et m'esjouys d'estre melancolique Pour recevoir tant de formes en moy... Amour vrayement est une maladie, Les medecins la scavent bien juger, L'appellant mal, fureur de fantasie Qui ne se peult par herbes soulager. J'aymerois mieux la fiebvre dans mes venes, Ou quelque peste, ou quelqu'autre douleur, Que de souffrir tant d'amoureuses peines, Qui sans tĂÂŒer me consomment le cueur. Or'va, chanson, dans les mains de ma sainte, Mon angelette, et luy racompte aussi Que ce n'est point tromperie ny fainte De tout cela que j'ay descrit icy. XXXVI Chanson Comme la cire peu Ă peu, Quand pres du foĂÂŒyer on l'approche, Se fond Ă la chaleur du feu Ou comme au feste d'une roche, La nege, encores non foulĂ©e, Au soleil se perd escoulĂ©e Quand tu tournes tes yeux ardens Sur moy, d'une oeillade sutille, Je sens tout mon cueur au dedans Qui se consomme, et se distile, Et ma pauvre ame n'a partie Qui ne soit en feu convertie Comme une rose qu'un amant Cache au sein de quelque pucelle, Qu'ell'est tout le jour enfermant Pres de son tetin qui pommelle, Puis chet fanie sur la place Au soir quand elle se delace Et comme un lys par trop lavĂ© De quelque pluye printaniere Penche Ă bas son chef agravĂ© Dessus la terre nourriciere, Sans que jamais il se releve Tant l'humeur pesante le greve Ainsi mon chef Ă mes genoux Me tombe, et mes genoux Ă terre, Sur moy ne bat vene ni poux, Tant la douleur le cueur me serre Je ne puis parler, et mon ame Engourdie en mon corps se pasme. Lors ainsi pasmĂ© je mourrois, Si d'un seul baiser de ta bouche Mon ame tu ne secourois Et mon corps froid comme une souche, Me resouflant en chaque vene La vie par ta douce alene Afin d'estre plus tormentĂ©, Et que plus souvent je remeure, Comme le cueur de PromethĂ© Qui renaist cent fois en une heure, Pour servir d'apast miserable A son vautour insatiable. XXXVII Chanson Hyer au soir que je pris maugrĂ© toy Un doux baiser assis de sur ta couche, Sans y penser, je laissay dans ta bouche Mon ĂÂąme, las! qui s'enfuit de moy. Me voyant prest sur l'heure de mourir, Et que mon ame amuzĂ©e Ă te suivre Ne revenoit mon corps faire revivre, Je t'envoiay mon coeur pour la querir. Mais mon coeur pris de ton oeil blandissant Ayma trop mieux estre chez toy, ma dame, Que retourner et non plus qu'Ă mon ame Ne luy chaloit de mon corps perissant. Et si je n'eusse en te baisant ravy Du feu d'Amour quelque chaleur ardente, Qui depuis seule en lieu de l'ame absente Et de mon coeur de vie m'a servy, Voulant hyer mon torment apaiser, Par qui sans ame et sans coeur je demeure, Je fusse mort entre tes bras, Ă l'heure Que maugrĂ© toy je te pris un baiser. XXXVIII Chanson Plus tu cognois que je brusle pour toy, Plus tu me hais, cruelle Plus tu cognois que je vis en esmoy, Et plus tu m'es rebelle. Mais c'est tout un, car las! je suis tant tien Que je beniray l'heure De mon trespas au moins s'il te plaist bien Qu'en te servant je meure. XXXIX O ma belle maitresse, Ă tout le moins prenez De moi vostre servant ce Roussignol en cage. Il est mon prisonnier, et je vis en servage De vous, qui sans mercy en prison me tenez Allez donq Roussignol, en sa chambre, et sonnez Mon dueil Ă son oreille avec vostre ramage, Et s'il vous est possible Ă©mouvez le courage De ma dame Ă pitiĂ©, puis vous en revenez Non, ne revenez point! que feriez vous chez moi? Sans aucun reconfort, vous languiriez d'esmoy "Un prisonnier ne peut un autre secourir. Dittes luy que je n'ay sur vostre bien envie, Et que tant seulement je me pleins de ma vie Qui languist en prison, et si n'y peut mourir. XL Chanson Je suis un demidieu quand assis vis Ă vis De toy, mon cher soucy, j'escoute les devis, Devis entrerompus d'un gracieux soubrire, Soubris qui me detient le coeur emprisonnĂ©, Car en voyant tes yeux je me pasme estonnĂ©, Et de mes pauvres flancz un seul mot je ne tire. Ma langue s'engourdist, un petit feu me court Honteux de sous la peau, je suis muet et sourd, Et une obscure nuit de sur mes yeux demeure, Mon sang devient glacĂ©, l'esprit fuit de mon corps, Je tremble tout de crainte, et peu s'en faut alors Qu'Ă tes pieds estendu languissant je ne meure. XLI Chanson Si je t'assaus, Amour, Dieu qui m'est trop cognu! En vain je te feray dans ton camp des alarmes, Tu es un vieil routier, et bien apris aus armes, Et moy jeune guerrier, mal apris et tout nu. Si je fuis devant toy, je ne sçaurois aller En lieu que je ne sois devancĂ© de ton aisle. Si je veux me cacher, l'amoureuse estincelle Qui reluist en mon coeur me viendra dĂ©celer. Si je veux m'embarquer, tu es fils de la mer, Si je m'enleve au ciel, ton pouvoir y commande, Si je tombe aux enfers, ta puissance y est grande. Ainsi maistre de tout, force m'est de t'aymer. Or' je t'aymerai donq, bien qu'envis de mon coeur, Si c'est quelque amitiĂ© que d'aymer par contrainte. Toutesfois comme on dit on voit souvent la creinte S'accompaigner d'amour, et l'amour de la peur. XLII A son livre Mon fils, si tu sçavois que lon dira de toy, Tu ne voudrois jamais dĂ©loger de chez moy, Enclos en mon poulpitre et ne voudrois te faire User ny fueilleter aux mains du populaire Quand tu seras party, sans jamais retourner, Il te faudra bien loing de mes yeux sejourner, Car ainsi que le vent sans retourner s'en vole, Sans espoir de retour s'Ă©chappe la parole. Ma parole c'est toy, Ă qui de nuict et jour J'ay contĂ© les propos que m'a tenus Amour, Pour les mettre en ces vers qu'en lumiere tu portes, Crochettant, maugrĂ© moy, de mon escrin les portes, Pauvret! qui ne sçais pas que les petis enfans De la France ont le nez plus subtil qu'Elephans. Donc, avant que tenter le hazard du naufrage, Voy du port la tempeste, et demeure au rivage On se repent trop tard quand on est embarquĂ© Tu seras assez tost des medisans moquĂ© D'yeux et de haussebecs, et d'un branler de teste Sage est celuy qui croit Ă qui bien l'admonneste. Tu sçais mon cher enfant que je ne te voudrois Ny tromper ny moquer, grandement je faudrois, Et serois engendrĂ© d'une ingrate nature, Si je voulois trahir ma propre geniture, Car ainsi que tu es nagueres je te fis, Et je ne t'ayme moins qu'un pere ayme son fils. Quoy? tu veux donc partir, et tant plus je te cuide Retenir au logis plus tu hausses la bride. Va donc, puis qu'il te plaist mais je te suppliray De respondre Ă chacun ce que je te diray, Afin que toi mon fils gardes bien, en l'absence, De moy le pere tien l'honneur et l'innocence. Si quelque dame honneste et gentille de coeur Qui aura l'inconstance et le change en horreur Me vient, en te lisant, d'un gros sourcy reprendre Dequoy je ne devois abandonner Cassandre, Qui la premiĂšre au coeur le trait d'Amour me meist, Et que le bon Petrarque un tel pechĂ© ne feist, Qui fut trente et un an amoureux de sa dame, Sans qu'une autre jamais luy peust eschaufer l'ame Responds luy, je te pry, que Petrarque sur moy N'avoit authoritĂ© pour me donner sa loy, Ny Ă ceux qui viendroient apres luy, pour les faire Si long temps amoureux sans s'en pouvoir deffaire Luy mesme ne fut tel car Ă voir son escrit Il estoit esveillĂ© d'un trop gentil esprit Pour estre sot trente ans, abusant sa jeunesse, Et sa Muse, au giron d'une seule maitresse Ou bien il jouissoit de sa Laurette, ou bien Il estoit un grand fat d'aymer sans avoir rien, Ce que je ne puis croire, aussi n'est-il croiable Non, il en jouissoit, puis l'a faitte admirable, "Chaste, divine, sainte aussi tout amant doit LoĂÂŒer celle de qui jouissance il reçoit Car celuy qui la blasme apres la jouissance N'est homme, mais d'un Tygre il a prins sa naissance. Quand quelque jeune fille est au commencement Cruelle, dure, fiere, Ă son premier amant, Et bien! il faut attendre, il peut estre qu'un heure Viendra, sans y penser, qui la rendra meilleure Mais quand elle devient de pis en pis tousjours, Plus dure, et plus cruelle, et plus rude en amours, Il la faut laisser lĂ , sans se rompre la teste De vouloir adoucir une si sotte beste Je suis de tel advis, me blasme de ce cas Ou loue qui voudra, je ne m'en soucy pas. Les femmes bien souvent sont causes que nous sommes Inconstans et legers, amadouant les hommes D'un pouvoir enchanteur, les tenant quelques fois Par une douce ruse un an, ou deux, ou trois Dans les liens d'Amour, sans aucune alegence Cependant un valet en aura jouissance, Ou quelque autre mignon, dont on ne se doubt'ra, Sa faux en la moisson segrettement mettra Et si ne laisseront, je parle des rusĂ©es Qui ont au train d'amour leurs jeunesses usĂ©es C'est bien le plus grand mal qu'un homme puisse avoir De servir quelque vieille apte Ă bien decevoir, D'enjoindre des labeurs qui sont insuportables, Des services cruels, des tĂÂąches miserables Car sans avoir esgard Ă la simple amitiĂ©, Aux prieres, aux coeurs, cruelles, n'ont pitiĂ© De leurs pauvres servans, tant elles font les braves, Qu'un Turc a de pitiĂ© de ses pauvres esclaves. Il faut vendre son bien, il faut faire presens De chaisnes, de carquans, de diamans luisans, Il faut donner la perle, et l'habit magnifique, Il faut entretenir la table, et la musique, Il faut prendre querelle, il faut les suporter Certes j'aymerois mieux de sur le dos porter La hotte, pour curer les estables d'AugĂ©e, Que d'estre serviteur d'une dame rusĂ©e. "La mer est bien Ă craindre, aussi est bien le feu, Et le ciel quand il est de tonnerres esmeu, Mais trop plus est Ă craindre une femme clairgesse D'esprit subtil et prompt quand elle est tromperesse Par mille inventions mille maux elle fait, Et d'autant qu'elle est femme, et d'autant qu'elle sçait. Quiconque fut le Dieu qui la meist en lumiere Vrayment il fut autheur d'une grande misere Il failloit par presens consacrez aux autels Achetter noz enfans des grands Dieux immortels Et non user sa vie avec ce soing aymable, Les femmes, passion de l'homme miserable, Miserable et chetif, d'autant qu'il est vassal, Vingt ou trente ans qu'il vit, d'un si fier animal. Mais, je vous pry, voyez comment par fines ruses Elles sçavent trouver mille faintes excuses Apres qu'el'ont pechĂ©! voyez Helene aprĂ©s Qu'Ilion fut brulĂ© de la flame des Grecs, Comme elle amadoĂÂŒa d'une douce blandice Son badin de mary qui pardonna son vice, Et qui plus que devant de ses yeux fut espris, Qui scintilloient encor les amours de Paris. Ulys qui fut si caut, bien qu'il sceust qu'une troppe De jeunes poursuyvans baizassent Penelope, Devorans tout son bien, si esse qu'il bruloit D'embrasser son espouse, et jamais ne vouloit Devenir immortel avec Circe la belle, Pour ne revoir jamais Penelope, laquelle Pleurant luy rescrivoit de son facheux sejour, Pendant que, luy absent, elle faisoit l'amour Si bien que le Dieu Pan de ses jeus print naissance, D'elle et de ses muguets la commune semence, Envoyant tout exprĂ©s pour sa commoditĂ© Son fils chercher Ulysse en Sparte la citĂ©. VĂ©lĂ comment la femme avec ses ruses donte L'homme, de qui l'esprit toutes bestes surmonte. Quand un jeune homme peut heureusement choisir Une belle maitresse esleĂÂŒe Ă son plaisir, Soit de haut ou bas lieu, pourveu qu'elle soit fille Humble, courtoise, honeste, amoureuse et gentille, Sans fard, sans tromperie, et qui sans mauvaistiĂ© Garde de tout son coeur une simple amitiĂ©, Aymant trop mieux cent fois Ă la mort estre mise Que de rompre sa foy quand elle l'a promise, Il la faut bien aymer tant qu'on sera vivant Comme une chose rare arrivant peu souvent. Celuy certainement merite sur la teste Le feu le plus ardent d'une horrible tempeste Qui trompe une pucelle, et mesmement alors Qu'elle se donne Ă nous et de coeur et de corps. N'esse pas un grand bien quand on fait un voiage De rencontrer quelcun qui d'un pareil courage Veut nous acompagner, et comme nous passer Les chemins tant soient-ils facheux Ă traverser? Aussi n'esse un grand bien de trouver une amye Qui nous ayde Ă passer cette chetive vie, Qui sans estre fardĂ©e, ou pleine de rigueur Traitte fidelement de son amy le coeur? Dy leur, si de fortune une belle Cassandre Vers moy se fust monstrĂ©e un peu courtoise et tendre, Un peu douce et traitable, et songneuse Ă garir Le mal dont ses beaux yeux dix ans m'ont fait mourir, Non seulement du corps, mais sans plus d'une oeillade Eust voulu soulager mon pauvre coeur malade, Je ne l'eusse laissĂ©e, et m'en soit Ă tesmoing Ce jeune enfant aislĂ© qui des amours a soing. Mais voiant que tousjours el'devenoit plus fiere, Je delyĂ© du tout mon amitiĂ© premiere Pour en aymer une autre en ce pais d'Anjou, OĂÂč maintenant Amour me detient sous le jou Laquelle tout soudain je quitteray, si elle M'est, comme fut Cassandre, orgueilleuse et rebelle, Pour en chercher une autre, afin de voir un jour De pareille amitiĂ© recompenser m'amour, Sentant l'affection d'un autre dans moymesme, "Car un homme est bien sot d'aymer si on ne l'ayme. Or', si quelqu'un aprĂ©s me vient blasmer de quoy Je ne suis plus si grave en mes vers que j'estoy A mon commencement, quand l'humeur Pindarique Enfloit empoulĂ©ment ma bouche magnifique, Dy luy que les amours ne se souspirent pas D'un vers hautement grave, ains d'un beau stille bas, Populaire et plaisant, ainsi qu'a fait Tibulle, L'ingenieux Ovide, et le docte Catulle Le fils de Venus hait ces ostentations Il sufist qu'on luy chante au vray ses passions, Sans enfleure ny fard, d'un mignard et dous stille, Coulant d'un petit bruit comme une eau qui distille. Ceus qui font autrement ils font un mauvais tour A la simple Venus, et Ă son fils Amour. S'il advient quelque jour que d'une voix hardie J'anime l'eschaufaut par une tragedie Sententieuse et grave, alors je feray voir Combien peuvent les nerfs de mon petit sçavoir Et si quelque Furie en mes vers je rencontre, Hardi, j'opposeray mes Muses alencontre, Et feray resonner d'un haut et grave son Pour avoir par au bouc la tragique tansson Mais ores que d'Amour les passions je pousse, Humble je veux user d'une Muse plus douce. Non, non, je ne veux pas que pour ce livre icy On me lise au poulpitre, ou dans l'escole aussi D'un Regent sourcilleux il suffist si m'amye Le touche de la main dont elle tient ma vie Car je suis satisfait, si elle prend Ă grĂ© Ce labeur, que je voue Ă ses pieds consacrĂ©, Et Ă celles qui sont de nature amiables, Et qui jusqu'Ă la mort ne sont point variables. Second livre des meslanges de Pierre de Ronsard Vandomoys 1559 L'an se rajeunissoit... Sonets Ă Sinope I L'an se rajeunissoit en sa verde jouvence, Quand je m'espris de vous, ma Sinope cruelle Seize ans estoyent la fleur de vostre age nouvelle, Et vos beaux yeux sentoyent encore leur enfance. Vous aviez d'une infante encore la contenance, La parolle, et les pas, vostre bouche estoit belle, Vostre front, et vos mains dignes d'une immortelle, Et vos cheveux faisoyent au Soleil un offense. Amour, qui ce jour lĂ si grandes beautez vit, Dans un marbre, en mon cueur d'un trait les escrivit Et si pour le jourdhuy vos beautez si parfaittes Ne sont comme autresfois, je n'en suis moins ravy Car je n'ay pas egard Ă cela que vous estes, Mais au doux souvenir des beautez que je vy. II Sinope, de mon cueur vous emportez la clef, La clef de mes pensers, et la clef de ma vie Et toutesfois helas! je ne leur porte envye, Pourveu que vous ayez pitiĂ© de leur mechef. Vous me laissez tout seul en un tourment si gref, Que je mourray de dueil, d'ire et de jalousie Tout seul je le voudrois, mais une compagnie Vous me donnez de pleurs, qui coulent de mon chef. Que maudit soit le jour, que la flesche cruelle M'engrava dans le cueur vostre face si belle, Vos cheveux, vostre front, vos yeux, et vostre port! Je devois mourir lors sans plus tarder d'une heure. Le temps, que j'ai vescu depuis telle blesseure, Aussi bien n'a servy, qu'Ă m'alonger la mort. III Avant vostre partir je vous fais un present Bien que sans ce present impossible est de vivre, Sinope, c'est mon cueur, qui brule de vous suyvre. Gettez le en vostre coche il n'est pas si pesant. Il vous sera fidele, humble et obeissant, Comme un, qui de son grĂ© Ă vous servir se livre. Il est de toute amour, fors la vostre, delivre Mais la vostre le tue, et taist le mal qu'il sent. Mais plus vous le tuez, et plus vostre se nomme, Et dit que pour le moins il vaut le gentil-homme, Qui d'amour vous enflame, et n'en est enflamĂ©. O merveilleux effaicts de l'inconstance humaine! Celuy, qui ayme bien, languist tousjours en peine Celuy, qui n'ayme point, est tousjours bien aymĂ©. IV Ma Sinope, mon cueur, ma vie, et ma lumiere, Autant que vous passez toute jeune pucelle En grace et en beautĂ©, autant vous estes celle Qui m'estes Ă grand tort inconstante et legere. Pardon, si je l'ay dit las! plus vous m'estes fiere, Plus vous me decevez, plus vous me semblez belle Plus vous m'estes volage, inconstante, et rebelle, Et plus je vous estime, et plus vous m'estes chere. Or de vostre inconstance accuser je me doy, Vous fournissant d'amy qui fut plus beau que moy, Plus jeune et plus dispos, mais non d'amour si forte. Donques je me condanne, et vous absous du fait Car c'est bien la raison que la peine je porte, Sinope, et non pas vous, du pechĂ© que j'ay fait. V D'un sang froid, noir et lent, je sens glacer mon cueur Quand quelcun parle Ă vous, ou quand quelcun vous touche, Une ire au tour du cueur me dresse l'escarmouche, Jaloux contre celuy qui reçoit tant d'honneur. Je suis je n'en mens point jaloux de vostre soeur, De mon ombre, de moy, de mes yeux, de ma bouche. Ainsi ce petit Dieu, qui la raison me bousche, Me tient tousjours pour vous en soupson et en peur. Je ne puis aymer ceux, Ă qui vous faites chere, Fussent-ils mes cousins, mes oncles, ou mon pere, Je ne les puis aymer, mais je les hay bienfort. Les Roys ny les amans ne veulent point ensemble Avoir de compagnons Helas! je leur ressemble Plustost que d'en avoir, je desire la mort. VI Quand je suis tout bessĂ© sur vostre belle face, Je voy dedans vos yeux je ne sçay quoy de blanc, Je ne sçay quoy de noir, qui m'esmeut tout le sang, Et qui jusques au cueur de vene en vene passe. Je voy dedans Amour, qui va changeant de place, Ores bas, ores haut, tousjours me regardant, Et son arc contre moy coup sur coup debandant. Las! si je faux, raison, que veux-tu que j'y face? Tant s'en faut que je sois alors maistre de moy, Que je vendrois mon pere, et trahirois mon Roy, Mon paĂÂŻs, et ma soeur, mes freres et ma mere Tant je suis hors du sens, apres que j'ay tatĂ© A longs traits amoureux de la poison amere, Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchantĂ©. VII Je reçoy plus de bien Ă regarder vos yeux Qu'Ă boire, qu'Ă manger, qu'Ă dormir, ny qu'Ă faire Chose qui soit Ă l'ame, ou au corps necessaire Tant de vostre regard je suis ambicieux. Pource ny froid hyver, ny estĂ© chaleureux Ne me peut empescher, que je n'alle complaire A ce cruel plaisir, qui me rend tributaire De vos yeux, qui me sont si doux et rigoureux. Sinope, vous avez de vos lentes oeillades GastĂ© de mes deux yeux les lumieres malades, Et si ne vous chaut point du mal que m'avez fait Au moins guarissez-les, ou confessez l'offense Si vous la confessez, je seray satisfait, Me donnant un baiser pour toute recompense. VIII Si j'estois Jupiter, Sinope, vous seriez Mon espouse Junon si j'estois Roy des ondes, Vous seriez ma Thetys, Royne des eaux profondes, Et pour vostre maison la grand mer vous auriez Si la terre estoit mienne, avec moy vous tiendriez L'empire sous vos mains, dame des terres rondes, Et de sur une coche, en belles tresses blondes, Par le peuple en honneur, DĂ©esse, vous iriez. Mais je ne le suis pas, et puis vous ennuyez. D'aymer les bonnets rons, gras troupeau de l'Eglise. Ah! vous ne sçavez pas l'honneur que vous fuiez, Ny les biens qui cachez dedans ce bonnet sont. Si l'amour dans le monde a sa demeure prise, Il ne la prit jamais que dans un bonnet rond. IX Il ne faut dedagner le troupeau de l'Eglise, Pourtant s'il est gaillard, jeune, frais, et dispos, SejournĂ©, gros et gras, en aise, et en repos, En delices confit, en jeux et mignardise. Ma Sinope, mon cueur, quand une fille prise Par trop le mariage, elle est hors de propos Car un mary commande, il tence, il dit des mots Tous remplis de fureur, d'orgueil et de maistrise. Au contraire un amant est humble et suppliant, Comme franc de courage, et qui ne va liant Sa douce libertĂ© sous une loy de creinte. Qui veut hayr s'amie, il faut se marier Qui veut tousjours l'aymer, il ne faut s'y lier, Mais vivre avecques elle en amour sans contrainte. X Sinope, que j'adore en trop cruel destin, Quand d'un baiser d'amour vostre bouche me baise, Je suis tout esperdu, tant le cueur me bat d'aise Entre vos doux baisers puissay-je prendre fin! Il sort de vostre bouche un doux flair, qui le tin Surmonte de douceur, la rose, et la framboise, Et tout le just des fleurs dont l'avette Appuloise Fait dedans ses vaisseaux son miel le plus divin. Il sort de vos tetins une odoreuse haleine. Je meurs en y pensant de parfum toute pleine, Digne d'aller au ciel embasmer Jupiter. Mais quand toute mon ame en plaisir se consomme Mourant de sus vos yeux, lors pour me despiter Vous fuiez de mon col, pour baiser un jeune homme. XI Maistresse, Ă tous les coups vous m'alleguez S. Pol, Quand je vous veux baiser, vos yeux, ou vostre bouche, Ou quand trop librement vostre beau sein je touche, Ou quand ma dent lascive entame vostre col, Ou quand de bon matin, contrefaisant le fol, PassionnĂ© d'amour, je vois Ă vostre couche, Ou quand ma souple main vous dresse l'escarmouche A la breche qu'amour me defend du genol. Je sçay que je commets envers vous une faute, Mais la playe d'amour que je porte si haute, Et si parfonde au cueur, m'a l'esprit empeschĂ©, Ou bien ne soyez plus si gentille et si belle, Ou bien je ne sçaurois tant que vous serez telle M'engarder de vouloir faire un si beau pechĂ©. XII Sinope, baisez moy, non ne me baisez pas, Mais tirez moy le cueur de vostre douce halene. Non ne le tirez pas, mais hors de chaque vene Sucez moy toute l'ame esparse entre vos bras. Non ne la sucez pas, car apres le trespas Que seroi-je, sinon une semblance veine, Sans corps de sur la rive oĂÂč l'amour ne demeine, Comme il fait icy haut, qu'en feintes, ses esbas. Pendant que nous vivons, entr'aymon nous, Sinope, Amour ne regne point sur la debile trope Des morts, qui sont sillez d'un long somme de fer. C'est abus que Pluton ayt aymĂ© Proserpine, Si doux soing n'entre point en si dure poitrine Amour ne sçauroit vivre entre les morts d'enfer. XIII Comme d'un ennemy, je veux en toute place M'eslongner de vos yeux, qui mon cueur ont deceu, Petits yeux de Venus, par lesquels j'ay receu Le coup mortel au cueur, qui d'outre en outre passe. Je voy tousjours dans eux Amour qui me menasse, Au moins voyant son arc je l'ay bien aperceu Mais remparer mon cueur contre luy je n'ay sceu, Dont le trait fausseroit une forte cuirasse. Or pour ne les voyr plus je veux aller bien loing Vivre de sur le bord d'une mer solitaire Encore j'ay grand peur de ne perdre le soing, Qui hoste de mon cueur y loge nuict et jour. Lon peut bien sur la mer un long voyage faire, Mais on ne peut changer ny de cueur, ny d'amour. XIV Astres qui dans le ciel rouĂz vostre voiage, D'oĂÂč vient nostre destin de la Parque ordonnĂ©, Si ma Muse autre fois vos honneurs a sonnĂ©, Detournez s'il vous plait mon malheureux presage. Ceste nuict en dormant, sans faire aucun outrage A l'anneau que Sinope au soir m'avoit donnĂ©, S'est rompu dans mon doy, et du cas estonnĂ©, J'ay senti tout mon cueur bouillonner d'une rage. Si ma dame envers moy a peu rompre sa foy, Ainsi que cest anneau s'est rompu dans mon doy, Astres, je veux mourir envoyez moy le somme, Affin d'interpreter la doute de mon sort, Et faittes, s'il est vray, que mes yeux il assomme Sans plus les reveiller, au dormir de la mort. XV Vos yeux estoient blessez d'une humeur enflammĂ©e, Qui m'ont gastĂ© les miens d'une semblable humeur, Et pource que vos yeux aux miens ont fait douleur, Je vous ay d'un nom grec Sinope surnommĂ©e. Mais cest'humeur mauvaise au cueur est devallĂ©e Et lĂ comme maistresse a pris force et vigueur, Gastant mon pauvre sang, d'une blesme langueur, Qui ja par tout le corps lente s'est escoulĂ©e. Mon cueur environnĂ© de ce mortel danger, En voulant resister au malheur estranger, A mon sang converty en larmes et en pluye Affin que par les yeux auteurs de mon soucy Mon malheur fust noyĂ©, ou que par eux aussi Fuiant davant le feu j'espuisasse ma vie. XVI C'est trop aymĂ©, pauvre Ronsard, delaisse D'estre plus sot, et le temps despendu A prochasser l'amour d'une maistresse, Comme perdu pense l'avoir perdu. Ne pense pas, si tu as pretendu En trop haut lieu une haute DĂ©esse, Que pour cela un bien te soit rendu Amour ne paist les siens, que de tristesse. Je cognois bien que ta Sinope t'ayme, Mais beaucoup mieux elle s'ayme soy-mesme, Qui seulement amy riche desire. Le bonnet rond, que tu prens maugrĂ© toy, Et des puisnez la rigoreuse loy La font changer et peut estre Ă un pire. XVII Chanson Ă Olivier de Magny sur le chant de Saint Augustin Qui veult sçavoir amour et sa nature, Son arc, ses feux, ses traits et sa poincture, Que c'est qu'il est et que c'est qu'il desire, Lise ces vers, je m'en vois le decrire. C'est un plaisir tout remply de tristesse, C'est un tourment tout confit de liesse, Un desespoir oĂÂč tousjours lon espere, Un esperer oĂÂč lon se desespere. C'est un regret de jeunesse perdue, C'est dedans l'air une poudre espendue, C'est peindre en l'eau, et c'est vouloir encore Tenir le vent, et denoircir un More. C'est une foy pleine de tromperie, OĂÂč plus est seur celuy, qui moins s'y fie C'est un marchĂ©, qu'une fraude acompagne, OĂÂč plus y perd celuy, qui plus y gagne. C'est un feint ris, c'est une douleur vraye, C'est sans se pleindre avoir au cueur la playe, C'est devenir valet en lieu de maistre, C'est mille fois le jour mourir et naistre. C'est un fermer Ă ses amis la porte De la raison, qui languist presque morte, Pour en bailler la clef Ă l'ennemye, Qui la reçoit sous ombre d'estre amye. C'est mille maux pour une seule oeillade, C'est estre sain, et feindre le malade, C'est en mentant se parjurer, et faire Profession de flatter et de plaire. C'est une Hecube oser faire une Heleine, D'une CumĂ©e une autre Polyxene, C'est se promettre aveques son amye L'eternitĂ© d'une durable vie. C'est un grand feu couvert d'un peu de glace, C'est un beau jeu tout remply de fallace, C'est un despit, une guerre, une treve, Un long penser, une parole breve. C'est par dehors dissimuler sa joye, Celant un cueur au dedans, qui larmoye C'est un malheur si plaisant, qu'on desire Tousjours languir en un si beau martyre. C'est une paix, qui n'a point de durĂ©e, C'est une guerre au combat assurĂ©e, OĂÂč le veincu reçoit toute la gloire, Et le veincueur a perte en sa victoire. C'est une erreur de jeunesse, qui prise Une prison trop plus que sa franchise C'est un penser, qui jamais ne repose, Et si ne veut penser qu'en une chose. Et bref, Magny, c'est une jalousie, C'est une fievre en une frenaisie Car quel malheur plus grand nous pourroit suyvre, Qu'en nous mourir pour en un autre vivre? Donques Ă fin que ton cueur ne se mette Sous les liens d'une loy si sujette, Si tu m'en crois, prens y davant bien garde Le repentir est une chose tarde. XVIII Amourette Or que l'hyver roidist la glace espesse, Rechaufon nous, ma gentille maistresse, Non acroupis dans le fouyer cendreux, Mais au plaisir des combats amoureux. Assison nous sur cette verte couche. Sus baysez moy de vostre belle bouche. Pressez mon col de vos bras deliez, Et maintenant vostre mere oubliez, Que de la dent vostre tetin je morde, Que vos cheveux fil Ă fil je detorde Car il ne faut en si folastres jeux, Comme au Dimanche, arrenger ses cheveux. Approchez vous, tendez moy vostre oreille Ha! vous avez la couleur plus vermeille Que paravant avez vous point ouy Quelque doux mot, qui vous ayt rejouy? Je vous disois que la main j'allois mettre Sur vos genoux le voulez vous permettre? Vous rougissez, maistresse, je voy bien, A vostre front, que vous le voulez bien. Quoy? vous faut il cognoistre Ă vostre mine? Je jure Amour, que vous estes si fine, Que pour mourir de bouche ne diriez Qu'on vous le fist, bien que le desiriez Car toute fille, encor' qu'elle ait envye Du jeu d'aymer, desire estre ravie. Tesmoing en est Helene, qui suivit D'un franc vouloir celuy qui la ravit. Or je vais donc user d'une main forte Pour vous avoir ha, vous faittes la morte, Sus, endurez ce doux je ne sçay quoy Car autrement vous moqueriez de moy Dans vostre lit, quand vous seriez seulette. Or, sus, c'est fait, ma gentille doucette Recommençon, Ă fin que nos beaux ans Soyent rechaufez en combas si plaisans. XIX La quenoille Quenoille, de Pallas la compagne et l'amye, Cher present que je porte Ă ma chere ennemye, Afin de soulager l'ennuy qu'elle a de moy, Disant quelque chanson en filant de sur toy. Faisant pirouĂter tout le jour amusĂ©e Ou son rond devideau, ou sa grosse fusĂ©e. Sus, Quenoille, suy moy, je te meine servir, Celle que je ne puis m'engarder de suivir Tu ne viendras es mains d'une pucelle oysive, Qui ne fait qu'atifer sa perruque lascive, Et qui perd tout le jour, Ă mirer et farder Sa face, Ă celle fin qu'on l'aille regarder Mais bien entre les mains d'une disposte fille, Qui devide, qui coust, qui menage, qui file, Avecques ses deux soeurs, pour tromper ses ennuys, L'hyver davant le feu, l'estĂ© davant son huis Aussi je ne voudrois que toy, Quenoille gente, Qui es de Vandomois, oĂÂč le peuple se vente D'estre bon menager, allasses en Anjou Pour demeurer oysive, et te rouiller au clou. Je te puis assurer que sa main delicate, Peut estre, filera quelque drap d'escarlate, Qui si fin et si souef en sa laine sera, Que pour un jour de feste un Roy le vestira. Suy moy donc, tu seras la plus-que bien venue, Quenoille, des deux bouts et grellette et menue, Un peu grosse au milieu, oĂÂč la filace tient Estreinte d'un riban, qui de Montoire vient, Aime-laine, aime-fil, aime-estain, maisonniere, Longue, Palladienne, enflĂ©e, chansonniere. De Coustures desloge, et va droit Ă Bourgueil, OĂÂč, Quenoille, on te doit recevoir d'un bon oeil Car le petit present, qu'un loyal amy donne, Passe des puissans Roys le sceptre et la couronne. Les oeuvres de P. De Ronsard gentilhomme Vandomois 1560 Les Amours. PiĂšces ajoutĂ©es Livre I I Mon des Autelz, qui avez des enfance PuisĂ© de l'eau qui coule sur le mont OĂÂč les neuf Soeurs dedans un antre font Seules apart leur saincte demeurance. Si autrefois l'amoureuse puissance Vous a plantĂ© le myrthe sur le front, EnamourĂ© de ces beaux yeux qui sont Par vos escris l'honeur de nostre France, Ayez pitiĂ© de ma pauvre langueur Et de vos sons adoucissez le cueur D'une qui tient ma franchise en contraincte. Si quelque fois en vos cartiers je suis, Je flechiray par mes vers, si je puis, La cruautĂ© de vostre belle Saincte. II Chanson Je suis amoureux en deux lieux De l'un j'en suis desesperĂ©, De l'autre j'en espere mieux, Et si n'en suis pas asseurĂ© Que me sert d'avoir souspirĂ© Pour deux amours si longuement, Puis qu'en lieu du bien desirĂ© Je n'ay que malheur et torment Or quant Ă moy je suis content Desormais toute amour quitter, Puis qu'on voit un menteur autant Qu'un veritable meriter Je ne m'en veus plus tormenter Ny mettre en espreuve ma foy, Il est temps de se contenter Et n'aymer plus autre que moy. III ElĂ©gie Cherche, Cassandre, un poĂte nouveau Qui apres moy se rompe le cerveau A te chanter il aura bien affaire, Fusse un Bayf, s'il peut aussi bien faire. Si nostre empire avoit jadis estĂ© Par noz François aussi avant plantĂ© Que le Rommain, tu serois autant leĂÂŒe Que si Tibull' t'avoit pour sienne esleĂÂŒe Et neantmoins tu te dois contenter De veoir ton nom par la France chanter, Autant que Laure en Tuscan anoblie Se voit chanter par la belle Italie. Or, pour t'avoir consacrĂ© mes escris Je n'ay gaignĂ© sinon des cheveus gris, La ride au front, la tristesse en la face, Sans meriter un seul bien de ta grace Bien que mes vers et que ma loyautĂ© Eussent d'un tygre esmeu la cruautĂ© Et toutefois je m'asseure, quand l'age Aura dontĂ© l'orgueil de ton courage, Que de mon mal tu te repentiras Et qu'Ă la fin tu te convertiras Et ce pendant je souffriray la peine, Toy le plaisir d'une liesse veine De trop me veoir languir en ton amour, Dont Nemesis te doit punir un jour. Ceux qui amour cognoissent par espreuve Lisant le mal dans lequel je me treuve, Ne pardon'ront Ă ma simple amytiĂ© Tant seulement, mais en auront pitiĂ©. Or, quand Ă moy, je pense avoir perdue En te servant ma jeunesse, espendue Deça, delĂ dedans ce livre icy. Je voy ma faulte et la prens Ă mercy, Comme celuy qui sçait que nostre vie N'est rien que vent, que songe, et que folye. Livre II I Docte Buttet, qui as montrĂ© la voye Aux tiens de suivre Apollon et son Choeur, Qui le premier t'espoinçonnant le coeur, Te fist chanter sur les mons de Savoye, Puis que l'amour Ă la mort me convoye, De sur ma tombe apres que la douleur M'aura tuĂ© engrave mon malheur De ces sept vers qu'adeullez je t'envoye Celuy qui gist sous cette tombe icy Aima premiere une belle Cassandre, Aima seconde une Marie aussy, Tant en amour il fut facile a prendre. De la premiere il eut le coeur transy De la seconde il eut le coeur en cendre, Et si des deux il n'eut oncques mercy. II Au seigneur L'Huillier L'Huillier Ă qui Phoebus, comme au seul de nostre age, A donnĂ© ses beaux vers et son Lut en partage, En ta faveur icy je chante les amours Que Perrot et Thoinet soupirerent Ă Tours, L'un espris de Francine, et l'autre de Marie. Ce Thoinet est BaĂÂŻf, qui doctement manie Les mestiers d'Apollon ce Perrot est Ronsard, Que la Muse n'a fait le dernier en son art. Si ce grand duc de Guyse, honneur de nostre France, N'amuse point ta plume en chose d'importance, Prestes moi ton aureille, et t'en viens lire icy L'amour de ces pasteurs, et leur voyage aussi. Le voiage de Tours, ou les amoureus Thoinet et Perrot C'estoit en la saison que l'amoureuse Flore Faisoit pour son amy les fleurettes esclore, Par les prĂ©s bigarĂ©s d'autant d'aimail de fleurs Que le grand arc du ciel s'emaille de couleurs Lors que les papillons et les blondes avettes, Les uns chargez au bec, le autres aus cuissettes, Errent par les jardins, et les petites oyseaus, Volletans par les bois de rameaus en rameaus, Amassent la bechĂ©e, et parmy la verdure Ont souci comme nous de leur race future. Thoinet, en ce beau tems, passant par Vandomois, Me mena voir Ă Tours Marion, que j'aimois, Qui aus nopces estoit d'une sienne cousine, Et ce Thoinet aussi alloit voir sa Francine, Que la grande Venus, d'un trait plein de rigueur, Luy avoit sans mercy Ă©crite dans le coeur. Nous partismes tous deus du hameau de Coustures. Nous passames Gastine et ses hautes verdures Nous passames MarrĂ©, et vismes Ă mi-jour Du pasteur Phelipot s'eslever la grand tour Qui de Beaumont la Ronce honore le village, Comme un pin fait honneur aus fueilles d'un bocage. Ce pasteur, qu'on nommoit Phelipot le gaillard, Courtois, nous festoya jusques au soir bien tard. De lĂ vinsmes coucher au guĂ© de Lengenrie, Sous les saules plantĂ©s le long d'une praerie Puis, des le poinct du jour redoublant le marcher, Nous vismes dans un bois s'eslever le clocher De sainct-Cosme, pres Tours, oĂÂč la nopce gentile Dans un prĂ© se faisoit au beau millieu de l'isle. LĂ Francine dançoit, de Thoinet le souci, LĂ Marion balloit, qui fut le mien aussi. Puis, nous mettans tous deus en l'ordre de la dance, Thoinet tout le premier ceste pleinte commence Ma Francine, mon coeur, qu'oublier je ne puis, Bien que pour ton amour oubliĂ© je me suis, Quand dure en cruautĂ© tu passerois les Ourses Et le torrens d'yver desbordez de leurs courses, Et quand tu porterois en lieu d'humaine chair, Au fond de l'estomac, pour un coeur un rocher, Quand tu aurois sucĂ© le laict d'une Lyonne, Quand tu serois autant qu'une Tigre felonne, Ton coeur seroit encor de mes pleurs adouci, Et ce pauvre Thoinet tu prendrois Ă merci Je suis, s'il t'en souvient, Thoinet qui, des jeunesse, Te voyant sur le Clain, t'appella sa maitresse, Qui musette et flageol Ă ses levres usa Pour te donner plaisir mais cela m'abusa, Car, te pensant flechir comme une femme humaine, Je trouvay ta poitrine et ton aureille pleine Helas! qui l'eust pensĂ©, de cent mille glaçons, Lesquelz ne t'ont permis d'escouter mes chansons Et toutesfois le tems, qui les pretz de leurs herbes Despouille d'an en an, et les champs de leurs gerbes, Ne m'a point despouillĂ© le souvenir du jour Ny du mois oĂÂč je mis en tes yeux mon amour, Ny ne fera jamais, voire eussai-je avallĂ©e L'onde qui court lĂ bas sous l'obscure valĂ©e. C'estoit au mois d'Avril, Francine, il m'en souvient, Quand tout arbre florist, quand la terre devient De vieillesse en jouvence, et l'estrange arondelle Fait contre un soliveau sa maison naturelle Quand la lymace, au dos qui porte sa maison Laisse un trac sur les fleurs, quand la blonde toison. Va couvrant la chenille, et quand parmy les prĂ©es Vollent les papillons aux aesles diaprĂ©es, Lors que fol je te vy, et depuis je n'ay peu Rien voir apres tes yeux que tout ne m'ait dĂ©pleu. Il y a bien six ans, et si dedans l'oreille J'entens encor' le son de ta vois nompareille, Qui me gaigna le coeur, et me souvient encor De ta vermeille bouche et de tes cheveus d'or, De ta main, de tes yeus et si le tems qui passe A depuis dĂ©robĂ© quelque peu de leur grace, Si est-ce que de toi je ne suis moins ravy Que je fus sur le Clain le jour que je te vy Surpasser en beautĂ© toutes les pastourelles Que les jeunes pasteurs estimoient les plus belles. Car je n'ay pas Ă©gard Ă cela que tu es, Mais Ă ce que tu fus tant les amoureus traits. Te graverent dans moy, voire de telle sorte Que telle que tu fus telle au coeur je te porte. Des l'heure que le coeur des yeus tu me persas, Pour en scavoir la fin je fis tourner le sas Par une Janetton, qui au bourg de Crotelles, Soit du bien, soit du mal, disoit toutes nouvelles. Apres qu'elle eut trois fois crachĂ© dedans son sein, Trois fois esternuĂ©, elle prist du levain, Le rettate en ses dois, et en fist une image Qui te sembloit de port, de taille et de visage Puis tournoyant trois fois et trois fois marmonnant, De sa gertiere alla tout mon col entournant, Et me dist, Je ne tiens si fort de ma gertiere Ton col, que ta vie est tenue prisonniere Par les mains de Francine, et seulement la mort DĂ©noura le lien qui te serre si fort Et n'espere jamais de vouloir entreprendre D'Ă©chauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre. Las! je ne la creu pas, et pour vouloir adoncq En estre plus certain, je fis couper le joncq La veille de Sainct Jehan mais je vis sur la place Le mien, signe d'Amour, croistre plus d'une brasse, Le tien demeurer court, signe que tu n'avois Souci de ma langueur, et que tu ne m'aimois, Et que ton amitiĂ©, qui n'est point assurĂ©e, Ainsi que le jonc court est courte demeurĂ©e. Je mis pour t'essaier encores d'avant-hier Dans le creus de ma main des feuilles de coudrier Mais en tappant dessus nul son ne me rendirent, Et flaques sans sonner sur la main me fanirent, Vray signe que je suis en ton amour mocquĂ©, Puis qu'en frapant dessus elles n'ont point craquĂ©, Pour monstrer par effait, que ton coeur ne craquette, Ainsi que fait le mien, d'une flame segrette. O ma belle Francine! ĂÂŽ ma fiere! et pourquoy, En dançant, de tes dois ne me prens tu le doy? Pourquoy, lasse du bal, entre ces fleurs couchĂ©e, N'ai je sur ton giron ou la teste panchĂ©e, Ou la main sous ta cotte, ou la levre dessus Ton tetin, par lequel ton prisonnier je fus? Te semblai je trop vieil? encor la barbe tendre Ne fait que commencer sur ma joue Ă s'estendre, Et ta bouche qui passe en beautĂ© le coural, S'elle veult me baiser, ne se fera point mal Mais, ainsi qu'un lizard se cache sous l'herbette, Sous ma blonde toison cacheras ta languette, Puis, en la retirant, tu tireras Ă toy Mon coeur, pour te baiser qui sortira de moy. Helas prens donc mon coeur, avecques ceste paire De ramiers que je t'offre, ils sont venus de l'aire De ce gentil ramier dont je t'avois parlĂ©. Margot m'en a tenu plus d'une heure acollĂ©, Les pensant emporter pour les mettre en sa cage, Mais ce n'est pas pour elle et demain davantage Je t'en raporteray, avecques un pinson Qui desja scait par coeur une belle chanson, Que je fis l'autre jour desous une aubespine, Dont le commencement est Thoinet et Francine. Ha cruelle, demeure, et tes yeus amoureus Ne dĂ©tourne de moy. Ha je suis malheureus, Car je cognois mon mal, et si ay cognoissance D'Amour et de sa mere, et quelle est leur puissance Leur puissance est cruelle, et n'ont point d'autre jeu. Sinon que de bruler nos coeurs Ă petit feu, Ou de les englacer, comme aiant pris leur estre D'une glace ou d'un feu qu'on ne sçauroit cognoistre. Ha! que ne suis-je abeille ou papillon! j'irois MaugrĂ© toy te baiser, et puis je m'assirois Sur tes tetins, Ă fin de sucer de ma bouche Cette humeur qui te fait contre moy si farouche. O belle au dous regard, Francine au beau sourci, Baise moy, je te prie, et m'embrasses ainsi Qu'un arbre est embrassĂ© d'une vigne bien forte "Souvent un vain baiser quelque plaisir aporte. Je meurs! tu me feras despecer ce bouquet Que j'ai cueilli pour toi, de thin et de muguet, Et de la rouge fleur qu'on nomme Cassandrette, Et de la blanche fleur qu'on appelle Olivette, A qui Bellot donna et la vie et le nom, Et de celle qui prent de ton nom son surnom. Las! oĂÂč fuis tu de moi? Ha ma *fiere ennemie, Je m'en vois despouiller jaquette et souquenie, Et m'en courray tout nud au haut de ce rocher OĂÂč tu vois ce garçon Ă la ligne pescher, Afin de me lancer Ă corps perdu dans Loyre Pour laver mon souci, ou Ă fin de tant boyre D'escumes et de flots, que la flamme d'aimer Par l'eau contraire au feu, se puisse consumer. Ainsi disoit Thoinet, qui se pasma sur l'herbe, Presque transi de voir sa dame si superbe, Qui rioit de son mal, sans daigner seulement D'un seul petit clin d'oeil apaiser son tourment. J'ouvrois desja la levre apres Thoinet pour dire De combien Marion m'estoit encores pire, Quand j'avisĂ© sa mere en haste gagner l'eau, Et sa fille emmener avecq elle au bateau, Qui se jouant sur l'onde attendoit cette charge, LiĂ© contre le tronc d'un saule au feste-large. Ja les rames tiroient le bateau bien panssu, Et la voile en enflant son grand repli bossu, Emportoit le plaisir lequel me tient en peine, Quand je m'assis au bord, estendu sur l'arene, Et voiant le bateau qui s'en fuioit de moy, Parlant Ă Marion, je chantĂ© ce convoy Bateau qui par les flots ma chere vie emportes, Des vents, en ta faveur, les haleines soient mortes, Et le ban perilleus, qui se treuve parmy Les eaux, ne t'envelope en son sable endormy Que l'air, le vent, et l'eau favorisent ma dame, Et que nul flot bossu ne rencontre sa rame En guise d'un estang, sans vagues paresseus Aille le cours de Loyre, et son limon crasseus Pour ce jourd'huy se change en gravelle menue, Pleine de meint rubi et meinte perle esleue. Que les bords soient semez de mille belles fleurs Representant sur l'eau mille belles couleurs, Et le tropeau gaillard des gentiles Nayades Alentour du vaisseau face mille gambades, Les unes balloyant des paumes de leurs mains Les flots devant la barque, et les autres leurs seins Descouvrant Ă fleur d'eau, et d'une main ouvriere Conduisant le bateau du long de la riviere. L'azurĂ© martinet puisse voler d'avant Avecques la mouette, et le plongeon, suivant Son malheureus destin, pour le jourd'huy ne songe En sa belle Esperie, et dans l'eau ne se plonge Et le heron cryard, qui la tempeste fuit, Haut pendu dedans l'air, ne face point de bruit Ains tout gentil oiseau qui va charcheant sa proye Par les flots poissonneus, bien-heureux te convoye, A seurement venir avecq'ta charge au port, OĂÂč Marion voirra, peut estre, sur le bord Un orme, des longs bras d'une vigne enlassĂ©e, Et la voyant ainsi doucement embrassĂ©e, De son pauvre Perrot se pourra souvenir, Et voudra sur le bord embrassĂ© le tenir. On dit au temps passĂ© que quelques uns changerent En riviere leur forme, et eus mesmes nagerent En l'eau qui de leur sang et de leurs yeux sailloit, Quand leur corps ondoyant peu Ă peu defailloit Que ne puis-je muer ma resamblance humaine En la forme de l'eau qui cette barque emmeine! J'irois en murmurant sous le fond du vaisseau, J'irois tout alentour, et mon amoureuse eau Bais'roit ore sa main, ore sa bouche franche, La suivant jusqu'au port de la Chapelle blanche Puis, forçant mon canal pour ensuivre mon vueil, Par le trac de ses pas j'yrois jusqu'Ă Bourgueil, Et lĂ , dessous un pin, sous la belle verdure, Je voudrois retenir ma premiere figure. N'y a-t-il point quelque herbe en ce rivage icy Qui ait le gous si fort qu'elle me puisse ainsi Muer comme fit Glauque en aquatique monstre, Qui, homme ny poisson, homme et poisson se montre? Je voudrois estre Glauque, et avoir dans mon sein Les pommes qu'Ippomane eslançoit de sa main Pour gaigner Atalante afin de te surprendre, Je les rurois sur l'eau, et te ferois aprendre Que l'or n'a seulement sur la terre pouvoir, Mais qu'il peult de sur l'eau les femmes decevoir. Or cela ne peult estre, et ce qui se peult faire Je le veus achever afin de te complaire Je veus soigneusement ce coudrier arroser, Et des chapeaus de fleurs sur ses fueilles poser Et avecque un poinçon je veus de sur l'escorce Engraver de ton nom les six lettres Ă force, Afin que les passans, en lisant Marion, Facent honneur Ă l'arbre entaillĂ© de ton nom. Je veus faire un beau lit d'une verte jonchĂ©e, De parvanche fueillue encontre bas couchĂ©e, De thin qui fleure bon et d'aspic porte-epy, D'odorant poliot contre terre tapy, De neufard tousjours verd qui les tables immite, Et de jonc qui les bords des rivieres habite. Je veus jusques au coude avoir l'herbe, et si veus De rose et de lis coronner mes cheveus. Je veus qu'on me defonce une pipe angevine, Et en me souvenant de ma toute divine, De toy mon dous souci, espuiser jusqu'au fond Mille fois ce jourd'huy mon gobelet profond, Et ne partir d'icy jusqu'Ă tant qu'Ă la lye De ce bon vin d'Anjou la liqueur soit faillie. Melchior champenois, et Guillaume manceau, L'un d'un petit rebec, l'autre d'un chalumeau, Me chanteront comment j'eu l'ame dĂ©pourveue De sens et de raison si tost que je t'eu veue, Puis chanteront comment, pour flechir ta rigueur, Je t'appellay ma vie, et te nommay mon coeur, Mon oeil, mon sang, mon tout mais ta haute pensĂ©e N'a voulu regarder chose tant abaissĂ©e, Ains en me desdaignant tu aimas autre part Un, qui son amitiĂ© chichement te dĂ©part Voila comme il te prent pour mespriser ma peine, Et le rusticque son de mon tuyau d'avaine. Ils diront que mon teint, au paravant vermeil, De creinte en te voyant se blanchit, tout pareil A la neige d'Auvergne, ou des monts PyrenĂ©es, Qui se conserve blanche en despit des annĂ©es, Et que, depuis le tems que l'amour me fist tien, De jour en jour plus triste et plus vieil je devien. Puis ils diront comment les garçons du village Disent que ta beautĂ© touche desjĂ sur l'age, Et qu'au matin le coq des la pointe du jour Ne voirra plus sortir ceus qui te font l'amour Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse, Qui si tost se dĂ©robbe; et si tost nous delaisse. La rose Ă la parfin deveint un grate-cu, Et tout, avecq le tems, par le tems est vaincu. Quel passetems prens tu d'habiter la valĂ©e De Bourgueil, oĂÂč jamais la Muse n'est allĂ©e? Quitte-moy ton Anjou, et vien en Vendomois. LĂ s'eslevent au ciel le sommet de nos bois, LĂ sont mille taillis et mille belles pleines, LĂ gargouillent les eaus de cent mille fonteines, LĂ sont mille rochers, oĂÂč Echon alentour En resonnant mes vers ne parle que d'Amour. Ou bien si tu ne veus, il me plaist de me rendre Angevin, pour te voir, et ton langage aprendre, Et lĂ , pour te flechir, les hauts vers que j'avois En ma langue traduit du Pindare Gregeois, Humble je rediray en un chant plus facile Sur le dous chalumeau du pasteur de Sicille. LĂ , parmy tes sablons, Angevin devenu Je veus vivre sans nom comme un pauvre incognu, Et des l'aube du jour avecq'toy mener paistre Aupres du port Guiet nostre tropeau champestre Puis sur l'ardant midi je veus en ton giron Me coucher sous un chesne, oĂÂč l'herbe Ă l'environ Un beau lit nous fera de mainte fleur diverse, OĂÂč nous serons tournĂ©s tous deus Ă la renverse. Puis au soleil couchant nous menerons nos boeufs Boire sur le sommet des ruisselets herbeus, Et les remenerons au son de la musette, Puis nous endormirons de sur l'herbe molette. LĂ sans ambition de plus grans biens avoir, ContentĂ© seulement de t'aimer et te voir, Je passerois mon age, et sur ma sepulture Les Angevins mettroient ceste breve Ă©criture Celuy qui gist icy, touchĂ© de l'aiguillon Qu'Amour nous laisse au coeur, garda comme Apollon Les trouppeaus de sa dame, et en cette prerie Mourut en bien aimant une belle Marie Et elle apres sa mort mourut aussi d'ennuy, Et sous ce vert tombeau repose avecques luy. A peine avois-je dit quand Thoinet se depame, Et Ă soy revenu alloit apres sa dame Mais je le retiray, le menant d'autrepart Pour chercher Ă loger, car il estoit bien tard. Nous avions ja passĂ© la sablonneuse rive, Et le flot qui bruiant contre le pont arrive. Et jĂ de sur le pont nous estions parvenus, Et nous apparoissoit le tombeau de Turnus, Quand le pasteur Janot, tout gaillard nous emmaine Dedans son toict couvert de javelles d'avaine. III A Phoebus, mon Grevin, tu es du tout semblable De face et de cheveus, et d'art et de scavoir. A tous deus dans le coeur Amour a fait avoir Pour une belle dame une playe incurable. Ny herbe, ny unguent, ne t'est point secourable, Car rien ne peut forcer de Venus le pouvoir Seulement tu peus bien par tes vers reçevoir A ta playe amoureuse un secours profitable. En chantant, mon Grevin, on charme le souci, Le Cyclope Aetnean se garissoit ainsi, Chantant sur son flageol sa belle GalatĂ©e. La peine dĂ©couverte allege nostre coeur Ainsi moindre devient la plaisante langueur. Qui vient de trop aimer, quand elle est bien chantĂ©e. IV ElĂ©gie Ă Marie Marie, Ă celle fin que le siecle advenir De nos jeunes amours se puisse souvenir, Et que vostre beautĂ© que j'ay long tems aimĂ©e Ne se perde au tumbeau par les ans consumĂ©e, Sans laisser quelque merque apres elle de soi, Je vous consacre icy le plus gaillard de moi, L'esprit de mon esprit, qui vous fera revivre Ou long tems, ou jamais, par l'aage de ce livre. Ceus qui liront les vers que j'ay chantez pour vous D'un stile variĂ© entre l'aigre et le dous, Selon les passions que vous m'avez donnĂ©es Vous tiendront pour deesse et tant plus les annĂ©es En vollant s'en fuiront, et plus vostre beautĂ© Contre l'aage croistra, vielle en sa nouveautĂ©. O ma belle angevine, ĂÂŽ ma douce Marie, Mon' oeil, mon coeur, mon sang, mon esprit et ma vie, Dont la vertu me monstre un beau chemin aus cieus Je reçoy tant de bien quand je baise vos yeus, Quand je languis dessus, et quand je les regarde, Que, sans une frayeur qui la main me retarde, Je me serois occis de dueil, que je ne peux Vous monstrer par effaict le bien que je vous veus. Or cela que je puis, pour vous je le veus faire Je veus en vous chantant vos louanges parfaire, Et ne sentir jamais mon labeur engourdi Que tout l'ouvrage entier pour vous ne soit ourdi. Si j'estois un grand Roy, pour eternel exemple De fidelle amitiĂ©, je bastirois un temple De sur le bord de Loire, et ce temple auroit nom Le temple de Ronsard et de sa Marion. De marbre parien seroit vostre effigie, Vostre robbe seroit Ă plain fons elargie De plis recamez d'or, et vos cheveus tressez Seroient de filetz d'or par ondes enlassez. D'un crespe canellĂ© seroit la couverture De vostre chef divin, et la rare ouverture D'un ret de soye et d'or, fait de l'ouvriere main D'Arachne ou de Pallas, couvriroit vostre sain Vostre bouche seroit de roses toute plaine, Respandant par le temple une amoureuse aleine Vous auriez d'une HebĂ© le maintien gracieux, Et un essain d'amours sortiroit de vos yeus Vous tiendriez le haut bout de ce temple honorable, Droicte sur le sommet d'un pillier venerable. Et moi d'autre costĂ©, assiz au plus bas lieu, Je serois remerquable en la forme d'un Dieu J'aurois en me courbant dedans la main senestre Un arc demi voutĂ©, tel que lon void renaistre, Aus premiers jours du mois, le repli d'un croissant, Et j'aurois sur la corde un beau trait menassant, Non le serpent Python, mais ce sot de jeune homme Qui maintenant sa vie et son ame vous nomme, Et qui seul me fraudant est roy de vostre coeur, Qu'en fin en vostre amour, vous trouverez mocqueur. Quiconque soit celui, qu'en vivant il languisse, Et de chascun hay lui mesme se haysse, Qu'il se ronge le coeur, et voye ses dessains Tousjours lui eschapper comme vent de ses mains, Soupçonneux, et resveur, arrogant, solitaire, Et lui mesme se puisse Ă lui mesme desplaire. J'aurois de sur le chef un rameau de laurier, J'aurois de sur le flanc un beau pongnard guerrier, La lame seroit d'or, et la belle pongnĂ©e Ressembleroit Ă l'or de ma tresse peignĂ©e, J'aurois un cystre d'or et j'aurois tout aupres Un carquois tout chargĂ© de flammes et de traits. Ce temple, frequetĂ© de festes solennelles, Passeroit en honneur celuy des immortelles, Et par voeux nous serions invocquez tous les jours Comme les nouveaus dieus des fidelles amours. D'age en age suivant, retour de l'annĂ©e, Nous aurions pres le temple une feste ordonnĂ©e, Non pour faire courir comme les anciens Des chariots couplez aus jeus olympiens, Pour saulter, pour luitter, ou de jambe venteuse Franchir en halettant la carriere poudreuse Mais tous les jouvenceaux en paĂÂŻs d'alentour, Touchez au fond du coeur de la fleche d'Amour, Aiant d'un gentil feu les ames allumĂ©es, S'assembleroient au temple avecques leurs aimĂ©es, Et lĂ , celui qui mieus la bouche poseroit Sur la bouche amoureuse, et qui mieus baiseroit, Ou soit d'un baiser sec, ou d'un baiser humide, D'un baiser court ou long, ou d'un baiser qui guide L'ame de sur la levre, et laisse trespasser Le baiseur, qui ne vit sinon que du penser, Ou d'un baiser donnĂ© comme les colombelles, Lors qu'ils se font l'amour de la bouche et des aisles Celui qui mieus seroit en ses baisers apris. Sur tous les jouvenceaus emporteroit le pris, Seroit dit le veinqueur des baisers de Cythere Et tout chargĂ© de fleurs s'en iroit Ă sa mere. O ma belle maitresse, et que je voudrois bien Qu'Amour nous eust conjoinct d'un semblable lien, Et qu'apres nos trespas dans nos fosses ombreuses Nous fussions la chanson des bouches amoureuses, Que ceus de Vandomois disent tous d'un accord, Visitant le tombeau auquel je serois mort Nostre Ronsard, quittant cette terre voisine, Fut jadis amoureus d'une belle Angevine, Et que ceus lĂ d'Anjou disent tous d'une voix Nostre belle Marie aima un Vandomois, Tous les deus n'estoient qu'un, et l'amour mutuelle, Qu'on ne voit plus ici, leur fut perpetuelle. Leur siecle estoit vraiment un siecle bien heureus, OĂÂč tousjours se voyoit contraimĂ© l'amoureus. Puisse arriver, apres l'espace d'un long age, Qu'un esprit vienne Ă bas, sous l'amoureus ombrage Des Myrthes, me conter que les ages n'ont peu Effacer la clartĂ© qui luist de nostre feu, Mais que de voix en voix, de parolle en parolle, Nostre gentile amour par la jeunesse volle, Et qu'on aprent par coeur les vers et les chansons Que j'ay tissu pour vous en diverses façons, Et qu'on pense amoureus celui qui rememore Vostre nom et le mien, et nos tumbes honore. Or les Dieus en feront cela qu'il leur plaira, Si est-ce que ce livre apres mille ans dira Aux hommes, et aus tems, et Ă la renommĂ©e Que je vous ay six ans plus que mon coeur aimĂ©e. Les trois livres du recueil des nouvelles poĂ©sies de P. de Ronsard 1563-1564 Douce Maistresse... I Chanson Douce Maistresse, touche Pour soulager mon mal Mes levres de ta bouche Plus rouge que coral D'un doux lien pressĂ© Tiens mon col embrassĂ©. Puis face dessus face, Regarde moy les yeux, Afin que ton trait passe En mon coeur soucieux Lequel ne vit si non D'amour et de ton nom. Je l'ay veu fier et brave, Avant que ta beautĂ© Pour estre son esclave Doucement l'eust dontĂ©, Mais son mal luy plaist bien Pourveu qu'il meure tien. Belle, par qui je donne A mes yeux tant d'esmoy, Baise moy, ma mignonne, Cent fois rebaise moy. Et quoy faut-il en vain Languir dessus mon sein? Maistresse, je n'ay garde De vouloir t'esveiller, Heureux quand je regarde Tes beaux yeux sommeiller, Heureux quand je les voy Endormis dessus moy. Veux tu que je les baise Afin de les ouvrir? HĂ tu fais la mauvaise Pour me faire mourir. Je meurs entre tes bras, Et s'il ne t'en chaut pas! HĂ , ma chere ennemie, Si tu veux m'apaiser, Redonne moy la vie Par l'esprit d'un baiser, HĂ ! j'en ay la douceur Senty jusques au coeur. C'est une douce rage, Qui nous poingt doucement, Quand d'un mesme courage On s'ayme incessamment Heureux sera le jour Que je mourray d'amour. II Chanson en faveur de Madamoiselle de Limeuil Quand ce beau Printemps je voy, J'appercoy Rajeunir la terre et l'onde, Et me semble que le jour, Et l'amour Comme enfans naissent au monde. Le jour qui plus beau se fait Nous refait Plus belle et verde la terre, Et Amour armĂ© de traiz, Et d'atraiz, Dans nos cueurs nous fait la guerre. Il respand de toutes pars Feux et dards, Et dompte soubs sa puissance Hommes, Bestes et Oyseaux, Et les eaux Lui rendent obeissance. Venus avec son enfant Triomphant, Au haut de sa coche assise, Laisse ses Cygnes voler Parmy l'air Pour aller voir son Anchise. Quelque part que ses beaux yeux Par les cieux Tournent leurs lumieres belles, L'air qui se montre serain Est tout plain D'amoureuses estincelles. Puis en descendant Ă bas Soubs ses pas Croissent mille fleurs descloses Les beaux lys et les oeillets Vermeillets Y naissent aveq' les roses. Celuy vrayement est de fer Qu'echaufer Ne peut sa beautĂ© divine; Et en lieu d'humaine cher Un rocher Il porte dans sa poitrine. Je sens en ce moys si beau Le flambeau D'amour qui m'echaufe l'ame, Y voyant de tous costĂ©s Les beautĂ©s Qu'il emprunte de ma Dame. Quand je voy tant de couleurs Et de fleurs Qui emaillent un rivage, Je pense voir le beau teint Qui est peint Si vermeil en son visage. Quand je voy les grands rameaux Des ormeaux Qui sont serrĂ©s de lierre, Je pense estre pris aux lacs De ses bras, Quand sa belle main me serre. Quand j'entends la douce voix Par les bois Du beau Rossignol qui chante, D'elle je pense jouir Et oyr Sa douce voix qui m'enchante. Quand Zephyre meine un bruit Qui se suit Au travers d'une ramĂ©e, Des propos il me souvient, Que me tient Seule Ă seul ma bien aymĂ©e. Quand je voy en quelque endroit Un Pin droit, Ou quelque arbre qui s'esleve, Je me laisse decevoir, Pensant voir Sa belle taille et sa greve. Quand je voy dans un jardin Au matin S'Ă©clorre une fleur nouvelle, J'accompare le bouton Au teton De son beau sein qui pommelle. Quand le Soleil tout riant D'Orient Nous monstre sa blonde tresse, Il me semble que je voy Pres de moy Lever ma belle maitresse. Quand je sens parmy les prez Diaprez Les fleurs dont la terre est pleine, Lors je fais croire Ă mes sens, Que je sens La douceur de son haleine. Bref je fais comparaison Par raison Du Printemps et de ma mie Il donne aux fleurs la vigueur, Et mon cueur D'elle prend vigueur et vie. Je voudrois au bruit de l'eau D'un ruisseau Desplier ses tresses blondes, Frizant en autant de neuds Ses cheveux Que je verrois frizer d'ondes. Je voudrois pour la tenir Devenir Dieu de ces forests desertes, La baisant autant de fois Qu'en un bois Il y a de feuilles vertes. HĂ maitresse mon soucy Vien icy Vien contempler la verdure Les fleurs, de mon amitiĂ© Ont pitiĂ©, Et seule tu n'en as cure. Au moins leve un peu tes yeux Gracieux, Et voy ces deux collombelles, Qui font naturellement Doucement L'amour du bec et des aisles. Et nous, soubs ombre d'honneur, Le bon heur Trahissons par une creinte Les oyseaux sont plus heureux Amoureux, Qui font l'amour sans contrainte. Toutefois ne perdons pas Nos esbats Pour ces loix tant rigoureuses, Mais si tu m'en crois, vivons, Et suivons Les collombes amoureuses. Pour effacer mon esmoy Baise moy, Rebaise moy ma DĂ©esse, Ne laissons passer en vain Si soudain Les ans de nostre jeunesse. III Sonet Las, je ne veux ny ne me puis desfaire De ce beau reth, oĂÂč Amour me tient pris Et, puis que j'ay tel voyage entrepris, Je veux mourir, ou je le veux parfaire. J'oy la raison qui me dit le contraire, Et qui retient la bride Ă mes espris, Mais j'ay le coeur de vos yeux si Ă©pris Que d'un tel mal je ne me puis distraire. Tay toy, raison on dit communement, Belle fin fait qui meurt en bien aymant De telle mort je veux suyvre la trace Ma foy ressemble au rocher endurcy Qui, sans avoir de l'orage soucy, Plus est batu et moins change de place. IV Sonet Certes mon oeil fut trop avantureux De regarder une chose si belle, Une vertu digne d'une immortelle, Et dont Amour est mesmes amoureux. Depuis ce jour je devins langoureux Pour aymer trop ceste beautĂ© cruelle Cruelle non, mais doucement rebelle A ce desir qui me rend malheureux Malheureux, non, heureux je me confesse, Tant vaut l'amour d'une telle maitresse, Pour qui je vy, et Ă qui je veux plaire. Je l'ayme tant qu'aymer je ne me puis, Je suis tant sien que plus mien je ne suis, Bien que pour elle Amour me desespere. V Sonet Je meurs, Paschal, quand je la voy si belle, Le front si beau, et la bouche et les yeux, Yeux le sejour d'Amour victorieux, Qui m'a blessĂ© d'une fleche nouvelle. Je n'ay ny sang, ny veine, ny moĂÂŒelle Qui ne se change et me semble qu'aux cieux Je suis ravy, assis entre les Dieux, Quand le bon heur me conduist aupres d'elle. Ha! que ne suis-je en ce monde un grand Roy! Elle seroit toujours aupres de moy Mais n'estant rien, il faut que je m'abstente De sa beautĂ©, dont je n'ose aprocher, Que d'un regard transformer je ne sente Mes yeux en fleuve, et mon cueur en roche. ElĂ©gies, mascarades et bergerie 1565 Si jamais homme... I Si jamais homme en ayamant fut heureux, Je suis heureux, icy je le confesse, Fait serviteur d'une belle maĂtresse Dont les beaux yeux ne me font malheureux. D'un autre bien je ne suis desireux Honneur, beautĂ©, vertus, et gentillesse Ainsi que fleurs honorent sa jeunesse, De qui je suis saintement amoureux. Donc si quelcun veut dire que sa grace Et sa beautĂ© toutes beautĂ©s n'efface, Et qu'en amour je ne vive contant, Le desfiant au combat je l'appelle, Pour luy prouver que mon coeur est constant, Autant qu'elle est sur toutes la plus belle. II Las! sans espoir je languis Ă grand tort, Pour la rigueur d'une beautĂ© si fiere, Qui sans ouyr mes pleurs ny ma priere Rid de mon mal si violent et fort. De la beautĂ© dont j'esperois support, Pour mon service et longue foy premiere, Je ne reçoy que tourment et misere, Et pour secours je n'attens que la mort. Mais telle dame est si sage et si belle Que si quelqu'un la veut nommer cruelle En me voyant traittĂ© cruellement, Vienne au combat, icy je le deffie, Il cognoistra qu'un si dur traittement Pour ses vertus m'est une douce vie. III Sonet Ă Mlle De Limeuil Douce beautĂ© Ă qui je doy la vie, Le coeur, le corps, et le sang, et l'esprit, Voyant tes yeux Amour mesme m'aprit Toute vertu que depuis j'ay suivie Mon coeur, ardant d'une amoureuse envie, Si vivement de tes graces s'Ă©prit Que d'un regard de tes yeux il comprit Que peut honneur, amour et courtoisie. L'homme est du plomb ou bien il n'a point d'yeux, Si te voyant il ne voit tous les cieux En ta beautĂ© qui n'a point de seconde. Ta bonne grace un rocher retiendroit, Et quand sans jour le monde deviendroit Ton oei si beau seroit le jour du monde. IV Sonet Ă une Damoyselle Douce beautĂ© qui me tenez le coeur Et qui avez durant toute l'annĂ©e Dedans vos yeux mon ame emprisonnĂ©e La faisant vivre en si belle langueur, Ha, que ne puis-je atteindre Ă la hauteur Du ciel tyran de nostre destinĂ©e! Je changerois sa course retournĂ©e, Et mon malheur je muerois en bon heur. Mais estant homme il faut qu'homme j'endure Du ciel cruel la violence dure Qui me commande Ă mourir pour vos yeux Doncques je viens vous presenter, Madame, Ce nouvel an pour obeyr aux cieux, Le coeur, l'esprit, le corps, le sang et l'ame. V Sonet a Rhodenthe Le premier jour du mois de May, Madame, Dedans le coeur je senty vos beaux yeux, Bruns, doux, courtois, rians, delicieux, Qui d'un glaçon feroient naistre une flame. De leur beau jour le souvenir m'enflame Et par penser j'en deviens amoureux O de mon coeur les meurtriers bienheureux, Vostre vertu je sens jusques en l'ame. Yeux qui tenez la clef de mon penser, Maistres de moy, qui peustes offenser D'un seul regard ma raison toute esmue Ha! que je suis de vostre amour espoint, Las! je devois jouyr de vostre veue Plus longuement, ou bien ne vous voir point. Les oeuvres de Pierre de Ronsard 1567 Les Amours PiĂšce ajoutĂ©e Livre II ElĂ©gie Ă Amadis Jamin Fameux Ulysse, honneur de tous les Grecs, De nostre bord aproche toy plus pres, Ne single point sans prester les oreilles A noz chansons, et tu oyrras merveilles Nul estranger de passer a soucy Par cette mer sans aborder icy, Et sans contraindre un petit son voyage Pour prendre part Ă nostre beau rivage Puis tout joyeux les ondes va tranchant, S'en retournant ravy de nostre chant, Ayant apris de nous cent mille choses Que nous portons en l'estomache encloses Nous sçavons bien tout cela qui s'est fait Quand Ilyon par les Grecs fut defait Nous n'ignorons une si longue guerre Ny tout cela qui se fait sur la terre. Doncques retien ton voyage entrepris, Tu aprendras, tant sois tu bien apris. Ainsi disoit le chant de la Serene, Pour arrester Ulysse sur l'arene, Qui attachĂ© au mast ne voulut pas. Se laisser prendre Ă si friands apas, Mais en fuiant la voix voluptueuse Hasta son cours sur l'onde poissonneuse, Sans par l'oreille humer cette poison, Qui des plus grands offence la raison. Ainsi, Jamin, pour sauver ta jeunesse, Suy le chemin du fin soldat de Grece N'aborde point au rivae d'Amour, Pour y vieillir sans espoir de retour, "L'Amour n'est rien qu'ardente frenaisie, Qui de fumĂ©e emplist la fantaisie D'erreur, de vent et d'un songe importun, Car le songer et l'Amour ce n'est qu'un. Le sixiesme livre des poĂšmes de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1569 Quiconque soit... Chanson Quiconque soit le peintre qui a fait Amour oyseau et luy a feint des aesles, Celuy n'avoit au paravant portrait Come je croy sinon des Arondelles Voire et pensoit en peingnant ses tableaux, Quand Ă l'ouvrage il avoit la main preste, Qu'homes et Dieux n'estoient que des oyseaux, Aussi legers come il avoit la teste. L'Amour qui tient serve ma libertĂ©, N'est point oyseau constante est sa demeure Il a du plomb qui le tient arrestĂ© Ferme en un lieu, jusqu'Ă temps que je meure. Il est sans plume, il n'a le dos aeslĂ© Le peindre tel il faut que je le face. S'il estoit pront, il s'en fust envolĂ© Depuis cinq ans pour trouver autre place. Le Septiesme livre des poĂšmes de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1569 L'absence... I A Cassandre L'absence, ny l'obly, ny la course du jour, N'ont effacĂ© le nom, les graces, ny l'amour, Qu'au coeur je m'imprimĂ© des ma jeunesse tendre, Fait nouveau serviteur des beautez de Cassandre Cassandre qui me fut plus chere que mes yeux, Que mon sang, que ma vie, et que seule en tous lieux Pour sujet eternel ma Muse avoit choisie, Afin de te chanter par longue PoĂsie Car le trait qui sortit de ton regard si beau Ne fut l'un de ces traits qui dechirent la peau Mais ce fut un de ceux dont la pointe cruĂlle Perse coeur et poumons et veines et mouĂlle. Ma Cassandre, aussi tost que je me vy blessĂ©, Jeune d'ans et gaillard, depuis je n'ay pensĂ© Qu'Ă toy, mon coeur, mon ame, Ă qui tu as ravie Absente si long temps la raison et la vie. Et quand le bon Destin jamais n'eust fait revoir Tes yeux si beaux aux miens le temps n'avoit pouvoir D'enlever une esquierre, ou d'amoindrir l'image Qu'Amour m'avoit portraite au vif de ton visage Si bien qu'en souvenir je t'aymois tout ainsy Que des le premier jour que tu fus mon soucy. Et si l'age qui rompt et murs et forteresses, En coulant a perdu un peu de noz jeunesses, Cassandre, c'est tout un! Car je n'ay pas esgard A ce qui est present, mais au premier regard, Au trait qui me navra de ta grace enfantine Qu'encores tout sanglant je sens en la poitrine. Bienheureux soit le jour que tes yeux je revy, Qui m'ont et prĂ©s et loing, de moy-mesmes ravy. Et si j'estois un Roy qui toute chose ordonne Je mettrois en la place une haute Colonne Pour remerque d'amour oĂÂč tous ceux qui viendroient En baisant le pilier de nous se souviendroient. Je devins une Idole aux rayons de ta veuĂ, Sans parler sans marcher, tant la raison esmeuĂ Me gela tout l'esprit, loing de moy m'estrangeant, Et vivois de tes yeux seulement en songeant. Toujours me souvenoit de cette heure premiere, OĂÂč jeune je perdy mes yeux en ta lumiere, Et des propos qu'un soir nous eusmes, devisant, Dont le seul souvenir, non autre m'est plaisant. Ce fut en la saison du Printemps qui est ores, En la mesme saison je t'ay reveuĂ encores; Face Amour que l'Avril oĂÂč je fus amoureux, Me face aussi contant que l'autre malheureux. II Le doux sommeil, qui toute chose apaise, N'apaise point le soing qui m'a ravy En vous je meurs, en vous seule je vy Ne voyant rien sinon vous qui me plaise. Voz yeux au coeur m'ont jettĂ© telle braize, Qu'un feu treschaut s'est depuis ensuivy, Et des le jour qu'en dansant je vous vy, Je meurs pour vous, et si en suis bien aize. De mal en mal, de soucy en soucy, J'ay l'ame triste et le corps tout transi, Sans eschaufer le froid de vostre glace. Aumoins lisez et voyez sur mon front Combien de mortz voz deux beaux yeux me font "Le soing cachĂ© se connoist Ă la face. III Ce jour de May qui a la teste peinte, D'une gaillarde et gentille verdeur, Ne doibt passer sans que ma vive ardeur Par vostre grace un peu ne soit estainte. De vostre part si vous estes attaincte Autant que moy d'amoureuse langueur, D'un feu pareil soulageon nostre coeur, Qui aime bien ne doibt point avoir crainte. Le Temps s'enfuit, cependant ce beau jour, Nous doibt aprendre Ă demener l'Amour, Et le pigeon qui sa femelle baize. Baisez moi doncq et faison tout ainsi Que les oyseaux sans nous donner soucy Apres la mort on ne voit rien qui plaise. IV J'avois l'esprit tout morne et tout pesant, Quand je receu du lieu qui me tourmente La pomme d'or comme moy jaunissante Du mesme mal qui nous est si plaisant. Les pomes sont de l'Amour le present Tu le scays bien, ĂÂŽ guerriere Atalante, Et CydipĂ© qui encor se lamente D'elle et d'Aconce et d'Amour si nuisant. Les pomes sont de l'Amour le vray signe Heureux celuy qui de tel bien est digne, Bien qui fait vivre heureusement les homes. Venus a plein de pomes tout le sein Ses deux enfans en ont pleine la main, Et bref l'Amour n'est qu'un beau jeu de pomes. V Puis qu'autrement je ne scaurois jouĂÂŻr De voz beaux yeux qui tant me font la guerre, Je veux changer de coustume et de terre, Pour plus jamais ne vous voir ny ouĂÂŻr Je ne sçaurois helas! me resjouĂÂŻr Sans vostre main qui tout le coeur m'enferre, Et vostre voix qui Sereine m'enserre, Et voz regardz qui me font esblouĂÂŻr Tant plus je pense Ă me vouloir distraire De vostre amour et moins je le puis faire, Si ce n'estoit par m'enfuĂÂŻr bien loing, Mais j'aurois peur qu'Amour par le voyage, De plus en plus n'enflamast mon courage Car plus on fuit et plus on a de soing. VI Le jour me semble aussi long qu'une annĂ©e, Quand je ne voy l'esclair de voz beaux yeux, Yeux qui font honte aux estoilles des cieux, En qui je voy quelle est ma destinĂ©e Fiere beautĂ© que le Ciel m'a donnĂ©e, Pour si doux mal helas! il valloit mieux Aller soudain au fleuve Stygieux, Que tant languir pour chose si bien nĂ©e. Au moins la mort eust finy mon desir Qui en vivant en cent formes me muĂ Le voir l'ouĂÂŻr me causent desplaisir, Et ma raison pour neant s'evertuĂ Car le penser que j'ay voulu choisir Pour me conduire est celuy qui me tuĂ. VII Seul je m'avise, et nul ne peut sçavoir, Si ce n'est moy, la peine que je porte, Amour trop fin comme un larron emporte Mon coeur d'emblĂ©e, et ne le puis r'avoir. Je ne debvois donner tant de pouvoir A l'ennemy qui a la main si forte, Mais au premier le retenir de sorte, Qu'a la raison obeĂÂŻst le debvoir. Or c'en est fait! il a pris la carriere, Plus je ne puis le tirer en arriere Opiniastre, il est maistre du frain. Je connois bien qu'il entraisne ma vie Contre mon grĂ©, mais je ne m'en soucye "Tant le mourir est beau de vostre main! VIII Jaloux Soleil contre Amour envieux, Soleil masquĂ© d'une face blesmie, Qui par trois jours as retenu m'amie Seule au logis par un temps pluvieux. Je ne croy plus tant d'amours que les vieux Chantent de toy ce n'est que PoĂsie S'il eust jadis touchĂ© ta fantaisie, D'un mesme mal tu serois soucieux Par tes rayons Ă la pointe cornue, En ma faveur eusses rompu la NuĂ, Faisant d'obscur un temps serain et beau Va te cacher, vieil Pastoureau champestre, Ah! tu n'es digne au Ciel d'estre un flambeau, Mais un qui meine en terre les boeufz paistre. IX Heureux le jour, l'an, le mois et la place, L'heure et le temps oĂÂč voz yeux m'ont tuĂ©, Sinon tuĂ©, Ă tout le moins muĂ© Come Meduse en une froide glace. Il est bien vray que le trait de ma face Me reste encor, mais l'esprit desliĂ©, Pour vivre en vous, a son corps obliĂ©, N'estant plus rien sans esprit, qu'une mace. Aucunefois quand vous tournez un peu Vos yeux sur moy, je sens un petit feu, Qui me r'anime et reschaufe les veines Et fait au froid quelque petit effort, Mais ces regardz n'allongent que mes peines, Tant le premier fut cause de ma mort! X Qui vous dira qu'Argus est une fable, Ne le croyez, bonne PosteritĂ©, Ce n'est pas feinte ains une veritĂ©, A mon malheur helas! trop veritable. Un autre Argus Ă deux yeux redoutable, En corps humain non feint, non inventĂ©, Espie, aguete, et garde la beautĂ©, Par qui je suis en doute miserable. Quand par ses yeux Argus ne la tiendroit Toujours au col mignarde me pendroit, Je connois bien sa gentille nature. Ha! vray Argus tant tu me fais gemir, A mon secours vienne un autre Mercure, Non pour ta mort, mais bien pour t'endormir. XI Que dittes vous, que faites vous mignonne? Que songez vous? pensez vous point en moy? Avez vous point soucy de mon esmoy, Comme de vous le soucy m'espoinçonne? De vostre Amour tout le coeur me bouillonne, Devant mes yeux sans cesse je vous voy, Je vous entends absente, je vous oy, Et mon penser d'autre Amour ne raisonne. J'ay voz beautĂ©s, voz graces et voz yeux Gravez en moy, les places et les lieux Ou je vous vy danser, parler et rire. Je vous tien mienne, et si ne suis pas mien, Je me perds tant au bien que je desire, Que tout sans luy ne me semble estre rien! XII Honneur de May, despouille du Printemps, Bouquet tissu de la main qui me donte, Dont les beautez aux fleurettes font honte, Faisant esclorre un Apvril en tout temps Non pas du nĂ©s mais du coeur je te sens, Et de l'esprit que ton odeur surmonte, Et tellement de veine en veine monte, Que ta senteur embasme tous mes sens. Sus baize moy, couche toy pres de moy, Je veux verser mille larmes sur toy, Mille soupirs, chautz d'amoureuse envie, Qui serviront d'animer ta couleur, Les pleurs d'humeur, les soupirs de chaleur Pour prendre vif ta racine en ma vie. XIII Non, ce n'est pas l'abondance d'humeurs, Qui te rend morne et malade et blesmie, C'est le pechĂ© de n'estre bonne amie, Et ta rigueur par laquelle je meurs. Le Ciel, vangeur de mes justes douleurs, Me voyant ardre en chaleur infinie, En ma faveur, cruelle, t'a punie, De longue fievre et de palles couleurs Si tu guaris le coup de la langueur, Que tes beaux yeux m'ont versĂ© dans le coeur, Si tu guaris d'une amoureuse oeillade Mon coeur blessĂ© qui se pame d'esmoy, Tu guariras car tu n'es point malade Sinon d'autant que je le suis pour toy. XIV Pren cette rose aimable comme toy. Qui sers de rose aux roses les plus belles, Qui sers de fleurs aux fleurs les plus nouvelles, Qui sers de Muse aux Muses et Ă moy. Pren cette rose et ensemble reçoy Dedans ton sein mon coeur qui n'a point d'Ă©sles Il vit blessĂ© de cent playes cruelles, Opiniastre Ă garder trop de foy. La rose et moy differons d'une chose, Un Soleil voit naistre et mourir la rose, Mille Soleil ont veu naistre l'amour Qui me consome et jamais ne repose Que pleust Ă Dieu que telle amour esclose, Come une fleur, ne m'eust durĂ© qu'un jour. XV En vain pour vous ce bouquet je compose, En vain pour vous, ma DĂ©esse, il est fait, Car vous serez le bouquet du bouquet, La fleur des fleurs, la rose de la rose. Vous et les fleurs differez d'une chose, C'est que l'Hyver les fleurettes desfait, Vostre Printemps, en ses graces parfait, Ne craint des ans nulle metamorphose. Heureux bouquet, n'entre point au sejour De ce beau sein, ce beau logis d'Amour, Ne touche point cette pome jumelle. Ton lustre gay se faniroit d'esmoy, Tu es, bouquet, digne de vivre et moy De mourir pris des beautĂ©s de la belle. XVI Douce beautĂ© meurdriere de ma vie, En lieu d'un coeur tu portes un rocher Tu me fais vif languir et desecher, PassionnĂ© d'une amoureuse envie. Le jeune sang qui d'aymer te convie, N'a peu de toy la froideur arracher, Farouche, fiere, et qui n'as rien plus cher Que languir froide, et n'estre point servie Aprens Ă vivre, ĂÂŽ fiere en cruautĂ©, Ne garde point Ă Pluton ta beautĂ©, Tes passe-temps en aymant il faut prendre, Par le plaisir faut tromper le trespas, Car aussi bien quand nous serons lĂ bas Sans plus aymer nous ne serons que cendre. XVII Baiser Quand de ta levre Ă demy-close Come entre deux fleuris sentiers Je sens ton haleine de rose, Mes levres, les avant-portiers Du baiser, se rougissent d'aize, Et de mes souhaitz tous entiers, Me font jouĂÂŻr quand je te baize. Car l'humeur du baiser apaise, S'escoulant au coeur peu Ă peu Cette chaude amoureuse braize, Dont tes yeux alumoient le feu. XVIII Seul et pensif j'allois parmy la ruĂ, Me promenant Ă pas mornes et lents, Quand j'aperceu les yeux estincelantz Au pres de moy, de celle qui me tuĂ. De chaut et froid mon visages se muĂ, Coup dessus coup mille traits violents, Hors des beaux yeux de la belle volans, Ce faux Amour de sa trousse me ruĂ Je ne soufry l'esclair de ses beaux yeux, Tant il estoit poignant et radieux, Qui come foudre entra dans ma poitrine Je fusse mort, sans elle qui poeureux Me r'asseura, et de la mort voisine Me rapela d'un salut amoureux. XIX Quand je te voy seule assize Ă par toy, Toute amuzĂ©e avecques ta pensĂ©e, Un peu la teste encontre bas baissĂ©e, Te retirant du vulgaire et de moy, Je veux souvent pour rompre ton esmoy Te saluer, mais ma voix offensĂ©e, De trop de peur se retient amassĂ©e Dedans la bouche et me laisse tout coy. Soufrir ne puis les rayons de ta veuĂ, Craintive au corps mon ame tramble esmeuĂ Langue ne voix ne font leur action. Seuls mes soupirs, seul mon triste visage Parlent pour moy, et telle passion De mon amour donne assez tesmoignage. XX De veine en veine, et d'artere en artere, De nerfz en nerfz le salut me passa Que l'autre jour Madame prononçea, Me promenant tout triste et solitaire. Il fut si doux que je ne puis m'en taire, Tant en passant d'aiguillons me laissa, Et tout mon coeur si doucement blessa Que je m'en flate, et me plais en l'ulcere. Les yeux, la voix, le gratieux maintien, A mesme fois s'acorderent si bien Qu'au seul gouster d'un si nouveau plaisir Non esperĂ©, s'effroya l'ame toute, Et pour aller rencontrer son desir De me laisser fut mille fois en doute. XXI Je suis larron pour vous aymer Madame Si je veux vivre il faut que j'aille embler De vos beaux yeux les regards, et troubler Par mon regard le votre qui me pasme. De voz beaux yeux seulement je m'afame, Tant double force ilz ont de me combler Le coeur de joye et mes jours redoubler, Ayant pour vie un seul trait de leur flamme. Un seul regard qu'il vous plaist me lacher Me paist trois jours, puis j'en revais chercher, Quand du premier la puissance est perduĂ, Emblant mon vivre en mon adversitĂ© Larron forcĂ© de chose defenduĂ, Non par plaisir mais par necessitĂ©. XXII Si trop souvent quand le desir me presse Tout afamĂ© de vivre de voz yeux, Peureux, honteux, pensif et soucieux Devant votre huis je repasse Maitresse, Pardonnez-moy, ma mortelle DeĂ©sse, Si malgrĂ© moy je vous suis ennuyeux, MalgrĂ© moy non, car j'aime beaucoup mieux, Sans vous facher, trespasser de tristesse. Las! si je passe et passe si souvent Aupres de vous fantastique et resvant, C'est pour embler un trait de votre veuĂ, Qui fait ma vie en mon corps sejourner Permetez doncq que l'ame soit repeuĂ D'un bien qui n'est moindre pour le donner. XXIII Que maudit soit le mirouĂr qui vous mire, Et vous fait estre ainsy fiere en beautĂ©, Ainsy enfler le coeur de cruautĂ©, Me refuzant le bien que je desire Depuis trois ans pour voz yeux je soupire, Mais mes soupirs, ma Foy, ma LoyautĂ© N'ont, las je meurs! de vostre coeur ostĂ© Ce doux orgueil auteur de mon martire. Et ce-pendant vous ne connoissez pas Que ce beau mois et vostre age se passe, Comme une fleur qui languist contrebas, Et que le temps passĂ© ne se ramasse Tandis qu'avez la jeunesse et la grace, Et le temps propre aux amoureux combaz, De tous plaisirs ne soyez jamais lasse, Et sans aimer n'atendez le trespas. Les oeuvres de P. de Ronsard gentil-homme Vandomois 1578 Les Amours. Seconde partie Sur la mort de Marie Properce, Trajicit et fati littora magnus amor. I Je songeois sous l'obscur de la nuict endormie, Qu'un sepulchre entre-ouvert s'apparoissoit Ă moy La Mort gisoit dedans toute palle d'effroy, Dessus estoit escrit Le tombeau de Marie. EspovantĂ© du songe en sursault je m'escrie, Amour est donc sujet Ă nostre humaine loy Il a perdu son regne, et le meilleur de soy, Puis que par une mort sa puissance est perie. Je n'avois achevĂ©, qu'au poinct du jour, voicy Un Passant Ă ma porte, adeulĂ© de soucy, Qui de la triste mort m'annonça la nouvelle. Pren courage, mon ame, il fault suivre sa fin Je l'entens dans le ciel comme elle nous appelle Mes pieds avec les siens ont fait mesme chemin. II Stances Je lamente sans reconfort, Me souvenant de ceste mort Qui desroba ma douce vie Pensant en ces yeux qui souloient Faire de moy ce qu'ils vouloient, De vivre je n'ay plus d'envie. Amour, tu n'as point de pouvoir A mon dam tu m'as fait sçavoir Que ton arc partout ne commande. Si tu avois quelque vertu, La Mort ne t'eust pas dĂ©vestu De ta richesse la plus grande. Tout seul tu n'as perdu ton bien Comme toy j'ay perdu le mien, Ceste beautĂ© que je desire, Qui fut mon thresor le plus cher Tous deux contre un mesme rocher Avons froissĂ© nostre navire. Souspirs, eschaufez son tombeau Larmes, lavez-le de vostre eau Ma vois si doucement se plaigne, Qu'Ă la Mort vous faciez pitiĂ©, Ou qu'elle rende ma moitiĂ©, Ou que ma moitiĂ© j'accompaigne. Fol qui au monde met son coeur Fol qui croit en l'espoir mocqueur, Et en la beautĂ© tromperesse. Je me suis tout seul offensĂ©, Comme celuy qui n'eust pensĂ© Que morte fust une Deesse. Quand son ame au corps s'attachoit, Rien, tant fust dur, ne me faschoit, Ny destin, ny rude influance Menaces, embusches, dangers, Villes, et peuples estrangers M'estoient doux pour sa souvenance. En quelque part que je vivois, Tousjours en mes yeux je l'avois, TransformĂ© du tout en la belle. Si bien Amour Ă coups de trait Au coeur m'engrava son portrait, Que mon tout n'estoit sinon qu'elle. Esperant luy conter un jour L'impatience de l'Amour Qui m'a fait des peines sans nombre, La mort soudaine m'a deceu Pour le vray le faux j'ay receu, Et pour le corps seulement l'ombre. Ciel, que tu es malicieux! Qui eust pensĂ© que ces beaux yeux Qui me faisoient si douce guerre, Ces mains, ceste bouche, et ce front Qui prindrent mon coeur, et qui l'ont, Ne fussent maintenant que terre? HĂ©las! oĂÂč est ce doux parler, Ce voir, cest ouyr, cest aller, Ce ris qui me faisoit apprendre Que c'est qu'aimer? hĂ , doux refus! HĂ ! doux desdains, vous n'estes plus, Vous n'estes plus qu'un peu de cendre. Helas, oĂÂč est ceste beautĂ©, Ce Printemps, ceste nouveautĂ©, Qui n'aura jamais de seconde? Du ciel tous les dons elle avoit Aussi parfaite ne devoit Long temps demeurer en ce monde. Je n'ay regret en son trespas, Comme prest de suivre ses pas. Du chef les astres elle touche Et je vy? et je n'ay sinon Pour reconfort que son beau nom, Qui si doux me sonne en la bouche. Amour, qui pleures avec moy, Tu sçais que vray est mon esmoy, Et que mes larmes ne sont feintes S'il te plaist renforce ma vois, Et de pitiĂ© rochers et bois Je feray rompre sous mes plaintes. Mon feu s'accroist plus vehement, Quand plus luy manque l'argument Et la matiere de se paistre Car son oeil qui m'estoit fatal, La seule cause de mon mal, Est terre qui ne peult renaistre Toutefois en moy je le sens Encore l'objet de mes sens, Comme Ă l'heure qu'elle estoit vive Ny mort ne me peult retarder, Ny tombeau ne me peult garder, Que par penser je ne la suive. Si je n'eusse eu l'esprit chargĂ© De vaine erreur, prenant congĂ© De sa belle et vive figure, Oyant sa voix, qui sonnoit mieux Que de coustume, et ses beaux yeux Qui reluisoient outre mesure, Et son souspir qui m'embrasoit, J'eusse bien veu qu'ell' me disoit Or soule toy de mon visage, Si jamais tu en euz soucy Tu ne me voirras plus icy, Je m'en vay faire un long voyage. J'eusse amassĂ© de se regars Un magazin de toutes pars, Pour nourrir mon ame estonnĂ©e, Et paistre long temps ma douleur Mais onques mon cruel malheur Ne sceut prevoir ma destinĂ©e. Depuis j'ay vescu de soucy, Et de regret qui m'a transy, ComblĂ© de passions estranges. Je ne desguise mes ennuis Tu vois l'estat auquel je suis, Du ciel assise entre les anges. Ha! belle ame, tu es lĂ hault Aupres du bien qui point ne fault, De rien du monde desireuse, En libertĂ©, moy en prison Encore n'est-ce pas raison Que seule tu sois bien-heureuse. "Le sort doit tousjours estre Ă©gal, Si j'ay pour toy souffert du mal, Tu me dois part de ta lumiere. Mais franche du mortel lien, Tu as seule emportĂ© le bien, Ne me laissant que la misere. En ton ĂÂąge le plus gaillard Tu as seul laissĂ© ton Ronsard, Dans le ciel trop tost retournĂ©e, Perdant beautĂ©, grace, et couleur, Tout ainsi qu'une belle fleur Qui ne vit qu'une matinĂ©e. En mourant tu m'as sceu fermer Si bien tout argument d'aimer, Et toute nouvelle entreprise, Que rien Ă mon grĂ© je ne voy, Et tout cela qui n'est pas toy, Me desplaist, et je le mesprise. Si tu veux, Amour, que je sois Encore un coup dessous tes lois, M'ordonnant un nouveau service, Il te fault sous la terre aller Flatter Pluton, et r'appeller En lumiere mon Eurydice Ou bien va-t'en lĂ hault crier A la Nature, et la prier D'en faire une aussi admirable Mais j'ay grand peur qu'elle rompit Le moule, alors qu'elle la fit, Pour n'en tracer plus de semblable. Refay moy voir deux yeux pareils Aux siens, qui m'estoient deux soleils, Et m'ardoient d'une flame extrĂ©me, OĂÂč tu soulois tendre tes laqs, Tes hamesons, et tes apas, OĂÂč s'engluoit la raison mesme. Ren moy ce voir et cest ouyr De ce parler fay moy jouyr, Si douteux Ă rendre responce. Ren moy l'objet de mes ennuis Si faire cela tu ne puis, Va-t'en ailleurs, je te renonce. A la Mort j'auray mon recours La Mort me sera mon secours, Comme le but que je desire. Dessus la Mort tu ne peux rien, Puis qu'elle a desrobĂ© ton bien, Qui fut l'honneur de ton empire. Soit que tu vives pres de Dieu, Ou aux champs Elisez, adieu, Adieu cent fois, adieu Marie Jamais Ronsard ne t'oublira, Jamais la Mort ne deslira Le noeud dont ta beautĂ© me lie. III Terre, ouvre moy ton sein, et me laisse reprendre Mon thresor, que la Parque a cachĂ© dessous toy Ou bien si tu ne peux, ĂÂŽ terre, cache moy Sous mesme sepulture avec sa belle cendre. Le traict qui la tua, devoit faire descendre Mon corps aupres du sien pour finir mon esmoy Aussi bien, veu le mal qu'en sa mort je reçoy, Je ne sçaurois plus vivre, et me fasche d'attendre. Quand ses yeux m'esclairoient, et qu'en terre j'avois Le bon-heur de les voir, Ă l'heure je vivois, Ayant de leurs rayons mon ame gouvernĂ©e. Maintenant je suis mort la Mort qui s'en-alla Loger dedans ses yeux, en partant m'appella, Et me fit de ses pieds accomplir ma journĂ©e. IV Alors que plus Amour nourrissoit mon ardeur, M'asseurant de jouyr de ma longue esperance A l'heure que j'avois en luy plus d'asseurance, La Mort a moissonnĂ© mon bien en sa verdeur. J'esperois par soupirs, par peine, et par langueur Adoucir son orgueil las! je meurs quand j'y pense. Mais en lieu d'en jouyr, pour toute recompense Un cercueil tient enclos mon espoir et mon coeur. Je suis bien malheureux, puis qu'elle vive et morte Ne me donne repos, et que de jour en jour Je sens par son trespas une douleur plus forte. Comme elle je devrois reposer Ă mon tour Toutesfois je ne voy par quel chemin je sorte, Tant la Mort me r'empaistre au labyrinth d'Amour. V Comme on voit sur la branche au mois de May la rose En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur, Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose La grace dans sa fueille, et l'amour se repose, Embasmant les jardins et les arbres d'odeur Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur, Languissante elle meurt fueille Ă fueille dĂ©close Ainsi en ta premiere et jeune nouveautĂ©, Quand la terre et le ciel honoroient ta beautĂ©, La Parque t'a tuĂ©e, et cendre tu reposes. Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs, Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses. VI Dialogue le Passant et le GĂ©nie Passant Veu que ce marbre enserre un corps qui fut plus beau Que celuy de Narcise, ou celuy de Clitie, Je suis esmerveillĂ© qu'une fleur n'est sortie, Comme elle feit d'Ajax, du creux de ce tombeau. GĂ©nie L'ardeur qui reste encore, et vit en ce flambeau, Ard la terre d'amour, qui si bien a sentie La flame, qu'en brazier elle s'est convertie, Et seiche ne peult rien produire de nouveau. Mais si Ronsard vouloit sur sa Marie espandre Des pleurs pour l'arrouser, soudain l'humide cendre Une fleur du sepulchre enfanteroit au jour. Passant A la cendre on cognoist combien vive estoit forte La beautĂ© de ce corps, quand mesmes estant morte Elle enflame la terre, et sa tombe d'amour. VII Chanson Helas! je n'ay pour mon objet Qu'un regret, qu'une souvenance La terre embrasse le sujet, En qui vivoit mon esperance. Cruel tombeau, je n'ay plus rien, Tu as dĂ©robĂ© tout mon bien, Ma mort, et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, souspirs, et pleurs, Douleurs sus douleurs. Que ne voy-je, pour languir mieux, Et pour vivre en plus longue peine, Mon coeur en souspirs, et mes yeux Se changer en une fonteine, Mon corps en voix se transformer, Pour souspirer, pleurer, nommer Ma mort, et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, souspirs, et pleurs, Douleurs sus douleurs. Ou je voudrois estre un rocher, Et avoir le coeur insensible, Ou esprit, afin de cercher Sous la terre mon impossible J'irois sans crainte du trespas Redemander aux Dieux d'embas Ma mort, et ma vie Mais ce ne sont que fictions Il me fault trouver autres plaintes. Mes veritables passions Ne se peuvent servir de feintes. Le meilleur remede en cecy, C'est mon torment et mon soucy, Ma mort, et ma vie. Au pris de moy les amoureux Voyant les beaux yeux de leur dame, Cheveux et bouche, sont heureux De bruler d'une vive flame. En bien servant ils ont espoir Je suis sans espoir de revoir Ma mort, et ma vie. Ils aiment un sujet qui vit La beautĂ© vive les vient prendre, L'oeil qui voit, la bouche qui dit Et moy je n'aime qu'une cendre. Le froid silence du tombeau Enferme mon bien, et mon beau, Ma mort, et ma vie. Ils ont le toucher et l'ouyr, Avant-courriers de la victoire Et je ne puis jamais jouyr Sinon d'une triste memoire, D'un souvenir, et d'un regret, Qui tousjours lamenter me fait. Ma mort, et ma vie. L'homme peult gaigner par effort Mainte bataille, et mainte ville Mais de pouvoir vaincre la Mort C'est une chose difficile. Le ciel qui n'a point de pitiĂ©, Cache sous terre ma moitiĂ©, Ma mort, et ma vie. Apres sa mort, je ne devois TuĂ© de douleur, la survivre Autant que vive je l'aimois, Aussi tost je la devois suivre Et aux siens assemblant mes os, Un mesme cercueil eust enclos Ma mort, et ma vie. Je mettrois fin Ă mon malheur, Qui hors de raison me transporte, Si ce n'estoit que ma douleur D'un double bien me reconforte. La penser DĂ©esse, et songer En elle, me fait allonger Ma mort, et ma vie. En songe la nuict je la voy Au ciel une estoille nouvelle S'apparoistre en esprit Ă moy Aussi vivante, et aussi belle Comme elle estoit le premier jour Qu'en ses beaux yeux je veis Amour, Ma mort, et ma vie. Sur mon lict je la sens voler, Et deviser de mille choses Me permet le voir, le parler, Et luy baiser ses mains de roses Torche mes larmes de sa main, Et presse mon coeur en son sein, Ma mort, et ma vie. La mesme beautĂ© qu'elle avoit, La mesme Venus, et la grace, Le mesme Amour qui la suivoit, En terre apparoist en sa face, Fors que ses yeux sont plus ardans, OĂÂč plus Ă clair je voy dedans Ma mort, et ma vie. Elle a les mesmes beaux cheveux, Et le mesme trait de la bouche, Dont le doux ris, et les doux noeuds Eussent liĂ© le plus farouche Le mesme parler, qui souloit Mettre en doute, quand il vouloit Ma mort, et ma vie. Puis d'un beau jour qui point ne faut, Dont sa belle ame est allumĂ©e, Je la voy retourner lĂ haut Dedans sa place accoustumĂ©e, Et semble aux anges deviser De ma peine, et favoriser Ma mort, et ma vie Chanson, mais complainte d'amour, Qui rends de mon mal tesmoignage, Fuy la court, le monde, et le jour Va-t'en dans quelque bois sauvage, Et de lĂ ta dolente vois Annonce aux rochers, et aux bois Ma mort, et ma vie, L'amant et l'amie, Plaints, souspirs, et pleurs, Douleurs sus douleurs. VIII Ha Mort, en quel estat maintenant tu me changes! Pour enrichir le ciel, tu m'as seul apauvry, Me ravissant les yeux desquels j'estois nourry, Qui nourrissent lĂ hault les esprits et les anges. Entre pleurs et souspirs, entre pensers estranges, Entre le desespoir tout confus et marry, Du monde et de moymesme et d'Amour, je me ry, N'ayant autre plaisir qu'Ă chanter tes louanges. Helas! tu n'es pas morte, hĂ©! c'est moy qui le suis L'homme est bien trespassĂ©, qui ne vit que d'ennuis, Et des maux qui me font une eternelle guerre. Le partage est mal fait tu possedes les cieux, Et je n'ay, mal-heureux, pour ma part que la terre, Les souspirs en la bouche, et les larmes aux yeux. IX Quand je pense Ă ce jour, oĂÂč je la vey si belle Toute flamber d'amour, d'honneur et de vertu, Le regret, comme un trait mortellement pointu, Me traverse le coeur d'une playe eternelle. Alors que j'esperois la bonne grace d'elle, L'amour a mon espoir par la Mort combattu La Mort a mon espoir d'un cercueil revestu, Dont j'esperois la paix de ma longue querelle. Amour, tu es enfant inconstant et leger Monde, tu es trompeur, pipeur et mensonger, Decevant d'un chacun l'attente et le courage. Malheureux qui se fie en l'Amour et en toy Tous deux comme la Mer vous n'avez point de foy, L'un fin, l'autre parjure, et l'autre oiseau volage. X Homme ne peult mourir par la douleur transi. Si quelcun trepassoit d'une extreme tristesse, Je fussĂ© desja mort pour suivre ma maistresse Mais en lieu de mourir je vy par le souci. Le penser, le regret, et la memoire aussi D'une telle beautĂ©, qui pour les cieux nous laisse, Me fait vivre, croyant qu'elle est ores Deesse, Et que du ciel lĂ hault elle me voit ici. Elle se sou-riant du regret qui m'affole, En vision la nuict sur mon lict je la voy, Qui mes larmes essuye, et ma peine console Et semble qu'elle a soin des maux que je reçoy. Dormant ne me deçoit car je la recognoy A la main, Ă la bouche, aux yeux, Ă la parole. XI Deux puissans ennemis me combattoient alors Que ma dame vivoit l'un dans le ciel se serre, De Laurier triomphant l'autre dessous la terre Un Soleil d'Occident reluist entre les morts. C'estoit la chastetĂ©, qui rompoit les efforts D'Amour, et de son arc, qui tout bon coeur enferre, Et la douce beautĂ© qui me faisoit la guerre, De l'oeil par le dedans, du ris par le dehors. La Parque maintenant ceste guerre a desfaite La terre aime le corps, et de l'ame parfaite Les Anges de lĂ sus se vantent bien-heureux. Amour d'autre lien ne sçauroit me reprendre. Ma flame est un sepulchre, et mon coeur une cendre, Et par la mort je suis de la mort amoureux. XII ElĂ©gie Le jour que la beautĂ© du monde la plus belle Laissa dans le cercueil sa despouille mortelle Pour s'en-voler parfaite entre les plus parfaits, Ce jour Amour perdit ses flames et ses traits, Esteignit son flambeau, rompit toutes ses armes, Les jetta sur la tombe, et l'arrousa de larmes Nature la pleura, le Ciel en fut faschĂ© Et la Parque, d'avoir un si beau fil trenchĂ©. Depuis le jour couchant jusqu'Ă l'Aube vermeille Phenix en sa beautĂ© ne trouvoit sa pareille, Tant de graces au front et d'attraits elle avoit Ou si je me trompois, Amour me decevoit. Si tost que je la vey, sa beautĂ© fut enclose Si avant en mon coeur, que depuis nulle chose Je n'ay veu qui m'ait pleu, et si fort elle y est, Que toute autre beautĂ© encores me desplait. Dans mon sang elle fut si avant imprimĂ©e, Que tousjours en tous lieux de sa figure aimĂ©e Me suivoit le portrait, et telle impression D'une perpetuelle imagination M'avoit tant desrobĂ© l'esprit et la cervelle, Qu'autre bien je n'avois que de penser en elle, En sa bouche, en son ris, en sa main, en son oeil, Qu'au coeur je sens tousjours, bien qu'ils soient au cercueil. J'avois au-paravant, veincu de la jeunesse, Autres dames aimĂ© ma faute je confesse Mais la playe n'avoit profondement saignĂ©, Et le cuir seulement n'estoit qu'esgratignĂ©, Quand Amour, qui les Dieux et les hommes menace, Voyant que son brandon n'eschauffoit point ma glace, Comme rusĂ© guerrier ne me voulant faillir; La print pour son escorte, et me vint assaillir. Encor, ce me dit-il, que de maint beau trofĂ©e D'Horace, de Pindare, Hesiode et d'OrfĂ©e, Et d'Homere qui eut une si forte vois, Tu as ornĂ© la langue et l'honneur des François, Voy ceste dame icy ton coeur, tant soit il brave, Ira sous son empire, et sera son esclave. Ainsi dit, et son arc m'enfonçant de roideur, Ensemble dame et traict m'envoya dans le coeur. Lors ma pauvre raison, des rayons esblouye D'une telle beautĂ©, se perd esvanouye, Laissant le gouvernal aux sens et au desir, Qui depuis ont conduit la barque Ă leur plaisir. Raison, pardonne moy un plus caut en finesse S'y fust bien engluĂ©, tant une douce presse De graces et d'amours la suivoient tout ainsi Que les fleurs le Printemps, quand il retourne ici. De moy, par un destin sa beautĂ© fut cognue Son divin se vestoit d'une mortelle nue, Qui mesprisoit le monde, et personne n'osoit Luy regarder les yeux, tant leur flame luisoit. Son ris, et son regard, et sa parole pleine De merveilles, n'estoient d'une nature humaine Son front ny ses cheveux, son aller ny sa main. C'estoit une Deesse en un habit humain, Qui visitoit la terre, aussi tost enlevĂ©e Au ciel, comme elle fut en ce monde arrivĂ©e. Du monde elle partit aux mois de son printemps, Aussi tout excellence icy ne vit long temps. Bien qu'elle eust pris naissance en petite bourgade, Non de riches parens, ny d'honneurs, ny de grade, Il ne l'en fault blasmer la mesme DeitĂ© Ne desdaigna de naistre en trespauvre citĂ© Et souvent sous l'habit d'une simple personne Se cache tout le mieux que le destin nous donne. Vous qui veistes son corps, l'honorant comme moy, Vous sçavez si je ments, et si triste je doy Regretter Ă bon droict si belle creature, Le miracle du Ciel, le mirouer de Nature. O beaux yeux, qui m'estiez si cruels et si doux, Je ne me puis lasser de repenser en vous, Qui fustes le flambeau de ma lumiere unique, Les vrais outils d'Amour, la forge, et la boutique. Vous m'ostastes du coeur tout vulgaire penser, Et l'esprit jusqu'au ciel vous me fistes hausser. J'apprins Ă vostre eschole Ă resver sans mot dire, A discourir tout seul, Ă cacher mon martire; A ne dormir la nuict, en pleurs me consumer. Et bref, en vous servant, j'apprins que c'est qu'aimer. Car depuis le matin que l'Aurore s'esveille Jusqu'au soir que le jour dedans la mer sommeille, Et durant que la nuict par les Poles tournoit, Tousjours pensant en vous, de vous me souvenoit. Vous seule estiez mon bien, ma toute, et ma premiere, Et le serez tousjours tant la vive lumiere De voz yeux, bien que morts, me poursuit, dont je voy Tousjours leur simulachre errer autour de moy. Puis Amour que je sens par mes veines s'espandre, Passe dessous la terre, et r'attize la cendre Qui froide languissoit dessous vostre tombeau, Pour r'allumer plus vif en mon coeur son flambeau, Afin que vous soyez ma flame morte et vive, Et que par le penser en tous lieux je vous suive. Pourroy-je raconter le mal que je senty, Oyant vostre trespas? mon coeur fut converty En rocher insensible, et mes yeux en fonteines Et si bien le regret s'escoula par mes veines, Que pasmĂ© je me fis la proye du torment, N'ayant que vostre nom pour confort seulement. Bien que je resistasse, il ne me fut possible. Que mon coeur, de nature Ă la peine invincible, Peust cacher sa douleur car plus il la celoit, Et plus dessus le front son mal estinceloit, En fin voyant mon ame extremement attainte, Je desliay ma bouche, et feis telle complainte Ah, faux Monde trompeur, que tu m'as bien deceu! Amour, tu es enfant par toy j'avois receu La divine beautĂ© qui surmontoit l'envie, Que maugrĂ© toy la Mort en ton regne a ravie. Je desplais Ă moymesme, et veux quitter le jour, Puis que je voys la Mort triompher de l'Amour, Et luy ravir son mieux, sans faire resistance. Malheureux qui le suit, et vit sous son enfance! Et toy Ciel, qui te dis le pere des humains, Tu ne devois tracer un tel corps de tes mains Pour si tost le reprendre et toy mere Nature, Pour mettre si soudain ton oeuvre en sepulture. Maintenant Ă mon dam je cognois pour certain, Que tout cela qui vit sous ce globe mondain, N'est que songe et fumĂ©e, et qu'une vaine pompe, Qui doucement nous rit; et doucement nous trompe. Ha, bien-heureux esprit fait citoyen des cieux, Tu es assis au rang des Anges precieux En repos eternel, loing de soin et de guerres Tu vois dessous tes pieds les hommes et les terres, Et je ne voy qu'ennuis, que soucis, et qu'esmoy, Comme ayant emportĂ© tout mon bien avec toy. Je ne te trompe point du ciel tu vois mes peines, Si tu as soin lĂ hault des affaires humaines. Que doy-je faire, Amour? que me conseilles-tu? J'irois comme un Sauvage en noir habit vestu Volontiers par les bois, et mes douleurs non feintes Je dirois aux rochers mais ils sçavent mes plaintes. Il vaut mieux d'un grand temple honorer son tombeau, Et dedans eslever d'artifice nouveau Cent autels dediez Ă la memoire d'elle, Esclairez jour et nuict d'une lampe eternelle, Et devant le portail, comme les anciens Celebroient les combats aux jeux Olympiens, Sacrer en son honneur au retour de l'annĂ©e Une feste choumable Ă la jouste ordonnĂ©e. LĂ tous les jouvenceaux au combat mieux appris Le funeste Cyprez emporteront pour pris, Et seront appellez long temps apres ma vie, Les jeux que feist Ronsard pour sa belle Marie. Puis quand l'une des Soeurs aura le fil coupĂ©, Qui retient en mon corps l'esprit envelopĂ©, J'ordonne que mes oz pour toute couverture Reposent pres des siens sous mesme sepulture Que des larmes du ciel le tombeau soit lavĂ©, Et tout Ă l'environ de ces vers engravĂ© Passant, de cest amant enten l'histoire vraye. De deux traicts differents il receut double playe L'une que feit l'Amour, ne versa qu'amitiĂ© L'autre que feit la Mort, ne versa que pitiĂ©. Ainsi mourut navrĂ© d'une double tristesse, Et tout pour aimer trop une jeune maistresse. XIII De ceste belle, douce, honneste chastetĂ© Naissoit un froid glaçon, ains une chaude flame, Qu'encores aujourd'huy esteinte sous la lame Me reschauffe, en pensant quelle fut sa clartĂ©. Le traict que je receu, n'eut le fer espointĂ© Il fut des plus aiguz qu'Amour nous tire en l'ame, Qui d'un trespas armĂ© par le penser m'entame, Et sans jamais tomber se tient Ă mon costĂ©. Narcisse fut heureux, mourant sur la fontaine, AbusĂ© du mirouĂr de sa figure vaine Au moins il regardoit je ne sçay quoy de beau. L'erreur le contentoit, voyant la face aimĂ©e Et la beautĂ© que j'aime, est terre consumĂ©e. Il mourut pour une ombre; et moy pour un tombeau. XIV Je voy tousjours le traict de ceste belle face Dont le corps est en terre, et l'esprit est aux cieux Soit que je veille ou dorme, Amour ingenieux En cent mille façons devant moy le repasse. Elle qui n'a soucy de ceste terre basse, Et qui boit du Nectar assise entre les Dieux, Daigne pourtant revoir mon estat soucieux, Et en songe appaiser la Mort qui me menace. Je songe que la nuict elle me prend la main Se faschant de me voir si long temps la survivre, Me tire, et fait semblant que de mon voile humain Veult rompre le fardeau pour estre plus delivre. Mais partant de mon lict, son vol est si soudain Et si prompt vers le ciel, que je ne la puis suivre. XV Aussi tost que Marie en terre fut venue, Le Ciel en fut marry, et la voulut ravoir A peine nostre siecle eut loisir de la voir, Qu'elle s'esvanouyt comme un feu dans la nue. Des presens de Nature elle vint si pourveuĂ, Et sa belle jeunesse avoit tant de pouvoir, Qu'elle eust peu d'un regard les rochers esmouvoir, Tant elle avoit d'attraits et d'amours en la veuĂ. Ores la Mort jouyt des beaux yeux que j'aimois, La boutique, et la forge, Amour, oĂÂč tu t'armois. Maintenant de ton camp cassĂ© je me retire Je veux desormais vivre en franchise et tout mien. Puis que tu n'as gardĂ© l'honneur de ton empire, Ta force n'est pas grande, et je le cognois bien. XVI Epitaphe de Marie Cy reposent les oz de toy, belle Marie, Qui me fis pour Anjou quitter le Vandomois, Qui m'eschauffas le sang au plus verd de mes mois, Qui fus toute mon coeur, mon sang, et mon envie. En ta tombe repose honneur et courtoisie, La vertu, la beautĂ©, qu'en l'ame je sentois, La grace et les amours qu'aux regards tu portois, Tels qu'ils eussent d'un mort resuscitĂ© la vie. Tu es belle Marie un bel astre des cieux Les Anges tous ravis se paissent de tes yeux, La terre te regrette. O beautĂ© sans seconde! Maintenant tu es vive, et je suis mort d'ennuy. Ha, siecle malheureux! malheureux est celuy Qui s'abuse d'Amour, et qui se fie au Monde. Les amours d'Eurymedon et de CallirĂ©e J'ay quittĂ©... I Stances J'ay quittĂ© le rempart si long temps defendu Je ne me puis trouver, tant je me suis perdu. Amour traict dessus traict mon repos importune D'une flame il fait l'autre en mon coeur r'allumer. Par trop aimer autruy je ne me puis aimer De ma serve vertu triomphe la Fortune. Ma puissance me nuit je veux tout, et ne puis Je ne sçay que je fais, je ne sçay qui je suis En egale balance est ma mort et ma vie, Le Destin me contraint, la Raison m'a laissĂ© Je suis comme Telefe, estrangement blessĂ© Je veux tout, et mon tout n'est sinon qu'une envie. Mon espoir est douteux, mon desir est certain, Mon courage est couard, superbe est mon dessein Je ne suis resolu qu'Ă me faire la guerre. Mes pensers au combat contre moy se sont mis J'ay mon coeur pour suspect, mes yeux pour ennemis Une main me delasse, et l'autre me reserre. L'Astre qui commandoit au poinct que je fus nĂ©, De dangereux aspects estoit infortunĂ© Sa face en lieu d'un jour d'une nuict estoit pleine Il renversa sur moy les raiz de son malheur. Du Ciel trop ennemy proceda ma douleur, Condemnant du berceau ma jeunesse Ă la peine. Il estoit par Destin dans le Ciel arrestĂ©, Qu'Ă vingt ans je devois perdre ma libertĂ© Pour servir une Dame autant belle qu'honneste, Charger mes yeux de pleurs, ma face de langueur Qu'Amour devoit porter en triomphe mon coeur, Et pendre ma jeunesse Ă son arc pour conqueste. La chose est arrivĂ©e, il n'en faut plus douter. Le lien de mon col je ne sçaurois oster Il faut courir fortune. O belle Calliree Servez moy de Pilote et de voile et de vent Autre Astre que vostre oeil je ne vay poursuivant Pource je vous invoque, et non pas Cytheree. Si n'aimer rien que vous, tousjours en vous penser, D'un penser qui s'acheve, un autre commencer, Ma nature changer, et en prendre une neuve, Ne donner aux souspirs ne trĂ©ves ny sejour Madame, si cela se doit nommer Amour, Plus parfait amoureux au monde ne se treuve. Mon corps est plus leger que n'est l'esprit de ceux Qui vivent, en aimant, grossiers et paresseux Et tout ainsi qu'on vot s'evaporer Mercure Au feu d'un Alchimiste, et s'en-voler en rien Ainsi dedans le ciel mon corps qui n'est plus mien, AlembiquĂ© d'Amour s'en-vole de nature. Je ressemble au Demon, qui ne se veut charger D'un corps, ou s'il a corps, ce n'est qu'un air leger, Pareil Ă ces vapeurs subtiles et menues, Que le Soleil desseiche aux chauds jours de l'EstĂ©. Le mien du seul penser promptement emportĂ©, DistillĂ© par l'Amour, se perd dedans les nues. Le Peintre, qui premier fit d'Amour le tableau, Et premier le peignit plumeux comme un oiseau, Cognut bien sa nature, en luy baillant des ailes, Non pour estre inconstant, leger ne vicieux, Mais comme nay du ciel, pour retourner aux cieux, Et monter au sejour des choses les plus belles. La matiere de l'homme est pesante, et ne peut Suivre l'esprit en hault, lors que l'esprit le veut, Si Amour, la purgeant de sa flame estrangere, N'affine son mortel. Voila, Dame, pourquoy Je cognois par raison que n'aimez tant que moy Si vous aimiez autant, vous seriez plus legere. Entre les Dieux au ciel mon corps s'iroit assoir, Si vous suiviez mon vol, quand nous ballons au soir Flanc Ă flanc, main Ă main, imitant l'Androgyne Tous deux dansans la Volte, ainsi que les Jumeaux, Prendrions place au sejour des Astres les plus beaux, Et serions dicts d'Amour Ă jamais le beau Signe. OĂÂč par faute d'aimer vous demeurez Ă bas, La terre maugrĂ© moy vous attache les pas. Vous estes paresseuse, et au ciel je m'en-vole. Mais Ă moitiĂ© chemin je m'arreste, et ne veux Passer outre sans vous sans y voler tous deux Je ne voudrois me faire un citoyen du Pole. Las, que feroy-je au ciel assis entre les Dieux, Sans plus voir les amours qui sortent de voz yeux, Et les traicts si poignans de vostre beau visage, Voz graces qui pourroient un rocher esmouvoir? Sans vivre aupres de vous, Maistresse, et sans vous voir, Le ciel me sembleroit un grand desert sauvage. Je veux en lieu des cieux en terre demeurer, Pour vous aimer, servir, priser et honorer Comme une chose saincte, et des Vertus l'exemple. Mainte mortelle Dame a jadis meritĂ© Autels et sacrifice, encens et DeitĂ©, Qui n'estoit tant que vous digne d'avoir un Temple. Bref, je suis resolu de ne changer d'amour. Le jour sera la nuict, la nuict sera le jour, Les estoiles sans ciel, et la mer mesurĂ©e Amour sera sans arc, sans traict et sans brandon, Et tout sera changĂ© plustost qu'Eurymedon Oublie les amours qu'il porte Ă Calliree. II Stances De fortune Diane et l'archerot Amour En un mesme logis arriverent un jour, L'un lassĂ© de voler, et l'autre de la chasse Destendirent leurs arcs, et pour prendre repos, Leurs carquois pleins de traicts deschargerent du dos, Et les meirent ensemble en un mesme place. Amour jusqu'Ă midy paresseux sommeilla. Diane au poinct du jour soigneuse s'esveilla, Et pour tromper Amour usa de diligence Print son arc pour le sien, ses feux, et son carquois Puis se mocquant de luy, s'en-alla dans les bois, Desireuse de faire une belle vengeance. Je porte, disoit elle, et l'arc et le brandon Maintenant pour blesser le coeur d'Eurymedon, Qui, nouvel Acteon, de ses meutes tormente Les repos des forests, rend les buissons deserts, Ensanglante les bois du meurtre de mes Cerfs, Et par la mort des miens ses victoires augmente. Je ne veux plus souffrir qu'il me vienne outrager Voicy son arc qui peult d'un beau coup me venger. Malheureux est celuy, qui sans revanche endure! Hercule, qui tua la Biche au pied d'airain, Ne m'injuria tant, comme la jeune main De cest Eurymedon Ă mes Cerfs fait d'injure. Qu'est-il sinon de ceux que Nature a produit? Mon sang des premiers Dieux d'un long ordre se suit Je me pais de Nectar, luy de viande humaine Sa demeure est la terre, et la mienne les cieux. Le mortel ne se doit accomparer aux Dieux Sans travail nous vivons, son partage est la peine. Bref, je me veux venger, et luy faire sentir De combien de souspirs s'achete un repentir, Et le desir d'avoir la chasse trop apprise. Diane ainsi disoit. Le sang qui bouillonnoit, Noirastre de courroux, son fiel aiguillonnoit Ardente d'achever si hautaine entreprise. Eurymedon entroit aux jours de son printemps Son plaisir, son deduit, ses jeux, ses passetemps Estoient par le travail d'honorer sa jeunesse Son corps estoit adroit, son esprit genereux, Desdaignant comme un Prince actif et vigoureux De rouiller au logis ses beaux ans de paresse. C'estoit un Meleagre au mestier de chasser Il sçavoit par-sus tous laisser courre et lancer, Bien dĂ©mesler d'un Cerf les ruses et la feinte, Le bon temps, le vieil temps, l'essuy, le rembuscher, Les gangnages, la nuict, le lict et le coucher, Et bien prendre le droict, et bien faire l'enceinte. Et comme s'il fust nay d'une Nymphe des bois, Il jugeoit un vieil Cerf Ă la perche, aux espois, A la meule, andouillers et Ă l'embrunisseure, A la grosse perleure, aux goutieres, aux cors, Aux dagues, aux broquars bien nourris et bien forts, A la belle empaumeure et Ă la couronneure. Il sçavoit for-huĂr et bien parler aux Chiens, Faisoit bien la brisĂ©e, et le premier des siens Cognossoit bien le pied, la sole et les alleures, FumĂ©es, hardouers et frayoirs, et sçavoit Sans avoir veu le Cerf, quelle test il avoit, En voyant seulement ses erres et fouleures. Un jour sans y penser, poussĂ© par le Destin, Comme il mettoit Ă bout Ă l'egal du matin, La ruse d'un vieil Cerf, Diane se transforme En l'image d'Amour, et pour mieux le blesser, Luy feit en lieu d'un Cerf devant les yeux passer D'une Nymphe des eaux le visage et la forme. Comme un printemps d'Avril, tout son corps estoit beau Sebete la conceut au milieu de son eau Les voisins d'alentour l'appelloient Calliree. Ses mestiers n'estoient pas de filer ne d'ourdir Mais ne laissant son corps en paresse engourdir, Suivoit tousjours Diane, et fuyoit Cytheree. Au poinct qu'elle passa, Diane tout soudain Print l'arc, et le banda roidement en sa main, Puis blesse Eurymedon d'un traict tout plein de braise. Le traict siffle en la playe, et la vint eschaufer Feit bouillonner le sang tout ainsi que le fer Qu'on plonge tout ardent en l'eau d'une fournaise. Lors elle s'escria, Voila mes Cerfs vengez Tes jeux, Eurymedon, seront bien tost changez D'une telle langueur mes ennemis je paye. En lieu de chiens, de trompe, et de bocages verds, Il te faudra chercher les Muses et les vers, Pour soulager le mal qui naistra de ta playe. De tels propos Diane en se jouant parla Et ce pendant l'ulcere au fond du coeur alla, Passa de nerf en nerf, passa de veine en veine, Et feit par tout le corps le venin escouler Altera tout son sang, feit l'esprit chanceler, N'ayant pour son sujet autre bien que la peine. Il changea de nature, il devint en langueur, Comme ceux, dont la fiĂ©vre est maistresse du cueur. Il tiroit lentement de ses yeux une oeillade Il changea de penser, de moeurs et d'actions Il portoit en l'esprit nouvelles passions, Et ne sçavoit pourtant qui le faisoit malade Rien ne luy profita commander aux forests, D'avoir mille piqueurs, mille espieux, mille rets, Ny de mille chiens baux l'aboyante tempeste. Amour, qui n'a soucy de grandeurs ny d'honneurs, Et qui maistre commande aux plus braves seigneurs, Avoit de sa desfaite enrichy sa conqueste. Il oublia soudain et meutes et limiers Souspirs dessus souspirs sortirent les premiers, Signe de maladie il avoit le courage Tousjours en un penser fermement arrestĂ©, Comme marry de voir sa douce libertĂ©; Sur l'Avril de ses ans ainsi mise en servage. Il vouloit aux rochers et aux forests parler Mais il ne peut jamais sa langue desmesler. Amour ne le voulut, qui son esprit affolle. Sur l'herbe se couchant, de rien ne luy souvint Il s'endormit de dueil, et la nuict qui survint, Luy desroba le jour, les pleurs et la parolle. III Le baing de CallirĂ©e Eurymedon parle. Je voudrois ce jourdhuy par bonne destinĂ©e Me changer d'homme en femme, ainsi que fit CoenĂ©e, CoenĂ©e, qui tournant par miracle sa peau, Estoit tantost pucelle, et tantost jouvenceau. Je verrois dans le baing la belle CallirĂ©e Je faux, mais je verrois la belle CytherĂ©e Je verrois des beautez la parfaite beautĂ© Sans soupçon, comme femme, en toute privautĂ© BeautĂ©, que les amours en son baing accompaignent, Et mignons en la cuve, ainsi qu'elle, se baignent. L'un nage dessus l'eau, l'autre se jouĂ au fond L'un luy jette des fleurs Ă pleines mains au front, L'autre luy tient la teste, et l'autre de son aile L'esvente doucement, et sa mere l'appelle. Venus en est bien aise, et se sou-rit de voir D'une si douce erreur ses fils se decevoir L'eau, la cuve, et le baing de flames elle allume, Et l'air tout Ă l'entour d'odeurs elle parfume Et jalouse, voyant de ce beau corps le traict, S'imagine soymesme, et conçoit son portraict. Si j'avois, pour jouyr de chose tant aimĂ©e, Pour ce jour ma nature en femme transformĂ©e, Je pourrois sans vergogne Ă son baing me trouver, La voir, l'ouyr, sentir, la toucher, et laver, Ministre bien-heureux d'une si douce estuve. Tantost je verserois de l'eau tiede en la cuve, Et tantost de la froide, et d'un vase bouillant L'eau chaude dans la froide ensemble remeslant, Je laverois son corps, et dirois bien-heureuse Telle eau, qui deviendroit de la belle amoureuse, Et le feu amoureux, qui deviendroit plus chaut Par l'autre de ses yeux, qui jamais ne defaut. Le feu materiel se consomme en sa cendre, Si bois dessus du bois on cesse de respandre, Dont la flamme se paist. Mais celuy de ses yeux Sans matiere est nourry, comme celuy des cieux, Et vit en ses regards de chaleur si extrĂ©me, Que l'esclair qui en sort, embrase le feu mesme. Que n'ay-je maintenant autant de loy qu'un Dieu? J'attacherois la Cuve et la Cruche au milieu Des astres les plus beaux, et en ferois un Signe, Comme l'enfant Troyen des astres le plus digne. Tu te baignes en France, ĂÂŽ corps Sebetien Et Pallas autrefois, honneur Athenien, En Argos se baigna, quand elle valeureuse Retiroit des combats sa main toute poudreuse, Et ses membres nerveux, victorieux et forts Lavoit d'huile d'Olif, oincture de son corps De masle huile d'Olif, riche fruict de la plante, Que la ville conceut, qui de son nom se vante. Et quoy ma CallirĂ©e? apres que ton brandon A brulĂ© moy, qui suis ton pauvre Eurymedon, Apres avoir ta main en mes veines mouillee, Du nouvel homicide encor toute souillee, Tu te baignes, Ă fin de purger ton forfait? Mais tu ne peux laver le mal que tu m'as fait. Pourquoy veux-je Ă mon dam prendre la hardiesse De voir le corps tout nud d'une telle DĂ©esse? L'exemple d'Acteon et du jeune Thebain, Qui veirent et Diane et Pallas dans le bain, Me devroient faire sage, et sagement m'apprendre Que l'oeil humain ne doit sur les Dieux entreprendre Je veux, sans l'ignorer, ma Deesse offenser. Ces deux pauvres enfans veirent, sans y penser, Les fieres Deitez, dont la vengeance preste A l'un osta les yeux, Ă l'autre sur la teste Meit des cornes de Cerf et l'innocente erreur Des Deesses ne peut adoucir la fureur. O bien-heureux enfans, voz fautes furent quittes Pour des punitions legeres et petites! La corne sur le front ne fait ny mal ne bien C'est l'esprit seul qui sent, la corne ne sent rien Et de perdre les yeux, la perte est profitable En amour, oĂÂč la veuĂ est tousjours dommageable. S'il est vray que l'amour se face par les yeux, Les yeux sont aux amans un mal pernicieux. Qu'on me creve les yeux pour ne voir plus ma Dame. Le regard m'est un feu qui me consume l'ame, Dont je ne puis guarir, et voudrois desormais Comme vous, estre aveugle, et ne la voir jamais. IV ElĂ©gie du poĂšte A Eurymedon. Prince, de qui le nom m'est venerable et sainct, Amour, ainsi que vous, aux liens me contrainct De penser en penser me fait nouvelle guerre A la Chiorme amoureuse, ainsi que vous, m'enferre. Nous sommes compaignons bienheureux, quand je voy, Celuy qui est mon maistre, esclave comme moy. Amour, je t'aime bien, qui sans respect egales Aux moindres qualitez les qualitez royales, Et qui rens un chacun sujet Ă ta grandeur, Aussi bien le seigneur comme le serviteur. Les hommes ne sont faits de matieres contraires Nous avons comme vous des nerfs et des arteres, Nous avons de nature un mesme corps que vous, Chair, muscles et tendons, cartilages et pouls, Mesme coeur, mesme sang, poumons et mesmes veines, Et souffrons comme vous les plaisirs et les peines Un rocher n'aime point, un Chesne ny la mer Mais le propre sujet des hommes c'est aimer. Aimer, hayr, douter, avoir la fantaisie Tantost chaude d'amour, tantost de jalousie, Vouloir vivre tantost, tantost vouloir mourir, Resver, penser, songer, Ă par-soy discourir, Se donner, s'engager, se condamner soymesme, Se perdre, s'oublier, avoir la face blesme, Vouloir ouvrir la bouche, et n'oser proferer, Esperer Ă credit, et se desesperer, Cacher sous un glaçon des flammes allumees, S'alembiquer l'esprit, se paistre de fumees, Dessous un front joyeux avoir le coeur transi, Avoir la larme Ă l'oeil, s'amaigrir de souci, Voila les fruicts qu'Amour de son arbre nous donne, Dont ny fueille ny fleur ny racine n'est bonne. Le tige en est amer, qui corrompt nostre corps, Amer par le dedans, amer par le dehors Et bref amer par tout, comme ayant son lignage De la mer, et nourry dans un desert sauvage, On dit, lors que Venus de son fils accoucha, Que Jupiter au ciel contre elle se fascha, Jugeant Ă voir l'enfant seulement Ă la face, Que bien tost il perdroit toute l'humaine race. Venus pour le sauver le cacha dans les bois. La Renarde une fois, la Louve une autre fois, Et l'Ourse l'alaita, humant sa nourriture Des bestes, dont le laict est aigre de nature. D'un vivre si amer cest enfant de repeut, Gardant les qualitez du mesme laict qu'il beut. Or si tost qu'il fut grand un Dieu ne tarde Ă croistre Et qu'il peut empoigner l'arc de la main senestre, Luy mesme sans patron, allant par les forests, Se fit un arc de Fresne, et des traicts de Cyprez, Et façonna ses mains, Ă tirer ignorantes, Premier contre les Cerfs et les Biches errantes. Des bois vint aux citez tirer droict aux humains. Ha, qu'il a maintenant bien certaines les mains! Son art n'est plus faultier, sa fleche est advisee, Qui mire, droict au coeur sans y prendre visee Son arc n'est plus de bois, ses traicts ny son carquois Il est d'or maintenant, dont il blesse les Rois. Celuy pour triompher d'une rare conqueste, A mis victorieux ses pieds sur vostre teste Et quand moins vous pensiez qu'il vous peust surmonter, Desdaignant voz grandeurs, vous est venu donter. Rien ne vous a servy longuement vous defendre, Ny vostre coeur revesche, indocile Ă se rendre Rien ne vous ont servy Diane ny ses arts, Qu'Amour ne vous enroolle au ranc de ses soldats, Et suivant en son camp le chemin qu'il enseigne, Ne vous face porter devant tous son Enseigne. Celuy d'un beau desir le coeur vous anima, En voz veines le soulfre amoureux alluma Celuy vous desrouilla la honte de jeunesse, Vous apprist ses beaux noms d'aimer et de maistresse, Vous apprist Ă la fois Ă rougir et blesmir, Passer les jours en pleurs, et les nuicts sans dormir. Aussi pour recompense il vous donne une Dame, Dont le corps si parfait sert de tesmoin, que l'ame Est parfaite et divine, et qu'elle a dans les cieux Prise son origine entre les plus beaux Dieux. L'honneur comme un Soleil son beau front environne, Et toutes les Vertus luy servent de Couronne. Les astres de ses yeux, les roses de son teint, Ses cheveux, mais des rets, dont Amour vous estreint, L'yvoire de ses mains, sa bouche toute pleine De perles, de rubis, et d'une douce haleine, De sa beautĂ© tout seul ne vous font desireux Tout homme est un rocher, s'il n'en est amoureux. Vous n'estes pas marry, ny jaloux, qu'on regarde Au plus hault de l'EstĂ© le beau Soleil, qui darde Ses rayons sur chacun il a tant de clartĂ©, Qu'il peult sur tout le monde espandre sa beautĂ©, Sans rien perdre en donnant et plus il continue A departir sa flame, et moins se diminue. Ainsi, Prince courtois, vous n'estes envieux, Si voyant sa beautĂ© j'en contente mes yeux, J'en desrobe un rayon pour soustenir ma vie Car la voir seulement est toute mon envie. Les yeux de Cupidon d'un bandeau sont couverts Les vostres Ă choisir sont prompts et bien ouverts. Vostre sain jugement vous a poussĂ© d'eslire La meilleure partie, et refuser la pire. Entre mille beautez choisir vous avez sceu Sur toutes la plus belle, et n'estes point deceu. O prudent jugement en un jeune courage! Je m'asseurois tousjours, voyant vostre visage Melancholique; et plein d'imagination, Que vous seriez heureux en votre election. Je ne suis esbahy, si en vostre jeunesse Avez estĂ© gaignĂ© d'une telle Princesse, Quand moy, qui des amours ay passĂ© la saison, Qui ay morne le sang, le chef demy-grison, DĂ©s long temps j'en avois toute l'ame blessee, Et le traict seulement vivoit en la pensee J'estois de la servir soigneux et curieux. "Aussi bien que les Rois les pauvres ont des yeux. Ma fortune en bon-heur passe la vostre, Prince. Que vous sert maintenant vostre riche province, Que vous sert vostre sceptre et vostre honneur royal? Cela ne peult guarir en amour vostre mal, Cela ne refroidit le feu qui vous allume OĂÂč je suis soulagĂ© par le bien de ma plume, Qui deschargeant mon coeur de mille affections, Emporte dans le vent toutes mes passions. Elle est mon Secretaire et sans mendier qu'elle, Je luy dy mes secrets je la trouve fidelle, Et soulage mon mal de si douce façon, Que rien contre l'Amour n'est bon que la chanson. La Muse est mon confort, qui de sa voix enchante Tant son charme est puissant l'Amour, quand elle chante O germe de Venus, enfant Idalien, Soit que tu sois des Dieux le Dieu plus ancien, Que le Ciel soit ton pere, et la Mer ta nourrice, Que tu sois citoyen d'Amathonte ou d'Eryce, Vien demeurer en France, et soulage l'ardeur De mon Prince, qui vit sujet de ta grandeur. V Chanson par Stances Ah belle eau vive, ah fille d'un rocher, Qui fuis tousjours pour ma peine fatale, Ne souffre plus que je sois un Tantale, Laisse ma soif en tes eaux estancher Ou si tu n'as pitiĂ© de mon trespas, De tant pleurer il me prend une envie, Qu'ainsi que toy je veux changer ma vie En source d'eau pour mieux suivre tes pas. Eau devenu, en ton eau je vivray, Faict par mes pleurs une eternelle source Et d'eau pareille, et de pareille course PlongĂ© dans toy, tousjours je te suivray. Fils de Venus, enfant ingenieux, Je te supply pour alleger ma peine, Que tout mon corps ne soit qu'une fonteine, Et que mon sang je verse par les yeux Si tu ne veux, ĂÂŽ Nymphe, consentir Que pour te suivre en eau je me transforme, D'un feu bruslant je veux prendre la forme Pour de mon mal te faire repentir. Ainsi qu'Achille insolent en desirs Brusla le fleuve en la plaine Troyenne, Face le Ciel que flame je devienne Pour consommer ton eau de mes souspirs. Quand on ne peult par un remede egal Avoir santĂ© du tourment qui nous presse, DesesperĂ© de tout salut, maistresse, D'un mal contraire il faut guarir son mal. VI Sonet CallirĂ©e parle contre la chasse. Celuy fut ennemy des Deitez puissantes, Et cruel viola de nature les lois, Qui le premier rompit le silence des bois, Et les Nymphes qui sont dans les arbres naissantes Qui premier de limiers et de meutes pressantes, De piqueurs, de veneurs, de trompes et d'abois Donna par les forests un passetemps aux Rois De la course du sang des bestes innocentes. Je n'aime ny piqueurs, ny filets, ny veneurs, Ny meutes ny forests, la cause de mes peurs Je doute qu'Arthemis quelque sangler n'appelle. Encontre Eurymedon, pour voir ses jours finis, Que le dueil ne me face une Venus nouvelle, Et la mort ne le face un nouvel Adonis. La Charite Ce jeune dieu... I A la Marguerite et unique perle de France, la royne de Navarre. Ce jeune Dieu, qui aux plus vieux commande, Qui par le Ciel, qui par la terre court, Voyant un jour les Dames de la Court, Remonte aux Cieux, et Venus luy demande Dy-moy, mon fils, volant de place en place Comme tu fais, sans foy, sans loyautĂ©, As tu point veu lĂ bas quelque beautĂ© Ton oeil voit tout qui la mienne surpasse? Amour respond Pren, ma mere, asseurance, Rien ne sçauroit surpasser ton honneur Fors une Royne, en qui tout le bon-heur Du plus beau Ciel se versa dĂ©s l'enfance. Elle rougist les Dames sont despites. Quand leur renom en beautĂ© n'est parfait Et pour sçavoir la veritĂ© du fait, Elle choisit l'une de ses Charites. Mon coeur, mes yeux, mon ame et ma pensee, Si j'ay de toy quelque bien meritĂ©, Descens en France, et me dis veritĂ© Si ma beautĂ© d'une autre est surpassee. Pour obeyr la jeune Pasithee Toute divine abandonna les Cieux L'air luy fait place, et les vents et les Dieux, En quelque part que la belle est portee. D'un vol soudain elle fist sa descente, Fendant le Ciel ainsi qu'on voit la nuit Couler de loin une estoile qui luit. Entre deux airs d'une trace glissante. BeautĂ©, vigueur, jeunesse et courtoisie, Le jeu, l'attraict, les delices, l'amour, Ainsi qu'oiseaux voloient tout Ă l'entour De ce beau corps, leur demeure choisie. Son chef divin, miracle de nature, Estoit couvert de cheveux ondelez, NoĂÂŒez, retors, rescrepez, annelez, Un peu plus noirs que de blonde teinture. Son front estoit une table garnie De marbre blanc, siege de majestĂ©, Net et poly, comme souvent l'EstĂ© On voit la mer sans ondes toute unie. Les sourcis noirs faits en arche d'Ebene, De l'arc d'Amour la forme et le portraict, D'un beau Croissant contrefaisant le traict, Quand au tiers jour le mois il nous rameine. Les yeux estoient d'une force contraire, L'un gracieux, et l'autre furieux, Deux yeux je faux, mais deux Astres des Cieux L'un pour chasser, et l'autre pour attraire. En ses yeux bruns toute delicatesse, Traicts, hameçons, servages et prison, Qui des plus fins affinent la raison, Servoient d'escorte Ă si belle Deesse. Toutes beautez en ses yeux sont coulees Amour n'avoit d'autre logis trouvĂ© Son nez sembloit hautement relevĂ©, Un petit tertre enclos en deux vallees. Sa tendre, ronde, et delicate oreille, Blanche, polie, au bout s'enrichissoit D'un beau ruby, qui clair embellissoit Des ses rayons son visage Ă merveille. De vif cinabre estoit faicte sa jouĂ, Pareille au teint d'un rougissant oeillet, Ou d'une fraize alors que dans du laict Dessus le hault de la cresme se jouĂ. Toutes les fleurs du sang des Princes nees Narcisse, Ajax, n'eurent le teint pareil Au sien, meslĂ© de brun et de vermeil, Qui rend d'amour les ames estonnees. Telle couleur Ă la nuict est commune, D'un peu de noir sa face embellissant, Quand peu Ă peu le jour est finissant, Et ja le soir tire devers la brune. Sa bouche estoit de mille roses pleine, De lis, d'oeillets; oĂÂč blanchissoient dedans A doubles rangs des perles pour des dents, Qui embasmoient le ciel de leur haleine. De lĂ sortoient les ris et les parolles Fortes assez pour les hommes charmer, Et qui pouvoient les roches de la mer, En les oyant, rendre douces et molles. Un rond menton finissoit son visage, Un peu fendu d'assez bonne espesseur, Gras, en-bon-poinct, dont la blanche espesseur De l'autre enfleure est certain tesmoignage. Son col estoit un pilier de Porphire En longs rameaux de veines separĂ©, D'oeillets, de nege et de roses parĂ©, Entre-poussĂ© d'un gracieux Zephire. Deux monts de laict qu'un vent presse et represse, Qui sur le sein sans bouger s'esbranloient Comme deux coings, enflez se pommeloient En deux tetins messagers de jeunesse. Du reste, helas! de parler je n'ay garde, Dont le regard aux hommes est ostĂ©, SacrĂ© sejour, qu'Honneur et ChastetĂ© Ainsi qu'Archers ont en soigneuse garde. Ses mains estoient blanches, longues, douillettes, Qui tressailloient en veines et rameaux, Puis se fendoient en cinq freres jumeaux Environnez de cinq bords de perlettes. De marbre long taillĂ© par artifice Sa jambe estoit, ses pieds estoient petits, Tels qu'on les feint Ă la belle Thetis, Seur fondement d'un si bel edifice. Comme un esclair la Nymphe qui s'eslance, Dans le palais de Charles arriva Puis tout d'un coup invisible s'en-va Trouver la salle oĂÂč se faisoit la dance. Il estoit nuict; et les humides voiles L'air espoissy de toutes parts avoient, Quand pour baller les Dames arrivoient, Qui de clartĂ© paroissoient des estoilles. Robes d'argent et d'or laborieuses Comme Ă l'envy flambantes esclattoient Vives en l'air les lumieres montoient, A traicts brillans, des pierres precieuses LĂ mon grand Prince et noz Seigneurs ses freres Estoient venus ornez de majestĂ©, Pour compaignie ayant Ă leur costĂ© Les loix qui sont plus douces que severes. LĂ Marguerite, ornement de nostre ĂÂąge, Apparoissoit en sa double valeur, Et tantost perle, et tantost une fleur Un beau Printemps naissant de son visage. Si tost qu'au bal la Nymphe bien-aimee Se presenta, ses deux astres jumeaux Feirent au double esclairer les flambeaux, Et d'un beau jour la nuict fut allumee. Dedans la salle une odoreuse nuĂ Pleine de musc et d'ambre s'espandit Par tel miracle un chacun entendit Qu'une Deesse au bal estoit venue Comme un Soleil, sans rompre la verriere, Passe en la chambre ondoyant et pointu, Sans que l'object empesche la vertu De sa divine et persante lumiere Ainsi la belle invisible Charite Comme un esclair la salle penetra, Et toute entiere en se cachant entra Dedans le corps de nostre Marguerite. Si bien son ame en son ame est enclose, Si bien sa vie en l'autre elle logea, Si bien son sang au sang d'elle changea, Que les deux corps n'estoient plus qu'une chose. Si que mon Roy d'un jugement extrĂÂȘme Bien clair-voyant, germe des Dieux conceu, Y fut premier en la voyant deceu, Pensant au vray que ce fust sa soeur mesme. Serrant sa main la conduit Ă la dance Comme une femme elle ne marchoit pas, Mais en roulant divinement le pas, D'un pied glissant couloit Ă la cadance. L'homme pesant marche dessus la place, Mais un Dieu vole, et ne sçauroit aller Aux Dieux legers appartient le voler, Comme engendrez d'une eternelle race. Le Roy dansant la volte Provençalle Faisoit sauter la Charite sa soeur Elle suivant d'une grave douceur, A bonds legers voloit parmy la salle. Ainsi qu'on voit aux grasses nuicts d'Automne Un prompt Ardent sur les eaux esclairant, Tantost deça, tantost delĂ courant De place en place, et repos ne se donne Elle changeoit en cent metamorphoses Le coeur de ceux qui son front regardoient Maints traicts de feu de ses yeux descendoient, Et sous ses pieds faisoient naistre des roses. Au devant d'elle alloient pour seures guides Aveq' l'honneur, la grace, majestĂ©, Et la vertu, qui gardoient sa beautĂ©, Comme un Dragon le fruict des Hesperides. Incontinent que la douce harmonie Des violons en l'air plus ne s'ouyt, Ceste Charite au Ciel s'esvanouyt, Abandonnant l'humaine compagnie. Ainsi de nuict la paupiĂšre fermee D'un doux sommeil, en songeant recognoist Quelque Demon qui soudain apparoist, Puis tout soudain se perd comme fumee. Adieu Charite, adieu Nymphe bien-nee, Ou monte au Ciel, ou vole oĂÂč tu voudras, En ceste Court bien tost tu reviendras Dessous le joug du nopcier Hymenee. Lors moy remply d'un plus ardent courage Je doubleray la force de ma vois, Pour faire aller jusqu'aux champs Navarrois L'accord heureux du sacrĂ© mariage. II ElĂ©gie Ce Dieu qui se repaist de nostre sang humain, Ayant au doz la trousse, et l'arc dedans la main, Voulut depuis deux jours environner la terre, Et voir combien ses traicts aux hommes font de guerre. Comme il alloit le Ciel et la Mer recherchant, Il vit dez l'Orient jusqu'au Soleil couchant, Dez l'Afrique bruslee aux montaignes Riphees, Que tout le monde entier n'estoit que ses trophees, Et qu'il n'y avoit Prince, Empire ny citĂ©, Qui ne tremblast au nom de sa divinitĂ©. Il vit Jupiter pris de noz mortelles femmes, Neptune sous la mer n'esteindre point ses flames, Et Pluton aux enfers sentir la cruautĂ© Qu'apporte dans les coeurs une douce beautĂ©. A la fin tout lassĂ© de voler par le monde, A l'heure que Phebus se cache dessous l'onde, Quand nous voyons le jour en la nuict se changer, Amour cherchea par tout un giste Ă se loger. Ramassant du long vol son aile recueillie, Tantost tournoit les yeux sur la belle Italie, Tantost de sur l'Espaigne, et tantost d'autre part Sur l'isle d'Angleterre abaissoit son regard. PressĂ© de se loger par la nuict qui commence, Il jetta ses beaux yeux sur le peuple de France. Il avisa Paris, et vint au poinct du soir, Comme un oiseau leger, sur le Louvre s'assoir. De fortune la belle et chaste Marguerite, Perle et fleur des François, immortelle Charite, Des divines beautez le Patron eternel, Revenoit des jardins du Palais maternel. L'Honneur et la Vertu suivoient ceste Princesse, Ainçois ce beau Soleil, qui tiroit une presse De Dames et d'Amours au tour de son costĂ©. Elle race des Rois marchoit en gravitĂ© Au milieu de sa troupe, et passoit les plus belles, Comme l'Aube la nuict de ses flames nouvelles. Si tost qu'Amour la vit, il en fut envieux. Aussi prompt qu'un esclair se jetta dans ses yeux. Il se fit invisible, Ă fin que sa venue Ne fust que d'elle seule, et non d'autre cognue. L'homme qui est mortel, n'est pas digne de voir Les Dieux en leur essence, et moins les recevoir C'est un vaisseau de terre entournĂ© de foiblesse. L'humain cherche l'humain, et le Dieu la Deesse. Incontinent qu'Amour se fut logĂ© dedans Ces yeux si penetrans, si beaux et si ardans, Armez d'une vertu si divine et si claire, Je me trompe, dit-il, je croy que c'est ma mere Qui avoit empruntĂ© les membres d'un mortel Un oeil, s'il n'est divin, ne sçauroit estre tel. Est-ce point Pasithee? ou quelqu'une des Graces? Oeil, quiconque sois tu, de splendeur tu surpasses Venus et Pasithee et par tout je ne voy Rien qui puisse egaler ta beautĂ©, sinon toy. Mais si tost qu'elle fut en sa chambre arrivee, Qu'Ă l'entour de son corps sa robbe fut levee, Que toutes ses beautez se monstrerent Ă nu, Amour est tout soudain amoureux devenu Il souspire, il languist en une peine extrĂÂȘme, Et sent au coeur les maux qui viennent de luymesme. Regardant son beau front d'yvoire blanchissant, Et ses sourciz tournez en forme d'un Croissant, OĂÂč il prit de son arc la vouture premiere Puis sentant de ses yeux la celeste lumiere, Le vray logis d'Amour, lumiere qui pourroit R'animer d'une oeillade un homme qui mourroit, Esbranler les rochers; appaiser la marine, Et tirer d'un regard le coeur de la poictrine Lumiere saincte, douce, angelique, qui fais Et couler, et sentir jusqu'en l'ame tes rais Il devint esperdu d'esprit et de memoire. Veincu sans resistance il quitta la victoire, Et ne fist que penser le moyen de pouvoir Vivre tousjours en elle, et pour Dame l'avoir. Or maintenant ce Dieu sous les flames jumelles Des yeux de son hostesse estendoit ses deux ailes, Et seichoit son pennage Ă leur belle clartĂ© Maintenant aiguisoit ses rais sur leur beautĂ© Maintenant il prenoit des cheveux de la belle Pour refaire Ă son arc une corde nouvelle Maintenant tout son arc raccoustroit de nouveau, Se refondoit soymesme, et se faisoit plus beau. Il oublia le Ciel, sa celeste origine, Et pensoit que le Ciel d'elle n'estoit pas digne Et tellement Amour de son feu s'embrasa, Que mille et mille fois ses yeux il rebaisa Les prioit, adoroit, et veincu de martire, Fut contraint Ă la fin telle parole dire, Souspirant aigrement tout triste et tout desfait Par le coup que luymesme Ă soymesme avoit fait. Or je suis bien puny des rigoureuses peines Que je soulois donner aux personnes humaines. Les souspirs et les voix, et les pleurs soucieux De ceux que j'ay blessez, sont venus jusqu'aux Cieux. Nemesis m'a puny c'est la loy de Nature, Celuy qui fait du mal, que du mal il endure. Je fus sans foy, sans loy, vagabond et leger, Menteur, flateur, trompeur, causeur et mensonger La mer conceut ma mere en sa vague profonde Je suis un PhaĂton qui brusle tout le monde J'ay renversĂ© les loix et les villes Ă bas, Et comme d'un jouet, du monde je m'esbas. Maintenant de mes maux je souffre penitance. Je me confesse au Ciel, au coeur j'ay repentance Je demande pardon, et sçay que justement De mes pechez commis j'endure chastiment. Je sçay que peult l'ennuy, les souciz et les pleintes, Les sanglots, les soupirs, et les larmes non feintes Le mal me touche au coeur, qui me fait langoureux. Et pource desormais, ĂÂŽ pauvres amoureux, J'auray pitiĂ© du feu qui cause vostre perte, Pleurant vostre douleur comme l'ayant soufferte. Ainsi disoit Amour plaignant sa libertĂ©. Mais vous, qui sçavez bien comme il est arrestĂ© Prisonnier de voz yeux, devenez glorieuse D'estre d'un si grand Dieu seule victorieuse. Vous desrobez son arc, ses flames et ses trais, Et comme ardens esclairs vous les jettez espais, Sans faillir, droict aux coeurs de ceux qui vous regardent, Que corselets ferrez n'y bouclairs ne retardent, Tant ils sont foudroyans, penetrans et poinctus, Acerez et forgez par les mesmes Vertus. Donques, Perle d'honneur, que la beautĂ© couronne, Il ne faut desormais que la France s'estonne, Si seule vous blessez les hommes et les Dieux, Puis que l'Amour vous aime, et qu'il loge en voz yeux. Sonets et madrigals pour Astree Dois-je voler... I Dois-je voler emplumĂ© d'esperance, Ou si je dois, forcĂ© du desespoir, Du haut du Ciel en terre laisser choir Mon jeune amour avortĂ© de naissance? Non, j'aime mieux, leger d'outrecuidance, Tomber d'enhaut, et fol me decevoir, Que voler bas, deussĂ©-je recevoir Pour mon tombeau toute une large France. Icare fit de sa cheute nommer, Pour trop oser, les ondes de la mer Et moy je veux honorer ma contree De mon sepulchre, et dessus engraver, Ronsard voulant aux astres s'eslever, Fut foudroyĂ© par une belle astree. II Le premier jour que j'avisay la belle Ainsi qu'un Astre esclairer Ă mes yeux, Je discourois en esprit, si les Dieux Au Ciel lĂ haut estoient aussi beaux qu'elle. De son regard mainte vive estincelle Sortoit menu comme flame des Cieux Si qu'esblouy du feu victorieux, Je fus veincu de clartĂ© si nouvelle. Depuis ce jour mon coeur qui s'alluma, D'aller au Ciel sottement presuma, En imitant des Geans le courage. Cesse, mon coeur, la force te defaut Bellerophon te devroit faire sage Pour un mortel le voyage est trop haut. III Belle Erigone, Icarienne race, Qui luis au Ciel, et qui viens en la terre Faire Ă mon coeur une si douce guerre, De ma raison ayant gaignĂ© la place Je suis veincu, que veux-tu que je face Sinon prier cest Archer qui m'enferre, Que doucement mon lien il desserre, Trouvant un jour pitiĂ© devant ta face? Puis que ma nef au danger du naufrage Pend amoureuse au milieu de l'orage, De mast, de voile assez mal accoustree, Vueilles du Ciel en ma faveur reluire Il appartient aux Astres, mon Astree, Luire, sauver, fortuner et conduire. IV Madrigal L'homme est bien sot, qui aime sans cognoistre. J'aime, et jamais je ne vy ce que j'aime D'un faux penser je me deçoy moy-mesme, Je suis esclave, et ne cognois mon maistre. L'imaginer seulement me fait estre Comme je suis en une peine extrĂÂȘme. L'oeil peult faillir, l'aureille fait de mesme, Mais nul des sens mon amour n'a fait naistre. Je n'ay ny veu, ny ouy, ny touchĂ© Ce qui m'offense, Ă mes yeux est cachĂ© La playe au coeur Ă credit m'est venue. Ou noz esprits se cognoissoient aux Cieux Ains que d'avoir nostre terre vestue, Qui vont gardant la mesme affection Dedans leurs corps, qu'au Ciel ils avoient euĂ, Ou je suis fol encores vaut-il mieux Aimer en l'air une chose incognue Que n'aimer rien, imitant Ixion, Qui pour Junon embrassoit une nue. V Douce Françoise, ainçois douce framboise, Fruict savoureux, mais Ă moy trop amer, Tousjours ton nom, helas! pour trop aimer Loge en mon coeur, quelque part que je voise. Ma douce paix, mes trĂ©ves, et ma noise, Belle qui peux mes Muses animer, Ton nom si franc devroit t'accoustumer Mettre les coeurs en franchise Françoise. Mais tu ne veux redonner libertĂ© Au mien captif, que tu tiens arrestĂ©, Pris en ta chesne estroitement serree. Laisse la force Amour le retiendra, Ou bien, Maistresse, autrement il faudra Que pour Françoise on t'appelle ferree. VI Madrigal Dequoy te sert mainte Agathe gravee, Maint beau Ruby, maint riche Diamant? Ta beautĂ© seule est ton seul ornement, BeautĂ© qu'Amour en son sein a couvee. Cache ta perle en l'Orient trouvee, Tes graces soient tes bagues seulement De tes joyaux en toy parfaitement Est la splendeur et la force esprouvee. Dedans tes yeux reluisent leurs beautez, Leurs vertuz sont en toy de tous costez Tu fais sur moy tes miracles, ma dame. Sans eux je sens que peult ta DeitĂ©. Tantost glaçon, et tantost une flame, De jalousie et d'amour agitĂ©, Palle, pensif, sans raison et sans ame, Ravy, transy, mort, et resuscitĂ©. VII Au mois d'Avril quand l'an se renouvelle, L'Aube ne sort si belle de la mer, Ny hors des flots la Deesse d'aimer Ne vient Ă Cypre en sa conque si belle, Comme je vy la beautĂ© que j'appelle Mon Astre sainct, au matin s'esveiller, Rire le Ciel, la terre s'esmailler, Et les Amours voler Ă l'entour d'elle. BeautĂ©, jeunesse, et les Graces qui sont Filles du Ciel, luy pendoient sur le front Mais ce qui plus redoubla mon service, C'est qu'elle avoit un visage sans art. La femme laide est belle d'artifice, La femme belle est belle sans du fard. VIII Madrigal Depuis le jour que je te vey, Maistresse, Tu as passĂ© deux fois aupres de moy, L'une muette et d'un visage coy, Sans daigner voir quelle estoit ma tristesse L'autre, pompeuse en habit de Deesse, Belle pour plaire aux delices d'un Roy, Tirant des yeux tout Ă l'entour de toy Dessous ton voile une amoureuse presse. Je pensois voir Europe sur la mer, Et tous les vents de son voile enfermer, Tremblant de peur en te voyant si belle, Que quelque Dieu ne te ravist aux cieux, Et ne te fist une essence immortelle. Si tu m'en crois, fuy l'or ambicieux Ne porte au chef une coiffure telle. Le simple habit, ma dame, te sied mieux. IX L'Astre divin, qui d'aimer me convie, Tenoit du Ciel la plus haute maison, Le jour qu'Amour me mit en sa prison, Et que je vy ma libertĂ© ravie. Depuis ce temps j'ay perdu toute envie De me ravoir, et veux que la poison Qui corrompit mes sens et ma raison, Soit desormais maistresse de ma vie. Je veux pleurer, sanglotter et gemir, Passer les jours et les nuicts sans dormir, Hayr moymesme, et de tous me distraire, Et devenir un sauvage animal. Que me vaudroit de faire le contraire, Puis que mon Astre est cause de mon mal? X Le premier jour que l'heureuse aventure Conduit vers toy mon esprit et mes pas; Tu me donnas pour mon premier repas Mainte dragee et mainte confiture. Jalouse apres de si douce pasture, En mauvais goust tu changeas tes appas, Et pour du sucre, ĂÂŽ cruelle, tu m'as DonnĂ© du fiel, qui corrompt ma nature. Le sucre doit pour sa douceur nourrir Le tien m'a fait cent mille fois mourir, Tant il se tourne en fascheuse amertume. Ce ne fut toy, ce fut ce Dieu d'aimer. Qui me deceut, en suivant sa coustume, D'entre-mesler le doux avec l'amer. XI Adieu cheveux, liens ambitieux, Dont l'or frizĂ© me retint en service, Cheveux plus beaux que ceux que Berenice Loin de son chef envoya dans les cieux. Adieu mirouĂr, qui fais seul glorieux Son coeur trop fier d'amoureuse malice Amour m'a dit qu'autre chemin j'apprisse, Et pource adieu belle bouche et beaux yeux. Trois mois entiers d'un desir volontaire Je vous servy, et non comme forsaire, Qui par contrainte est sujet d'obeyr. Comme je vins, je m'en revais, maistresse Et toutefois je ne te puis hayr. Le coeur est bon, mais la fureur me laisse. XII Quand tu portois l'autre jour sur ta teste Un verd Laurier, estoit-ce pour monstrer Qu'amant si fort ne se peut rencontrer, Dont la victoire en tes mains ne soit preste? Ou pour montrer ton heureuse conqueste De m'avoir fait en tes liens entrer? Dont je te pri' me vouloir despestrer. Peu sert le bien que par force on acqueste. Soit le Laurier de ton front le sejour Le Rosmarin, helas! que l'autre jour Tu me donnas, me devoit faire sage. C'estoit congĂ© que je pren maugrĂ© moy Car de vouloir resister contre toy, Astre divin, c'est estre sacrilege. XIII Je haĂÂŻssois et ma vie et mes ans, Triste j'estois de moymesme homicide Mon coeur en feu, mon oeil estoit humide, Les Cieux m'estoient obscurs et desplaisans. Alors qu'Amour, dont les traicts sont cuisans, Me dist, Ronsard, pour avoir un bon guide De l'Astre sainct qui maistre te preside, Peins le portrait au milieu de tes gans Sans contredit Ă mon Dieu j'obey. J'ay bien cognu qu'il ne m'avoit trahy Car dĂ©s le jour que je feis la peinture, Heureux je vey prosperer mes desseins. Comment n'auray-je une bonne aventure, Quand j'ay tousjours mon Astre entre les mains? XIV Plus que mes yeux j'aime tes beaux cheveux, Liens d'Amour que l'or mesme accompaigne, Et suis jaloux du bon-heur de ton peigne, Qui au matin desmesle leurs beaux neuds. En te peignant il se fait riche d'eux, Il les desrobe et l'Amour qui m'enseigne D'estre larron, commande que je prenne Part au butin assez grand pour tous deux. Mais je ne puis car le peigne fidelle Garde sa proye, et puis ta damoiselle Serre le reste, et me l'oste des doigts. O cruautez! ĂÂŽ beautez trop iniques! Le pelerin touche bien aux reliques Par les travers d'une vitre, ou d'un bois. XV Pour retenir un amant en servage, Il faut aimer, et non dissimuler, De mesme flame amoureuse brusler, Et que le coeur soit pareil au langage Tousjours un ris, tousjours un bon visage, Tousjours s'ecrire et s'entre-consoler Ou qui ne peut escrire ny parler, A tout le moins s'entre-voir par message. Il faut avoir de l'amy le portraict, Cent fois le jour en rebaiser le traict Que d'un plaisir deux ames soient guidees. Deux corps en un rejoincts en leur moitiĂ©. Voyla les poincts qui gardent l'amitiĂ©; Et non pas vous qui n'aimez qu'en idees. XVI Mon ame vit en servage arrestee Il adviendra, Dame, ce qu'il pourra Le coeur vivra te servant, et mourra Ce m'est tout un, la chance en est jettee. Je suis joyeux dequoy tu m'as ostee La libertĂ©, et mon esprit sera D'autant heureux, que serf il se verra De ta beautĂ©, des Astres empruntee. Il est bien vray que de nuict et de jour Je me complains des embusches d'Amour, Qui d'un penser un autre fait renaistre. C'est mon seigneur, je ne le puis hayr Vueille ou non vueille, il faut luy obeyr. Le serviteur est moindre que le maistre. XVII ElĂ©gie du printemps A la soeur d'AstrĂ©e. Printemps, fils du Soleil, que la terre arrousee De la fertile humeur d'une douce rousee Au milieu des oeillets et des roses conceut, Quand Flore entre ses bras nourrice vous receut, Naissez, croissez Printemps, laissez vous apparoistre En voyant Isabeau, vous pourrez vous cognoistre Elle est vostre mirouer; et deux liz assemblez Ne se ressemblent tant que vous entre-semblez Tous les deux n'estes qu'un, c'est une mesme chose. La Rose que voicy, ressemble Ă ceste Rose, Le Diamant Ă l'autre, et la fleur Ă la fleur Le Printemps est le frere, Isabeau est la soeur. On dit que le Printemps pompeux de sa richesse, Orgueilleux de ses fleurs, enflĂ© de sa jeunesse, LogĂ© comme un grand Prince en ses vertes maisons, Se vantoit le plus beau de toutes les saisons, Et se glorifiant le contoit Ă Zephire. Le Ciel en fut marry, qui soudain le vint dire A la mere Nature. Elle pour r'abaisser L'orgueil de cest enfant, va par tout r'amasser Les biens qu'elle espargnoit de mainte et mainte annĂ©e. Quand elle eut son espargne en son moule donnee, La fist fondre et versant ce qu'elle avoit de beau, Miracle nous fist naistre une belle Isabeau, Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face, De corps belle et d'esprit, des trois Graces la grace. Le Printemps estonnĂ©, qui si belle la voit, De vergongne la fiĂ©vre en son coeur il avoit Tout le sang luy bouillonne au plus creux de ses veines Il fist de ses deux yeux saillir mille fonteines, Souspirs dessus souspirs comme feu luy sortoient, Ses muscles et ses nerfs en son corps luy battoient Il devint en jaunisse, et d'une obscure nue La face se voila pour n'estre plus cognue. Et quoy? disoit ce Dieu de honte, et furieux, Ayant la honte au front, et les larmes aux yeux, Je ne sers plus de rien, et ma beautĂ© premiere D'autre beautĂ© veincue a perdu sa lumiĂšre Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps Font aux hommes sans moy tous les jours un Printemps Et mesme le Soleil plus longuement retarde Ses chevaux sur la terre, afin qu'il la regarde Il ne veut qu'Ă grand peine entrer dedans la mer, Et se faisant plus beau fait semblant de l'aimer. Elle m'a desrobĂ© mes graces les plus belles, Mes oeillets et mes liz, et mes roses nouvelles, Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveautĂ©, Et diriez en voyant une telle beautĂ©, Que tout son corps ressemble une belle prairie De cent mille couleurs au mois d'Avril fleurie? Bref, elle est toute belle, et rien je n'apperçoy Qui la puisse egaler, seule semblable Ă soy. Le beau trait de son oeil seulement ne me touche Je n'aime seulement ses cheveux et sa bouche, Sa main qui peut d'un coup et blecer et guarir Sur toutes ses beautez son sein me fait mourir. Cent fois ravy je pense, et si ne sçaurois dire De quelle veine fut empruntĂ© le porphire, Et le marbre poly dont Amour l'a basty, Ny de quels beaux jardins cest oeillet est sorty, Qui donna la couleur Ă sa jeune mammelle, Dont le bouton ressemble une fraize nouvelle, Verdelet, pommelĂ©, des Graces le sejour. Venus et ses enfans volent tout Ă l'entour, La douce mignardise et les douces blandices, Et tout cela qu'Amour inventa de delices. Je m'en vay furieux sans raison ny conseil Je ne sçaurois souffrir au monde mon pareil. Ainsi disoit ce Dieu tout remply de vergongne. Voila pourquoi de nous si long temps il s'eslongne Craignant vostre beautĂ©, dont il est surpassĂ© Ayant quittĂ© la place Ă l'Hyver tout glacĂ©, Il n'ose retourner. Retourne, je te prie, Printemps pere des fleurs il faut qu'on te marie A la belle Isabeau car vous apparier, C'est aux mesmes beautez les beautez marier, Les fleurs avec les fleurs de si belle alliance Naistra de siecle en siecle un Printemps en la France. Pour douaire certain tous deux vous promettez De nous entre-donner voz fleurs et voz beautez, Afin que voz beaux ans despit de vieillesse, Ainsi qu'un renouveau soient tousjours en jeunesse. Le premier livre des sonets pour Helene Ce premier jour... I Ce premier jour de May, Helene, je vous jure Par Castor, par Pollux, voz deux freres jumeaux, Par la vigne enlassee Ă l'entour des ormeaux, Par les prez, par les bois herissez de verdure, Par le Printemps sacrĂ©, fils aisnĂ© de Nature, Par le sablon qui roule au giron des ruisseaux, Par tous les rossignols, merveille des oiseaux, Qu'autre part je ne veux chercher autre avanture. Vous seule me plaisez j'ay par election, Et non Ă la volĂ©e, aimĂ© vostre jeunesse Aussi je prens en grĂ© toute ma passion. Je suis de ma fortune autheur, je le confesse La vertu m'a conduit en telle affection Si la vertu me trompe, adieu belle Maistresse. II Quand Ă longs traits je boy l'amoureuse estincelle Qui sort de tes beaux yeux, les miens sont esblouys D'esprit ny de raison, troublĂ©, je ne jouys, Et comme yvre d'amour, tout le corps me chancelle. Le coeur me bat au sein ma chaleur naturelle Se refroidit de peur mes sens esvanouys Se perdent dedans l'air, tant tu te resjouys D'acquerir par ma mort le surnom de cruelle. Tes regards foudroyans me percent de leurs rais Tout le corps, tout le coeur, comme poinctes de trais Que je sens dedans l'ame et quand je me veux plaindre, Ou demander mercy du mal que je reçois, Si bien ta cruautĂ© me reserre la vois, Que je n'ose parler, tant tes yeux me font craindre. III Ma douce Helene, non, mais bien ma douce haleine, Qui froide rafraischis la chaleur de mon coeur, Je prens de ta vertu cognoissance et vigueur, Et ton oeil, comme il veut, Ă son plaisir me meine. Heureux celuy qui souffre une amoureuse peine Pour un nom si fatal heureuse la douleur, Bien-heureux le torment, qui vient pour la valeur Des yeux, non pas des yeux, mais des flames d'Helene. Nom, malheur des Troyens, sujet de mon souci, Ma sage Penelope, et mon Helene aussi, Qui d'un soin amoureux tout le coeur m'envelope Nom, qui m'a jusqu'au ciel de la terre enlevĂ©, Qui eust jamais pensĂ© que j'eusse retrouvĂ© En une mesme Helene une autre Penelope? IV Tout ce qui est de sainct, d'honneur et de vertu, Tout le bien qu'aux mortels la Nature peut faire, Tout ce que l'artifice icy peut contrefaire. Ma maistresse, en naissant, dans l'esprit l'avoit eu. Du juste et de l'honneste Ă l'envy debatu Aux escoles des Grecs de ce qui peut attraire A l'amour du vray bien, Ă fuyr le contraire, Ainsi que d'un habit son corps fut revestu. La chastetĂ©, qui est des beautez ennemie Comme l'or fait la Perle honore son Printemps, Un respect de l'honneur, une peur d'infamie, Un oeil qui fait les Dieux et les hommes contens. La voyant si parfaite, il faut que je m'escrie, Bien-heureux qui l'adore, et qui vit de son temps! V Helene sceut charmer avecque son Nepenthe Les pleurs de Telemaque. Helene, je voudroy Que tu peusses charmer les maux que je reçoy Depuis deux ans passez, sans que je m'en repente. Naisse de noz amours une nouvelle plante, Qui retienne noz noms pour eternelle foy, Qu'obligĂ© je me suis de servitude Ă toy, Et qu'Ă nostre contract la terre soit presente. O terre, de noz oz en ton sein chaleureux Naisse une herbe au Printemps propice aux amoureux, Qui sur noz tombeaux croisse en un lieu solitaire. O desir fantastiq, duquel je me deçoy, Mon souhait n'adviendra, puis qu'en vivant je voy Que mon amour me trompe, et qu'il n'a point de frere. VI Dedans les flots d'Amour je n'ay point de support Je ne voy point de Phare, et si je ne desire O desir trop hardy! sinon que ma Navire Apres tant de perils puisse gaigner le port. Las! devant que payer mes voeuz dessus le bort, Naufrage je mourray car je ne voy reluire Qu'une flame sur moy, qu'une Helene qui tire Entre mille rochers ma Navire Ă la mort. Je suis seul, me noyant, de ma vie homicide, Choisissant un enfant, un aveugle pour guide, Dont il me faut de honte et pleurer et rougir. Je ne crains point la mort mon coeur n'est point si lasche Je suis trop genereux seulement je me fasche De voir un si beau port, et n'y pouvoir surgir. VII Chanson Quand je devise assis aupres de vous, Tout le coeur me tressaut. Je tremble tout de nerfs et de genous, Et le pouls me defaut. Je n'ay ny sang ny esprit ny haleine, Qui ne se trouble en voyant mon Heleine, Ma chere et douce peine. Je devien fol; je perds toute raison Cognoistre je ne puis Si je suis libre, ou captif en prison Plus en moy je ne suis. En vous voyant, mon oeil perd cognoissance Le vostre altere et change mon essence, Tant il a de puissance. Vostre beautĂ© me fait en mesme temps Souffrir cent passions Et toutesfois tous mes sens sont contents, Divers d'affections. L'oeil vous regarde, et d'autre part l'oreille Oyt vostre voix, qui n'a point de pareille, Du monde la merveille. Voyla comment vous m'avez enchantĂ©, Heureux de mon malheur De mon travail je me sens contentĂ©, Tant j'aime ma douleur Et veux tousjours que le torment me tienne, Et que de vous tousjours il me souvienne, Vous donnant l'ame mienne. Donc ne cherchez de parler au Devin, Qui sçavez tout charmer Vous seule auriez un esprit tout divin, Si vous pouviez aimer. Que pleust Ă Dieu, ma moitiĂ© bien-aimee, Qu'Amour vous eust d'une fleche enflamee Autant que moy charmee. En se jouant il m'a de part en part Le coeur outrepercĂ© A vous s'amie il n'a monstrĂ© le dart Duquel il m'a blessĂ©. De telle mort heureux je me confesse, Et ne veux point que le soucy me laisse Pour vous, belle Maistresse. Dessus ma tombe escrivez mon soucy En lettres grossement Le Vendomois, lequel repose icy, Mourut en bien aimant. Comme PĂÂąris, lĂ bas faut que je voise, Non pour l'amour d'une Helene Gregeoise, Mais d'une Saintogeoise. VIII Amour abandonnant les vergers de Cytheres, D'Amathonte et d'Eryce, en la France passa Et me monstrant son arc, comme Dieu, me tança, Que j'oubliois, ingrat, ses loix et ses mysteres. Il me frappa trois fois de ses ailes legeres Un traict le plus aigu dans les yeux m'eslança. La playe vint au coeur, qui chaude me laissa Une ardeur de chanter les honneurs de Surgeres. Chante me dist Amour sa grace et sa beautĂ©, Sa bouche, ses beaux yeux, sa douceur, sa bontĂ© Je la garde pour toy le sujet de ta plume. - Un sujet si divin ma Muse ne poursuit. - Je te feray l'esprit meilleur que de coustume "L'homme ne peut faillir, quand un Dieu le conduit. IX Tu ne dois en ton coeur superbe devenir. Pour me tenir captif cela vient de Fortune. A tout homme mortel la misere est commune Tel eschappe souvent, qu'on pense bien tenir. Tousjours de Nemesis il te faut souvenir, Qui fait nostre avanture ore blanche, ore brune. Aux Tygres, aux Lions est propre la rancune Comme ton serf conquis tu me dois maintenir. Les Guerres et l'Amour sont une mesme chose, OĂÂč le veincu souvent le veinqueur a batu, Qui honteux de son mal fuyoit Ă bouche close. Soit que je sois captif sans force ny vertu, Un superbe trophĂ©e au coeur je me propose, D'avoir contre tes yeux si long temps combatu. X L'autre jour que j'estois sur le haut d'un degrĂ©, Passant tu m'advisas, et me tournant la veuĂ, Tu m'esblouys les yeux, tant j'avois l'ame esmeuĂ De me voir en sursaut de tes yeux rencontrĂ©. Ton regard dans le coeur, dans le sang m'est entrĂ© Comme un esclat de foudre alors qu'il fend la nue J'euz de froid et de chaut la fiĂ©vre continue, D'un si poignant regard mortellement outrĂ©. Et si ta belle main passant ne m'eust fait signe, Main blanche, qui se vante estre fille d'un Cygne, Je fusse mort, Helene, aux rayons de tes yeux Mais ton signe retint l'ame presque ravie, Ton oeil se contenta d'estre victorieux, Ta main se resjouyt de me donner la vie. XI Ce siecle, oĂÂč tu nasquis, ne te cognoist, Heleine. S'il sçavoit tes vertus, tu aurois en la main Un sceptre Ă commander dessus le genre humain, Et de ta majestĂ© la terre seroit pleine. Mais luy tout embourbĂ© d'avarice vilaine, Qui met comme ignorant les vertus Ă desdain, Ne te cognut jamais je te cognu soudain A ta voix, qui n'estoit d'une personne humaine. Ton esprit, en parlant, Ă moy se descouvrit, Et ce-pendant Amour l'entendement m'ouvrit Pour te faire Ă mes yeux un miracle apparoistre. Je tien, je le sens bien, de la divinitĂ©, Puis que seul j'ay cognu que peut ta DeitĂ©, Et qu'un autre avant moy ne l'avoit peu cognoistre. XII Le Soleil l'autre jour se mit entre nous deux, Ardent de regarder tes yeux par la verriere Mais luy, comme esblouy de ta vive lumiere, Ne pouvant la souffrir, s'en-alla tout honteux. Je te regarday ferme, et devins glorieux D'avoir veincu ce Dieu qui se tournoit arriere, Quand regardant vers moy tu me dis, ma guerriere, Ce Soleil est fascheux, je t'aime beaucoup mieux. Une joye en mon coeur incroyable s'en-volle Pour ma victoire acquise, et pour telle parolle Mais longuement cest aise en moy ne trouva lieu. Arrivant un mortel de plus fresche jeunesse Sans esgard que j'avois triomphĂ© d'un grand Dieu Tu me laissas tout seul pour luy faire caresse XIII Deux Venus en Avril puissante DeitĂ© Nasquirent, l'une en Cypre, et l'autre en la Saintonge La Venus Cyprienne est des Grecs la mensonge, La chaste Saintogeoise est une veritĂ©. L'Avril se resjouyst de telle nouveautĂ©, Et moy qui jour et nuict d'autre Dame ne songe, Qui le fil amoureux de mon destin allonge, Ou l'accourcist, ainsi qu'il plaist Ă sa beautĂ©, Je suis trois fois un Dieu, d'estre nay de son ĂÂąge. Si tost que je la vy, je fus mis en servage De ses yeux, que j'estime un sujet plus qu'humain. Ma Raison, sans combattre, abandonna la place, Et mon coeur se vid pris comme un poisson Ă l'hain Si j'ay failly, ma faute est bien digne de grace. XIV Soit que je sois hay de toy, ma Pasithee, Soit que j'en sois aimĂ©, je veux suivre mon cours J'ay jouĂ© comme aux detz mon coeur et mes amours Arrive bien ou mal, la chance en est jettee. Si mon ame de glace et de feu tormentee Peut deviner son mal, je voy que sans secours, PassionnĂ© d'amour, je doy finir mes jours, Et que devant mon soir se clorra ma nuictee. Je suis du camp d'Amour pratique Chevalier Pour avoir trop souffert, le mal m'est familier Comme un habillement j'ay vestu le martire. Donques je te desfie, et toute ta rigueur Tu m'as desja tuĂ©, tu ne sçaurois m'occire Pour la seconde fois car je n'ay plus de coeur. XV Trois ans sont ja passez que ton oeil me tient pris. Je ne suis pas marry de me voir en servage Seulement je me deuls des ailes de mon ĂÂąge, Qui me laissent le chef semĂ© de cheveux gris. Si tu me vois ou palle, ou de fiĂ©vre surpris, Quelquefois solitaire, ou triste de visage, Tu ne dois imputer ta faute Ă mon dommage L'Aurore ne met point son Thiton Ă mespris. Si tu es de mon mal seule cause premiere, Il faut que de mon mal tu sentes les effects C'est une sympathie aux hommes coustumiere. Je suis j'en jure Amour tout tel que tu me fais Tu es mon coeur, mon sang, ma vie et ma lumiere Seule je te choisy, seule aussi tu me plais. XVI De voz yeux tout-divins, dont un Dieu se paistroit, Si un Dieu se paissoit de quelque chose en terre Je me paissois hier, et Amour qui m'enferre, Ce-pendant sur mon coeur ses fleches racoustroit. Mon oeil dedans le vostre esbahy rencontroit Cent beautez, qui me font une si douce guerre, Et la mesme vertu, qui toute se reserre En vous, d'aller au Ciel le chemin me monstroit. Je n'avois ny esprit ny penser ny oreille, Qui ne fussent ravis de crainte et de merveille, Tant d'aise transportez mes sens estoient contens. J'estois Dieu, si mon oeil vous eust veu davantage Mais le soir qui survint, cacha vostre visage, Jaloux que les mortels le vissent si long temps. XVII Te regardant assise aupres de ta cousine, Belle comme une Aurore, et toy comme un Soleil, Je pensay voir deux fleurs d'un mesme teint pareil, Croissantes en beautĂ© sur la rive voisine, La chaste, saincte, belle et unique Angevine, Viste comme un esclair, sur moy jetta son oeil Toy comme paresseuse, et pleine de sommeil, D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne. Tu t'entretenois seule au visage abaissĂ©, Pensive tout Ă toy, n'aimant rien que toymesme, Desdaignant un chascun d'un sourcil ramassĂ©, Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime J'euz peur de ton silence, et m'en-allay tout blesme, Craignant que mon salut n'eust ton oeil offensĂ©. XVIII De toy ma belle Grecque, ainçois belle Espagnole, Qui tires tes ayeuls du sang Iberien, Je suis tant serviteur, qu'icy je ne voy rien Qui me plaise, sinon tes yeux et ta parole. Comme un mirouer ardent, ton visage m'affole. Me perçant de ses raiz, et tant je sens de bien En t'oyant deviser, que je ne suis plus mien, Et mon ame fuitive Ă la tienne s'en-vole. Puis contemplant ton oeil du mien victorieux, Je voy tant de vertuz, que je n'en sçay le conte, Esparses sur ton front comme estoilles aux Cieux. Je voudrois estre Argus; mais je rougis de honte Pour voir tant de beautez, que je n'ay que deux yeux, Et que tousjours le fort le plus foible surmonte. XIX Je fuy les pas frayez du meschant populaire, Et les villes oĂÂč sont les peuples amassez Les rochers, les forests desja sçavent assez Quelle trampe a ma vie estrange et solitaire. Si ne suis-je si seul, qu'Amour mon secretaire N'accompagne mes pieds debiles et cassez Qu'il ne conte mes maux et presens et passez A ceste voix sans corps, qui rien ne sçauroit taire. Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy, Je m'arreste, et je dy Se pourroit-il bien faire Qu'elle pensast, parlast, ou se souvint de moy? Qu'Ă sa pitiĂ© mon mal commençast Ă desplaire? Encor que je me trompe, abusĂ© du contraire, Pour me faire plaisir, Helene, je le croy. XX Chef, escole des arts, le sejour de science, OĂÂč vit un intellect, qui foy du Ciel nous fait, Une heureuse memoire, un jugement parfait, D'oĂÂč Pallas reprendroit sa seconde naissance Chef, le logis d'honneur, de vertu, de prudence, Ennemy capital du vice contrefait Chef, petit Univers, qui monstres par effait Que tu as du grand Tout parfaite cognoissance Et toy divin esprit, qui du Ciel es venu, En ce chef comme au Ciel sainctement retenu, Simple, sans passions, comme icy bas nous sommes, Mais tout prompt et subtil, tout rond et tout en toy, Puis que tu es divin, ayes pitiĂ© de moy Il appartient aux Dieux d'avoir pitiĂ© des hommes. XXI Si j'estois seulement en vostre bonne grace Par l'erre d'un baiser doucement amoureux, Mon coeur au departir ne seroit langoureux, En espoir d'eschauffer quelque jour voste glace. Si j'avois le portrait de vostre belle face, Las! je demande trop! ou bien de vos cheveux, Content de mon malheur je serois bienheureux, Et ne voudrois changer aux celestes de place. Mais je n'ay rien de vous que je puisse emporter, Qui soit cher Ă mes yeux pour me reconforter, Ne qui me touche au coeur d'une douce memoire. Vous dites que l'Amour entretient ses accords Par l'esprit seulement hĂ©! je ne le puis croire Car l'esprit ne sent rien que par l'ayde du corps. XXII De vos yeux, le mirouer du Ciel et de Nature, La retraite d'Amour, la forge de ses dards, D'oĂÂč pleut une douceur, que versent voz regards Au coeur, quand un rayon y survient d'aventure, Je tire pour ma vie une douce pasture, Une joye, un plaisir, que les plus grands Cesars Au milieu du triomphe, entre un camp de soudars, Ne sentirent jamais mais courte elle me dure. Je la sens distiller goutte Ă goute en mon coeur, Pure, saincte, parfaite, angelique liqueur, Qui m'eschaufe le sang d'une chaleur extrĂÂȘme. Mon ame la reçoit avec un tel plaisir, Que tout esvanouy, je n'ay pas le loisir Ny de gouster mon bien, ny penser Ă moymesme. XXIII L'arbre qui met Ă croistre, a la plante asseuree Celuy qui croist bien tost, ne dure pas long temps Il n'endure des vents les souflets inconstans. Ainsi l'amour tardive est de longue duree. Ma foy du premier jour ne vous fut pas donnee L'Amour et la Raison, comme deux combatans, Se sont escarmouchez l'espace de quatre ans A la fin j'ay perdu, veincu par destinee. Il estoit destinĂ© par sentence des cieux, Que je devois servir, mais adorer voz yeux J'ay, comme les Geans, au ciel fait resistance Aussi je suis comme eux maintenant foudroyĂ©, Pour resister au bien qu'ils m'avoient ottroyĂ©, Je meurs, et si ma mort m'est trop de recompense XXIV Ostez vostre beautĂ©, ostez votre jeunesse, Ostez ces rares dons que vous tenez des cieux, Ostez ce bel esprit, ostez moy ces beaux yeux, Cest aller, ce parler digne d'une Deesse Je ne vous seray plus d'une importune presse Fascheux comme je suis voz dons si precieux Me font, en les voyant, devenir furieux, Et par le desespoir l'ame prend hardiesse. Pource si quelquefois je vous touche la main, Par courroux vostre teint n'en doit devenir blesme Je suis fol, ma raison n'obeyt plus au frein, Tant je suis agitĂ© d'une fureur extrĂÂȘme. Ne prenez, s'il vous plaist, mon offence Ă desdain, Mais, douce, pardonnez mes fautes Ă vous-mesme. XXV De vostre belle, vive, angelique lumiere, Le beau logis d'Amour, de douceur, de rigueur, S'eslance un doux regard, qui me navrant le coeur, Desrobe loin de moy mon ame prisonniere. Je ne sçay ny moyen, remede ny maniere De sortir de voz rets, oĂÂč je vis en langueur Et si l'extreme ennuy traine plus en longueur, Vous aurez de ce corps la despouille derniere. Yeux qui m'avez blessĂ©, yeux mon mal et mon bien, Guarissez vostre playe. Achille le peut bien. Vous estes tout-divins, il n'estoit que pur homme. Voyez, parlant Ă vous, comme le coeur me faut! HĂ©las! je ne me deuls du mal qui me consume Le mal dont je me deuls, c'est qu'il ne vous en chaut. XXVI Nous promenant tous seuls, vous me dites, Maistresse, Qu'un chant vous desplaisoit, s'il estoit doucereux Que vous aimiez les plaints des chetifs amoureux, Toute voix lamentable, et pleine de tristesse. Et pour disiez vous quand je suis loin de presse, Je choisis voz Sonets qui sont plus douloureux Puis d'un chant qui est propre au sujet langoureux, Ma nature et Amour veulent que je me paisse. Vos propos sont trompeurs. Si vous aviez soucy De ceux qui ont un coeur larmoyant et transy, Je vous ferois pitiĂ© par une sympathie Mais vostre oeil cauteleux, trop finement subtil, Pleure en chantant mes vers, comme le Crocodil, Pour mieux me desrober par feintise la vie. XXVII Cent et cent fois le jour l'Orange je rebaise, Et le palle Citron qui viennent de ta main, Doux present amoureux, que je loge en mon sein, Pour leur faire sentir combien je sens de braise. Quand ils sont demy-cuits, leur chaleur je r'appaise, Versant des pleurs dessus, dont triste je suis plein Et de ta mauvaistiĂ© avec eux je me plain, Qui cruelle te ris de me voir Ă mal-aise. Oranges et Citrons sont symboles d'Amour Ce sont signes muets; que je puis quelque jour T'arrester, comme fit Hippomene Atalante. Mais je ne le puis croire Amour ne le veut pas, Qui m'attache du plomb pour retarder mes pas, Et te donne Ă fuyr des ailes Ă la plante. XXVIII Tousjours pour mon sujet il faut que je vous aye Je meurs sans regarder voz deux Astres jumeaux, Voz yeux, mes deux Soleils, qui m'esclairent si beaux, Qu'Ă trouver autre jour autre part je n'essaye. Le chant du Rossignol m'est le chant d'une Orfraye, Roses me sont Chardons, de l'ancre les ruisseaux, La Vigne mariee Ă l'entour des Ormeaux, Et le Printemps sans vous m'est une dure playe. Mon plaisir en ce mois c'est de voir les Coloms S'emboucher bec Ă bec de baisers doux et longs, DĂ©s l'aube jusqu'au soir que le Soleil se plonge. O bienheureux Pigeons, vray germe Cyprien, Vous avez par nature et par effect le bien Que je n'ose esperer tant seulement en songe. XXIX Vous me distes, Maistresse, estant Ă la fenestre, Regardant vers Mont-martre et les champs d'alentour La solitaire vie, et le desert sejour Valent mieux que la Cour, je voudrois bien y estre. A l'heure mon esprit de mes sens seroit maistre, En jeusne et oraisons je passerois le jour Je desfirois les traicts et les flames d'Amour Ce cruel de mon sang ne pourroit se repaistre. Quand je vous repondy, Vous trompez de penser Qu'un feu ne soit pas feu, pour se couvrir de cendre Sur les cloistres sacrez la flame on voit passer Amour dans les deserts comme aux villes s'engendre. Contre un Dieu si puissant, qui les Dieux peut forcer, Jeusnes ny oraisons ne se peuvent defendre. XXX Voicy le mois d'Avril, oĂÂč nasquit la merveille, Qui fait en terre foy de la beautĂ© des cieux, Le mirouer de vertu, le Soleil de mes yeux, Qui vit comme un Phenix au monde sans pareille. Les Oeillets et les Liz et la Rose vermeille Servirent de berceau la Nature et les Dieux La regarderent naistre en ce mois gracieux Puis Amour la nourrit des douceurs d'une Abeille. Les Muses, Apollon, et les Graces estoient Assises tout autour, qui Ă l'envy jettoient Des fleurs sur l'Anglette. Ah! ce mois me convie D'eslever un autel, et suppliant Amour Sanctifier d'Avril le neufiesme jour, Qui m'est cent fois plus cher que celuy de ma vie. XXXI D'autre torche mon coeur ne pouvoit s'allumer Sinon de tes beaux yeux, oĂÂč l'amour me convie J'avois desja passĂ© le meilleur de ma vie, Tout franc de passion, fuyant le nom d'aimer. Je soulois maintenant ceste Dame estimer, Et maintenant cest'autre, oĂÂč me portoit l'envie, Sans rendre ma franchise Ă quelqu'une asservie RusĂ© je ne voulois dans les retz m'enfermer. Maintenant je suis pris, et si je prens Ă gloire D'avoir perdu le camp, frustrĂ© de la victoire Ton oeil vaut un combat de dix ans d'Ilion. Amour, comme estant Dieu, n'aime pas les superbes. Sois douce Ă qui te prie, imitant le Lion La foudre abat les monts, non les petites herbes. XXXII Agathe, oĂÂč du Soleil le signe est imprimĂ© L'escrevisse marchant, comme il fait, en arriere, Cher present que je donne Ă toy chere guerriere, Mon don pour le Soleil est digne d'estre aimĂ©. Le Soleil va tousjours de flames allumĂ©, Je porte au coeur le feu de ta belle lumiere Il est l'ame du monde, et ma force premiere. Depend de ta vertu, dont je suis animĂ©. O douce, belle, vive, angelique Sereine, Ma toute Pasithee, essence sur-humaine, Merveille de nature, exemple sans pareil, D'honneur et de beautĂ© l'ornement et le signe, Puis que rien icy bas de ta vertu n'est digne, Que te puis-je donner, sinon que le Soleil? XXXIII Puis que tu sçais, helas! qu'affamĂ© je me pais Du regard de tes yeux, dont larron je retire Des rayons, pour nourrir ma douleur qui s'empire, Pourquoi me caches-tu l'oeil, par qui tu me plais? Tu es deux fois venue Ă Paris, et tu fais Semblant de n'y venir, afin que mon martire Ne s'allege, en voyant ton oeil que je desire, Ton oeil qui me nourrit par l'objet de ses rais. Tu vas bien Ă Hercueil avecque ta cousine Voir les prez, les jardins, et la source voisine De l'Antre, oĂÂč j'ay chantĂ© tant de divers accords. Tu devois m'appeler, oublieuse Maistresse Dans ton coche portĂ© je n'eusse fait grand presse Car je ne suis plus rien qu'un fantaume sans corps. XXXIV Cest amoureux desdain, ce Nenny gracieux, Qui refusant mon bien, me reschaufent l'envie Par leur fiere douceur d'assujettir ma vie, OĂÂč sont desja sujets mes pensers et mes yeux, Me font transir le coeur, quand trop impetueux A baiser vostre main le desir me convie, Et vous, la retirant, feignez d'estre marrie, Et m'appelez, honteuse, amant presomptueux. Mais sur tout je me plains de voz douces menaces, De voz lettres qui sont toutes pleines d'audaces, De moymesme, d'Amour, de vous et de vostre art, Qui si doucement farde et sucre sa harangue, Qu'escrivant et parlant vous n'avez traict de langue, Qui ne me soit au coeur la poincte d'un poignart. XXXV J'avois, en regardant tes beaux yeux, endurĂ© Tant de flames au coeur, qu'une aspre seicheresse Avoit cuitte ma langue en extreme destresse, Ayant de trop parler tout le corps alterĂ©. Lors tu fis apporter en ton vase dorĂ© De l'eau froide d'un puits et la soif qui me presse, Me fit boire Ă l'endroit oĂÂč tu bois, ma Maistresse, Quand ton vaisseau se voit de ta lĂ©vre honorĂ©. Mais le vase amoureux de ta bouche qu'il baise, En reschaufant ses bords du feu qu'il a receu, Le garde en sa rondeur comme en une fournaise. Seulement au toucher je l'ay bien apperceu. Comment pourroy-je vivre un quart d'heure Ă mon aise Quand je sens contre moy l'eau se tourner en feu? XXXVI Comme une belle fleur assise entre les fleurs, Mainte herbe vous cueillez en la saison plus tendre Pour me les envoyer, et pour soigneuse appendre Leurs noms et qualitez, especes et valeurs. Estoit-ce point afin de guarir mes douleurs, Ou de faire ma playe amoureuse reprendre? Ou bien, s'il vous plaisoit par charmes entreprendre D'ensorceler mon mal, mes flames et mes pleurs? Certes je croy que non nulle herbe n'est maistresse Contre le coup d'Amour envieilly par le temps. C'estoit pour m'enseigner qu'il faut dĂ©s la jeunesse, Comme d'un usufruit, prendre son passetemps Que pas Ă pas nous suit l'importune vieillesse, Et qu'Amour et les fleurs ne durent qu'un Printemps. XXXVII Doux desdains, douce amour d'artifice cachee, Doux courroux enfantin, qui ne garde son coeur, Doux d'endurer passer un long temps en longueur, Sans me voir, sans m'escrire, et faire la faschee Douce amitiĂ© souvent perdue et recerchee, Doux de tenir d'entree une douce rigueur, Et sans me saluer, me tuer de langueur, Et feindre qu'autre part on est bien empeschee Doux entre le despit et entre l'amitiĂ©, Dissimulant beaucoup, ne parler qu'Ă moitiĂ©. Mais m'appeler volage et prompt de fantasie, Craindre ma conscience, et douter de ma foy, M'est un reproche amer, qu'Ă grand tort je reçoy Car douter de ma foy c'est crime d'heresie. XXXVIII Pour voir d'autres beautez mon desir ne s'appaise, Tant du premier assaut voz yeux m'ont surmontĂ© Tousjours Ă l'entour d'eux vole ma volontĂ©, Yeux qui versent en l'ame une si chaude braise. Mais vous embellissez de me voir Ă mal-aise, Tigre, roche de mer, la mesme cruautĂ©, Comme ayant le desdain si joint Ă la beautĂ©, Que de plaire Ă quelcun semble qu'il vous desplaise. Desja par longue usance aimer je ne sçaurois Sinon vous, qui sans pair Ă soymesme ressemble. Si je changeois d'amour, de douleur je mourrois. Seulement quand je pense au changement, je tremble Car tant dedans mon coeur toute je vous reçois, Que d'aimer autre part c'est hayr, ce me semble. XXXIX Coche cent fois heureux, oĂÂč ma belle Maistresse Et moy nous promenons raisonnans de l'amour Jardin cent fois heureux, des Nymphes le sejour, Qui l'adorent de loin ainsi que leur Deesse. Bienheureuse l'Eglise, oĂÂč je pris hardiesse De contempler ses yeux, qui des miens sont le jour, Qui ont chauds les regards, qui ont tout Ă l'entour Un petit camp d'amours, qui jamais ne les laisse. Heureuse la Magie, et les cheveux bruslez, Le murmure, l'encens, et les vins escoulez Sur l'image de cire ĂÂŽ bienheureux servage! O moy sur tous amans le plus avantureux, D'avoir osĂ© choisir la vertu de nostre ĂÂąge, Dont la terre est jalouse, et le ciel amoureux. XL Ton extreme beautĂ© par ses rais me retarde Que je n'ose mes yeux sur les tiens asseurer Debile je ne puis leurs regards endurer. Plus le Soleil esclaire, et moins on le regarde. Helas! tu es trop belle, et tu dois prendre garde Qu'un Dieu si grand thresor ne puisse desirer, Qu'il ne t'en-vole au ciel pour la terre empirer. La chose precieuse est de mauvaise garde. Les Dragons sans dormir, tous pleins de cruautĂ©, Gardoient les pommes d'or pour leur seule beautĂ© Le visage trop beau n'est pas chose trop bonne. DanaĂ le sceut bien, dont l'or se fit trompeur. Mais l'or qui domte tout, davant tes yeux s'estonne, Tant ta chaste vertu le fait trembler de peur. XLI D'un solitaire pas je ne marche en nul lieu, Qu'Amour bon artisan ne m'imprime l'image Au profond du penser de ton gentil visage, Et des mots gracieux de ton dernier Adieu. Plus fermes qu'un rocher, engravez au milieu De mon coeur je les porte et s'il n'y a rivage, Fleur, antre ny rocher, ny forests ny bocage, A qui je ne le conte, Ă Nymphe, ny Ă Dieu. D'une si rare et douce ambrosine viande Mon esperance vit, qui n'a voulu depuis Se paistre d'autre apast, tant elle en est friande. Ce jour de mille jours m'effaça les ennuis Car tant opiniastre en ce plaisir je suis, Que mon ame pour vivre autre bien ne demande. XLII Bien que l'esprit humain s'enfle par la doctrine De Platon, qui le chante influxion des cieux, Si est-ce sans le corps qu'il seroit ocieux, Et auroit beau vanter sa celeste origine. Par les sens l'ame voit, ell'oyt, ell'imagine, Ell'a ses actions du corps officieux L'esprit incorporĂ© devient ingenieux, La matiere le rend plus parfait et plus digne. Or' vous aimez l'esprit, et sans discretion Vous dites que des corps les amours sont pollues. Tel dire n'est sinon qu'imagination, Qui embrasse le faux pour les choses cognues Et c'est renouveller la fable d'Ixion, Qui se paissoit de vent, et n'amoit que de nues. XLIII En choisissant l'esprit vous estes mal-apprise, Qui refusez le corps, Ă mon grĂ© le meilleur De l'un en l'esprouvant on cognoist la valeur, L'autre n'est rien que vent, que songe et que feintise. Vous aimez l'intellect, et moins je vous en prise Vous volez, comme Icare, en l'air d'un beau malheur Vous aimez les tableaux qui n'ont point de couleur. Aimer l'esprit, Madame, est aimer la sottise. Entre les courtisans, afin de les braver, Il faut en disputant Trimegiste approuver, Et de ce grand Platon n'estre point ignorante. Mais moi qui suis bercĂ© de telle vanitĂ©, Un discours fantastiq' ma raison ne contante Je n'aime point le faux, j'aime la veritĂ©. XLIV Amour a tellement ses fleches enfermees En mon ame, et ses coups y sont si bien enclos, Qu'Helene est tout mon coeur, mon sang et mes propos, Tant j'ay dedans l'esprit ses beautez imprimees. Si les François avoient les ames allumees D'amour, ainsi que moy, nous serions Ă repos Les champs de Montcontour n'eussent pourry noz os, Ny Dreux ny Jazeneuf n'eussent veu noz armees. Venus, va mignarder les moustaches de Mars Conjure ton guerrier de tes benins regars, Qu'il nous donne la paix, et de tes bras l'enserre. Pren pitiĂ© des François, race de tes Troyens, A fin que nous facions en paix la mesme guerre Qu'Anchise te faisoit sur les monts IdĂ©ens. XLV Dessus l'autel d'Amour plantĂ© sur vostre table Vous me fistes serment, et je le fis aussi, Que d'un coeur mutuel Ă s'aimer endurcy Nostre amitiĂ© promise iroit inviolable. Je vous juray ma foy, vous feistes le semblable. Mais vostre cruautĂ©, qui des Dieux n'a soucy, Me promettoit de bouche, et me trompoit ainsi Ce-pendant vostre esprit demeuroit immuable. O jurement fardĂ© sous l'espece d'un Bien! O perjurable autel! ta DeitĂ© n'est rien. O parole d'amour non jamais asseuree! J'ay pratiquĂ© par vous le Proverbe des vieux Jamais des amoureux la parole juree N'entra pour les punir aux oreilles des Dieux. XLVI J'errois Ă la volee, et sans respect des lois Ma chair dure Ă donter me combatoit Ă force, Quand tes sages propos despouillerent l'escorce De tant d'opinions que frivoles j'avois. En t'oyant discourir d'une si saincte vois, Qui donne aux voluptez une mortelle entorce, Ta parole me fist par une douce amorce Contempler le vray bien duquel je m'esgarois. Tes moeurs et ta vertu, ta prudence et ta vie Tesmoignent que l'esprit tient de la DeitĂ© Tes raisons de Platon, et ta Philosophie, Que le vieil Promethee est une vĂ©ritĂ©, Et qu'en ayant la flame Ă Jupiter ravie, Il maria la Terre Ă la DivinitĂ©. XLVII Maistresse, quand je pense aux traverses d'Amour, Qu'ores chaude, ores froide en aimant tu me donnes, Comme sans passion mon coeur tu passionnes, Qui n'a contre son mal ny trĂ©ve ny sejour Je souspire la nuict, je me complains le jour Contre toy, ma Raison, qui mon fort abandonnes, Et pleine de discours, confuse, tu t'estonnes DĂ©s le premier assaut, sans defendre ma tour. Non si forts ennemis n'assaillent nostre Place, Qu'ils ne fussent veincuz, si tu tournois la face, Encores que mon coeur trahist ce qui est sien. Une oeillade, une main, un petit ris me tue De trois foibles soudars ta force est combatue Qui te dira divine, il ne dira pas bien. XLVIII Bienheureux fut le jour, oĂÂč mon ame sujette Rendit obeyssance Ă ta douce rigueur, Quand d'un traict de ton oeil tu me perças le coeur, Qui ne veult endurer qu'un autre luy en jette. La Raison pour neant au chef fit sa retraite, Et se mit au dongeon, comme au lieu le plus seur D'esperance assaillie, et prise de douceur, Rendit ma libertĂ©, qu'en vain je re-souhaite. Le Ciel le veult ainsi, qui pour mieux offenser Mon coeur, le baille en garde Ă la foy du Penser Lequel trahit mon camp, desloyal sentinelle, Ouvrant l'huis du rempart aux soudars des Amours. J'auray tousjours en l'ame une guerre eternelle Mes pensers et mon coeur me trahissent tousjours. XLIX Chanson I Plus estroit que la Vigne Ă l'Ormeau se marie De bras souplement-forts, Du lien de tes mains, Maistresse, je te prie, Enlasse moy le corps. 2 Et feignant de dormir, d'une mignarde face Sur mon front panche toy Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grace Et ton coeur dedans moy. 3 Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pĂÂąme, Pour mon mal appaiser, Serre plus fort mon col, et me redonne l'ame Par l'esprit d'un baiser. 4 Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure, Serment qui m'est si cher, Que de tes braz aimez jamais nulle aventure Ne pourra m'arracher. 5 Mais souffrant doucement le joug de ton empire, Tant soit-il rigoureux, Dans les champs Elisez une mesme navire Nous passera tous deux. 6 LĂ morts de trop aimer, sous les branches Myrtines Nous voirrons tous les jours Les Heros pres de nous avec les HeroĂÂŻnes Ne parler que d'amours. 7 Tantost nous danserons par les fleurs des rivages Sous les accords divers, Tantost lassez du bal, irons sous les ombrages Des Lauriers tousjours verds 8 OĂÂč le mollet Zephyre en haletant secouĂ De souspirs printaniers Ores les Orangers, ores mignard se jouĂ Parmy les Citronniers. 9 LĂ du plaisant Avril la saison immortelle Sans eschange se suit La terre sans labeur de sa grasse mammelle Toute chose y produit. 10 D'embas la troupe saincte, autrefois amoureuse, Nous honorant sur tous, Viendra nous saluer, s'estimant bien-heureuse De s'accointer de nous. 11 Et nous faisant asseoir dessus l'herbe fleurie De toutes au milieu, Nulle, et fust-ce Procris, ne sera point marrie De nous quitter son lieu. 12 Non celles qui s'en vont toutes seules ensemble, Artemise et Didon Non ceste belle Greque, Ă qui ta beautĂ© semble Comme tu fais de nom. L Helas! voicy le jour que mon maistre on enterre Muses, accompagnez son funeste convoy. Je voy son effigie, et au dessus je voy La Mort, qui de ses yeux la lumiere luy serre. Voila comme Atropos les Majestez atterre Sans respect de jeunesse, ou d'empire, ou de foy. Charles qui fleurissoit nagueres un grand Roy, Est maintenant vestu d'une robbe de terre. HĂ©! tu me fais languir par cruautĂ© d'amour Je te sers de ProthĂ©e, et tu es mon Vautour. La vengeance du Ciel n'oublira tes malices. Un mal au mien pareil puisse un jour t'avenir, Quand tu voudras mourir, que mourir tu ne puisses. Si justes sont les Dieux, je t'en verray punir. LI Je sens de veine en veine une chaleur nouvelle, Qui me trouble le sang et m'augmente le soing. Adieu ma libertĂ©, j'en appelle Ă tesmoing Ce mois, qui du beau nom d'Aphrodite s'appelle. Comme les jours d'Avril mon mal se renouvelle. Amour, qui tient mon Astre et ma vie en son poing, M'a tant seduit l'esprit, que de pres et de loing Tousjours Ă mon secours en vain je vous appelle. Je veux rendre la place, en jurant vostre nom, Que le premier article, avant que je la rende, C'est qu'un coeur amoureux ne veult de compaignon. L'amant non plus qu'un Roy, de rival ne demande. Vous aurez en mes vers un immortel renom. Pour n'avoir rien de vous la recompense est grande. LII Madrigal Si c'est aimer, Madame, et de jour et de nuict Resver, songer, penser le moyen de vous plaire, Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire Qu'adorer et servir la beautĂ© qui me nuit Si c'est aimer de suivre un bon-heur qui me fuit, De me perdre moymesme, et d'estre solitaire, Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre, et me taire, Pleurer, crier mercy, et m'en voir esconduit Si c'est aimer de vivre en vous plus qu'en moymesme, Cacher d'un front joyeux une langueur extrĂÂȘme, Sentir au fond de l'ame un combat inegal, Chaud, froid, comme la fiĂ©vre amoureuse me traitte Honteux, parlant Ă vous, de confesser mon mal! Si cela c'est aimer, furieux je vous aime Je vous aime, et sçay bien que mon mal est fatal Le coeur le dit assez, mais la langue est muette. LIII Amour est sans milieu, c'est une chose extrĂÂȘme, Qui ne veult je le sçay de tiers ny de moitiĂ© Il ne faut point trencher en deux une amitiĂ©. "Un est nombre parfait, imparfait le deuxiĂ©me. J'aime de tout mon coeur, je veux aussi qu'on m'aime. Le desir au desir d'un noeud ferme liĂ©, Par le temps ne s'oublie, et n'est point oubliĂ© Il est tousjours son tout, contentĂ© de soymesme. Mon ombre me fait peur, et jaloux je ne puis Avoir un compaignon, tant amoureux je suis, Et tant je m'essentie en la personne aimee. L'autre amitiĂ© ressemble Ă quelque vent qui court Et vrayment c'est aimer comme on fait Ă la Court, OĂÂč le feu contrefait ne rend qu'une fumee. LIV Ma fievre croist tousjours, la vostre diminue Vous le voyez, Helene, et si ne vous en chaut. Vous retenez le froid, et me laissez le chaut La vostre est Ă plaisir, la mienne est continue. Vous avez telle peste en mon coeur respandue, Que mon sang s'est gastĂ©, et douloir il me faut Que ma foible Raison dĂ©s le premier assaut, Pour craindre trop voz yeux, ne s'est point defendue. Je n'en blasme qu'Amour, seul autheur de mon mal, Qui me voyant tout nud, comme archer desloyal, De mainte et mainte playe a mon ame entamee, Gravant Ă coups de fleche en moy vostre portraict Et Ă vous, qui estiez contre nous deux armee, N'a monstrĂ© seulement la poincte de son traict. LV Je sens une douceur Ă conter impossible, Dont ravy je jouys par le bien du penser, Qu'homme ne peut escrire, ou langue prononcer, Quand je baise ta main contre Amour invincible. Contemplant tes beaux rais, ma pauvre ame passible En se pasmant se perd lors je sens amasser Un sang froid sur mon coeur, qui garde de passer Mes esprits, et je reste une image insensible. Voila que peut ta main et ton oeil, oĂÂč les trais D'Amour sont si ferrez, si chauds et si espais Au regard Medusin, qui en rocher me mue. Mais bien que mon malheur procede de les voir, Je voudrois mille mains, et autant d'yeux avoir, Pour voir et pour toucher leur beautĂ© qui me tue. LVI Ne romps point au mestier par le milieu la trame, Qu'Amour en ton honneur m'a commandĂ© d'ourdir Ne laisses au travail mes poulces engourdir Maintenant que l'ardeur Ă l'ouvrage m'enflame Ne verse point de l'eau sur ma bouillante flame, Il faut par ta douceur mes Muses enhardir Ne souffre de mon sang le bouillon refroidir, Et tousjours de tes yeux aiguillonne moy l'ame. DĂ©s le premier berceau n'estoufe point ton nom. Pour bien le faire croistre, il ne le faut sinon Nourrir d'un doux espoir pour toute sa pasture Tu le verras au Ciel de petit s'eslever. Courage, ma Maistresse, il n'est chose si dure, Que par longueur de temps on ne puisse achever. LVII J'attachay des bouquets de cent mille couleurs, De mes pleurs arrosez harsoir dessus ta porte Les larmes sont les fruicts que l'Amour nous apporte, Les souspirs en la bouche, et au coeur les douleurs. Les pendant, je leur dy, Ne perdez point voz fleurs Que jusques Ă demain que la cruelle sorte Quand elle passera, tombez de telle sorte Que son chef soit mouillĂ© de l'humeur de mes pleurs. Je reviendray demain. Mais si la nuict, qui ronge Mon coeur, me la donnoit par songe entre mes bras, Embrassant pour le vray l'idole du mensonge, SoulĂ© d'un faux plaisir je ne reviendrois pas. Voyez combien ma vie est pleine de trespas, Quand tout mon reconfort ne depend que du songe. LVIII Madame se levoit un beau matin d'EstĂ©, Quand le Soleil attache Ă ses chevaux la bride Amour estoit present avec sa trousse vuide, Venu pour la remplir des traicts de sa clartĂ©. J'entre-vy dans son sein deux pommes de beautĂ©, Telles qu'on ne voit point au verger Hesperide Telles ne porte point la Deesse de Gnide, Ny celle qui a Mars des siennes allaitĂ©. Telle enflure d'yvoire en sa voute arrondie, Tel relief de Porphyre, ouvrage de Phidie, Eut Andromede alors que Persee passa, Quand il la vit liee Ă des roches marines, Et quand la peur de mort tout le corps luy glassa, Transformant ses tetins en deux boules marbrines. LIX Je ne veux point la mort de celle qui arreste Mon coeur en sa prison mais, Amour, pour venger Mes larmes de six ans, fay ses cheveux changer, Et seme bien espais des neiges sur sa teste. Si tu veux, la vengeance est desja toute preste Tu accourcis les ans, tu les peux allonger Ne souffres en ton camp ton soudart outrager Que vieille elle devienne, ottroyant ma requeste. Elle se glorifie en ses cheveux frisez, En sa verde jeunesse, en ses yeux aiguisez, Qui tirent dans les coeurs mille poinctes encloses. Pourquoy te braves-tu de cela qui n'est rien? La beautĂ© n'est que vent, la beautĂ© n'est pas bien Les beautez en un jour s'en-vont comme les Roses. LX Si j'ay bien ou mal dit en ces Sonets, Madame, Et du bien et du mal vous estes cause aussy Comme je le sentois, j'ay chantĂ© mon soucy, Taschant Ă soulager les peines de mon ame. HĂ ! qu'il est mal-aisĂ©, quand le fer nous entame, S'engarder de se plaindre, et de crier mercy! Tousjours l'esprit joyeux porte haut le sourcy, Et le melancholique en soymesme se pĂÂąme. J'ay suivant vostre amour le plaisir poursuivy, Non le soin, non le dueil, non l'espoir d'une attente. S'il vous plaist, ostez moy tout argument d'ennuy Et lors j'auray la voix plus gaillarde et plaisante. Je ressemble au mirouer, qui tousjours represente Tout cela qu'on luy monstre, et qu'on fait devant luy. Le second livre des sonets pour Helene Soit qu'un sage I Soit qu'un sage amoureux, ou soit qu'un sot me lise, Il ne doit s'esbahir, voyant mon chef grison, Si je chante d'amour volontiers le tison Cache un germe de feu sous une cendre grise. Le bois verd Ă grand peine en le souflant s'attise, Le sec sans le soufler brusle en toute saison. La Lune se gaigna d'une blanche toison, Et son vieillard Thiton l'Aurore ne mesprise. Lecteur, je ne veux estre escolier de Platon, Qui la vertu nous presche, et ne fait pas de mesme Ny volontaire Icare, ou lourdaut PhaĂton, Perduz pour attenter une sottise extrĂÂȘme Mais sans me contrefaire ou Voleur, ou Charton, De mon grĂ© je me noye, et me brusle moymesme. II Afin qu'Ă tout jamais de siecle en siecle vive La parfaite amitiĂ© que Ronsard vous portoit, Comme vostre beautĂ© la raison luy ostoit, Comme vous enlassez sa libertĂ© captive Afin que d'ĂÂąge en ĂÂąge Ă noz neveux arrive, Que toute dans mon sang vostre figure estoit, Et que rien sinon vous mon coeur ne souhaitoit, Je vous fais un present de ceste Sempervive. Elle vit longuement en sa jeune verdeur. Long temps apres la mort je vous feray revivre, Tant peut le docte soin d'un gentil serviteur, Qui veut, en vous servant, toutes vertus ensuivre. Vous vivrez croyez-moy comme Laure en grandeur, Au moins tant que vivront les plumes et le livre. III Amour, qui as ton regne en ce monde si ample, Voy ta gloire et la mienne errer en ce jardin Voy comme son bel oeil, mon bel astre divin, Reluist comme une lampe ardente dans un Temple Voy son corps, des beautez le portrait et l'exemple, Qui ressemble une Aurore au plus beau d'un matin Voy son esprit, seigneur du Sort et du Destin, Qui passe la Nature, en qui Dieu se contemple. Regarde la marcher toute pensive Ă soy, T'emprisonner de fleurs, et triompher de toy, Pressant dessous ses pas les herbes bienheureuses. Voy sortir un Printemps des rayons de ses yeux Et voy comme Ă l'envy ses flames amoureuses Embellissent la terre, et serenent les Cieux. IV Tandis que vous dansez et ballez Ă vostre aise, Et masquez vostre face ainsi que vostre coeur, PassionnĂ© d'amour, je me plains en langueur, Ores froid comme neige, ores chaut comme braise. Le Carnaval vous plaist je n'ay rien qui me plaise Sinon de souspirer contre vostre rigueur, Vous appeller ingrate, et blasmer la longueur Du temps que je vous sers sans que mon mal s'appaise. Maistresse, croyez moy, je ne fais que pleurer, Lamenter, souspirer, et me desesperer Je desire la mort, et rien ne me console. Si mon front, si mes yeux ne vous en sont tesmoins, Ma plainte vous en serve, et permettez au moins Qu'aussi bien que le coeur je perde la parole. V N'oubliez, mon Helene, aujourdhuy qu'il faut prendre Des cendres sur le front, qu'il n'en faut point chercher Autre part qu'en mon coeur, que vous faites seicher, Vous riant du plaisir de le tourner en cendre. Quel pardon pensez vous des Celestes attendre? Le meurtre de voz yeux ne se sçauroit cacher Leurs rayons m'ont tuĂ©, ne pouvant estancher La playe qu'en mon sang leur beautĂ© fait descendre. La douleur me consomme ayez de moy pitiĂ©. Vous n'aurez de ma mort ny profit ny louange Cinq ans meritent bien quelque peu d'amitiĂ©... Vostre volontĂ© passe, et la mienne ne change. Amour, qui voit mon coeur, voit vostre mauvaistiĂ© Il tient l'arc en la main, gardez qu'il ne se vange. VI Anagramme Tu es seule mon coeur, mon sang et ma Deesse, Ton oeil est le filĂ© et le rĂ© bienheureux, Qui prend tant seulement les hommes genereux, Et se prendre des sots jamais il ne se laisse. Aussi honneur, vertu, prevoyance et sagesse Logent en ton esprit, lequel rend amoureux Tous ceux, qui de nature ont un coeur desireux D'honorer les beautez d'une docte Maistresse. Les noms ce dit Platon ont tresgrande vertu Je le sens par le tien, lequel m'a combatu Par armes, qui ne sont communes ny legeres. Sa DeitĂ© causa mon amoureux soucy. Voila comme de nom, d'effect tu es aussi Le rĂ© des genereux, Elene de Surgeres. VII HĂ , que ta Loy fut bonne, et digne d'estre apprise, Grand Moise, grand Prophete, et grand Minos de Dieu, Qui sage commandas au vague peuple Hebrieu, Que la libertĂ© fust apres sept ans remise! Je voudrois, grand Guerrier; que celle que j'ay prise Pour Dame, et qui s'assied de mon coeur au milieu, Voulust qu'en mon endroit ton ordonnance eust lieu, Et qu'au bout de sept ans m'eust remis en franchise. Sept ans sont ja passez qu'en servage je suis Servir encor sept ans de bon coeur je la puis, Pourveu qu'au bout du temps de son corps je jouysse. Mais ceste Grecque Helene, ayant peu de soucy Des statuts des Hebrieux, d'un courage endurcy Contre les Loix de Dieu n'affranchit mon service. VIII Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle, Ce Pin, oĂÂč tes honneurs se liront tous les jours J'ay gravĂ© sur le tronc noz noms et noz amours, Qui croistront Ă l'envy de l'escorce nouvelle. Faunes, qui habitez ma terre paternelle, Qui menez sur le Loir voz danses et voz tours, Favorisez la plante, et luy donnez secours, Que l'EstĂ© ne la brusle, et l'Hyver ne la gelle. Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau, Flageolant une Eclogue en ton tuyau d'aveine, Attache tous les ans Ă cest arbre un Tableau, Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine Puis l'arrosant de laict et du sang d'un agneau, Dy, Ce Pin est sacrĂ©, c'est la plante d'Heleine. IX Ny la douce pitiĂ©, ny le pleur lamentable Ne t'ont baillĂ© ton nom Helene vient d'oster, De ravir, de tuer, de piller, d'emporter Mon esprit et mon coeur, ta proye miserable. Homere, en se jouant, de toy fist une fable, Et moy l'histoire au vray. Amour, pour te flatter, Comme tu feis Ă Troye, au coeur me vient jetter Ton feu, qui de mes oz se paist insatiable. La voix, que tu feignois Ă l'entour du Cheval Pour decevoir les Grecs, me devoit faire sage Mais l'homme de nature est aveugle Ă son mal, Qui ne peut se garder, ny prevoir son dommage. Au pis-aller, je meurs pour ce beau nom fatal, Qui mit tout l'Asie et l'Europe en pillage. X Adieu belle Cassandre, et vous belle Marie, Pour qui je fu trois ans en servage Ă Bourgueil L'une vit, l'autre est morte, et ores de son oeil Le ciel se resjouyst dans la terre est Marie. Sur mon premier Avril, d'une amoureuse envie J'adoray voz beautez mais vostre fier orgueil Ne s'amollit jamais pour larmes ny pour dueil, Tant d'une gauche main la Parque ourdit ma vie. Maintenant en Automne encore malheureux, Je vy comme au Printemps de nature amoureux, A fin que tout mon ĂÂąge aille au grĂ© de la peine Et ores que je deusse estre exempt du harnois, Mon Colonnel m'envoye Ă grands coups de carquois R'assieger Ilion pour conquerir Heleine. XI A l'aller, au parler, au flamber de tes yeux, Je sens bien, je voy bien que tu es immortelle La race des humains en essence n'est telle Tu es quelque Demon, ou quelque Ange des cieux. Dieu, pour favoriser ce monde vicieux, Te feit tomber en terre, et dessus la plus belle Et plus parfaite idee il traça la modelle De ton corps, dont il fut luymesmes envieux. Quand il fist ton esprit, il se pilla soymesme Il print le plus beau feu du ciel le plus suprĂÂȘme Pour animer ta masse, ainçois ton beau printemps. Hommes, qui la voyez de tant d'honneur pourveuĂ, Tandis qu'elle est çà bas, soulez-en vostre veuĂ. Tout ce qui est parfait ne dure pas long temps. XII Je ne veux comparer tes beautez Ă la Lune La Lune est inconstante, et ton vouloir n'est qu'un. Encor moins au Soleil le Soleil est commun, Commune est sa lumiere, et tu n'es pas commune. Tu forces par vertu l'envie et la rancune. Je ne suis, te louant, un flateur importun. Tu sembles Ă toymesme, et n'a portrait aucun Tu es toute ton Dieu, ton Astre, et ta Fortune. Ceux qui font de leur Dame Ă toy comparaison, Sont ou presumptueux, ou perclus de raison D'esprit et de sçavoir de bien loin tu les passes Ou bien quelque Demon de ton corps s'est vestu, Ou bien tu es portrait de la mesme Vertu, Ou bien tu es Pallas, ou bien l'une des Graces. XIII Si voz yeux cognoissoient leur divine puissance, Et s'ils se pouvoient voir, ainsi que je les voy, Ils ne s'estonneroient, se cognoissant, dequoy Divins ils ont veincu une mortelle essence. Mais par faute d'avoir d'euxmesmes cognoissance, Ils ne peuvent juger du mal que je reçoy Seulement mon visage en tesmoigne pour moy. Le voyant si desfait, ils voyent leur puissance. Yeux, oĂÂč devroit loger une bonne amitiĂ©, Comme vous regardez tout le ciel et la terre, Que ne penetrez-vous, mon coeur par la moitiĂ©? Ainsi que de ses raiz le Soleil fait le verre, Si vous le pouviez voir, vous en auriez pitiĂ©, Et aux cendres d'un mort vous ne feriez la guerre. XIV Si de voz doux regards je ne vais me repaistre A toute heure, et tousjours en tous lieux vous chercher, Helas! pardonnez-moy j'ay peur de vous fascher, Comme un serviteur craint de fascher Ă son maistre, Puis je crain tant voz yeux, que je ne sçaurois estre Une heure, en les voyant, sans le coeur m'arracher, Sans me troubler le sang pource il faut me cacher, Afin de ne mourir pour tant de fois renaistre. J'avois cent fois jurĂ© de ne les voir jamais, Me parjurant autant qu'autant je le promets Car soudain je retourne Ă r'engluer mon aile. Ne m'appellez donq plus dissimulĂ© ne feint. Aimer ce qui fait mal, et revoir ce qu'on craint, Est le gage certain d'un service fidele. XV Je voyois, me couchant, s'esteindre une chandelle, Et je disois au lict bassement Ă -par-moy, Pleust Ă Dieu que le soin, que la peine et l'esmoy, Qu'Amour m'engrave au coeur, s'esteignissent comme elle. Un mastin enragĂ©, qui de sa dent cruelle Mord un homme, il luy laisse une image de soy Qu'il voit tousjours en l'eau Ainsi tousjours je voy, Soit veillant ou dormant, le portrait de ma belle Mon sang chaut en est cause. Or comme on voit souvent L'EstĂ© moins bouillonner que l'Automne suivant, Mon Septembre est plus chaut que mon Juin de fortune. Helas! pour vivre trop, j'ay trop d'impression. Tu es mort une fois, bien-heureux Ixion, Et je meurs mille fois pour n'en mourir pas-une. XVI Helene fut occasion que Troye Se vist brusler d'un feu victorieux Vous me bruslez du foudre de voz yeux, Et aux Amours vous me donnez en proye. En vous servant vous me monstrez la voye Par voz vertus de m'en-aller aux cieux, Ravy du nom, qu'Amour malicieux Me tire au coeur, quelque part que je soye. Nom tant de fois par Homere chantĂ©, Seul tout le sang vous m'avez enchantĂ©. O beau visage engendrĂ© d'un beau Cygne, De mes pensers la fin et le milieu! Pour vous aimer mortel je ne suis digne A la Deesse il appartient un Dieu. XVII Amour, qui tiens tout seul de mes pensers la clef, Qui ouvres de mon coeur les portes et les serres, Qui d'une mesme main me guaris et m'enferres, Qui me fais trespasser, et vivre derechef. Tu consommes ma vie en si pauvre meschef, Qu'herbes, drogues ny just, ny puissance de pierres Ne pourroient m'alleger tant d'amoureuses guerres Sans trĂ©ves tu me fais, du pied jusques au chef. Oiseau, comme tu es, fay moy naistre des ailes, A fin de m'en-voler pour jamais ne la voir En volant je perdray les chaudes estincelles, Que ses yeux sans pitiĂ© me firent concevoir. "Dieu nous vend cherement les choses qui sont belles, Puis qu'il faut tant de fois mourir pour les avoir. XVIII Une seule vertu, tant soit parfaite et belle, Ne pourroit jamais rendre un homme vertueux Il faut le nombre entier, en rien defectueux Le Printemps ne se fait d'une seule arondelle. Toute vertu divine acquise et naturelle Se loge en ton esprit. La Nature et les Cieux Ont versĂ© dessus toy leurs dons Ă qui mieux mieux Puis pour n'en faire plus ont rompu le modelle. Icy Ă ta beautĂ© se joint la ChastetĂ©, Icy l'honneur de Dieu, icy la PietĂ©, La crainte de mal-faire, et la peur d'infamie Icy un coeur constant, qu'on ne peut esbranler. Pource en lieu de mon coeur, d'Helene, et de ma vie, Je te veux desormais ma Pandore appeller. XIX Bon jour, ma douce vie, autant remply de joye, Que triste je vous dis au departir adieu En vostre bonne grace, hĂ©, dites moy quel lieu Tient mon coeur, que captif devers vous je r'envoye Ou bien si la longueur du temps et de la voye Et l'absence des lieux ont amorty le feu Qui commençoit en vous Ă se monstrer un peu Au moins, s'il n'est ainsi, trompĂ© je le pensoye. Par espreuve je sens que les amoureux traits Blessent plus fort de loing qu'Ă l'heure qu'ils sont pres, Et que l'absence engendre au double le servage. Je suis content de vivre en l'estat oĂÂč je suis. De passer plus avant je ne dois ny ne puis Je deviendrois tout fol, oĂÂč je veux estre sage. XX Yeux, qui versez en l'ame, ainsi que deux Planettes, Un esprit qui pourroit resusciter les morts, Je sçay dequoy sont faits tous les membres du corps, Mais je ne puis sçavoir quelle chose vous estes. Vous n'estes sang ny chair, et toutefois vous faites Des miracles en moy par voz regards si forts, Si bien qu'en foudroyant les miens par le dehors, Dedans vous me tuez de cent mille sagettes. Yeux, la forge d'Amour, Amour n'a point de trais Que les poignans esclairs qui sortent de voz rais, Dont le moindre Ă l'instant toute l'ame me sonde. Je suis, quand je les sens, de merveille ravy Quand je ne les sens plus en mon corps, je ne vy, Ayant en moy l'effect qu'a le Soleil au monde. XXI Comme un vieil combatant, qui ne veut plus s'armer, Ayant le corps chargĂ© de coups et de vieillesse, Regarde, en s'esbatant, l'Olympique jeunesse Pleine d'un sang bouillant aux joustes escrimer Ainsi je regardois du jeune Dieu d'aimer, Dieu qui combat tousjours par ruse et par finesse, Les gaillards champions, qui d'une chaude presse Se veulent dans le camp amoureux enfermer. Quand tu as reverdy mon escorce ridee De l'esclair de tes yeux, ainsi que fit Medee Par herbes et par jus le pere de Jason, Je n'ay contre ton charme opposĂ© ma defense Toutefois je me deuls de r'entrer en enfance, Pour perdre tant de fois l'esprit et la raison. XXII Laisse de Pharaon la terre Egyptienne, Terre de servitude, et vien sur le Jourdain Laisse moy ceste Cour, et tout ce fard mondain, Ta Circe, ta Sereine, et ta Magicienne. Demeure en ta maison pour vivre toute tienne, Contente toy de peu l'ĂÂąge s'enfuit soudain. Pour trouver ton repos, n'atten point Ă demain N'atten point que l'hyver sur les cheveux te vienne. Tu ne vois Ă ta Cour que feintes et soupçons Tu vois tourner une heure en cent mille façons Tu vois la vertu fausse, et vraye la malice. Laisse ces honneurs pleins d'un soing ambitieux, Tu ne verras aux champs que Nymphes et que Dieux, Je seray ton Orphee, et toy mon Eurydice. XXIII Ces longues nuicts d'hyver, oĂÂč la Lune ocieuse Tourne si lentement son char tout Ă l'entour, OĂÂč le Coq si tardif nous annonce le jour, OĂÂč la nuict semble un an Ă l'ame soucieuse Je fusse mort d'ennuy sans ta forme douteuse, Qui vient par une feinte alleger mon amour, Et faisant, toute nue, entre mes bras sejour, Me pipe doucement d'une joye menteuse. Vraye tu es farouche, et fiere en cruautĂ© De toy fausse on jouyst en toute privautĂ©. Pres ton mort je m'endors, pres de luy je repose Rien ne m'est refusĂ©. Le bon sommeil ainsi Abuse par le faux mon amoureux souci. S'abuser en amour n'est pas mauvaise chose. XXIV Quand vous serez bien vieille, au soir Ă la chandelle, Assise aupres du feu, devidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant, Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle. Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, Desja sous le labeur Ă demy sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne s'aille resveillant, Benissant vostre nom de louange immortelle. Je seray sous la terre, et fantaume sans os Par les ombres Myrtheux je prendray mon repos. Vous serez au fouyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour, et vostre fier desdain. Vivez, si m'en croyez, n'attendez Ă demain Cueillez dĂ©s aujourd'huy les roses de la vie. XXV Cest honneur, ceste loy sont noms pleins d'imposture, Que vous alleguez tant, faussement inventez De noz peres resveurs, par lesquels vous ostez Et forcez les presens les meilleurs de Nature. Vous trompez vostre sexe, et luy faites injure La coustume vous pipe, et du faux vous domtez Voz plaisirs, voz desirs, vous et voz voluptez, Sous l'ombre d'une sotte et vaine couverture. Cest honneur, ceste loy, sont bons pour un lourdaut, Qui ne cognoist soymesme, et les plaisirs qu'il faut Pour vivre heureusement, dont Nature s'esgaye. Vostre esprit est trop bon pour ne le sçavoir pas Vous prendrez, s'il vous plaist, les sots Ă tels apas Je ne veux pour le faux tromper la chose vraye. XXVI Celle, de qui l'amour veinquit la fantasie, Que Jupiter conceut sous un Cygne empruntĂ© Ceste soeur des Jumeaux, qui fist par sa beautĂ© Opposer toute Europe aux forces de l'Asie, Disoit Ă son mirouer, quand elle vit saisie Sa face de vieillesse et de hideusetĂ©, Que mes premiers maris insensez ont estĂ© De s'armer, pour jouyr d'une chair si moisie! Dieux, vous estes cruels, jaloux de nostre temps! Des Dames sans retour s'en-vole le printemps Aux serpens tous les ans vous ostez la vieillesse. Ainsi disoit Helene en remirant son teint. Cest exemple est pour vous cueillez vostre jeunesse. Quand on perd son Avril, en Octobre on s'en plaint. XXVII Heureux le Chevalier, que la Mort nous desrobe, Qui premier me fit voir de ta Grace l'attrait Je la vy de si loin, que la poincte du trait Sans force demoura dans les plis de ma robe. Mais ayant de plus pres entendu ta parole, Et veu ton oeil ardent, qui de moy m'a distrait, Au coeur entra la flĂ©che avecque ton portrait, Heureux d'estre l'autel de ce Dieu qui m'affole. Esblouy de ta veue, oĂÂč l'Amour fait son ny, Claire comme un Soleil en flames infiny, Je n'osois t'aborder, craignant de plus ne vivre. Je fu trois mois retif mais l'Archer qui me vit, Si bien Ă coups de traits ma crainte poursuivit, Que veincu de son arc m'a forcĂ© de te suivre. XXVIII Lettre, je te reçoy, que ma Deesse en terre M'envoye pour me faire ou joyeux, ou transi, Ou tous les deux ensemble, ĂÂŽ Lettre, tout ainsi Que tu m'apportes seule ou la paix, ou la guerre. Amour, en te lisant, de mille traits m'enferre Touche mon sein, Ă fin qu'en retournant d'ici Tu contes Ă ma dame, en quel piteux souci Je vy pour sa beautĂ©, tant j'ay le coeur en serre! Touche mon estomac pour sentir mes chaleurs, Approche de mes yeux pour recevoir mes pleurs, Que torrent sur torrent ce faux Amour m'assemble Puis voyant les effects d'un si contraire esmoy, Dy que Deucalion et PhaĂton chez moy, L'un au coeur, l'autre aux yeux, se sont logez ensemble. XXIX Lettre, de mon ardeur veritable interprete, Qui parles sans parler les passions du coeur, Poste des amoureux, va conter ma langueur A ma dame, et comment sa cruautĂ© me traite. Comme une messagere et accorte et secrete Contemple, en la voyant, sa face et sa couleur, Si elle devient gaye, ou palle de douleur, Ou d'un petit souspir si elle me regrete. Fais office de langue aussi bien je ne puis Devant elle parler, tant vergongneux je suis, Tant je crains l'offenser et faut que le visage Tout seul de ma douleur luy rende tesmoignage. Tu pourras en trois mots luy dire mes ennuis Le silence parlant vaut un mauvais langage. XXX Le soir qu'Amour vous fist en la salle descendre Pour danser d'artifice un beau ballet d'Amour, Voz yeux, bien qu'il fust nuict, ramenerent le jour, Tant ils sceurent d'esclairs par la place respandre. Le ballet fut divin, qui se souloit reprendre, Se rompre, se refaire, et tour dessus retour Se mesler, s'escarter, se tourner Ă l'entour, Contre-imitant le cours du fleuve de Meandre. Ores il estoit rond, ores long, or estroit, Or en poincte, en triangle, en la façon qu'on voit L'escadron de la GruĂ evitant la froidure. Je faux, tu ne dansois, mais ton pied voletoit Sur le haut de la terre aussi ton corps s'estoit TransformĂ© pour ce soir en divine nature. XXXI Je voy mille beautez, et si n'en voy pas une Qui contente mes yeux seule vous me plaisez Seule quand je vous voy, mes sens vous appaisez Vous estes mon Destin, mon Ciel et ma Fortune, Ma Venus, mon Amour, ma Charite, ma brune, Qui tous bas pensemens de l'esprit me rasez, Et de belles vertus l'estomac m'embrasez, Me soulevant de terre au cercle de la Lune. Mon oeil de voz regards goulument se repaist Tout ce qui n'est pas vous luy fasche et luy desplaist, Tant il a par usance accoustumĂ© de vivre De vostre unique, douce, agreable beautĂ©. S'il peche contre vous, affamĂ© de vous suivre, Ce n'est de son bon grĂ©, c'est par necessitĂ©. XXXII Ces cheveux, ces liens, dont mon coeur tu enlasses, Gresles, primes, subtils, qui coulent aux talons, Entre noirs et chastains, bruns, deliez et longs, Tels que Venus les porte, et ces trois belles Graces; Me tiennent si estrains, Amour, que tu me passes Au coeur, en les voyant, cent poinctes d'aiguillons, Dont le moindre des noeuds pourroit des plus felons En leur plus grand courroux arrester les menaces. Cheveux non achetez, empruntez ny fardez, Qui vostre naturel sans feintise gardez, Que vous me semblez beaux! Permettez que j'en porte Un lien Ă mon col, Ă fin que sa beautĂ©, Me voyant prisonnier liĂ© de telle sorte, Se puisse tesmoigner quelle est sa cruautĂ©. XXXIII Voulant tuer le feu, dont la chaleur me cuit Les muscles et les nerfs, les tendons et les veines, Et cherchant de trouver une fin Ă mes peines, Je vy bien Ă tes yeux que j'estois esconduit. D'un refus asseurĂ© tu me payas le fruit Que j'esperois avoir ĂÂŽ esperances vaines! O fondemens assis sur debiles arenes! Malheureux qui l'amour d'une Dame poursuit. O beautĂ© sans mercy, ta fraude est descouverte! J'aime mieux estre sage apres quatre ans de perte, Que plus long temps ma vie en langueur desseicher. Je ne veux point blasmer ta beautĂ© que j'honore Je ne suis mesdisant comme fut Stesichore, Mais je veux de mon col les liens destacher. XXXIV Je suis esmerveillĂ© que mes pensers ne sont Laz de penser en vous, y pensant Ă toute heure Me souvenant de vous, or' je chante, or' je pleure, Et d'un penser passĂ© cent nouveaux se refont. Puis legers comme oiseaux ils volent, et s'en-vont, M'abandonnant tout seul, devers vostre demeure Et s'ils sçavoient parler, souvent vous seriez seure Du mal que mon coeur cache, et qu'on lit sur mon front. Or sus venez Pensers, pensons encor en elle. De tant y repenser je ne me puis lasser Pensons en ces beaux yeux, et combien elle est belle. Elle pourra vers nous les siens faire passer. Venus non seulement nourrit de sa mammelle Amour son fils aisnĂ©, mais aussi le Penser. XXXV Belle gorge d'albastre, et vous chaste poictrine, Qui les Muses cachez en un rond verdelet Tertres d'Agathe blanc, petits gazons de laict, Des Graces le sejour, d'Amour et de Cyprine Sein de couleur de liz et de couleur rosine, De veines marquetĂ©, je vous vy par souhait Lever l'autre matin, comme l'Aurore fait Quand vermeille elle sort de sa chambre marine. Je vy de tous costez le Plaisir et le Jeu, Les deux freres d'Amour, armez d'un petit feu, Voler ainsi qu'enfans, par ces coustaux d'yvoire, M'esblouyr, me surprendre, et me lier bien fort Je vy tant de beautez, que je ne les veux croire. Un homme ne doit croire aux tesmoins de sa mort. XXXVI Lors que le Ciel te fist, il rompit la modelle Des Vertuz, comme un peintre efface son tableau, Et quand il veut refaire une image du Beau, Il te va retracer pour en faire une telle. Tu apportas d'enhaut la forme la plus belle, Pour paroistre en ce monde un miracle nouveau, Que couleur, ny outil, ny plume, ny cerveau Ne sçauroient egaler, tant tu es immortelle. Un bon-heur te defaut c'est qu'en venant ça bas Couverte de ton voile ombragĂ© du trespas, Ton excellence fut Ă ce monde incognue, Qui n'osa regarder les rayons de tes yeux. Seul je les adoray comme un thresor des cieux, Te voyant en essence, et les autres en nue. XXXVII Je te voulois nommer pour Helene, Ortygie, Renouvellant en toy d'Ortyge le renom. Le tien est plus fatal Helene est un beau nom, Helene, honneur des Grecs, la terreur de Phrygie. Si pour sujet fertil Homere t'a choisie, Je puis, suivant son train qui va sans compagnon, Te chantant, m'honorer, et non pas toy, sinon Qu'il te plaise estimer ma rude PoĂsie. Tu passes en vertuz les Dames de ce temps Aussi loin que l'Hyver est passĂ© du Printemps, Digne d'avoir autels, digne d'avoir Empire. Laure ne te veincroit de renom ny d'honneur Sans le Ciel qui luy donne un plus digne sonneur, Et le mauvais destin te fait present du pire. XXXVIII J'errois en mon jardin, quand au bout d'une allee Je vy contre l'Hyver boutonner un Soucy. Ceste herbe et mon amour fleurissent tout ainsi La neige est sur ma teste, et la sienne est gelee. O bien-heureuse amour en mon ame escoulee Pour celle qui n'a point de parangon icy, Qui m'a de ses rayons tout l'esprit esclarcy, Qui devroit des François Minerve estre appellee En prudence Minerve, une Grace en beautĂ©, Junon en gravitĂ©, Diane en chastetĂ©, Qui sert aux mesmes Dieux, comme aux hommes, d'exemple. Si tu fusses venue au temps que la Vertu S'honoroit des humains, tes vertuz eussent eu Voeuz, encens et autels, sacrifices et temple. XXXIX De Myrthe et de Laurier fueille Ă fueille enserrez Helene entrelassant une belle Couronne, M'appella par mon nom Voyla que je vous donne, De moy seule, Ronsard, l'escrivain vous serez. Amour qui l'escoutoit, de ses traicts acerez Me pousse Helene au coeur, et son Chantre m'ordonne Qu'un sujet si fertil vostre plume n'estonne Plus l'argument est grand, plus Cygne vous mourrez. Ainsi me dist Amour, me frappant de ses ailes Son arc fist un grand bruit, les fueilles eternelles Du Myrthe je senty sur mon chef tressaillir. Adieu, Muses, adieu, vostre faveur me laisse Helene est mon Parnasse ayant telle Maistresse, Le Laurier est Ă moy, je ne sçaurois faillir. XL Seule sans compagnie en une grande salle Tu logeois l'autre jour, pleine de majestĂ©, Coeur vrayment genereux, dont la brave beautĂ© Sans pareille, ne treuve une autre qui l'Ă©galle Ainsi seul en son ciel le Soleil se devalle, Sans autre compagnie en son char emportĂ© Et loin des autres Dieux en son Palais voutĂ© Jupiter a choisy sa demeure royalle. Une ame vertueuse a tousjours un bon coeur Le LiĂ©vre fuyt tousjours, la Biche a tousjours peur, Le Lyon de soymesme asseurĂ© se hazarde. Cela qu'au peuple fait la crainte de la Loy, La naĂÂŻfve Vertu, sans peur, le fait en toy. La Loy ne sert de rien, quand la Vertu nous garde. XLI Qu'il me soit arrachĂ© des tetins de sa mere Ce jeune enfant Amour, et qu'il me soit vendu Il ne faut plus qu'il croisse, il m'a desja perdu Vienne quelque marchand, je le mets Ă l'enchere. D'un si mauvais garçon la vente n'est pas chere, J'en feray bon marchĂ©. Ah! j'ay trop attendu. Mais voyez comme il pleure il m'a bien entendu. Appaise toy, mignon, j'ay passĂ© ma cholere, Je ne te vendray point au contraire je veux Pour Page t'envover Ă ma maistresse Heleine, Qui toute te ressemble et d'yeux et de cheveux, Aussi fine que toy, de malice aussi pleine. Comme enfans vous croistrez et vous jou'rez tous deux Quand tu seras plus grand, tu me payras ma peine. XLII Passant dessus la tombe, oĂÂč ta moitiĂ© repose, Tu versas dessus elle une moisson de fleurs L'eschaufant de souspirs, et l'arrosant de pleurs, Tu monstras qu'une mort tenoit ta vie enclose. Si tu aimes le corps dont la terre dispose, Imagine ta force, et conçoy tes rigueurs Tu me verras, cruelle, entre mille langueurs Mourir, puis que la mort te plaist sur toute chose. C'est acte de pitiĂ© d'honorer un cercueil Mespriser les vivans est un signe d'orgueil. Puis que ton naturel les fantaumes embrasse, Et que rien n'est de toy, s'il n'est mort,estimĂ©, Sans languir tant de fois, esconduit de ta grace, Je veux du tout mourir, pour estre mieux aimĂ©. XLIII Je ne serois marry, si tu comptois ma peine De compter tes degrez recomptez tant de fois Tu loges au sommet du Palais de noz Rois Olympe n'avoit pas la cyme si hauteine. Je perds Ă chaque marche et le pouls et l'haleine J'ay la sueur au front, j'ay l'estomac penthois, Pour ouyr un nenny, un refus, une vois, De desdain, de froideur et d'orgueil toute pleine. Tu es vrayment Deesse, assise en si haut lieu. Or pour monter si haut, je ne suis pas un Dieu. Je feray des degrez ma plainte coustumiere, T'envoyant jusqu'en haut mon coeur devotieux. Ainsi les hommes font Ă Jupiter priere Les hommes sont en terre, et Jupiter aux cieux. XLIV Mon ame mille fois m'a predit mon dommage Mais la sotte qu'elle est, apres l'avoir predit, Maintenant s'en repent, maintenant s'en desdit, Et voyant ma Maistresse, elle aime davantage. Si l'ame, si l'esprit, qui sont de Dieu l'ouvrage, Deviennent amoureux, Ă grand tort on mesdit Du corps qui suit les sens, non brutal, comme on dit, S'il se trouve esblouy des raiz d'un beau visage. Le corps ne languiroit d'un amoureux souci, Si l'ame, si l'esprit ne le vouloient ainsi. Mais du premier assaut l'ame se tient rendue, Conseillant, comme Royne, au corps d'en faire autant. Ainsi le Citoyen trahy du combattant, Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue. XLV Il ne faut s'esbahir, disoient ces bons veillars Dessus le mur Troyen, voyans passer Heleine, Si pour telle beautĂ© nous souffrons tant de peine, Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars. Toutefois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars, La rendre Ă son espoux afin qu'il la r'emmeine, Que voir de tant de sang nostre campagne pleine, Nostre havre gagnĂ©, l'assaut Ă noz rempars. Peres, il ne falloit Ă qui la force tremble Par un mauvais conseil les jeunes retarder Mais et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble Et le corps et les biens pour elle hazarder. Menelas fut bien sage, et PĂÂąris, ce me semble, L'un de la demander, l'autre de la garder. XLVI Ah, belle libertĂ©, qui me servois d'escorte, Quand le pied me portoit oĂÂč libre je voulois! Ah, que je te regrette! helas, combien de fois Ay-je rompu le joug, que malgrĂ© moy je porte! Puis je l'ay r'attachĂ©, estant nay de la sorte, Que sans aimer je suis et du plomb, et du bois Quand je suis amoureux, j'ay l'esprit et la vois, L'invention meilleure, et la Muse plus forte. Il me faut donc aimer pour avoir bon esprit, Afin de concevoir des enfans par escrit, Pour allonger mon nom aux depens de ma peine. Quel sujet plus fertil sçauroy-je mieux choisir Que le sujet qui fut d'Homere le plaisir, Ceste toute divine et vertueuse Heleine? XLVII Tes freres les Jumeaux, qui ce mois verdureux Maistrisent, et qui sont tous deux liez-ensemble, Te devroient enseigner, au moins comme il me semble, A te joindre ainsi qu'eux d'un lien amoureux. Mais ton coeur nonchalant, revesche et rigoureux, Qui jamais nulle flame amoureuse n'assemble, En ce beau mois de May malgrĂ© tes ans ressemble, O perte de jeunesse! Ă l'Hyver froidureux. Tu n'es digne d'avoir les deux Jumeaux pour freres A leur gentille humeur les tiennes sont contraires, Venus t'est desplaisante, et son fils odieux. Au contraire, par eux la terre est toute pleine De Graces et d'Amour change ce nom d'Heleine Un autre plus cruel te convient beaucoup mieux. XLVIII Ny ta simplicitĂ©, ny ta bonne nature, Ny mesme ta vertu ne t'ont peu garentir, Que la Cour, ta nourrice, escole de mentir, N'ait depravĂ© tes moeurs d'une fausse imposture. Le Proverbe dit vray, Souvent la nourriture Corrompt le naturel tu me l'as fait sentir, Qui fraudant ton serment, m'avois au departir Promis de m'honorer de ta belle figure. Menteuse contre Amour, qui vengeur te poursuit, Tu as levĂ© ton camp pour t'enfuyr de nuict, Accompaignant ta Royne ĂÂŽ vaine couverture! Trompant pour la faveur ta promesse et ta foy. Comment pourroy-je avoir quelque faveur de toy, Quand tu ne veux souffrir que je t'aime en peinture? XLIX Ceste fleur de Vertu, pour qui cent mille larmes Je verse nuict et jour sans m'en pouvoir souler, Peut bien sa destinĂ©e Ă ce Grec egaler, A ce fils de Thetis, Ă l'autre fleur des armes. Le Ciel malin borna ses jours de peu de termes Il eut courte la vie ailee Ă s'en-aller Mais son nom, qui a fait tant de bouches parler, Luy sert contre la Mort de pilliers et de termes. Il eut pour sa prouĂsse un excellent sonneur Tu as pour tes vertuz en mes vers un honneur, Qui malgrĂ© le tombeau suivra ta renommee. Les Dames de ce temps n'envient ta beautĂ©, Mais ton nom tant de fois par les Muses chantĂ©, Qui languiroit d'oubly, si je ne t'eusse aimee. L Afin que ton honneur coule parmy la plaine Autant qu'il monte au Ciel engravĂ© dans un Pin, Invoquant tous les Dieux, et respandant du vin, Je consacre Ă ton nom ceste belle Fontaine. Pasteurs, que voz troupeaux frisez de blanche laine Ne paissent Ă ces bords y fleurisse le Thin, Et la fleur, dont le maistre eut si mauvais destin, Et soit dite Ă jamais la Fontaine d'Heleine. Le Passant en EstĂ© s'y puisse reposer, Et assis dessus l'herbe Ă l'ombre composer Mille chansons d'Heleine, et de moy luy souvienne. Quiconques en boira, qu'amoureux il devienne Et puisse, en la humant, une flame puiser Aussi chaude, qu'au coeur je sens chaude la mienne. LI Stances de la fontaine d'Helene Pour chanter ou rĂ©citer Ă trois personnes. Le premier. Ainsi que ceste au coule et s'enfuyt parmy l'herbe, Ainsi puisse couler en ceste eau le soucy, Que ma belle Maistresse, Ă mon mal trop superbe, Engrave dans mon coeur sans en avoir mercy. Le second. Ainsi que dans ceste eau de l'eau mesme je verse, Ainsi de veine en veine Amour, qui m'a blessĂ©, Et qui tout Ă la fois son carquois me renverse, Un bruvage amoureux dans le coeur m'a versĂ©. I Je voulois de ma peine esteindre la memoire Mais Amour, qui avoit en la fontaine beu, Y laissa son brandon, si bien qu'au lieu de boire De l'eau pour l'estancher, je n'ay beu que du feu. II Tantost ceste fontaine est froide comme glace, Et tantost elle jette une ardente liqueur. Deux contraires effects je sens, quand elle passe, Froide dedans ma bouche, et chaude dans mon coeur. I Vous qui refraischissez ces belles fleurs vermeilles, Petits freres ailez, Favones et Zephirs, Portez de ma Maistresse aux ingrates oreilles, En volant parmy l'air, quelcun de mes souspirs. II Vous enfans de l'Aurore, allez baiser ma Dame Dite luy que je meurs, contez luy ma douleur, Et qu'Amour me transforme en un rocher sans ame, Non comme il fit Narcisse en une belle fleur. I Grenouilles qui jasez quand l'an se renouvelle, Vous Gressets qui servez aux charmes, comme on dit, Criez en autre part vostre antique querelle Ce lieu sacrĂ© vous soit Ă jamais interdit. II Philomele en Avril ses plaintes y jargonne, Et tes bords sans chansons ne se puissent trouver L'Arondelle l'EstĂ©, le Ramier en Automne, Le Pinson en tout temps, la Gadille en Hyver. I Cesse tes pleurs, Hercule, et laisse ta Mysie, Tes pieds de trop courir sont ja foibles et las Icy les Nymphes ont leur demeure choisie, Icy sont tes Amours, icy est ton Hylas. II Que ne suis-je ravy comme l'enfant Argive? Pour revencher ma mort, je ne voudrois sinon Que le bord, le gravois, les herbes et la rive Fussent tousjours nommez d'Helene, et de mon nom! I Dryades, qui vivez sous les escorces sainctes, Venez, et tesmoignez combien de fois le jour Ay-je troublĂ© voz bois par le cry de mes plaintes, N'ayant autre plaisir qu'Ă souspirer d'Amour? II Echo, fille de l'Air, hostesse solitaire Des rochers, oĂÂč souvent tu me vois retirer, Dy quantes fois le jour lamentant ma misere, T'ay-je fait souspirer, en m'oyant souspirer? I Ny Cannes ny Roseaux ne bordent ton rivage, Mais le gay Poliot, des bergeres amy. Tousjours au chaut du jour le Dieu de ce bocage, AppuyĂ© sur sa fleute, y puisse estre endormy. II Fontaine, Ă tout jamais ta source soit pavee, Non de menus gravois, de mousses ny d'herbis, Mais bien de mainte Perle Ă bouillons enlevee, De Diamans, Saphirs, Turquoises et Rubis. I Le Pasteur en tes eaux nulle branche ne jette, Le Bouc de son ergot ne te puisse fouler Ains comme un beau Crystal, tousjours tranquille et nette, Puisses tu par les fleurs eternelle couler. II Les Nymphes de ces eaux et les Hamadryades, Que l'amoureux Satyre entre les bois poursuit, Se tenant main Ă main, de sauts et de gambades, Aux rayons du Croissant y dansent toute nuit. I Si j'estois un grand Prince, un superbe edifice Je voudrois te bastir, oĂÂč je ferois fumer Tous les ans Ă ta feste autels et sacrifice, Te nommant pour jamais la Fontaine d'aimer. II Il ne faut plus aller en la forest d'Ardeine Chercher l'eau, dont Regnaut estoit tant desireux Celuy qui boit Ă jeun trois fois ceste fonteine, Soit passant, ou voisin, il devient amoureux. I Lune qui as ta robbe en rayons estoillee, Garde ceste fontaine aux jours les plus ardans Defen la pour jamais de chaut et de gelee, Remply la de rosee, et te mire dedans. II Advienne apres mille ans, qu'un Pastoureau desgoise Mes amours; et qu'il conte aux Nymphes d'icy pres, Qu'un Vandomois mourut pour une Saintongeoise, Et qu'encor son esprit erre entre ces forests. Le tiers. Garsons, ne chantez plus ja Vesper nous commande De serrer noz troupeaux les Loups sont jĂ dehors. Demain Ă la frescheur avec une autre bande Nous reviendrons danser Ă l'entour de tes bords. Fontaine ce-pendant de ceste tasse pleine Reçoy ce vin sacrĂ© que je verse dans toy Sois dite pour jamais la Fontaine d'Heleine; Et conserve en tes eaux mes amours et ma foy. LII Il ne suffit de boire en l'eau que j'ay sacree A ceste belle Helene, afin d'estre amoreux Il faut aussi dormir dedans un autre ombreux, Qui a joignant sa rive en un mont son entree. Il faut d'un pied dispos danser dessus la pree, Et tourner par neuf fois autour d'un saule creux Il faut passer la planche, il faut faire des voeux Au bon Pere Germain qui garde la contree. Cela fait, quand un coeur seroit un froid glaçon, Il sentira le feu d'une estrange façon! Enflamer sa froideur. Croyez ceste escriture. Amour du rouge sang des Geans tout souillĂ©, Essuyant en ceste eau son beau corps despouillĂ©, Y laissa pour jamais ses feux et sa teinture. LIII Adieu, cruelle, adieu, je te suis ennuyeux C'est trop chantĂ© d'Amour sans nulle recompense. Te serve qui voudra, je m'en vay, et je pense Qu'un autre serviteur ne te servira mieux. Amour en quinze jours m'a fait ingenieux, Me jettant au cerveau de ces vers la semence La Raison maintenant me r'appelle, et me tense Je ne veux si long temps devenir furieux. Il ne faut plus nourrir cest Enfant qui me ronge, Qui les credules prend comme un poisson Ă l'hain, Une plaisante farce, une belle mensonge, Un plaisir pour cent maux qui s'en-vole soudain Mais il se faut resoudre; et tenir pour certain Que l'homme est malheureux, qui se repaist d'un songe. LIV Je m'enfuy du combat, ma bataille est desfaite J'ay perdu contre Amour la force et la raison Ja dix lustres passez, et ja mon poil grison M'appellent au logis, et sonnent la retraite. Si, comme je voulois, ta gloire n'est parfaite, N'en blasme point l'esprit, mais blasme la saison Je ne suis ny PĂÂąris, ny desloyal Jason J'obeĂÂŻs Ă la loy, que la Nature a faite. Entre l'aigre et le doux, l'esperance et la peur, Amour dedans ma forge a poly cest ouvrage. Je ne me plains du mal, du temps ny du labeur, Je me plains de moymesme et de ton fier courage. Tu t'en repentiras, si tu as un bon coeur, Mais le tard repentir ne guarist le dommage. LV Je chantois ces Sonets, amoureux d'une Heleine, En ce funeste mois que mon Prince mourut Son sceptre, tant fut grand, Charles ne secourut, Qu'il ne payast sa debte Ă la Nature humaine. La Mort fut d'une part, et l'Amour qui me meine, Estoit de l'autre part, dont le traict me ferut, Et si bien la poison par les veines courut, Que j'oubliay mon maistre, attaint d'une autre peine. Je senty dans le coeur deux diverses douleurs, La rigueur de ma Dame, et la tristesse enclose Du Roy, que j'adorois pour ses rares valeurs. La vivante et le mort tout malheur me propose L'une aime les regrets, et l'autre aime les pleurs Car l'Amour et la Mort n'est qu'une mesme chose. Les Amours diverses Quiconque a peint... Sonets I Quiconque a peint Amour, il fut ingenieux, Non le faisant enfant chargĂ© de traicts et d'ailes, Non luy chargeant les mains de flames eternelles, Mais bien d'un double crespe enveloppant ses yeux. Amour hait la clartĂ©, le jour m'est odieux J'ay, qui me sert de jour, mes propres estincelles, Sans qu'un Soleil jaloux de ses flames nouvelles S'amuse si long temps Ă tourner dans les cieux. Argus regne en EstĂ©, qui d'une oeillade espesse Espie l'amoureux parlant Ă sa maistresse Le jour est de l'Amour ennemy dangereux. Soleil, tu me desplais la nuict m'est bien meilleure Pren pitiĂ© de mon mal, cache toy de bonne heure Tu fus, comme je suis, autrefois amoureux. II Jamais Hector aux guerres n'estoit lĂÂąche Lors qu'il alloit combattre les Gregeois. Tousjours sa femme attachoit son harnois, Et sur l'armet luy plantoit son pennache. Il ne craignoit la Pelienne hache Du grand Achille, ayant deux ou trois fois BaisĂ© sa femme, et tenant en ses dois Quelque faveur de sa belle Andromache. Heureux cent fois toy Chevalier errant, Que ma Deesse alloit hier parant, Et qu'en armant baisoit, comme je pense. De sa vertu procede ton honneur Que pleust Ă Dieu, pour avoir ce bon-heur, Avoir changĂ© mes plumes Ă ta lance. III Il ne falloit, Maistresse, autres tablettes Pour vous graver, que celles de mon coeur, OĂÂč de sa main Amour nostre veinqueur Vous a gravee, et vos graces parfaites. LĂ voz vertus au vif y sont portraites, Et voz beautez causes de ma langueur, L'honnestetĂ©, la douceur, la rigueur, Et tous les biens et maux que vous me faites. LĂ voz cheveux, vostre oeil et vostre teint, Et vostre front s'y monstre si bien peint, Et vostre face y est si bien enclose, Que tout est plein il n'y a plus d'endroit Qui ne soit vostre et quand Amour voudroit, Il ne pourroit y graver autre chose. IV Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice Tout enrichy de marbre et de porphire, Qu'Amour bastit chasteau de son empire, OĂÂč tout le Ciel a mis son artifice, Est un rempart, un fort contre le vice, OĂÂč la Vertu maistresse se retire, Que l'oeil regarde, et que l'esprit admire, Forçant les coeurs Ă luy faire service. C'est un Chasteau feĂ© de telle sorte, Que nul ne peut approcher de la porte, Si des grands Rois il n'a tirĂ© sa race, Victorieux, vaillant et amoureux. Nul Chevalier, tant soit aventureux, Sans estre tel, ne peut gagner la place. V Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee, Son nom n'iroit, comme il fait, dans les cieux Les ennemis l'ont fait victorieux, Et des veincuz il prend sa renommee. Si de plusieurs je te voy bien-aimee, C'est mon trophee, et n'en suis envieux D'un tel honneur je deviens glorieux, Ayant choisy chose tant estimee. Ma jalousie est ma gloire de voir Mesmes Amour soumis Ă ton pouvoir. Mais s'il advient que de luy je me vange, Vous honorant d'un service constant, Jamais mon Roy par trois fois combatant N'eut tant d'honneur, que j'auray de louange. VI A mon retour hĂ©, je m'en desespere! Tu m'as receu d'un baiser tout glacĂ©, Froid, sans saveur, baiser d'un trespassĂ©, Tel que Diane en donnoit Ă son frere. Tel qu'une fille en donne Ă sa grand'mere, La fiancĂ©e en donne au fiancĂ©, Ny savoureux, ny moiteux, ny pressĂ©. Et quoy, ma lĂ©vre est-elle si amere? Ha, tu devrois imiter les pigeons, Qui bec en bec de baisers doux et longs Se font l'amour sur le haut d'une souche. Je te suppli', Maistresse, desormais Ou baise moy la saveur en la bouche, Ou bien du tout ne me baise jamais. VII A Phoebus Sois medecin, Phoebus, de la Maistresse Qui tient mon Prince en servage si doux Vole Ă son lict, et luy taste le poux Il faut qu'un Dieu guarisse une Deesse. Mets en effect ton mestier, et ne cesse De la panser, et luy donner secours, Ou autrement le regne des amours Sera perdu, si le mal ne la laisse. Ne souffre point, qu'une blesme langueur Ne son beau teint efface la vigueur, Ny de ses yeux oĂÂč l'Amour se repose. Exauce moy, ĂÂŽ Phoebus si tu veux, D'un mesme coup tu en guariras deux Elle et mon Duc n'est qu'une mesme chose. VIII Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison Pour soustenir le camp d'un si rude adversaire. Va, badine Raison, tu te laisses desfaire Dez le premier assaut on te meine en prison. Je veux, pour secourir mon chef demy-grison, Non la Philosophie ou les Loix au contraire Je veux ce deuxfois nay, ce Thebain, ce Bon-pere, Lequel me servira d'une contrepoison. Il ne faut qu'un mortel un immortel assaille. Mais si je prens un jour cest Indien pour moy, Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille, Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy. La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy. IX Cusin, monstre Ă double aile, au mufle Elephantin, Canal Ă tirer sang, qui voletant en presse Sifles d'un son aigu, ne picque ma Maistresse, Et la laisse dormir du soir jusqu'au matin. Si ton corps d'un atome, et ton nez de mastin Cherche tant Ă picquer la peau d'une Deesse, En lieu d'elle, Cusin, la mienne je te laisse Succe la, que mon sang te soit comme un butin. Cusin, je m'en desdy hume moy de la belle Le sang, et m'en apporte une goutte nouvelle Pour gouster quel il est. Ha, que le sort fatal Ne permet Ă mon corps de prendre ton essence! Repicquant ses beaux yeux, elle auroit cognoissance Qu'un rien qu'on ne voit pas, fait souvent un grand mal. X GenĂ©vres herissez, et vous Houx espineux, L'un hoste des deserts, et l'autre d'un bocage Lhierre, le tapis d'un bel antre sauvage, Sources qui bouillonnez d'un surgeon sablonneux, Pigeons qui vous baisez d'un baiser savoureux, Tourtres qui lamentez d'un eternel vefvage, Rossignols ramagers, qui d'un plaisant langage Nuict et jour rechantez vos versets amoureux Vous Ă la gorge rouge estrangere Arondelle, Si vous voyez aller ma Nymphe en ce Printemps Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle, Dites luy, pour-neant que sa grace j'attens, Et que pour ne souffrir le mal que j'ay pour elle, J'ay mieux aimĂ© mourir que languir si long temps. XI Cruelle, il suffisoit de m'avoir pouldroyĂ©, OutragĂ©, terrassĂ©, sans m'oster l'esperance. Tousjours du malheureux l'espoir est l'asseurance L'amant sans esperance est du tout fouldroyĂ©. L'espoir va soulageant l'homme demy-noyĂ© L'espoir au prisonnier annonce delivrance Le pauvre par l'espoir allege sa souffrance Rien meilleur que l'espoir du Ciel n'est envoyĂ©. Ny d'yeux, ny de semblant vous ne m'estes cruelle Mais par l'art cauteleux d'une voix qui me gelle, Vous m'ostez l'esperance, et desrobez mon jour. O belle cruautĂ©, des beautez la premiere, Qu'est-ce parler d'Amour, sans point faire l'amour, Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumiere? XII Tant de fois s'appointer, tant de fois se fascher, Tant de fois rompre ensemble, et puis se renouĂr, Tantost blasmer Amour, et tantost le louĂr, Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher, Tant de fois se monstrer, tant de fois se cacher, Tantost se mettre au joug, tantost le secouĂr, Advouer sa promesse, et la desadvouĂr, Sont signes que l'Amour de pres nous vient toucher. L'inconstance amoureuse est marque d'amitiĂ©. Si donc tout Ă la fois avoir haine et pitiĂ©, Jurer, se parjurer, sermens faicts et desfaicts, Esperer sans espoir, confort sans reconfort, Sont vrais signes d'amour, nous entr'aimons bien fort Car nous avons tousjours ou la guerre, ou la paix. XIII Quoy? me donner congĂ© d'embrasser chaque femme, Mon feu des-attizer au premier corps venu, Ainsi qu'un vagabond, sans estre retenu, Abandonner la bride au vouloir de ma flame Non, ce n'est pas aimer. L'Archer ne vous entame Qu'un peu le haut du coeur d'un traict foible et menu. Si d'un coup bien profond il vous estoit cognu, Ce ne seroit que soulfre et braise de vostre ame. En soupçon de vostre ombre en tous lieux vous seriez A toute heure, en tous temps, jalouse me suivriez, D'ardeur et de fureur et de crainte allumee. Amour au petit pas, non au gallop vous court, Et vostre amitiĂ© n'est qu'une flame de Court, OĂÂč peu de feu se trouve, et beaucoup de fumee. XIV Je t'avois despitee, et ja trois mois passez Se perdoient, Temps ingrat, que je ne t'avois veuĂ, Quand destournant sur moy les esclairs de ta veuĂ, Je senty la vertu de tes yeux offensez. Puis tout aussi soudain que les feux eslancez, Qui par le ciel obscur s'esclattent de la nue, Rasserenant l'ardeur de ta cholere esmeuĂ, Sou-riant tu rendis mes pechez effacez. J'estois vrayment un sot de te prier, Maistresse Des Dames je ne crains l'orage vengeresse. En libertĂ© tu vis, en libertĂ© je vy. Dieu peut avec raison mettre son oeuvre en pouldre, Mais je ne suis ton oeuvre, ou sujet de ta fouldre Tu m'as tres-mal payĂ© pour avoir bien servy. XV Puis qu'elle est tout hyver, toute la mesme glace, Toute neige, et son coeur tout armĂ© de glaçons, Qui ne m'aime sinon pour avoir mes chansons, Pourquoy suis-je si fol que je ne m'en delace? Dequoy me sert son nom, sa grandeur et sa race, Que d'honneste servage, et de belles prisons? Maistresse, je n'ay pas les cheveux si grisons, Qu'une autre de bon coeur ne prenne vostre place. Amour, qui est enfant, ne cele veritĂ©. Vous n'estes si superbe, ou si riche en beautĂ©, Qu'il faille desdaigner un bon coeur qui vous aime. R'entrer en mon Avril desormais je ne puis Aimez moy, s'il vous plaist, grison comme je suis, Et je vous aimeray quand vous serez de mesme. XVI Sommeillant sur ta face, oĂÂč l'honneur se repose, Tout ravy je humois et tirois Ă longs traicts De ton estomac sainct un millier de secrets, Par qui le Ciel en moy ses mysteres expose. J'appris en tes vertus n'avoir la bouche close J'appris tous les secrets des Latins et des Grecs Tu me fis un Oracle et m'esveillant apres Je devins un Demon sçavant en tout chose. J'appris que c'est Amour, du Ciel le fils aisnĂ©. O bon Endymion, je ne suis estonnĂ©, Si dormant sur la Lune en un sommeil extrĂÂȘme La Lune te fist Dieu! Tu es un froid amy. Si j'avois pres ma Dame un quart d'heure dormy, Je serois, non pas Dieu je serois les Dieux mesme. XVII Je liay d'un filet de soye cramoisie Vostre bras l'autre jour, parlant avecques vous Mais le bras seulement fut captif de mes nouds, Sans vous pouvoir lier ny coeur ny fantaisie. BeautĂ©, que pour maistresse unique j'ay choisie, Le sort est inegal vous triomphez de nous. Vous me tenez esclave esprit, bras, et genous, Et Amour ne vous tient ny prinse ny saisie. Je veux parler, Maistresse, Ă quelque vieil sorcier, A fin qu'il puisse au mien vostre vouloir lier, Et qu'une mesme playe Ă noz coeurs soit semblable. Je faux l'amour qu'on charme, est de peu de sejour. Estre beau, jeune, riche, eloquent, agreable, Non les vers enchantez, sont les sorciers d'Amour. XVIII D'un profond pensement j'avois si fort troublee L'imagination, qui toute en vous estoit, Que mon ame Ă tous coups de mes lĂ©vres sortoit, Pour estre, en me laissant, Ă la vostre assemblee. J'ay cent fois la fuitive Ă l'hostel r'appellee, Qu'Amour me desbauchoit ores elle escoutoit Et ores sans m'ouyr le frein elle emportoit, Comme un jeune Poulain qui court Ă la vollee. La tançant, je disois, Tu te vas decevant. Si elle nous aimoit, nous aurions plus souvent Course, poste, message, et lettre accoustumĂ©e. Elle a de noz chansons, et non de nous soucy. Mon ame, sois plus fine il nous faut tout ainsi Qu'elle nous paist de vent, la paistre de fumee. XIX Aller en marchandises aux Indes precieuses, Sans acheter ny or ny parfum ny joyaux Hanter, sans avoir soif, les sources et les eaux Frequenter sans bouquets les fleurs delicieuses, Courtiser et chercher les Dames amoureuses, Estre tousjours assise au milieu des plus beaux, Et ne sentir d'Amour ny fleches ny flambeaux, Ma Dame, croyez moy, sont choses monstrueuses. C'est se tromper soymesme aussi tousjours j'ay creu Qu'on pouvoit s'eschaufer en s'approchant du feu, Et qu'en prenant la glace et la neige on se gelle. Puis il est impossible, estant si jeune et belle, Que vostre coeur gentil d'Amour ne soit esmeu, Sinon d'un grand brasier, au moins d'une estincelle. XX Comme je regardois ces yeux mais ceste fouldre Dont l'esclat amoureux ne part jamais en vain, Sa blanche, charitable et delicate main Me parfuma le chef et la barbe de pouldre. Pouldre, l'honneur de Cypre, actuelle Ă resouldre L'ulcere qui s'encharne au plus creux de mon sein, Depuis telle faveur j'ay senty mon coeur sain, Ma playe se reprendre, et mon mal se dissouldre. Pouldre, Atomes sacrez qui sur moy voletoient, OĂÂč toute Cypre, l'Inde, et leurs parfums estoient, Je vous sens dedans l'ame. O Pouldre souhaitee, En parfumant mon chef vous avez combatu Ma douleur et mon coeur je faux, c'est la vertu De ceste belle main qui vous avoit jettee. XXI Le mois d'Augst bouillonnoit d'une chaleur esprise, Quand j'allay voir ma Dame assise aupres du feu Son habit estoit gris, duquel je me despleu, La voyant toute palle en une robbe grise. Que plaignez vous, disoy-je, en une chaire assise? - Je tremble, et la chaleur reschaufer ne m'a peu Tout le corps me fait mal, et vivre je n'ay peu Saine depuis six ans, tant l'ennuy me tient prise. Si l'EstĂ©, la jeunesse, et le chaut n'ont pouvoir D'eschaufer vostre sang, comment pourroy-je voir Sortir un feu d'une ame en glace convertie? Mais, Corps, ayant soucy de me voir en esmoy, Serois-tu point malade en langueur comme moy, Tirant Ă toy mon mal par une sympathie? XXII Ma Dame beut Ă moy puis me baillant sa tasse Buvez, dit-ell', ce reste oĂÂč mon coeur j'ay versĂ© Et alors le vaisseau des lĂ©vres je pressay, Qui comme un Batelier son coeur dans le mien passe. Mon sang renouvellĂ© tant de forces amasse Par la vertu du vin qu'elle m'avoit laissĂ©, Que trop chargĂ© d'esprits et de coeurs, je pensay Mourir dessous le fais, tant mon ame estoit lasse. Ah, Dieux, qui pourroit vivre avec telle beautĂ©, Qui tient tousjours Amour en son vase arrestĂ©! Je ne devois en boire, et m'en donne le blĂÂąme. Ce vase me lia tous les Sens dĂ©s le jour Que je beu de son vin, mais plus tost une flame, Mais plus tost un venin qui m'en-yvra d'amour. XXIII J'avois estĂ© saignĂ© ma Dame me vint voir Lors que je languissois d'une humeur froide et lente. Se tournant vers mon sang, comme toute riante, Me dist en se jouant, Que vostre sang est noir! Le trop penser en vous a peu si bien mouvoir L'imagination, que l'ame obeyssante A laissĂ© la chaleur naturelle impuissante De cuire, de nourrir, de faire son devoir. Ne soyez plus si belle, et devenez Medee Colorez d'un beau sang ma face ja ridĂ©e, Et d'un nouveau printemps faites moy r'animer. Aeson vit rajeunir son escorce ancienne. Nul charme ne sçauroit renouveller la mienne Si je veux rajeunir, il ne faut plus aimer. XXIV Si la beautĂ© se perd, fais-en part de bonne heure, Tandis qu'en son printemps tu la vois fleuronner Si elle ne se perd, ne crain point de donner A tes amis le bien qui tousjours te demeure. Venus, tu devrois estre en mon endroit meilleure, Et non dedans ton camp ainsi m'abandonner Tu me laisses toymesme esclave emprisonner Es mains d'une cruelle, oĂÂč il faut que je meure. Tu as changĂ© mon aise et mon doux en amer. Que devoy-je esperer de toy, germe de mer, Sinon toute tempeste? et de toy, qui es femme De Vulcan, que du feu? de toy, garse de Mars, Que couteaux, qui sans cesse environnent mon ame D'orages amoureux, de flames et de dars? XXV Amour, seul artisan de mes propres malheurs, Contre qui sans repos au combat je m'essaye, M'a fait dedans le coeur une mauvaise playe, Laquelle en lieu de sang ne verse que des pleurs. Le meschant m'a fait pis, chosissant les meilleurs De ses traits ja trempez aux veines de mon faye La langue m'a navree, Ă fin que je begaye En lieu de raconter Ă chacun mes douleurs. Phoebus, qui sur Parnasse aux Muses sers de guide, Pren l'arc, revenge moy contre cest homicide J'ay la langue et le coeur percez de part en part. Voy comme l'un et l'autre en sanglotant me saigne. Phoebus; dĂ©s le berceau j'ay suivy ton enseigne Le Capitaine doit defendre son soudart. XXVI Cythere entroit au bain, et te voyant pres d'elle, Son Ceste elle te baille Ă fin de le garder. Ceinte de tant d'amours, tu me vins regarder, Me tirant de tes yeux une fleche cruelle. Muses, je suis navrĂ© ou ma playe mortelle Guarissez, ou cessez de plus me commander. Je ne suy vostre escole, Ă fin de demander Qui fait la Lune vieille, ou qui la fait nouvelle. Je ne vous fais la Cour, comme un homme ocieux, Pour apprendre de vous le mouvement des cieux, Que peut la grande Eclipse, ou que peut la petite, Ou si Fortune ou Dieu ont fait cest Univers Si je ne puis flatter ma Dame par mes vers; Cherchez autre escolier, Deesses, je vous quitte. XXVII J'ay honte de ma honte, il est temps de me taire, Sans faire l'amoureux en un chef si grison Il vaut mieux obeyr aux loix de la Raison, Qu'estre plus desormais en l'amour volontaire. Je l'ay jurĂ© cent fois mais je ne le puis faire. Les Roses pour l'Hyver ne sont plus de saison Voicy le cinquiesme an de ma longue prison, Esclave entre les mains d'une belle Corsaire. Maintenant je veux estre importun amoureux Du bon pere Aristote, et d'un soin genereux Courtiser et servir la beautĂ© de sa fille. Il est temps que je sois de l'Amour desliĂ© Il vole comme un Dieu homme je vais Ă piĂ©. Il est jeune, il est fort je suis gris et debile. XXVIII Maintenant que l'Hyver de vagues empoullees Orgueillist les Torrens, et que le vent qui fuit, Fait ores esclatter les rives d'un grand bruit, Et ores des forests les testes Ă©fueillees Je voudrois voir d'Amour les deux ailes gelees, Voir ses traicts tous gelez, desquels il me poursuit, Et son brandon gelĂ©, dont la chaleur me cuit Les veines, que sa flame a tant de fois bruslees. L'Hyver est tousjours fait d'un gros air espessy Pour le Soleil absent, ny chaut ny esclaircy Et mon ardeur se fait des rayons d'une face, Laquelle me nourrit d'imagination. Tousjours dedans le sang j'en ay l'impression, Qui force de l'Hyver les neiges et la glace. XXIX Chacun me dit, Ronsard, ta Maistresse n'est telle Comme tu la descris. Certes je n'en sçay rien Je suis devenu fol, mon esprit n'est plus mien, Je ne puis discerner la laide de la belle. Ceux qui ont en amour et prudence et cervelle, Poursuivant les beautez, ne peuvent aimer bien. Le vray amant est fol, et ne peut estre sien, S'il est vray que l'amour une fureur s'appelle. Souhaiter la beautĂ©, que chacun veult avoir, Ce n'est humeur de sot, mais d'homme de sçavoir, Qui prudent et rusĂ© cherche la belle chose. Je ne sçaurois juger, tant la fureur me suit Je suis aveugle et fol un jour m'est une nuict, Et la fleur d'un Chardon m'est une belle Rose. XXX Au milieu de la guerre, en un siecle sans foy, Entre mille procez, est-ce pas grand folie D'escrire de l'Amour? De manotes on lie Des fols, qui ne sont pas si furieux que moy. Grison et maladif r'entrer dessous la loy D'Amour, ĂÂŽ quelle erreur! Dieux, mercy je vous crie. Tu ne m'es plus Amour, tu m'es une Furie, Qui me rends fol, enfant, et sans yeux comme toy Voir perdre mon pays, proye des adversaires, Voir en noz estendars les fleurs de liz contraires, Voir une ThebaĂÂŻde, et faire l'amoureux. Je m'en vais au Palais adieu vieilles Sorcieres. Muses, je prens mon sac, je seray plus heureux En gaignant mes procez, qu'en suivant voz rivieres. XXXI Le Juge m'a trompĂ© ma Maistresse m'enserre Si fort en sa prison, que j'en suis tout transi La guerre est Ă mon huis. Pour charmer mon souci, Page, verse sans fin du vin dedans mon verre. Au vent aille l'Amour, le procez et la guerre, Et la melancholie au sang froid et noirci Adieu rides, adieu, je ne vy plus ainsi Vivre sans voluptĂ© c'est vivre sous la terre. La Nature nous donne assez d'autres malheurs Sans nous en acquerir. Nud je vins en ce monde, Et nud je m'en iray. Que me servent les pleurs, Sinon de m'attrister d'une angoisse profonde? Chasson avec le vin le soin et les malheurs Je combats les souciz, quand le vin me seconde. XXXII ElĂ©gie Un long voyage ou un courroux, ma Dame, Ou le temps seul pourront m'oster de l'ame La sotte ardeur qui vient de vostre feu, Puis qu'autrement mes amis ne l'ont peu, M'admonestant d'un conseil salutaire, Que je cognois, et que je ne puis faire. Car tant je suis par mes sens empeschĂ©, Qu'en m'excusant j'approuve mon pechĂ©. Et si quelqu'un de mes parens m'accuse, Incontinent d'une subtile ruse Par long propos je desguise le tort, Pour pardonner Ă l'autheur de ma mort, Voulant menteur aux autres faire croire Que mon diffame est cause de ma gloire. Bien que l'esprit resiste Ă mon vouloir, Tout bon conseil je mets Ă nonchaloir, Par le penser m'encharnant un ulcere Au fond du coeur que plus je delibere Guarir, ou rendre autrement adoucy, Plus son aigreur sepaist de mon soucy. Quand de despit Ă -par-moy je souspire, Cent fois le jour ma raison me vient dire, Que d'un discours sagement balancĂ© Je remedie au coup qui m'a blessĂ©. Heureux celuy qui ses peines oublie! Va-t-en trois ans courir par l'Italie Ainsi pourras de ton col deslier. Ce meschant mal qui te tient prisonnier. Autres citez, autres villes et fleuves, Autres desseins, autres volontez neuves, Autre contree, autre air et autres cieux D'un seul regard t'esblouyront les yeux, Et te feront sortir de la pensee Plustost que vent, celle qui t'a blessee. Car comme un clou par l'autre est repoussĂ©, L'amour par l'autre est soudain effacĂ©. Tu es semblable Ă ceux qui dans un Antre Ont leur maison, oĂÂč point le Soleil n'entre. Eux regardans en si obscur sejour Tant seulement un seul moment de jour, Pensent qu'une heure est le Soleil, et croyent Que tout le jour est ceste heure qu'ils voyent. Incontinent que leur coeur genereux Les fait sortir hors du sejour ombreux, En contemplant du Soleil la lumiere, Ils ont horreur de leur prison premiere. Le bon OrphĂ©e en l'antique saison Alla sur mer bien loin de sa maison Pour effacer le regret de sa femme, Et son chemin aneantit sa flame. Quand le Soleil s'abaissoit et levoit, Tousjours pleurant et criant le trouvoit Dessous un roc, couchĂ© contre la terre, OĂÂč ses pensers lui faisoient une guerre Et ressembloit non un corps animĂ©, Ains un rocher en homme transformĂ©. Mais aussi tost qu'il laissa sa contree, Autre amour neuve en son coeur est entree, Et se guarit en changeant de pays. Pour Eurydice il aima CalaĂÂŻs, Empoisonnant tout son coeur de la peste De ces enfant je me tairay du reste De membre Ă membre il en fut dĂ©tranchĂ© "Sans chastiment ne s'enfuit le pechĂ©. XXXII Trois jours sont ja passez, que je sui affamĂ© De vostre doux regard, et qu'Ă l'enfant je semble Que sa nourrice laisse, et qui crie et qui tremble De faim en son berceau, dont il est consommĂ©. Puisque mon oeil ne voit le vostre tant aimĂ©, Qui ma vie et ma mort en un regard assemble, Vous deviez pour le moins m'escrire, ce me semble Mais vous avez le coeur d'un rocher enfermĂ©. Fiere, ingrate beautĂ© trop hautement superbe, Vostre courage dur n'a pitiĂ© de l'amour, Ny de mon palle teint ja flestry comme une herbe. Si je suis, sans vous voir, deux heures Ă sĂ©jour, Par espreuve je sens ce qu'on dit en proverbe, L'amoureux qui attend, se vieillist en un jour; XXXIV Prenant congĂ© de vous, dont les yeux m'ont dontĂ©, Vous me distes un soir comme passionnee, Je vous aime, Ronsard, par seule destinee, Le Ciel Ă vous aimer force ma volontĂ©. Ce n'est vostre sçavoir, ce n'est vostre beautĂ© Ny vostre ĂÂąge qui fuit vers l'Automne inclinee Ce n'est ny vostre corps, ny vostre ame bien-nee, C'est seulement du Ciel l'injuste cruautĂ©. Vous voyant, ma Raison ne s'est pas defenduĂ. Vous puisse-je oublier comme chose perduĂ. Helas! je ne sçaurois, et si le voudrois bien. Le voulant, je rencontre une force au contraire. Puisqu'on dit que le Ciel est cause de tout bien, Je n'y veux resister, il le faut laisser faire. XXXV Quand je pense Ă ce jour, oĂÂč pres d'une fonteine Dans le jardin royal savourant ta douceur, Amour te descouvrit les segrets de mon coeur, Et de combien de maux j'avois mon ame pleine Je me pasme de joye, et sens de veine en veine Couler ce souvenir, qui me donne vigueur, M'aguise le penser, me chasse la langueur, Pour esperer un jour un fin Ă ma peine. Mes sens de toutes parts se trouverent contens, Mes yeux en regardant la fleur de ton Printems, L'oreille en t'escoutant et sans ceste compagne, Qui tousjours noz props tranchoit par le milieu, D'aise au ciel je volois, et me faisois un Dieu Mais tousjours le plaisir de douleur s'accompagne. XXXVI Quand l'EstĂ© dans ton lict tu te couches malade, Couverte d'un linseul de roses tout semĂ©, Amour d'arc, et de trousse et de fleches armĂ©, CachĂ© sous ton chevet, se tient en embuscade. Personne ne te voit, qui d'une couleur fade Ne retourne au logis ou malade ou pĂÂąmĂ© Qu'il ne sente d'amour tout son coeur entamĂ©, Ou ne soit esblouy des rais de ton oeillade. C'est un plaisir de voir tes cheveux arrangez Sous un scofion peint d'une soye diverse Voir deçà , voir delĂ tes membres allongez, Et ta main, qui le lict nonchalante traverse, Et ta voix qui me charme, et ma raison renverse Si fort, que tous mes sens en deviennent changez. XXXVII D'autant que l'arrogance est pire que l'humblesse, Que les pompes et fards sont tousjours desplaisans, Que les riches habits d'artifice pesans Ne sont jamais si beaux que la pure simplesse D'autant que l'innocente et peu caute jeunesse D'une vierge vaut mieux en la fleur de ses ans, Qu'une Dame espousĂ©e abondante en enfans D'autant j'aime ma vierge humble et jeune maistresse. J'aime un bouton vermeil entre-esclos au matin, Non la Rose du soir, qui au Soleil se lĂÂąche J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleury J'aime une jeune bouche, un baiser enfantin Encore non souillĂ© d'une rude moustache, Et qui n'a point senty le poil blanc d'un mary. XXXVIII Ma peine me contente, et prens en patiance La douleur que je sens, puis qu'il vous plaist ainsi, Et que daignez avoir souci de mon souci, Et prendre par mon mal du vostre experiance. Je nourriray mon feu d'une douce esperance, Puis que vostre desdain vers moy s'est adouci. Pour resister au mal mon coeur s'est endurci Tant la force d'amour me donne d'asseurance. Aussi quand je voudrois, je ne pourrois celer Le feu, dont vos beaux yeux me forcent de brusler. Je suis soulfre et salpestre, et vous n'estes que glace. De parole et d'escrit je monstre ma langueur La passion du coeur m'apparoist sur la face. La face ne ment point c'est le mirouĂr du coeur. XXXIX Vous triomphez de moy, et pource je vous donne Ce lhierre, qui coule et se glisse Ă l'entour Des arbres et des murs, lesquels tour dessus tour, Plis dessus plis il serre, embrasse et environne. A vous de ce lhierre appartient la Couronne. Je voudrois, comme il fait, et de nuict et de jour Me plier contre vous, et languissant d'amour, D'un noeud ferme enlasser vostre belle colonne. Ne viendra point le temps, que dessous les rameaux, Au matin oĂÂč l'Aurore esveille toutes choses, En un ciel bien tranquille, au caquet des oiseaux Je vous puisse baiser Ă lĂ©vres demy-closes, Et vous conter mon mal, et de mes bras jumeaux Embrasser Ă souhait vostre yvoire et vos roses? XL Voyez comme tout change hĂ©, qui l'eust esperĂ©! Vous me souliez donner, maintenant je vous donne Des bouquets et des fleurs amour vous abandonne, Qui seul dedans mon coeur est ferme demeurĂ©. Des Dames le vouloir n'est jamais mesurĂ©, Qui d'une extrĂÂȘme ardeur tantost se passionne, Tantost une froideur extrĂÂȘme l'environne, Sans avoir un milieu longuement asseurĂ©. VoilĂ comme Fortune en se jouant m'abaisse. Vostre plus grande gloire un temps fut de m'aimer Maintenant je vous aime, et languis de tristesse, Et me voy sans raison de douleur consumer. Dieu pour punir l'orgueil commet une DĂ©esse Vous la cognoissez bien, je n'ose la nommer. XLI Je suis pour vostre amour diversement malade Maintenant plein de froid, maintenant de chaleur Dedans le coeur pour vous autant j'ay de douleur, Comme il y a de grains dedans ceste Grenade. Yeux qui fistes sur moy la premiere embuscade, Des-attisez ma flame, et desseichez mes pleurs Je faux, vous ne pourriez car le mal, dont je meurs, Est si grand, qu'il ne peut se guarir d'une oeillade. Ma Dame, croyez moy, je trespasse pour vous Je n'ay artere, nerf, tendon, veine ny pous, Qui ne sente d'Amour la fiĂ©vre continue. L'Amour Ă la Grenade en symbole estoit joint Ses grains en ont encore la force retenue, Que de signe et d'effect vous ne cognoissez point. XLII Ma Dame, je me meurs abandonnĂ© d'espoir La playe est jusqu'Ă l'oz je ne suis celuy mesme Que j'estois l'autre jour, tant la douleur extrĂÂȘme Forçant la patience, a dessus moy pouvoir. Je ne puis ny toucher, gouster, n'ouyr ny voir J'ay perdu tous mes sens, je suis une ombre blesme Mon corps n'est qu'un tombeau. Malheureux est qui aime, Malheureux qui se laisse Ă l'Amour decevoir! Devenez un Achille aux playes qu'avez faites, Un Telefe je suis, lequel s'en va perir Monstrez moy par pitiĂ© voz puissances parfaites, Et d'un remede prompt daignez moy secourir. Si vostre serviteur, cruelle, vous desfaites, Vous n'aurez le Laurier pour l'avoir fait mourir. XLIII Voyant par les soudars ma maison saccagee, Et tout mon pays estre image de la mort, Pensant en ta beautĂ©, tu estois mon support, Et soudain ma tristesse en joye estoit changee. Resolu je disois, Fortune s'est vangee, Elle emporte mon bien, et non mon reconfort. HĂ , que je suis trompĂ©! tu me fais plus de tort Que n'eust fait une armee en bataille rangee. Les soudars m'ont pillĂ©, tu as ravy mon coeur Tu es plus grand voleur, j'en demande justice Tu es plus digne qu'eux de cruelle rigueur. Tu saccages ma vie en te faisant service Encores te mocquant tu braves ma langueur, Qui me fait plus de mal, que ne fait ta malice. XLIV Vous estes le bouquet de vostre bouquet mesme, Et la fleur de sa fleur, sa grace et sa verdeur. De vostre douce haleine il a pris son odeur Il est, comme je suis, de vostre amour tout blĂÂȘme. Ma Dame, voyez donc, puisqu'un bouquet vous aime, Indigne de juger que peut vostre valeur, Combien doy-je sentir en l'ame de douleur, Qui sers par jugement vostre excellence extrĂÂȘme? Mais ainsi qu'un bouquet se flestrist en un jour, J'ay peur qu'un mesme jour flestrisse vostre amour. Toute amitiĂ© de femme est soudain effacee. Advienne le destin comme il pourra venir, Il ne peut de voz yeux m'oster le souvenir Il faudroit m'arracher le coeur et la pensee. XLV Amour, je ne me plains de l'orgueil endurcy, Ny de la cruautĂ© de ma jeune Lucresse, Ny comme sans secours languir elle me laisse Je me plains de sa main et de son godmicy. C'est un gros instrument qui se fait pres d'icy, Dont chaste elle corrompt toute nuict sa jeunesse Voila contre l'Amour sa prudente finesse, Voila comme elle trompe un amoureux soucy. Aussi pour recompense une haleine puante, Une glaire espessie entre les draps gluante, Un oeil have et battu, un teint palle et desfait, Monstrent qu'un faux plaisir toute nuict la possede. Il vaut mieux estre Phryne et LaĂÂŻs tout Ă fait, Que se feindre Portie avec un tel remede. XLVI Amour, je pren congĂ© de ta menteuse escole OĂÂč j'ay perdu l'esprit, la raison et le sens, OĂÂč je me suis trompĂ©, oĂÂč j'ay gastĂ© mes ans, OĂÂč j'ay mal employĂ© ma jeunesse trop folle. Malheureux qui se fie en un enfant qui volle, Qui a l'esprit soudain, les effects inconstans, Qui moissonne noz fleurs avant nostre printens, Qui nous paist de creance et d'un songe frivole. Jeunesse l'alaicta, le sang chaut le nourrit, Cuider l'ensorcela, paresse le pourrit, Tout enflĂ© de desseins, de vents et de fumees. Cassandre me ravit, Marie me tint pris Ja grison Ă la Cour d'une autre je m'espris. Si elles m'ont aimĂ©, je les ay bien aimees. XLVII Doux cheveux, doux present de ma douce Maistresse, Doux liens qui liez ma douce libertĂ©, Doux filets, oĂÂč je suis doucement arrestĂ©, Qui pourriez adoucir d'un Scythe la rudesse Cheveux, vous ressemblez Ă ceux de la Princesse, Qui eurent pour leur grace un Astre meritĂ© Cheveux dignes d'un Temple et d'immortalitĂ©, Et d'estre consacrez Ă Venus la DĂ©esse. Je ne cesse, cheveux, pour mon mal appaiser, De vous voir et toucher, baiser et rebaiser, Vous perfumer de musc, d'ambre gris et de bĂÂąme, Et de voz noeuds crespez tout le col m'enserrer, Afin que prisonnier je vous puisse asseurer Que les liens du col sont les liens de l'ame. XLVIII Je vous donne des oeufs. L'oeuf en sa forme ronde Semble au Ciel, qui peut tout en ses bras enfermer, Le feu, l'air et la terre, et l'humeur de la mer, Et sans estre comprins comprend tout en ce monde. La taye semble Ă l'air, et la glere feconde Semble Ă la mer qui fait toutes choses germer L'aubin ressemble au feu qui peut tout animer, La coque en pesanteur comme la terre abonde. Et le Ciel et les oeufs de blancheur sont couvers. Je vous donne en donnant un oeuf tout l'Univers Divin est le present, s'il vous est agreable. Mais bien qu'il soit parfait, il ne peut egaler Vostre perfection qui n'a point de semblable, Dont les Dieux seulement sont dignes de parler. XLIX Est-ce le bien que tu me rends, d'avoir Prins dessous moy ta docte nourriture, Ingrat disciple, et d'estrange nature? Pour mon loyer me viens-tu decevoir? Tu me devois garder Ă ton pouvoir De n'avaller l'amoureuse pasture, Et tu m'as fait souz douce couverture Dedans le coeur la poison recevoir. Tu me parlas le premier de ma Dame Tu mis premier le soulfre dans ma flame, Et le premier en prison tu m'as mis. Je suis veincu, que veux-tu que je face, Puis que celuy qui doit garder la place, Du premier coup la rend aux ennemis? L Voeu Ă Venus, pour garder Cypre de l'armĂ©e du Turc. Belle DĂ©esse, amoureuse Cyprine, Mere du Jeu, des Graces et d'Amour, Qui fais sortir tout ce qui vit, au jour, Comme du Tout le germe et la racine Idalienne, Amathonte, Erycine, Garde du ciel Cypre ton beau sejour Baise ton Mars, et tes bras Ă l'entour De son col plie, et serre sa poitrine. Ne permets point qu'un barbare Seigneur Perde ton isle et souille ton honneur De ton berceau chasse autre-part la guerre. Tu le feras, car d'un trait de tes yeux Tu peux flechir les hommes et les Dieux, Le Ciel, la Mer, les Enfers et la Terre. LI Je faisois ces Sonets en l'antre Pieride, Quand on vit les François sous les armes suer, Quand on vit tout le peuple en fureur se ruer, Quand Belonne sanglante alloit devant pour guide Quand en lieu de la Loy le vice, l'homicide, L'impudence, le meurtre, et se sçavoir muer En Glauque et en ProthĂ©e, et l'Estat remuer, Estoient tiltres d'honneur, nouvelle ThebaĂÂŻde. Pour tromper les soucis d'un temps si vicieux, J'escrivois en ces vers ma complainte inutille. Mars aussi bien qu'Amour de larmes est joyeux. L'autre guerre est cruelle, et la mienne est gentille La mienne finiroit par un combat de deux, Et l'autre ne pourroit par un camp de cent mille. Les oeuvres de P. de Ronsard gentil-homme Vandomois 1584 Six ans estoient I Elegie [A HĂ©lĂšne] Six ans estoient coulez, et la septiesme annee Estoit presques entiere en ses pas retournee, Quand loin d'affection, de desir et d'amour, En pure libertĂ© je passois tout le jour, Et franc de tout soucy qui les ames devore, Je dormois dĂ©s le soir jusqu'au point de l'aurore. Car seul maistre de moy j'allois plein de loisir, OĂÂč le pied me portoit, conduit de mon desir, Ayant tousjours Ă©s mains pour me servir de guide Aristote ou Platon, ou le docte Euripide, Mes bons hostes muets, qui ne faschent jamais Ainsi que je les prens, ainsi je les remais. O douce compagnie et utile et honneste! Un autre en caquetant m'estourdiroit la teste. Puis du livre ennuyĂ©, je regardois les fleurs, Fueilles tiges rameaux especes et couleurs, Et l'entrecoupement de leurs formes diverses, Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses, Ne me pouvant saouler, ainsi qu'en un tableau, D'admirer la Nature, et ce qu'elle a de beau Et de dire en parlant aux fleurettes escloses, Celuy est presque Dieu qui cognoist toutes choses, EsloignĂ© du vulgaire, et loin des courtizans, De fraude et de malice impudens artizans. Tantost j'errois seulet par les forests sauvages Sur les bords enjonchez des peinturez rivages, Tantost par les rochers reculez et deserts, Tantost par les taillis, verte maison des cerfs. J'aimois le cours suivy d'une longue riviere, Et voir onde sur onde allonger sa carriere, Et flot Ă l'autre flot en roulant s'attacher, Et pendu sur le bord me plaisoit d'y pescher, Estant plus resjouy d'une chasse muette Troubler des escaillez la demeure secrette, Tirer avecq' la ligne en tremblant emportĂ© Le credule poisson prins Ă l'haim apastĂ©, Qu'un grand Prince n'est aise ayant prins Ă la chasse Un cerf qu'en haletant tout un jour il pourchasse. Heureux, si vous eussiez d'un mutuel esmoy Prins l'apast amoureux aussi bien comme moy, Que tout seul j'avallay, quand par trop desireuse Mon ame en vos yeux beut la poison amoureuse. Puis alors que Vesper vient embrunir nos yeux, AttachĂ© dans le ciel je contemple les cieux, En qui Dieu nous escrit en notes non obscures Les sorts et les destins de toutes creatures. Car luy, en desdaignant comme font les humains D'avoir encre et papier et plume entre les mains, Par les astres du ciel qui sont ses characteres, Les choses nous predit et bonnes et contraires Mais les hommes chargez de terre et du trespas Mesprisent tel escrit, et ne le lisent pas. Or le plus de mon bien pour decevoir ma peine, C'est de boire Ă longs traits les eaux de la fontaine Qui de vostre beau nom se brave, et en courant Par les prez vos honneurs va tousjours murmurant, Et la Royne se dit des eaux de la contree Tant vault le gentil soin d'une Muse sacree, Qui peult vaincre la mort, et les sorts inconstans, Sinon pour tout jamais, au moins pour un long temps. LĂ couchĂ© dessus l'herbe en mes discours je pense Que pour aimer beaucoup j'ay peu de recompense, Et que mettre son coeur aux Dames si avant, C'est vouloir peindre en l'onde, et arrester le vent M'asseurant toutefois qu'alors que le vieil ĂÂąge Aura comme un sorcier changĂ© vostre visage, Et lors que vos cheveux deviendront argentez, Et que vos yeux, d'amour ne seront plus hantez, Que tousjours vous aurez, si quelque soin vous touche, En l'esprit mes escrits, mon nom en vostre bouche. Maintenant que voicy l'an septiĂ©me venir, Ne pensez plus Helene en vos laqs me tenir. La raison m'en delivre, et vostre rigueur dure, Puis il fault que mon age obeysse Ă Nature. Les Amours diverses JĂ du prochain... I A trĂšs vertueux Seigneur N. de Neufville, seigneur de Villeroy, Secretaire d'Estat de sa MajestĂ©. JĂ du prochain hyver je prevoy la tempeste, JĂ cinquante et six ans ont neigĂ© sur ma teste, Il est temps de laisser les vers et les amours, Et de prendre congĂ© du plus beau de mes jours. J'ay vescu Villeroy si bien que nulle envie En partant je ne porte aux plaisirs de la vie, Je les ay tous goustez, et me les suis permis Autant que la raison me les rendoit amis, Sur l'eschaffaut mondain joĂÂŒant mon personnage D'un habit convenable au temps et Ă mon ĂÂąge. J'ay veu lever le jour, j'ay veu coucher le soir, J'ay veu greller, tonner, esclairer et pluvoir, J'ay veu peuples et Rois, et depuis vingt annees J'ay veu presque la France au bout de ses journees, J'ay veu guerres debats, tantost trĂ©ves et paix, Tantost accords promis, redefais et refais, Puis defais et refais. J'ay veu que sous la Lune Tout n'estoit que hazard, et pendoit de fortune. Pour neant la prudence est guide des humains L'invincible destin luy enchesne les mains, La tenant prisonniere, et tout ce qu'on propose Sagement la fortune autrement en dispose. Je m'en vais seul du monde ainsi qu'un conviĂ© S'en va soul du banquet de quelque mariĂ©, Ou du festin d'un Roy sans renfrogner la face, Si un autre apres luy se met dedans sa place. J'ay couru mon flambeau sans me donner esmoy, Le baillant Ă quelcun s'il recourt apres moy Il ne fault s'en fascher, c'est la Loy de nature, OĂÂč s'engage en naissant chacune creature. Mais avant que partir je me veux transformer Et mon corps fantastiq' de plumes enfermer, Un oeil sous chaque plume, et veux avoir en bouche Cent langues en parlant puis d'oĂÂč le jour se couche, Et d'oĂÂč l'Aurore naist Deesse aux belles mains, Devenu Renommee, annoncer aux humains, Que l'honneur de ce siecle aux Astres ne s'en-volle, Pour avoir veu sous luy la navire Espaignolle Descouvrir l'Amerique, et fait voir en ce temps Des hommes dont les coeurs Ă la peine constans, Ont veu l'autre Neptune inconneu de nos voiles, Et son pole marquĂ© de quatre grands estoiles Ont veu diverses gens, et par mille dangers Sont retournez chargez de lingots estrangers. Mais de t'avoir veu naistre, ame noble et divine, Qui d'un coeur genereux loges en ta poitrine Les errantes vertus, que tu veux soulager En cet ĂÂąge oĂÂč chacun refuse Ă les loger En ceste saison dis-je en vices monstrueuse, OĂÂč la mer des malheurs d'une onde impetueuse Sur nous s'est dĂ©bordee, oĂÂč vivans avons veu Le mal que nos ayeux n'eussent pensĂ© ny creu. En ce temps la Comete en l'air est ordinaire, En ce temps on a veu le double luminaire Du ciel en un mesme an s'eclipser par deux fois Nous avons veu mourir en jeunesse nos Rois, Et la peste infectee en nos murs enfermee Le peuple moissonner d'une main affamee. Qui pis est, ces Devins qui contemplent les tours Des Astres, et du Ciel l'influance et le cours, Predisent qu'en quatre ans Saturne estant le guide Nous voirrons tout ce monde une campaigne vuide Le peuple carnassier la Noblesse tuer, Et des Princes l'estat s'alterer et muer Comme si Dieu vouloit nous punir en son ire, Faire un autre Chaos, et son oeuvre destruire Par le fer, par la peste, et embrazer le sein De l'air, pour Ă©touffer le pauvre genre humain. Toutefois en cet ĂÂąge, en ce siecle de boĂÂŒe, OĂÂč de toutes vertus la Fortune se joĂÂŒe, Sa divine clemence ayant de nous soucy, T'a fait ĂÂŽ Villeroy, naistre en ce monde icy Entre les vanitez, la paresse et le vice, Et les seditions qui n'ont soin de justice, Entre les nouveautez, entre les courtizans De fraude et de mensonge impudens artizans, Entre le cry du peuple et ses plaintes funebres, Afin que ta splendeur esclairast aux tenebres, Et ta vertu parust par ce siecle eshontĂ©, Comme un Soleil sans nue au plus clair de l'EstĂ©. Je diray d'avantage Ă la tourbe amassee, Que tu as ta jeunesse au service passee Des Rois, qui t'ont choisi, ayant eu ce bon-heur D'estre employĂ© par eux aux affaires d'honneur, Soit pour flechir le peuple, ou soit pour faire entendre Aux Princes qu'il ne faut Ă ton maistre se prendre, Par ta peine illustrant ta maison et ton nom. Ainsi qu'au camp des Grecs le grand Agamemnon Envoyoit par honneur en Ambassade Ulysse, Qui faisant Ă son Prince et au peuple service, Soymesme s'honoroit et les rendoit contens, EstimĂ© le plus sage et facond de son temps. Il fut, comme tu es, amoureux de sa charge, Dont le Roy se despouille et sur toy se descharge Car tu n'as point en l'ame un plus ardent desir Que faire ton estat, seul but de ton plaisir, Te tuant pour ta charge en la fleur de ton ĂÂąge, Tant la vertu active eschauffe ton courage. Je diray sans mentir, encores que tu sois Hautement eslevĂ© par les honneurs François, Tu ne dedaignes point d'un haussebec de teste, Ny d'un sourcy hagard des petits la requeste, Reverant sagement la fortune, qui peult Nous hausser et baisser tout ainsi qu'elle veut. Mais comme departant ta faveur et ta peine A tous egalement, tu sembles la fonteine, Qu'un riche citoyen par la soif irritĂ© Faict Ă larges canaux venir en sa citĂ©, Laquelle verse apres sans difference aucune A grands et Ă petits ses eaux pour la commune. Puis je veux devaller soubs la terre lĂ -bas OĂÂč commande Pluton, la Nuict et le trespas Et lĂ me pourmenant soubs les ombres Myrtines, Chercher ton Morvillier et tes deux AusbĂ©pines, Deux morts en leur vieillesse, et l'autre Ă qui la main De la Parque trop tost trancha le fil humain, Tous trois grands ornemens de nostre Republique. Puis ayant saluĂ© ceste bande HeroĂÂŻque, Dont les fronts sont tousjours de Lauriers revestus, Je leur diray comment tu ensuis leurs vertus, Et comme apres leur mort ton ame genereuse Ne voulut endurer que leur tumbe poudreuse Demeurast sans honneur, faisant faire Ă tous trois Des Epitaphes Grecs et Latins et François, Gage de ton amour Ă fin que la memoire De ces trois demy-dieux Ă jamais fust notoire, Et que le temps subtil Ă couler et passer, Par siecles infinis ne la peust effacer. Ces trois nobles esprits oyans telle nouvelle, Danseront un Pean dessus l'herbe nouvelle, Et en frappant des mains feront un joyeux bruit, Dequoy sans fourvoyer, Villeroy les ensuit. Or comme un endebtĂ©, de qui proche est le terme De payer Ă son maistre ou l'usure, ou la ferme, Et n'ayant ny argent ny biens pour secourir Sa misere au besoin, desire de mourir Ainsi ton obligĂ© ne pouvant satisfaire Aux biens que je te doibs, le jour ne me peult plaire Presque Ă regret je vy, et Ă regret je voy Les rayons du Soleil s'estendre dessus moy. Pource je porte en l'ame une amere tristesse, Dequoy mon pied s'avance aux fauxbourgs de vieillesse Et voy quelque moyen que je puisse essayer Qu'il faut que je dĂ©loge avant que te payer, S'il ne te plaist d'ouvrir le ressort de mon coffre, Et prendre ce papier que pour acquit je t'offre, Et ma plume qui peut, escrivant veritĂ©, Tesmoigner ta louange Ă la posteritĂ©. Reçoy donc mon present, s'il te plaist, et le garde En ta belle maison de Conflant, qui regarde Paris, sejour des Rois, dont le front spacieux Ne voit rien de pareil sous la voĂ»te des Cieux Attendant qu'Apollon m'eschauffe le courage De chanter tes jardins, ton clos, et ton bocage, Ton bel air, ta riviere et les champs d'alentour Qui sont toute l'annĂ©e eschauffez d'un beau jour, Ta forest d'orangers, dont la perruque verte De cheveux eternels en tout temps est couverte, Et tousjours son fruit d'or de ses fueilles defend, Comme une mere fait de ses bras son enfant. Prens ce Livre pour gage, et luy fais, je te prie, Ouvrir en ma faveur ta belle Librairie, OĂÂč logent sans parler tant d'hostes estrangers Car il sent aussi bon que font tes orangers. II A luy-mesme Encor que vous soyez tout seul vostre lumiere, Je vous donne du feu, non pas feu proprement, Mais matiere qui peut s'allumer promptement, La Cire, des liqueurs en clairtĂ© la premiere. Secondant tous les soirs vostre charge ordinaire, Elle sera tesmoin que delicatement Vous ne passez les nuicts, mais que soigneusement Vous veillez jusqu'au poinct que le jour vous esclaire. Circe tenoit tousjours des Cedres allumez Pour ses flambeaux de nuict vos yeux accoutumez A veiller, pour du Cedre auront ceste Bougie. Recevez, Villeroy, de bon coeur ce present, Qui ja se resjouist, et bien-heureux se sent De perdre, en vous servant, sa matiere et sa vie. Les oeuvres de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1587 Vous ruisseaux... I Vous ruisseaux, vous rochers, vous antres solitaires, Vous chesnes, heritiers du silence des bois, Entendez les souspirs de ma derniere vois, Et de mon testament soyez presents notaires. Soyez de mon mal-heur fideles secretaires, Gravez le en vostre escorce, afin que tous les mois Il croisse comme vous ce pendant je m'en vois LĂ bas privĂ© de sens, de veines, et d'arteres. Je meurs pour la rigueur d'une fiere beautĂ©, Qui vit sans foy, sans loy, amour ne loyautĂ©, Qui me succe le sang comme un Tygre sauvage. Adieu forests adieu! adieu le verd sejour De vos arbres, heureux pour ne cognoistre Amour Ny sa mere qui tourne en fureur le plus sage. II Dialogue de l'autheur et du Mondain Est-ce tant que la Mort est-ce grand mal'heur Que le vulgaire croit? Comme l'heure premiere Nous faict naistre sans peine, ainsi l'heure derniere Qui acheve la trame, arrive sans douleur. Mais tu ne seras plus? Et puis quand la paleur Qui blesmit nostre corps sans chaleur ne lumiere Nous perd le sentiment! quand la main filandiere Nous oste le desir perdans nostre chaleur! Tu ne mangeras plus? Je n'auray plus envie De boire ne manger, c'est le corps qui sa vie Par la viande allonge, et par refection L'esprit n'en a besoin. Venus qui nous appelle Aux plaisirs te fuira? Je n'auray soucy d'elle. Qui ne desire plus, n'a plus d'affection. Les oeuvres de Pierre de Ronsard Gentilhomme Vandosmois 1609 Maistresse, embrasse moy... Sonets de feu P. de Ronsard pour Heleine de Surgeres, non encor imprimez. [I] Maistresse, embrasse moy, baize moy, serre moy, Haleine contre haleine, Ă©chauffe moy la vie, Mille et mille baizers donne moy je te prie, Amour veut tout sans nombre, amour n'a point de loy. Baize et rebaize moy; belle bouche pourquoy. Te gardes tu lĂ bas, quand tu seras blesmie, A baiser de Pluton ou la femme ou l'amie, N'ayant plus ny couleur, ny rien semblable Ă toy? En vivant presse moy de tes levres de roses, Begaye, en me baisant, Ă levres demy-closes Mille mots trançonnez, mourant entre mes bras. Je mourray dans les tiens, puis, toy resuscitee, Je resusciteray, allons ainsi lĂ bas, Le jour tant soit il court vaut mieux que la nuitee. [II] La mere des amours j'honore dans les Cieux Pour avoir trois beautez, trois Graces avec elle, Mais tu as une laide et sotte Damoyselle, Qui te fait deshonneur, le change vaudroit mieux. Jamais le chef d'Argus, fenestrĂ© de cent yeux, Ne garda si soigneux l'Inachide pucelle, Que sa rude paupiere, Ă veiller eternelle, Te regarde, t'espie et te suit en tous lieux. Je ne suis pas un dieu pour me changer en pluye Dessoubs un cygne blanc mes flames je n'estuye, C'estoient de Jupiter les jeus malicieux. Je prens de tes beaux yeux ma pasture et ma vie, Pourquoy de tes regards me portes tu envie? On voit sur les autels les images des Dieux. [III] J'ay reçeu vos Cyprez, et vos Orangers verds, Le Cyprez est ma mort, l'oranger signifie Ou Phebus me deçoit qu'apres ma courte vie Une gentille odeur sortira de mes vers. Recevez ces pavots que le somme a couvers D'un oubly Stygien. Il est temps que j'oublie L'amour qui sans profit depuis six ans me lie, Sans alenter la corde ou descloĂÂŒer mes fers. Pour plaisir, en passant, d'une lettre bien grosse Les quatre vers suyvans engrave sur ma fosse, Une Espagnolle prist un Tudesque en ses mains Ainsi le sot Hercule estoit captif d'Iole, La finesse appartient Ă la race Espagnolle, Et la simple Nature appartient aux Germains. [IV] Mon Page, Dieu te gard, que fait nostre Maistresse? Tu m'apportes tousjours ou mon mal ou mon bien Quand je te voy je tremble, et je ne suis plus mien, Tantost chaud d'un espoir, tantost froid de tristesse. ĂâĄa baille moy la lettre, et pourtant ne me laisse, Contemple bien mon front par qui tu pourras bien Cognoistre en le fronçant ou defronçant, combien La lettre me contente ou donne de detresse. Mon page que ne suis-je aussi riche qu'un Roy, Je feroy de porphyre un beau temple pour toy, Tu serois tout semblable Ă ce Dieu des voyages Je peindrois une table oĂÂč l'on verroit pourtraits Nos sermens, nos accords, nos guerres et nos paix, Nos lettres, nos devis, tes tours et tes messages. [V] Quand au commencement j'admirĂ© ton merite, Tu vivois Ă la Court sans louange et sans bruit Maintenant un renom par la France te suit, Egallant en grandeur la Royalle Hypolite. Liberal j'envoyay les Muses Ă ta suite, Je fis loin de ton chef evanoĂÂŒir la nuit, Je fis flamber ton nom comme un astre qui luit, J'ay dans l'azur du Ciel ta loĂÂŒange dĂ©crite. Je n'en suis pas marry, toutefois je me deux, Que tu ne m'aymes pas, qu'ingrate tu ne veux Me payer que de ris, de lettres et d'oeillades. Mon labeur ne se paye en semblables façons, Les autres pour parade ont cinq ou six chansons, Au front de quelque livre, et toy des Iliades. [VI] L'Enfant contre lequel ny targue ny salade Ne pourroient resister, d'un trait plein de rigueur M'avoit de telle sorte ulcerĂ© tout le coeur Et brulĂ© tout le sang que j'en devins malade. J'avoy dedans le lict un teint jaunement fade, Quand celle qui pouvoit me remettre en vigueur, Ayant quelque pitiĂ© de ma triste langueur, Me vint voir, guarissant mon mal de son oeillade. Encores aujourd'huy les miracles se font Les Sainctes et les Saincts les mesmes forces ont Qu'aux bons siecles passez, car si tost que ma Sainte Renversa la vertu de ses rayons luisans. Sur moy qui languissois, ma fievre fut esteinte, Un mortel medecin ne l'eust fait en dix ans. [VII] Je n'ayme point les Juifs, ils ont mis en la croix Ce Christ, ce Messias qui nos pechez efface, Des Prophetes occis ensanglantĂ© la place, MurmurĂ© contre Dieu qui leur donna les loix. Fils de Vespasian, grand Tite tu devois, Destruisant leur CitĂ©, en destruire la race, Sans leur donner ny temps, ny moment ny espace De chercher autre part autres divers endroits. Jamais Leon Hebrieu des Juifs n'eust prins naissance, Leon Hebrieu, qui donne aux Dames cognoissance D'un amour fabuleux, la mesme fiction Faux trompeur, mensonger, plein de fraude et d'astuce Je croy qu'en luy coupant la peau de son prepuce On luy coupa le coeur et toute affection. [VIII] Je trespassois d'amour assis aupres de toy, Cherchant tous les moyens de voir ma flame esteinte; Accorde, ce disoy-je, Ă la fin ma complainte, Si tu as quelque soin de mon mal et de moy. Ce n'est ce me dis-tu le remors de la loy Qui me fait t'econduire, ou la honte, ou la crainte, Ny la frayeur des Dieux, ou telle autre contrainte, C'est qu'en tes passetemps plaisir je ne reçoy. D'une extreme froideur tout mon corps se compose, Je n'ayme point Venus, j'abhorre telle chose, Et les presens d'Amour me sont une poison Puis je ne le veus pas. O subtile deffaite! Ainsi parlent les Roys, defaillant la raison, Il me plaist, je le veux, ma volontĂ© soit faite.
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Jaimerais jouer de la musique et chanter pour les Poitevins. Le « premier espoir » d'Hani est de rapatrier ses enfants et son « grand espoir » de retourner en Syrie.
Clair-Obscur Le ciel est dâun bleu intense avec des nuages anthracites le traversant Ă vive allure. Devant le chalet, une petite fontaine en bois mĂȘle sa voix limpide au murmure du torrent qui transporte de joyeux et scintillants grelots. Voix dâun temps Ă©ternel, elle fait couler la vie avec grĂące, chuintement angĂ©lique traversant le temps et lâespace. Cette eau est une force inĂ©puisable qui tressaille sous la terre, un souffle liquide sâexhalant dâune poitrine palpitante. Parfois, elle sâinterrompt dans un sanglot mais reprend trĂšs vite son Ă©coulement, faisant circuler lâallĂ©gresse au cĆur de toutes les fleurs dâalpage. Chant de la vie. Bruissement du temps, de la nature et des hommes. Sur cette terre, des lieux rayonnent et rendent heureux. Dâautres sont bien plus sombres. Les rumeurs avaient traversĂ© tout lâespace, se glissant imperceptiblement au fond des mers, des marais, des prairies et des montagnes, chargĂ©es de relents nausĂ©abonds. Vent de haine faisant plier les roseaux graciles et vaciller les arbres les plus charpentĂ©s, elles tourmentaient le cĆur des hommes. SĂ©parant les familles, dĂ©cimant des villages entiers, ce souffle destructeur sâest chargĂ© peu Ă peu de milliers de larmes de dĂ©sespoir. Les fleuves, les riviĂšres et les fontaines de la vie ont alors cessĂ© leur musique pour laisser place Ă ces flots de souffrance. Ce jour-lĂ , le ciel est bas et de lourds nuages balayent lâhorizon. Le visiteur franchit le cĆur serrĂ© un lourd portique mĂ©tallique chargĂ© de symboles. Devant se dresse une immense cour, dĂ©limitĂ©e par quelques baraquements dâun gris passĂ©. A lâintĂ©rieur de lâun dâentre eux, il plonge alors dans une horreur encore perceptible sur chaque pan de mur et derriĂšre chaque porte Ă©paisse sâouvrant sur de minuscules cellules. Pendant plusieurs heures, dĂ©ambulant dans ce temps passĂ© pourtant si prĂ©sent, le cĆur saigne devant tous les tĂ©moignages, photos dâĂ©poque et explications historiques. Une tristesse triture ses entrailles et les larmes sâĂ©chappent. A plusieurs reprises, il doit respirer profondĂ©ment et faire un effort afin de se souvenir du doux pĂ©piement des mĂ©sanges graciles et de la beautĂ© des montagnes. Quittant enfin ce dĂ©dale infernal, ses poumons aspirent un air vif pourtant bien incapable dâeffacer cette sensation dâintense Ă©touffement. Et il poursuit en silence ce pĂšlerinage de mĂ©moire dans cette grande allĂ©e bordĂ©e de hauts peupliers, se balançant doucement dans la brise. De chaque cĂŽtĂ© de ce chemin dorment des pierres marquĂ©es de numĂ©ros. Il fut un temps oĂč sâentassaient lĂ des hommes, des femmes et des enfants. Aujourdâhui, le sol nu transpire leur souffrance et leur dĂ©sespoir. Cette allĂ©e centrale servait de lieu de rencontre dans un espace qui voulait pourtant annihiler toute dimension humaine. Pourtant, dans les photos dâarchives dĂ©diĂ©es Ă cette longue avenue, le visiteur dĂ©cĂšle avec Ă©tonnement quelques visages souriants, lueurs dâespoir dans cette marĂ©e de douleur et de bestialitĂ©. Et câest Ă ce moment prĂ©cis que sonne la cloche imperturbable du souvenir, comme tous les jours Ă quinze heures. Cette sonnerie grave, Ă©grenant chaque nom des disparus, emporte bien haut dans le ciel lâespoir de la vie, le poussant Ă irradier les quatre coins de lâunivers. RĂ©sonne alors Ă ses oreilles le doux pĂ©tillement de la fontaine de la vie quâil croyait Ă jamais tarie le temps de cette commĂ©moration, et au loin, les fleurs murmurent leur danse dans les prĂ©s verdoyants. Les liens dâamour ne se dĂ©font pas avec la mort, mĂȘme si la folie humaine de certains a voulu prouver le contraire. Ils sâentremĂȘlent diffĂ©remment et mystĂ©rieusement. Et surgissent des instants de grĂące, suspendus, oĂč la prĂ©sence des disparus, comme un vent, comme un baiser, vient doucement nous caresser, le temps dâun soupir apaisĂ©, dâune lourde cloche qui sonne et du chant de lâespoir que quelques oiseaux psalmodient dans les peupliers. DĂ©dĂ© © Septembre 2017
Lesarchives par sujet : arrangement musical. 12 3 4 5 Suivant Apéro Concert : Saravah duo samba décalé(es) Figeac 46100 Le 26/08/2022 Saravah est un duo réunissant Elaine Lopes et Anne-Sophie Cabrillat autour de leur identité culturelle et musicale.
Strophe 1a 1. En JĂ©sus seul est mon espoir, Lui, ma lumiĂšre, ma force, mon chant, Pierre angulaire, solide rempart, MĂȘme quand l'orage devient 1b Oh, quel amour ! Oh quelle paix ! Les luttes cessent, la peur se tait. Mon rĂ©confort, mon plus grand bien, Dans l'amour du Christ, je me 2a 2. En JĂ©sus seul, Dieu s'est fait chair Dans un enfant. Oh ! quel mystĂšre ! Ce don d'amour, de saintetĂ©, HaĂŻ par ceux qu'il vint 2b Jusqu'Ă la croix, il s'est livrĂ©, Sur lui la colĂšre est tombĂ©e. Tous mes pĂ©chĂ©s, il les a pris ; Par la mort de JĂ©sus, je 3a 3. LĂ , dans la tombe, il reposait, LumiĂšre vaincue par les tĂ©nĂšbres. Quel jour glorieux ! Il apparaĂźt, D'entre les morts il se 3b Et sur ma vie, par sa victoire, Le pĂ©chĂ© perd tout son pouvoir. Il est Ă moi, je suis Ă lui, RachetĂ© par le sang du 4a 4. Je vis en paix, je meurs sans crainte, GardĂ© par la puissance du Christ. Du premier cri au dernier souffle, JĂ©sus est maĂźtre de ma 4b Les plans des hommes ou du malin Ne peuvent m'arracher de sa main Et, qu'il revienne ou me rappelle, Par la force du Christ je de Stuart Townend et Keith GettyJEM1004. En JĂ©sus seul© 2001 Kingsway's Thankyou Music/LTC
Ăcouterce morceau| Ajouter ce morceau Ă mon blog. Titre : Mon chant d'espoir. ⌠AnnĂ©e : 2010; Paroles : » Simba qui se meurt dans la nuit. Sa fille qui pleure entre mes griffes. Son dernier soupire dans le noir. C'est mon chant d'espoir. « 0. Commenter # PostĂ© le samedi 08 mai 2010 10:30. ModifiĂ© le samedi 08 mai 2010 10:50. Amis 0; Tweet;
[Zira]Dors mon gentil envole-toi !Un jour quand tu seras grand,Tu deviendras Roi ![Kovu]Bonne nuit ![Zira]Bonne nuit, mon petit Prince ...Demain commence ton entraĂźnement intensif !Il m'a chassĂ©e, persĂ©cutĂ©e,AbandonnĂ©e sans dĂ©fenseQuand je pense Ă ce qu'il m'a fait,J'ai quelques impatiences !Mais je caresse un si beau rĂȘveQue mon cœur n'est pas trop lourdSongeant que son rĂšgne s'achĂšveJe fais pattes de qui se meurt dans la nuit,Sa fille qui pleure entre mes griffes,Son dernier soupir dans le noir,C'est mon chant d'espoir !Pourtant, j'ai tentĂ© d'oublier,J'aurais pu lui pardonner,Mais l'ennui,Je sais, c'est petit,Je ne supporte pas qu'il vive ![Nuka]Alors, c'est toi qui t'es choisiePour chasser Simba d'ici[Zira]La bataille sera sans pitiĂ©,Mais ce travail-lĂ me mĂ©lodie des grognements,Le contrepoint des hurlements,La symphonie du grand dĂ©part,C'est mon chant d'espoir !Scar s'en vaMais Zira est bien lĂ ,Pour aimer ce petit cœur,Jusqu'Ă ce qu'il devienne un tueurEt prenne goĂ»t Ă l'horreur[Nuka]Dors, toi, vilain termite !Je veux dire "gentil petit chat" ...[Vitani]Un jour quand tu seras grand ...[Zira]... tu deviendras Roi !Ăcoute les tambours de guerre,Les rugissements de Kovu[Nuka]La soif de vengeance,[Vitani]Sois tĂ©moin ...[Zira]Oui, j'entends les bravos ![Nuka et Vitani]Kovu, le hĂ©ros ![Zira]Je vois notre Ă©tendardDans un ciel de cauchemarsRougi par ma victoire,C'est mon chant d'espoir !Vos votes pour le Top 50 1 vote
ReadChapitre 20 from the story Mon chant d'espoir by FionaStemp with 476 reads. amour, tomhiddleston, trahison. Je me réveille encore engourdie de la veille
On se plaĂźt souvent Ă croire Ă tort que lâesclavagisme est chose du passĂ©. Or, bien que Betty Bonifassi ait puisĂ© son inspiration dans des archives datant du dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle, la chanteuse nous rappelle que Chants dâesclaves, chants dâespoir traite avant tout dâun sujet qui est toujours dâactualitĂ©. Il y a encore de lâesclavage aujourdâhui. Et plus la crise Ă©conomique se creuse, plus il y en aura. Regardez ce qui se passe en France. Ils ont dĂ©cidĂ© dâenlever les charges Ă tous les patrons qui vont engager des gens au salaire minimum. Câest fini. Ăa, ça veut dire quoi? Ăa veut dire que les gens vont ĂȘtre rĂ©duits Ă une forme dâesclavage. Et câest ça que je sens et câest pour ça que jâai voulu faire ce projet. Je sens quâil y a un retour de la prise de pouvoir sur lâhumain comme main-dâĆuvre et non comme humain.» Aux dires de Bonifassi, lâidĂ©e de rendre hommage Ă ces chants mijotait depuis belle lurette dans son esprit. En effet, câest alors quâelle est ĂągĂ©e de 17 ans que la chanteuse fait la dĂ©couverte de la bande dessinĂ©e Les passagers du vent de François Bourgeon, un rĂ©cit historique traitant de lâesclavagisme. Betty Bonifassi entreprendra alors une longue cueillette dâinformations pour ensuite donner vie au projet Chants dâesclaves, chants dâespoir. Quand jâai commencĂ© Ă dĂ©couvrir cet univers-lĂ , il nây avait pas Internet. Il nây avait pas cette possibilitĂ© dâaller sur YouTube et de dĂ©couvrir des trucs. Au dĂ©part, jâai donc dĂ» faire un dĂ©placement Ă Boston au Smithsonian pour aller Ă©couter des trucs lĂ -bas et lire des affaires. Et ensuite, vive Internet. Aussi, en 1997, les enregistrements de chants dâesclaves dâAlan Lomax sont sortis en format CD. Ă partir de tout ça, jâai commencĂ© Ă faire des dĂ©couvertes incroyables et jâai pu faire mon choix de chansons.» DĂ©jĂ Ă lâĂ©poque oĂč Bonifassi prĂȘtait sa voix Ă Champion, celle-ci intĂ©grait des influences provenant des chants dâesclaves. Toutefois, avec son nouveau projet, ce sera davantage la musique actuelle qui sâintĂ©grera Ă ces chants. Pour ce faire, lâinterprĂšte sâest entourĂ©e dâune Ă©quipe de choc en collaborant notamment avec le rĂ©alisateur et musicien Jean-François Lemieux. Le dĂ©fi demeure cependant de taille, car en offrant une relecture de ces chants, il faut aussi tenir compte de ce souci constant de ne pas dĂ©naturer pour autant les Ćuvres originales. En fait, il y a un exercice de style quant aux textes qui est assez gros dans ce projet. Câest-Ă -dire que je ne peux pas les chanter dans la forme dans laquelle ils existent, sinon je vais finir par nâĂȘtre quâun sampling vivant. Ce que jâai dĂ©couvert dans ma recherche linguistique, câest que tous ces chants-lĂ , câĂ©tait une façon de se parler entre eux avec des langages secrets et des dialectes pour se raconter leur vie et continuer Ă mener une existence sociale. Donc moi, il a fallu que je trouve des histoires et que je recrĂ©e une forme populaire de chansons du type couplet-refrain-couplet-refrain. Câest un gros travail de ramener tout ça Ă aujourdâhui tout en faisant en sorte que ça reste un hommage Ă ces gens-lĂ .» Lâalbum Chants dâesclaves, chants dâespoir devrait ĂȘtre offert au tout dĂ©but de lâautomne 2014. On retrouvera essentiellement le noyau dur de ce disque lors du concert du 25 avril au Théùtre Petit Champlain, mais selon Bonifassi, il ne sâagira pas dâun spectacle figĂ© dans le temps. Câest un show qui va tranquillement disparaĂźtre et renaĂźtre de ses cendres autrement. Donc ce sera intĂ©ressant dây assister afin de voir lâapproche faite par Jean-François, qui est assez "rentre-dedans". Ăa va sâaltĂ©rer, mais dans le bon sens du terme. Je voulais ces chansons trĂšs festives, et bien que ça ne changera pas drastiquement, il y a plusieurs piĂšces qui vont peut-ĂȘtre devenir autre chose.» Enfin, outre Chants dâesclaves, chants dâespoir, de nombreux projets semblent dĂ©jĂ se profiler Ă lâhorizon pour Betty Bonifassi. Celle-ci Ă©crit prĂ©sentement pour dâautres artistes et garde confiance en lâavenir, et ce, malgrĂ© une industrie quâelle qualifie de plus en plus difficile. Maintenant, gageons que la chanteuse a tout le talent pour se libĂ©rer de ces chaĂźnes. Vendredi 25 avril Ă 21h au Théùtre Petit Champlain
Cest mon espoir, c'est ma victoire Ce que j'ai eu, je l'ai voulu, gagnĂ©, perdu, rien ne va plus C'est ma vengeance, mon espĂ©rance Aucune passion ne me guette de l'Hudson Ă la croisette D'AlĂ©sia jusqu'Ă la fin de la ligne de Sceaux Mais tous les jours, pouvoir te voir mĂȘme dans le noir, c'est mon espoir
[ZIRA, parlĂ©]Chut, mon tout petitTu dois certainement ĂȘtre extĂ©nuĂ©chantĂ©Dors mon gentil KovuRĂȘve, envole-toiUn jour quand tu seras grandTu deviendras roi !Il m'a chassĂ©e, persĂ©cutĂ©eAbandonnĂ©e sans dĂ©fenseQuand je pense Ă ce qu'il m'a faitJ'ai quelques impatiencesMais je caresse un si beau rĂȘveQue mon cĆur n'est pas trop lourdSongeant que son rĂšgne s'achĂšveJe fais pattes de veloursSimba qui se meurt dans la nuitSa fille qui pleure entre mes griffesSon dernier soupir dans le noirC'est mon chant d'espoir !Pourtant, j'ai tentĂ© d'oublierJ'aurais pu lui pardonnerMais l'ennui, je sais, c'est petitJe ne supporte pas qu'il vive[NUKA]Alors, c'est toi qui t'es choisiePour chasser Simba d'ici[ZIRA]La bataille sera sans pitiĂ©Mais ce travail lĂ me plaĂźtLa mĂ©lodie des grognementsLe contrepoint des hurlementsLa symphonie du grand dĂ©partC'est mon chant d'espoir !Scar s'en va, mais Zira est bien lĂ Pour aimer ce petit cĆurJusqu'Ă ce qu'il devienne un tueurEt prenne goĂ»t Ă l'horreur ![NUKA]Dors, toi, vilain termiteJe veux dire, gentil petit chat[VITANI]Un jour quand tu seras grand[ZIRA]Tu deviendras roiĂcoute les tambours de guerre !Les rugissements de Kovu ![NUKA]La soif de vengeance ![VITANI]Sois tĂ©moin ![ZIRA]Oui, j'entends les bravos[NUKA & VITANI]Kovu, le hĂ©ros ![ZIRA]Je vois notre Ă©tendardDans un ciel de cauchemarsRougi par ma victoireC'est mon chant d'espoir !How to Format LyricsType out all lyrics, even repeating song parts like the chorusLyrics should be broken down into individual linesUse section headers above different song parts like [Verse], [Chorus], italics lyric and bold lyric to distinguish between different vocalists in the same song partIf you donât understand a lyric, use [?]To learn more, check out our transcription guide or visit our transcribers forum
Toutl'amour qu'il a pour moi. Entendre le son de sa voix. Par ta grùce je me tiens en ta présence. Je veux rester prÚs de toi. C'est auprÚs de Dieu Que je veux me tenir. Il est mon Seigneur, mon Roi. C'est auprÚs de Dieu Que je peux ressentir, Tout l'amour qu'il a pour moi.
DIAPO-HT-DE-PAGE-RESSOURCESDIAPO-HT-DE-PAGE-RESSOURCESDIAPO-HT-DE-PAGE-RESSOURCES DĂ©tails Mis Ă jour 6 avril 2021 Affichages 747 La RĂ©surrection de Lazare dâaprĂšs RembrandtVincent van Gogh 1853-1890Oil on canvasMusĂ©e Van Gogh, Amsterdam JĂ©sus lui dit Je suis la rĂ©surrection et la vie celui qui croit en moi, mĂȘme sâil meurt, vivra. Jean 11/25 ESPOIR La seule chose qui nâait pas de solution, câest la mort » avait lâhabitude de dire ma mĂšre. Avec ces mots, elle essayait de me donner de lâespoir pour comprendre les problĂšmes auxquels je faisais face et qui semblaient ne pas avoir de solution. Mais que faites-vous quand les circonstances de la vie sont aussi extraordinairement nĂ©gatives et dĂ©finitives que la mort? Le grand orateur romain, CicĂ©ron a dit que tant quâil y a de la vie, il y de lâespoir. Mais que faites-vous quand il nây a pas de vie? Ce nâest pas seulement une question dâĂȘtre optimiste lorsque le monde sâĂ©croule autour de nous. Ce nâest pas simplement dâessayer de conserver une attitude positive envers les problĂšmes de la vie. Nous suivons une personne qui a vĂ©cu une vie qui lâa rendue capable, par la puissance de Dieu, de triompher de la plus sombre et de la plus dĂ©cisive des adversitĂ©s la mort. Câest le fondement de notre espoir. Aujourdâhui, nous cĂ©lĂ©brons le dimanche de PĂąques, rappelons-nous avec espoir que Christ a vaincu la mort et que par consĂ©quent, les circonstances les plus sombres auxquelles nous faisons face nâont pas le dernier mot dans notre vie. De la mĂȘme maniĂšre que Vincent van Gogh lâexprime dans son tableau La rĂ©surrection de Lazare », Christ lui-mĂȘme, comme le soleil levant, vient dans notre vie avec la puissance de sa rĂ©surrection, il nous apporte un jour nouveau au milieu de la nuit la plus sombre de notre existence. Demandons Ă Dieu sa prĂ©sence et la puissance de la rĂ©surrection pour surmonter avec espoir les adversitĂ©s qui semblent ne pas avoir de solution. Vivons cette sorte de vie que Christ a vĂ©cue afin que par la puissance de Son Esprit, nous soyons Ă©levĂ©s en nouveautĂ© de vie. Avec espoir voir sur le site de la ConfĂ©rence mennonite mondiale
citation1. Et l' espoir, malgré moi, c' est glissé dans mon coeur. PhÚdre (1677) de. Jean Racine. Références de Jean Racine - Biographie de Jean Racine. Plus sur cette citation >> Citation de Jean Racine (n° 22603) - Ajouter à mon carnet de citations. Notez cette citation : - Note moyenne : 4.62 /5 (sur 467 votes)
Partition MusicXML 4 voix Pour Ă©couter les partitions MusicXML en .mxl sur Android et IPad / Iphone et PC, tĂ©lĂ©charger gratuitement DĂ©moPour Ă©couter les partitions Finale en .mus, tĂ©lĂ©charger le logiciel gratuit Finale Notepad pour MAC et PC Vivre le Temps ordinaire PriĂšres Parmi les chants... Ecoute, Ă©coute Paroles Cl. Rozier - Musique M. Wackenheim - Harmonisation FrĂ©dĂ©ric Fonsalas Il dansera pour toi Paroles So 3, 14 - Musique Fr. EphraĂŻm - Harmonisation Fr Pierre-Etienne Mon PĂšre, je m'abandonne Ă toi Paroles d'aprĂšs Charles de Foucauld et Ste ThĂ©rĂšse de l'Enfant-JĂ©sus - Musique Jean-François LĂ©ost - Arrangements Alain LangrĂ©e - Chants de l'Emmanuel Sous ta misĂ©ricorde Paroles FrĂšre Daniel Bourgeois, FrĂšre Jean-Philippe Revel et psaume 122 - Musique PĂšre AndrĂ© Gouzes Tout est Ă vous Musique CommunautĂ© du Verbe de Vie â Paroles du refrain dâaprĂšs 1 Co 3, 22-23, Paroles des couplets dâaprĂšs la priĂšre de Jean-Paul II pour lâannĂ©e du Christ Tu es le pain Paroles BenoĂźt Gschwind - Musique G. Gafah - Harmonisation Frederic Fonsalas Vivre le Temps ordinaire PriĂšres Parmi les chants... Ecoute, Ă©coute Paroles Cl. Rozier - Musique M. Wackenheim - Harmonisation FrĂ©dĂ©ric Fonsalas Il dansera pour toi Paroles So 3, 14 - Musique Fr. EphraĂŻm - Harmonisation Fr Pierre-Etienne Mon PĂšre, je m'abandonne Ă toi Paroles d'aprĂšs Charles de Foucauld et Ste ThĂ©rĂšse de l'Enfant-JĂ©sus - Musique Jean-François LĂ©ost - Arrangements Alain LangrĂ©e - Chants de l'Emmanuel Sous ta misĂ©ricorde Paroles FrĂšre Daniel Bourgeois, FrĂšre Jean-Philippe Revel et psaume 122 - Musique PĂšre AndrĂ© Gouzes Tout est Ă vous Musique CommunautĂ© du Verbe de Vie â Paroles du refrain dâaprĂšs 1 Co 3, 22-23, Paroles des couplets dâaprĂšs la priĂšre de Jean-Paul II pour lâannĂ©e du Christ Tu es le pain Paroles BenoĂźt Gschwind - Musique G. Gafah - Harmonisation Frederic Fonsalas
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Lajeune lycéenne Corse fait le « buzz » sur les réseaux sociaux avec une vidéo vue plus de 500 000 fois sur Youtube et Facebook. Cette jeune insulaire passionnée par son ßle et sa culture, impressionne par sa prestation touchante soutenue par une voix qui fait frissonner aux premiÚres paroles. Rencontre sur Pari (s) sur la Corse.
Zira Dors mon gentil Kovu. RĂȘve, envole-toi ! Un jour quand tu seras grand, Tu deviendras roi ! Zira Bonne nuit, mon petit Prince ... Demain commence ton entraĂźnement intensif ! Il m'a chassĂ©e, persĂ©cutĂ©e, AbandonnĂ©e sans dĂ©fense Quand je pense Ă ce qu'il m'a fait, J'ai quelques impatiences ! Mais je caresse un si beau rĂȘve Que mon cĆur n'est pas trop lourd Songeant que son rĂšgne s'achĂšve Je fais pattes de velours. Simba qui se meurt dans la nuit, Sa fille qui pleure entre mes griffes, Son dernier soupir dans le noir, C'est mon chant d'espoir ! Pourtant, j'ai tentĂ© d'oublier, J'aurais pu lui pardonner, Mais l'ennui, Je sais, c'est petit, Je ne supporte pas qu'il vive ! Nuka Alors, c'est toi qui t'es choisie Pour chasser Simba d'iciZira La bataille sera sans pitiĂ©, Mais ce travail-lĂ me plaĂźt. La mĂ©lodie des grognements, Le contrepoint des hurlements, La symphonie du grand dĂ©part, C'est mon chant d'espoir ! Scar s'en va Mais Zira est bien lĂ , Pour aimer ce petit cĆur, Jusqu'Ă ce qu'il devienne un tueur Et prenne goĂ»t Ă l'horreur Nuka Dors, toi, vilain termite ! Je veux dire "gentil petit chat" ... Vitani Un jour quand tu seras grand ... Zira ... tu deviendras Roi ! Ăcoute les tambours de guerre, Les rugissements de KovuNuka La soif de vengeance, Zira Oui, j'entends les bravos ! Vitani Kovu, le hĂ©ros ! Zira Je vois notre Ă©tendard Dans un ciel de cauchemars Rougi par ma victoire, C'est mon chant d'espoir !
ZiraDors mon gentil Kovu. RĂȘve, envole-toi ! Un jour quand tu seras grand, Tu deviendras Roi ! Kovu Bonne nuit ! Zira Bonne nuit, mon petit Prince Demain commence ton entraĂźnement intensif ! Il m'a chassĂ©e, persĂ©cutĂ©e, AbandonnĂ©e sans dĂ©fense Quand je pense Ă ce qu'il m'a fait, J'ai quelques impatiences ! Mais je caresse un si beau rĂȘve Que
Chut mon tout petit Tu doit certainement ĂȘtre extĂ©nuerDors mon gentil KovuRĂȘve envole-toiUn jour quand tu seras grand tu deviendras roiIl m'a chassĂ©, persĂ©cutĂ©, abandonnĂ© sans dĂ©fence Quand je pense Ă ce qu'il m'a fait, j'ai quelques impatiencesMais je caresse un si beau rĂȘve que mon coeur n'est pas trop lourdSongeant que son rĂȘgne s'achĂšveJe fait patte de velours Simba qui se meurt dans la nuitSa fille qui pleure entre mes griffesSon dernier soupir dans le noir C'est mon chant d'espoirPourtant j'ai tentĂ© d'oublier J'aurai put lui pardonnerMais l'ennui, je sais c'est petit, je ne supporte pas qu'il viveAlors c'est toi qui t'es choisi pour chasser Simba d'iciLa bataille sera sans pitiĂ©Mais ce travail lĂ me plait La mĂ©lodie des grognements Le contre-point des hurlementsLa symphonie du grand dĂ©partC'est mon champ d'espoirScar s'en va mais Zira est bien lĂ Pour aimĂ© ce p'tit coeur Jusqu'Ă s'qu'il devienne un tueur Et prenne goĂ»t Ă l'horreurDors, toi vilain termite Euh, je veux dire gentil petit chatUn jour quand tu seras grandTu deviendras roiEcoute les tambours de guerreLes rugissements de KovuLa soif de vengeanceSoit c'est moiOui, j'entends les bravos Kovu le hĂ©ros!Je vois notre Ă©tendard dans un ciel de cauchemar Rougis par ma victoireC'est mon chant d'espoir Posted on Saturday, 14 February 2009 at 110 AM
Apprendrefacilement les chants liturgiques de la messe pour la commémoration de tous les fidÚles défunts, le 2 novembre: psaume 129 - Je mets mon espoir dans le Seigneur -
Câest mon espoir la vidĂ©o - chargement du lecteur vidĂ©o - Tous les clips de Julien Clerc Le meilleur du son Chanson française avec le vidĂ©o-clip officiel de la chanson de Julien Clerc "Câest mon espoir".Câest la premiĂšre piste du 17Ăšme opus de lâartiste intitulĂ© Julien » et sorti en 1997. Les paroles sont de Ătienne Roda-Gil. Cette vidĂ©o de l'album Julien 1997 a Ă©tĂ© regardĂ©e 10 fois. Note des visiteurs Les derniĂšres sorties musicales de Julien Clerc Laissons entrer le soleilLili voulait aller danser Votre avis sur la chanson Câest mon espoir ? laissez votre commentaire et vos critiques Ecoutez le meilleur de la musique Chanson française avec la vidĂ©o officielle de Câest mon espoir, dĂ©couvrez Ă©galement le vidĂ©oclip Riders on the storm.
MONESPOIR EN DIEU En Toi Seigneur JĂ©sus, J'ai mis ma foi Seigneur JĂ©sus tu es toute ma vie, c'est en toi j'ai mis mon espoir, je veux te chanter, je veux te louer je veux t'adorer chaque matin, Ta grĂące me suffit, ton amour m'environne oh Ăternel Seigneur quand le diable m'attaque mes cris vont vers toi, tu as combattu pour David face Ă
Musique En continu Björk annonce un nouvel album Pas trop affectĂ©e par la pandĂ©mie, qui nâa pas Ă©tĂ© dĂ©vastatrice en Islande, Björk a pris le temps de vivre et de concocter un nouvel album, son dixiĂšme. Fossora â fossoyeuse » - doit paraĂźtre cet automne. Jonathan Personne En mode greatest hits Jonathan Personne â nĂ© Jonathan Robert, membre du groupe Corridor â lance un troisiĂšme album solo. Avec des chansons qui abordent les thĂšmes de la nostalgie, du burn-out et de notre indignation Ă©phĂ©mĂšre. Awich, nouvelle sensation du hip-hop japonais Tokyo Reine autoproclamĂ©e du hip-hop japonais, Awich a de nombreuses histoires Ă raconter, de sa dĂ©couverte du rap amĂ©ricain lorsquâelle Ă©tait une adolescente rebelle dâOkinawa Ă la mort de son mari dans une fusillade aux Ătats-Unis. InculpĂ© pour son rĂŽle dans une fusillade A$AP Rocky plaide non coupable Los Angeles Le rappeur amĂ©ricain A$AP Rocky, inculpĂ© pour son rĂŽle dans une fusillade en novembre dernier, a plaidĂ© non coupable mercredi devant un tribunal de Los Angeles, en Californie. Drake dĂ©passe les Beatles au palmarĂšs Billboard Câest officiel. Les Beatles ont Ă©tĂ© dĂ©trĂŽnĂ©s au palmarĂšs des artistes comptant le plus de piĂšces dans le Top 5 des chansons les plus populaires de Billboard. Milk & Bone lance un enregistrement en français sur Spotify Singles MontrĂ©al Le duo montrĂ©alais Ă©lectro-pop Milk & Bone a lancĂ© mercredi son premier enregistrement en français dans le cadre de la sĂ©rie Spotify Singles. Jean-Pierre Ferland rentre chez lui aprĂšs une courte hospitalisation Lâauteur-compositeur-interprĂšte Jean-Pierre Ferland a Ă©tĂ© hospitalisĂ© briĂšvement Ă la suite dâune chute survenue Ă la fin du mois de juin. Auteurs et compositeurs canadiens Olivia Rodrigo rendra hommage Ă Alanis Morissette La chanteuse Olivia Rodrigo rendra hommage Ă Alanis Morissette Ă lâoccasion de son intronisation au PanthĂ©on des auteurs et compositeurs canadiens, le 24 septembre prochain Ă Toronto. Le rappeur A$AP Rocky inculpĂ© pour une fusillade Ă Hollywood Los Angeles Le rappeur amĂ©ricain A$AP Rocky, compagnon de Rihanna, a Ă©tĂ© inculpĂ© pour son rĂŽle dans une fusillade en novembre dernier Ă Hollywood, ont annoncĂ© lundi les autoritĂ©s de Los Angeles en Californie. LâOrchestre symphonique de Longueuil en tournĂ©e MontrĂ©al LâOrchestre symphonique de Longueuil, menĂ© par son chef Alexandre Da Costa, est en tournĂ©e en AmĂ©rique du Sud avec Stadivarius Ă Vienne. AprĂšs la Colombie, le groupe de musiciens professionnels quĂ©bĂ©cois performe dĂ©sormais au BrĂ©sil. La VirĂ©e classique de lâOSM Un rendez-vous copieux et exaltant Le seul dĂ©savantage de la VirĂ©e classique, câest quâil faut faire des choix ! Avec 17 Ă©vĂšnements durant la seule journĂ©e de samedi, impossible dâassister Ă tout. La Presse a tout de mĂȘme eu lâoccasion de se rendre Ă six concerts dans les quatre salles participantes. Festival Lasso Une premiĂšre Ă©dition prometteuse Yâa-tu du monde qui aime le country icitte ? » ImmĂ©diatement acclamĂ©es, ces paroles ont Ă©tĂ© prononcĂ©es sur scĂšne par le chanteur Matt Lang, samedi aprĂšs-midi au parc Jean-Drapeau. On pourrait difficilement mieux dĂ©crire lâengouement de la mĂ©tropole montrĂ©alaise pour son premier festival 100 % country, Lasso. Daniel BĂ©langer dĂ©voile un extrait dâune nouvelle chanson Daniel BĂ©langer dĂ©voile depuis quelques jours au compte-goutte une nouvelle chanson, Jâentends tout ce qui joue dans ma tĂȘte. Rage Against the Machine annule sa tournĂ©e europĂ©enne Pas de chance pour Rage Against the Machine un mois aprĂšs avoir entrepris sa tournĂ©e de retrouvailles, le groupe de rap-mĂ©tal doit annuler tous ses spectacles prĂ©vus en Europe en aoĂ»t et en septembre Ă cause dâune blessure Ă la jambe de son leader Zack de La Rocha. Une nouvelle chanson des Trois Accords Les Trois Accords sont de retour avec du nouveau matĂ©riel et offrent ce vendredi la chanson Piscine hors terre, qui annonce la sortie de leur septiĂšme album Ă lâautomne. Une piĂšce de monnaie en hommage Ă Oscar Peterson MontrĂ©al La Monnaie royale canadienne lance une piĂšce spĂ©ciale en lâhonneur de la lĂ©gende de la musique Oscar Peterson.
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Laliste des poĂšmes : 1 - Espoir timide de François CoppĂ©e, extrait du recueil L'exilĂ©e (1878). 2 - Quelque si doux espoir de ThĂ©ophile de Viau, extrait du recueil Ćuvres poĂ©tiques (1626). 3 - L'espoir de Marceline Desbordes-Valmore, extrait du recueil Romances (1830). 4 - Dernier espoir de Paul Verlaine, extrait du recueil Le livre
Reprendre mon envol Ce qui nous ligote OĂč nos vies sâeffilochent AprĂšs des annĂ©es Câest une Ă©vidence Mais ces annĂ©es gĂąchĂ©es Nous ont paralysĂ© On sâdit quâelle est passĂ©e la chance Reprendre mon envol MĂȘme si mes ailes Couvertes de colle Font sourire les hirondelles Câest pour du futile Des combats inutiles Quâon sâest Ă©puisĂ© JusquâĂ la souffrance On devait respecter Les chemins balisĂ©s Elle serait belle la rĂ©compense Reprendre mon envol MĂȘme si mes ailes Couvertes de colle Font sourire les hirondelles Tellâment dâinsoumis Sont sortis de la vie Que la dignitĂ© On lâa crue impossible On sâest habituĂ© A vivre sans penser Accepter lâinadmissible Reprendre mon envol MĂȘme si mes ailes Couvertes de colle Font sourire les hirondelles Ajouter votre avis - Paul oui entre 11, le 11 novembre 2014 Ă 20 heures 24 Lâhiver aux PyrĂ©nĂ©es ou Continuer d'y croire La couleur de ma peau ou Continuer d'y croire
Parolesde chanson - JOSEY - Espoir. Recherche. BibliothÚque. Se connecter. S'inscrire. Regarder en plein écran. il y a 2 ans . Paroles de chanson - JOSEY - Espoir. Le Parolier. Suivre. il y a
Paroles de la chanson Mon Chant D'espoir par Le Roi Lion 2 Zira Chut, mon tout petit. Tu dois certainement ĂȘtre extĂ©nuĂ© Dors mon gentil Kovu. RĂȘve, envole-toi Un jour, quand tu seras grand tu deviendras roi Il mâa chassĂ©e, persĂ©cutĂ©e, abandonnĂ©e sans dĂ©fense Quand je pense Ă ce quâil mâa fait, jâai quelques impatiences Mais je caresse ainsi vos rĂȘves que mon coeur nâest pas trop lourd Songeant que son rĂšgne sâachĂšve, je fais pattes de velours Simba qui se meurt dans la nuit Sa fille qui pleure entre mes griffes Son dernier soupir dans le noir Câest mon chant dâespoir Pourtant, jâai tentĂ© dâoublier Jâaurais pu lui pardonner Mais lâennui, je sais, câest petit Je ne supporte pas quâil vive Nuka Alors, câest toi qui tâes choisie pour chasser Simba dâici Zira La bataille sera sans pitiĂ© mais ce travail lĂ me plait La mĂ©lodie des grognements Le contre-point des hurlements La symphonie du grand dĂ©part Câest mon chant dâespoir Scar sâen va, mais Zira est bien lĂ pour aimer ce petit coeur JusquâĂ ce quâil devienne un tueur et prenne goĂ»t Ă lâhorreur Nuka Dors, toi, vilain termite ! Je veux dire gentil petit chat... Vitani Un jour quand tu seras grand Zira Tu deviendras roi ! Ecoute les tambours de guerre ! Les rugissements de Kovu Nuka La soif de vengeance Vitani Zira Oui, jâentends les bravos Vitani & Nuka Kovu, le hĂ©ros ! Zira Je vois notre Ă©tendard Dans un ciel de cauchemar Rougi par ma victoire Câest mon chant dâespoir !
Cest Mon Espoir Artiste : Julien Clerc Album : "Aimer" Date de sortie : 01 sept. 2007 . Partagez ce clip. Donnez l'adresse de cette
Mon espoir, c'est toiJe te dits tout bas mes sentiments je te dis tout ce que je pense je te vois Ă l'horizon dans un coin tranquille j'en ai fait des rĂȘves fous toute la nuittu Ă©tais lĂ pour mes premiers pas quand j'ai eu besoin de toi, mes instants de douceur avec toi resteront uniques tu prends tout sur ton La vie a repris son souffle ça sera plus facile de respirer l'air du vent c'est encore si fragile de vouloir la mĂȘme chose que les autres ça aurais fait des jaloux encore part dessus, c'est encore fragile entre nous oui je le sais pourquoi me dire le contraire je sais que je t'attend de l'autre cĂŽtĂ© pour pensĂ© et repensĂ© a nos souvenirs d'enfance mon espoir, c'est 2 Je ne sais plus quoi te dire j'ai tout oubliĂ© mĂȘme ta douceur et ta chaleur quelque chose m'a sĂ©parĂ© de toi tu es loin de moi maintenant je n'entends plus ta voix dans mon sommeil, ça me manque tout ça mon choix est fait depuis longtemps je veux juste voir la vie en rose rouge avec Refrain 1
Lesarchives par sujet : alain robichon. 12 3 4 5 Suivant LECTURE PAR ALAIN FISNOT. Lecture - Conte - Poésie Juvigny-sur-Loison 55600 Le 26/08/2022 Cette lecture par Alain Fisnot sera l'occasion d'entendre un extrait de l'intrigue qui se déroule à l'abbaye de Juvigny dans l'un des tomes des "MystÚres en abbayes".
Français 1998chantĂ© par Elizabeth WienerZira Dors, mon gentil KovuRĂȘve, envole-toiUn jour, quand tu seras grandTu deviendras roiIl m'a chassĂ©, persĂ©cutĂ©AbandonnĂ© sans dĂ©fensesQuand je pense Ă ce qu'il m'a faitJ'ai quelques impatiencesMais je caresse un si beau rĂȘveQue mon cĆur n'est pas trop lourdSongeant que son rĂȘve s'achĂšveJ'ai des pattes de veloursSimba qui se meurt dans la nuitSa fille qui pleure entre mes griffesSon dernier soupir dans le noirC'est mon chant d'espoirPourtant j'ai tentĂ© d'oublierJ'aurais pu lui pardonnerMais l'ennui, je sais, c'est petit Je ne supporte pas qu'il viveNuka Alors c'est toi qui t'es choisiePour chasser Simba d'iciZira La bataille sera sans pitiĂ©Mais ce travail-lĂ me plaitLa mĂ©lodie des grognements Le contre-poing des hurlementsLa symphonie du grand dĂ©partC'est mon chant d'espoirScar s'en va, mais Zira est bien lĂ Pour aimer ce p'tit cĆurJusqu'Ă c'qu'il devienne un tueurEt prenne goĂ»t Ă l'horreurNuka Dors, toi vilain termiteJe veux dire gentil petit chatVitani Un jour, quand tu seras grand...Zira Tu deviendras roiĂcoute les tambours de guerreLes rugissements de Kovu[/i]Nuka La soif de vengeanceVitani Sois tĂ©moinZira Oui, j'entends les "bravos"Nuka et Vitani Kovu, le hĂ©rosZira Je vois notre Ă©tendardDans un ciel de cauchemarRougit par ma victoireC'est mon chant d'espoir !Ma BerceuseQuĂ©bĂ©cois 1998Zira Dors, mon gentil KovuLes rĂȘves sont pour toiUn jour, tu s'ras grand et fortTu seras un roiJe fus bannie, persĂ©cutĂ©eLaissĂ©e pour compte sans protectionLorsque je pense Ă cette brute-lĂ J'en ressens des crispationsTous mes rĂȘves ne sont que beautĂ© Inutile de m'alarmerIls confortent ma fĂ©linitĂ©Je peux donc me reposerLe dernier soupir de SimbaSa fille qui hurle entre mes brasEt sa lionne toute malheureuseVoilĂ ma berceuseJe voulais tant oublier le passĂ©Et pardonner Ă tous mes ennemisUn petit dĂ©tail reste Ă rĂ©glerJe ne peux les laisser en vieNuka Pour Simba je serai celuiQui le ramĂšnera iciZira Oh, il y aura sĂ»rement plein de sangMais quel travail des plus plaisants La mĂ©lodie de la fureurUn contre-poing tout en douleurUne symphonie de mort affreuseVoilĂ ma berceuse C'est fini, mais Zira doit resterVeiller sur cet enfantEt l'aider Ă ĂȘtre un vrai tueurApprĂ©ciant toutes les horreursNuka Dors donc, petit termitePetit bijou endors-toiVitani Un jour, tu deviendras grand...Zira Tu seras un roiLe martĂšlement des tambours de guerreLes rugissements de Kovu[/i]Nuka La joie d'la vengeanceVitani C'est jurĂ©Zira Nous saurons triompherNuka et Vitani Kovu va gagnerZira L'heure des courbes a sonnĂ© Et notre drapeau flottantLĂ -haut, dans un ciel de sangVoilĂ ma berceuse !My LullabyAnglais 1998Zira Sleep, my little KovuLet your dreams take wingOne day, when you're big and strongYou will be a kingI've been exiled, persecuted Left alone with no defense When I think of what that brute did I get a little tense But I dream a dream so prettyThat I don't feel so depressed'Cause it soothes my inner kittyAnd it helps me get some rest The sound of Simba's dying gaspHis daughter squealing in my graspHis lioness's mournful cryThat's my lullabyNow, the past I've tried forgettingAnd my foes I could forgive Trouble is I know it's pettyBut I hate to let them liveNuka So you found yourself somebodyWho'll chose Simba up a treeZira Oh, the battle may be bloodyBut that kind of works for meThe melody of angry growls A counterpoint of painful howls A symphony of death, oh, my !That's my lullabyScar is gone, but Zira's still aroundTo love this little ladTill he learns to be a killerWith a lust for being badNuka Sleep, ya little termiteOh I mean, precious little thingVitani One day, when you're big and strong...Zira You will be a kingThe pounding of the drums of warThe thrill of Kovu's mighty roarNuka The joy of vengeanceVitani TestifyZira I can hear the cheering Nuka and Vitani Kovu, what a guyZira Payback time is nearing And then our flag will flyAgainst a blood-red skyThat's my lullaby !La Mia Ninna NannaItalien 1998chantĂ© par Paola Tedesco Zira, Francesco Pezulli Nuka et Alessia Amendola VitaniZira Dormi dolce KovuSogna mio bebĂš Grande e forte diverrai E sarai il reSono stata esiliata Sono sola ed indifesa Sono stata umiliataMi sento molto offesa Ma ho un sogno nel cassetto Che mi rende assai vivace Mi fa sempre un bel effetto E ritrovo la mia pace Simba passa a miglior vitaCon lui la figlia tanto amataSon finalmente morti osannaĂ mia ninna nanna Ho cercato si di scordare Ă una storia ormai finita Mai non posso perdonareDovranno pagare con la loro vitaNuka E cosĂŹ ti sei trovata Chi lo ucciderĂ per teZira Una caccia insanguinata Ma fantastica per meĂ dolce il suono dei ruggiti Ed il lamento dei feriti L'odio avvelena ogni zannaĂ la mia ninna nannaScar se ne Ăš andato, ma Zira sta tramandoImpara piccolino FinchĂ© un di sarai cruele Uno splendido assassinoNuka Dormi, piccola termiteOh scusa prezioso mio bebĂšVitani Molto forte diverrai...Zira E sarai ĂŹl reIl suono dei tamburi di guerra Il ruggito che scuote la terraNuka E la vendettaVitani Grazie a teZira Sento giĂ gli applausiNuka i Vitani Kovu il vero reZira La ricossa Ăš in attoPer noi sarĂ la manna Per voi una condannaĂ la mia ninna nanna !
BĂNISDIEU Ă MON ĂME (10000 REASONS) Audio. Audio VO. Chordinator. Structure. BĂNIS TON ĂGLISE ; Structure. Audio. Chordinator. C'EST TOI, JĂSUS; c'est toi jĂ©sus. Partition. Structure et Accords. voix 1 couplet. C\'est toi voix basse. C\'est toi JĂ©sus voix soprano. C\'est toi JĂ©us voix 2 couplet
PubliĂ© le 06/08/2020 Ă 0507 , mis Ă jour Ă 0507 "Ensemble, ça changera" ! Câest le message dâespoir que le 3e single de lâassociation Tourez Productions propose au travers de la chanson intitulĂ©e "Ma Terre". Pure production SorĂšzienne, ce titre composĂ© par les membres de lâassociation, a Ă©tĂ© ensuite enregistrĂ©, mixĂ© et masterisĂ© au Kiwi Studio basĂ© Ă SorĂšze. Le message de la chanson met en avant lâĂ©cologie et se veut plein dâespoir. En effet, ces jeunes musiciens tentent dâapporter un regard positif sur lâĂ©cologie et les attitudes Ă adopter avec notamment leur slogan "Ensemble, ça changera !". TournĂ© dĂ©but juillet dans la Montagne Noire, le clip sera disponible sur YouTube sur la chaĂźne Tourez Productions ce dimanche 9 aoĂ»t Ă 11h prĂ©cises. La musique sera Ă©galement disponible Ă partir de dimanche sur toutes les plateformes de streaming Spotify, deezerâŠ
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